mercredi 27 juillet 2022

Vivre : plonger

 
Acrobate provenant de Cnossos/ musée archéologique / Heraklion

Nager : un des plaisirs de l'été et, par temps de canicule, ce plaisir se fait impérieuse nécessité. A Berne, la rivière Aar décrit une boucle autour de la vieille ville. C'est un beau cours d'eau qui charrie depuis les Alpes des flots clairs, non contaminés (un tantinet fougueux, il faut bien l'avouer).
La ville propose plusieurs piscines gratuites, généreusement ouvertes à un large public. Mais surtout, elle offre un long trajet bien balisé aux nageurs désireux de se la couler douce en admirant le paysage, le Palais fédéral ou la cathédrale.
Plonger dans cette eau ne signifie pas forcément nager : il suffit de se laisser porter. Ne rien faire, juste lâcher prise. Au cours de la descente, on discerne des gens assis dans l'herbe qui prennent leur petit-déjeuner, là, un jeune homme figé dans une posture de yoga, ici, deux amies en tendre confidence, une main confiée négligemment au courant, plus loin, des merles sautillent en se désaltérant. Un touriste tend son smartphone au-dessus des flots et hurle dans sa langue : regarde, regarde comme l'eau est transparente. Certains, craintifs, hésitent, l'index pointé sur leur lèvre inférieure, observent les têtes qui flottent comme des ballons colorés. On les sent à deux doigts de se lancer.
Dans cet univers émeraude, le temps, curieusement, semble s'être arrêté, ou du moins distendu, toute notion en est perdue. Crawlant sur le dos pour ralentir la course, on aperçoit la lumière qui danse entre les vastes branches des arbres inclinés. L'instant est de tout beauté. On se croirait de retour au temps d'avant le temps, bien avant la naissance, un monde irréel hors d'atteinte de toutes sortes de contingences.
Le bonheur se niche là, dans ces scintillements que l'on perçoit, dans cette valse des feuillages effleurant les baigneurs, lesquels ne sont plus rien que des billes mouvantes, brindilles emportées par le courant. Métaphore de la vie, temps aboli qui s'enfuit, passage inexorable et impermanence, ce n'est jamais la même rivière, jamais la même expérience. Derrière soi on entend des rires et des cris :  des bulles de joie descendent l'Aar elles aussi.

Un billet reportage : ICI 
 

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