jeudi 3 août 2023

Lire : Fred... ou ordinaire ?

 

 
Nous avions rendez-vous à une terrasse. Sur la table, au lieu d'une tasse, j'ai trouvé la dixième aventure du commissaire Adamsberg. Rien ne pouvait davantage m'attirer. J'ai disparu pour le reste de la journée.

Ce dernier roman : certainement pas le meilleur, peut-être le moins bon. Il m'a fallu un peu de temps pour y entrer. Plutôt bavard, moins poétique, porté par des dialogues moins inventifs, utilisant les ficelles habituelles (personnages décalés, brouillards et fausses-pistes, affinités improbables, crimes fumeux résolus en un tour de main et phénomènes en apparence secondaires débouchant sur des noirceurs de la pire espèce). On eut dit que quelqu'un - un écrivaillon dépourvu d'imagination - s'était chargé de faire du Fred Vargas. Pâle imitation. Déception. Décollage poussif, donc, mais... il n'en demeure pas moins qu'un Vargas de moyenne tenue est toujours meilleur qu'un polar standard. J'ai fini par me laisser emporter.

J'ai alors peu à peu retrouvé le ton et le langage tellement personnels (on ne dira jamais assez l'importance de savoir extravaguer), la fine équipe (d'où émerge la musculeuse Retancourt, Violette pour les intimes), les rebondissements à la pelle. Fred Vargas, il n'y en a point comme elle. Dans celui-ci, les préoccupations écologiques, la tendresse pour toutes les vies sur terre sont plus que jamais présentes : hérisson salement amoché, puces en abondance, chats et chiens malmenés, taureau amadoué se prénommant Corneille. Sans compter un noble dolmen. On y apprend la nécessaire distinction entre les différents papillons de nuit : grand sphinx tête de mort, bombyx et noctuelles.
Il s'adossa à couvert contre une colonne et attendit. ça ne le gênait pas d'attendre, il était naturellement plus patient qu'un autre. [...] Une hirondelle au vol rapide entra dans le hangar, où elle avait sûrement son nid. Ce qui l'amena naturellement à l'étrange obsession de Johan en quête de l'hirondelle blanche. Pas si étrange, au bout du compte, il était bien lui-même tombé amoureux d'un hérisson. Mais son hérisson existait, au lieu qu'une hirondelle blanche était une vue de l'esprit. Il lui faudrait demander à Mercadet de vérifier s'il existait des hirondelles albinos. Et pourquoi pas ? Car enfant, avec son père, ils avaient croisé un merle blanc. Encore que le fait que Johan soit en quête d'une vue de l'esprit ne le choquait en rien. [p.195-196]
Même si un descendant de Chateaubriand fait partie des suspects et malgré la présence d'un fantôme à jambe de bois, l'intrigue n'est pas vraiment originale. Il arrive qu'on s'envole, que les répliques et les péripéties décollent, mais pas pour longtemps, pas au point de rester scotchée une nuit entière le nez entre les pages. Pourquoi ai-je tenu jusqu'à la fin ? Parce que je me suis remémoré le plaisir éprouvé il y a six ans en découvrant Quand sort la recluse sur une plage de Croatie. Fred avait encore une fois réussi à me surprendre. Je me souviens... le sable, la mer, les phrases, les surprenants acteurs, les étonnants enquêteurs, et moi sur mon île durant de longues heures à l'ombre du parasol, qui m'efforçais de ralentir la lecture, histoire de faire durer mon bonheur. 

Et mon tout premier Vargas, Pars vite et reviens tard, quelle joie, quelle indescriptible découverte! Vargas, c'était un style, une surprise, une friandise, un univers. Et, ensuite, étaient venus tous les autres, L'homme aux cercles bleus, Sous les vents de Neptune, Dans les bois éternels...
 
Voilà, Fred, voilà pourquoi je suis allée au bout de cette (bien) longue lecture. C'est sûr, il y a comme une usure, Fred, c'est certain, mais malgré tout je t'adore. Les meilleurs vignobles ont de bonnes et de moins bonnes cuvées. Du coup, je crois bien que je vais reprendre mes classiques et te revenir : quand il n'y a pas grand chose à découvrir, autant relire.

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