Novembre : généreux en pluviométrie, avare en éclaircies, longue traversée de la nuit. Or, il se trouve que cette année P. a décidé de faire l'impasse sur l'heure d'hiver, par on ne sait quelle lubie. En pleine forme dès cinq heures et demie, il tient à nous en informer, montant et descendant les escaliers, agitant ses médailles, secouant allégrement ses membres engourdis.
Hum. On a beau tenter d'ignorer, se retourner, et feindre de dormir : rien n'y fait. On finit par se mettre en chemin sous les étoiles (ou les nuages, ou la pluie) rejoindre les rives et leurs tranquilles clapotis. Mais pas question de négliger l'indispensable torche, car si, sur notre trajet, une souche ou une branche peuvent être traitresses, un conducteur trop pressé pourrait aisément nous précipiter dans un fossé. Voir et être vus en ce mois scélérat est une règle absolue.
Pas après pas, la contrariété cède peu à peu face à la beauté des lieux. L'heure bruisse d'ombres, de souffles et de cris. Nous atteignons la plage et ses flots aux tremblements argentés. On dirait que la lune s'y est dissoute en descendant s'y baigner. Ça et là, une fenêtre éclaire un jardin, branches flottantes, brumailles dansant dans le vent du matin. Au fond de leur cuisine, quelques vagues silhouettes encore prises par leurs rêves chancellent vers leurs cafetières. L'autoroute au loin ressemble à un long collier dont le lac se serait paré. Les poules d'eau poussent de grands cris à notre passage, toute la colonie se met sur le qui-vive, nous voici transformés en génies patibulaires, en potentiels envahisseurs et nous nous hâtons de disparaître dans la cariçaie.
Il y a quelque chose de magique dans le jour qui s'efforce de percer, des lueurs qui glissent, remplies de promesses, des prémices qui passent, qui poussent, se font peu à peu place pour nous signifier que la noirceur n'existe pas.
A la fin de notre balade, un voile se soulève : nous rentrons avec la certitude que la journée est prête à commencer. La nuit sur le point de faiblir, se rend et accepte enfin de laisser la lumière survenir. Oui, nous rentrons réconfortés : le noir n'existe pas, ne peut pas exister et les arcs-en-ciels ne vont pas tarder à nous le prouver.
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