mardi 8 août 2023

Vivre : se perfectionner dans l'art d'échouer

 
Survival of Serena / Carole A. Feuerman / Biennale Venezia 2017
 
Il y a ces choses, ces domaines, dans lesquels on ne sait pas exceller. On affirme que ce n'est pas notre truc, pour ne pas dire tout simplement qu'on est nul en la matière. Pour moi, un de  ces domaines est le crawl. Le crawl, c'est mon grand rêve et ma blessure secrète. Pouvoir exécuter un crawl stylé figure en bonne place sur la liste des choses que je voudrais accomplir avant de mourir.
Dieu sait si j'aime l'eau, si je ne crains pas de m'y jeter, si je m'éloigne parfois dangereusement des rives mettant les nerfs de mon compagnon à dure épreuve, si je ne crains ni de boire la tasse ni de toucher le fond. Avancer en brasse coulée : oui. Crawler sur le dos : oui. Faire la  planche, affronter les vagues de la Méditerranée : oui. En revanche, crawler, avec élégance s'il vous plait, en prenant sa respiration sur le troisième temps, en levant le coude juste à la bonne hauteur et sans forcer au niveau de la nuque : non. Je n'ai jamais réussi à tout coordonner. Résultat : je crawle misérablement, sur une longueur, et je m'épuise.
Mais... je m'obstine aussi. Depuis des décennies, depuis que j'ai décidé que j'y arriverais, je m'y remets chaque été. Chaque année en début de saison je me retrouve au bord du grand bassin absorbée, admirant rêveusement "le" nageur qui sait vraiment évoluer comme un poisson argenté, celui à qui j'ai envie de ressembler. Je tends l'oreille toutes les fois qu'un professeur donne une leçon à quelques mètres de moi, puis je vais laborieusement m'exercer et... je finis immanquablement par renoncer. Il y a même une année où j'ai insisté avec tant de détermination que j'ai fini chez un physio lequel m'a intimé l'ordre d'arrêter. Il en avait marre de tenter de soulager ma nuque blessée.
Et à chaque saison, en cachette, je retente. Sans grand succès. Mais hier, la dame qui faisait ses exercices à côté de moi s'est approchée. Tout doucement, en me priant de l'excuser. C'était une vieille dame que je n'avais pas vraiment remarquée. Elle m'a parlé avec gentillesse et m'a dit qu'elle avait été prof de natation dans un vie antérieure. Comme elle avait du tact, elle a commencé par me complimenter pour mon style. Puis elle a ajouté : mais... votre crawl... Et elle m'a dit : le coude, oui, mais le geste de la main qui plonge en avant doit être plus déterminé. Elle m'a montré. Le poignet penché, elle a simulé un avion en train d'atterrir. L'impulsion, l'orientation, l'intention.
J'ai alors essayé et... ça a marché. La dame a approuvé. Oh... je ne dis pas que c'est gagné. Mais j'ai senti comme un déclic. Alors, peut-être que dans une ou deux années...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire