mercredi 4 octobre 2023

Regarder : vers ses héritages

 
 
Cette année, les Rencontres d'Arles m'ont comblée par la quantité de choses à découvrir, de mondes à explorer. A peine rentrée, j'ai eu beaucoup de mal à écrire à leur sujet. C'était trop dense. Je devais laisser décanter. Donc j'ai pris mon temps pour revenir aux photographies, tout doucement, histoire de les apprivoiser, de pouvoir transformer les émotions en résumés. 
 
 
La série d'Iris Millot, intitulée Mont-Lion et exposée à LUMA, était impressionnante de sobriété. Cette jeune femme de 22 ans a réalisé un travail remarquable sur sa grand-tante, un personnage haut en couleurs à qui elle a rendu hommage (pourquoi ne dit-on pas "femmage"?) au travers d'un regard sensible et dénué de toute affectation ou démonstration appuyée. En quelques images, on saisit le personnage. Pas besoin de tout montrer, de tout représenter. Un bel article lui a été consacré dans Harper's Bazaard : à lire ICI
 
La jeune artiste souhaite que "la personne qui regarde soit libre de se projeter et de construire le récit qu'elle a envie." Pour ce faire, elle fournit un matériel à la fois intime et ancré dans le social et le politique (Hélène, la grand-tante, est une femme farouchement indépendante, qui a milité au MLF dans les années 1970, repris la ferme familiale et travaillé à la diffusion des éditions des Femmes, menant toujours sa vie selon ses propres valeurs quitte à s'isoler). Iris Millot a effectué une longue recherche, réuni toutes sortes d'archives, si bien qu'à présent grâce au prix Dior Jeunes Talents qui lui a été octroyé elle projette de compléter sa démarche par un film, mi-documentaire, mi-fictionnel.
 
 
Les thématiques abordées pourraient être perçues comme surfant sur l'air du temps (féminisme, artiste femme, mouvement LGBT) et la récompense convenue. Mais il émerge de ce travail quelque chose d'intemporel : la capacité de dépeindre en quelques tableaux une personne au sein de son époque. Ce faisant, elle permet aux spectateurs de composer une histoire qui fait écho à la leur. Qui n'a pas dans son chaînon familial un maillon, grand-tante, grand-père ou cousin, ayant payé le prix fort pour mener la vie à laquelle il ou elle aspirait ? Qui ne se sent pas des affinités avec cet être que les aléas de la vie n'ont pas toujours permis de mieux connaître ? On doit alors faire tout un chemin pour retrouver le fil qui nous relie, renouer un dialogue, constitué de vraies rencontres ou de vieux souvenirs éparpillés.


 Photographies : Prix Dior Jeunes Talents 2023 / Luma / Parc des Ateliers / Rencontres 2023
 
 
Dans un tout autre contexte, une autre jeune photographe a traité un thème similaire. Elsa Vidaña Piñero expose en ce moment le travail qui lui a valu d'être primée à un concours local et exposée avec cinq autres jeunes talents au Casal Solleric, un palais rénové au centre de Palma.




Certes, il s'agit ici d'une photographe non professionnelle et d'une recherche moins fouillée que celle d'Iris Millot, mais ces images en noir et blanc véhiculent une attention sensible à ce que les gens ont été, sont encore et laisseront comme traces pour qui les a connus et en gardera le souvenir. Elles mettent en évidence le lien subtil entre les morts et les vivants, entre le passé et le présent. Dans un monde tourné vers le futur et l'éphémère, voué au transitoire, elles disent l'importance de ce qui a constitué un socle, une continuité au cours des années. Elles invitent à garder en soi le précieux, les présences, l'héritage, au-delà de la fin et de la disparition.
 
Ecos / Certamen de Fotografia d'Art Jove 2023 / Casal Solleric /  Palma de Mallorca
 

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