Ernest Pignon-Ernest / Naples / 2015
(qu'est-ce qui lui a pris d'aller coller sa belle affiche sur Spaccanapoli ? il faudra que je me renseigne)
Ab l'alen tir vas me l'aire
Qu'ieu sen venir de Proensa!
Tot quant es de lai m'agensa,
Si que, quan n'aug ben retraire,
Ieu m'o escout en rizen
E.n deman per un mot cen:
Tan m'es bel quan n'aug ben dire.
Je me remplis de cet air
Qui me vient de la Provence.
Tout en elle est réjouissance
Et si quelqu'un en est fier
Je l'écoute en souriant ;
Pour un mot j'en voudrais cent
Tant j'aime l'entendre dire.**
C’est fou ce que j’aime ces vers de Peire Vidal (documenté
entre 1170 et 1205). Leurs sonorités me rappellent celles de mon enfance.
Alors, je me les répète à haute voix, certains jours, le cœur plein de joyeuse nostalgie, en
sillonnant la campagne. J’ignore si je les prononce bien, mais ils m’enchantent.
En exergue de son ouvrage de poésie, La meglio gioventù, qui rassemble ses poèmes en langue frioulane,
P.P. Pasolini cite les trois premiers vers de Peire. Il voulait sans doute par là
se référer à la nostalgie éprouvée pour le Frioul, où il avait vécu avec sa
mère, originaire de cette terre. Une terre mythifiée, devenue une sorte de
paradis perdu après qu’il avait dû la quitter brutalement au début des années
1950, suite à son exclusion du PC et son interdiction d’enseigner pour cause de
« mœurs dissolues ».
PPP avait fondé après la guerre avec quelques amis à Pordenone
une académie de la langue frioulane (l’Academiute
di lenga furlana). Il entendait rendre hommage à cette langue maternelle,
parlée par des paysans, valoriser ce langage populaire contre l’italien, langue
du père, langue du fascisme et de la dictature.
Il composait des vers simples, avec des mots puisés dans la
vie quotidienne, prononcés par des voisins, des gens du peuple autour de
lui. Par le biais de sa poésie, il transformait en mots écrits ce qui n'avait été jusque là que sons. Et, parcourant
la campagne, il distinguait les différents dialectes, selon le village où ils
étaient parlés.
Pasolini était un personnage complexe, aux multiples
facettes (qui a eu, apparemment, bien plus d’amis et d’admirateurs après sa
mort que de son vivant). Il y a le Pasolini politique, le Pasolini cinéaste, le
polémiste, et même le peintre. Mais il était avant tout, je crois, un poète. Ses écrits
vernaculaires le montrent à la fois tourmenté et candide, doux et violent, au cœur de ses vingt ans . Ce qui est remarquable, c’est que l’année précédant sa mort, en
1974, il avait repris certaines de ces poésies de jeunesse pour en redonner
différentes versions. A lire ses variantes, on comprend à quel point la poésie est faite de travail et d'exigence.
Tiré de El
testament Coràn :
Mi contenti
Ta la sera ruda di Sàbida
mi contenti di jodi la int
fór di ciasa ch’a rit ta l’aria.
Encia me cór al è di aria
e tai me vuj a rit la int
e tai me ris a è lus di Sàbida.
Zòvin, i mi contenti dal Sàbida,
puòr, i mi contenti da la int,
vif, i mi contenti da l’aria.
I soj usàt al mal dal Sàbida
Je me contente
Dans le soir dépouillé du samedi
Je me contente de regarder les gens
Qui rient dans l’air devant leurs maisons.
Mon cœur aussi est fait d’air
Et dans mes yeux il y a le rire des gens
Et dans mes boucles il y a la lumière du samedi.
Jeune, je me contente du samedi,
Pauvre, je me contente de ces gens,
Vivant, je me contente de cet air.
Je suis habitué à la souffrance du samedi. (trad. libre)
**Site : http://trobadors.free.fr/ traduction de Denis
Vanderhaeghe / n’étant pas une spécialiste de la littérature médiévale, je ne
saurais dire si cette version est la plus adéquate, mais elle m’a paru la plus harmonieuse
à lire.
PPP comme Pier Paolo Pasolini ou comme Pensée Positive Permanente... ;-)
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Ou : précieuse plume perspicace!
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