lundi 21 août 2023

Vivre : sous le soleil de Lucius Annaeus

 
 Portrait de Lucrezia Panciatichi (détail) /Agnolo di Cosimo dit Bronzino / Galerie des Offices / Florence
 
Ah! qu'elles sont pénibles ces journées où l'on se met dès le matin à composer un programme bien rempli, bien tassé, bien organisé, destiné à vous permettre d'arriver au soir, repue, rassurée, certaine d'avoir accompli ce qui pourrait s’appeler une "bonne journée". 
Mais... d'où vient donc ce besoin de combler à tout prix, d'aller chercher ailleurs, autre part, de quoi meubler ces vingt-quatre heures en tant que telles est parfaites, c'est-à-dire aptes à apporter d'elles-mêmes toutes les stimulations souhaitées ? Dans le meilleur des cas, à peine le phénomène identifié, il s'agit très vite de le stopper. Par association, on en arrive à songer à Sénèque : ce qu'il dit à son ami concernant les voyages peut aisément s'étendre au grand voyage de la vie.
 

Tu veux savoir pourquoi rien ne te soulage dans ta triste fuite ? Tu fuis avec toi. Dépose le fardeau de ton âme : jusque-là point de lieu qui te plaise.[...]
Tu cours çà et là pour rejeter le faix qui te pèse ; et l’agitation même le rend plus insupportable. Ainsi sur un navire une charge immobile est moins lourde : celle qui roule par mouvements inégaux fait plus tôt chavirer le côté où elle porte. Tous tes efforts tournent contre toi, et chaque déplacement te nuit : tu secoues un malade. Mais, le mal extirpé, toute migration ne te sera plus qu’agréable. Qu’on t’exile alors aux extrémités de la terre ; n’importe en quel coin de pays barbare on t’aura cantonné, tout séjour te sera hospitalier.[...]
Il faut vivre dans cette conviction : "Je ne suis pas né pour un seul coin du globe ; ma patrie c’est le monde entier. " Cela nettement conçu, tu ne serais plus surpris de ne point trouver d’allégement dans la diversité des pays où te pousse incessamment l’ennui de ce que tu vis d’abord ; le premier endroit t’aurait su plaire, si tu voyais en tous une patrie. Mais tu ne voyages pas, tu te fais errant et passif, et d’un lieu tu passes à un autre quand l’objet tant cherché par toi, le bonheur, est placé partout.

 Lettres à Lucilius, Sénèque, XXVIII, Inutilité des voyages pour guérir l'esprit (trad. Baillard)

 
"Tu fuis avec toi" écrit le Sage. Oh oui, et c'est aussi avec toi que tu es heureuse et comblée. Tu t'emportes dans tes bagages (et pas besoin de valise ou d'horizons lointains, tu peux t'embarquer n'importe quel matin dans n'importe laquelle de tes journées, ce sera toujours en ta compagnie). C'est ton état d'esprit que tu emmènes quand tu quittes ton chez toi. Dès lors, inspire, respire, ouvre ton regard et, loin de vouloir tout contrôler, laisse venir... (pourquoi aussi ne pas chercher à savoir d'où provient ton aspiration à t'agiter ?)

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