mercredi 13 juillet 2022

Vivre : still life / 118

 

Ce pullover en pure laine je l'avais payé  - je m'en souviens très précisément - cent francs il y a quarante ans avec mon premier salaire et il est encore comme neuf. Aucune mite n'a osé s'y casser les dents. Je me l'étais procuré  sur le marché de LCDF, au stand de la communauté Longo Maï.
Je voulais depuis longtemps retourner leur rendre visite dans leur ferme du Jura où ils élèvent toujours des moutons et des abeilles. Il se trouve que le fils d'une amie s'est installé là-bas avec sa jeune famille. L'occasion rêvée pour reprendre contact. Le site est magnifique - du moins par une journée resplendissante de juillet. Devant la maison, les personnes attablées étaient exactement comme je les imaginais. Une bande de bosseurs, pas forcément exubérants mais discutant rigoureusement de tous les points concernant leur vie quotidienne et laborieuse tout en caressant les chats qui venaient se lover entre les verres. Dress code de rigueur : vêtements noirs ou délavés, coupes de cheveux maison, attitudes décontractées et mots bien pesés. 
Avant de partir, R. m'avait demandé : tu veux t'habiller comment, pour aller les voir ? Je n'ai pas hésité un instant : pas question de me déguiser en soixante-huitarde attardée pour me rendre là-bas. J'ai enfilé mes vêtements de la veille, en l’occurrence un large chemisier rose pimpant, mes pantalons couleur moutarde et des baskets jaunes assorties. R. m'a dit que je détonais un peu, mais bon je n'y allais pas pour séduire des sectaires. Je voulais soutenir cette association, dont j'apprécie les produits et partage bon nombre de positions.
T.est responsable des ovins. Sa femme effectue un travail polyvalent. Ils ont pris le temps de répondre à nos  questions. J'ai apprécié de rencontrer des gens préoccupés par l'avenir de notre planète, œuvrant de manière solidaire, actifs dans le domaine de l'asile et promouvant un type d'échanges alternatif. Chez eux, pas de salaire. Les biens nécessaires circulent, mais pas l'argent.
Il m'a dit : "Plus tu consommes, et moins tu es libre." Une vérité qui me semblait couler de source (comme la fontaine sur leur chemin). Moins tu as de besoins, de quelque ordre qu'ils soient, et plus il te reste de temps et d'énergies à disposition pour vivre la vie qui te convient.
Je me suis renseignée sur leurs actions en Ukraine et leur ai acheté quelques pots de confiture et de chutney. Nous avions encore de la route à accomplir et des tâches les réclamaient. Nous leur avons fait un signe, tandis qu'ils s'acheminaient vers leur luxuriant potager.

2 commentaires:

  1. Le grand écart. Entre un membre dune communauté de Longo Maï, qui vit d’une manière totalement différente et à l’opposé d’un trader dans son bureau. Lui, qui à coup de dopant et d’amphétamine doit tenir le coup devant ses écrans, car une fraction de seconde peut changer la cotation du cuivre, du cacao ou de l’or, bref de toutes les matières premières. D’un côté de rythme de travail lié aux besoins directs d’une communauté et de l’autre la spéculation frénétique à peine imaginable sur des denrées et des produits. Devinez combien de transactions se font dans le monde en une seconde... Cette différence n’est pas seulement de type vestimentaire, jeans délavés et pulls, qui visiblement tiennent plusieurs dizaines d’années. Dommage pour la fast fashion et les profits des grandes marques. La différence tient aussi à la philosophie de vie (partons du principe que le trader a aussi une philosophie, bien sûr), le respect et le refus de l'exploitation.

    Longo Maï et d’autres expériences de ce type ne sont que des gouttes d’eau dans le flot de la consommation : Il faut acheter des objets dont tu n’as pas besoin avec de l’argent que tu ne possèdes pas. Pourtant la pluie aussi est faite de petites gouttes, non ?

    Gaspard

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  2. Oui : même si la philosophie et le fonctionnement de L.M. peut sembler un peu extrême, voire sectaire, la communauté se montre active et donne du sens à toutes ses actions. Elle oeuvre pour plus de solidarité et reste liée aux besoins fondamentaux des individus. Une vision que nous avons perdue, au fil du temps, remplaçant peu à peu le nécessaire par le superflu dans l'ordre de nos priorités (la part des budgets tenue par l'alimentation tend à baisser, au profit des biens électroniques et des modes en tous genres. Ces modes qui mettent en état d'obsolescence des objets pouvant encore servir).
    Et oui : les petites gouttes sont importantes (surtout en période de sécheresse). Belle soirée.

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