lundi 11 septembre 2023

Regarder : quand Agnès faisait son cinéma

 
Arles / Salle du Cloître Saint-Trophime
 
Dominant la salle, impassible sur le rebord de la haute fenêtre médiévale, l'oiseau se tenait immobile Il regardait la foule qui se pressait devant les images d'Agnès Varda, toutes les vues que la jeune photographe du Festival d'Avignon et du TNP avait prises avec l'intention de tourner son premier film La Pointe courte dans sa ville d'adoption, Sète (le titre fait référence à l'un des quartiers de la cité occitane).

L'exposition se proposait de montrer comment l'aspirante cinéaste s'y est prise pour réaliser ce premier long-métrage, en 1954 avec un budget très limité, sans formation particulière, mais avec beaucoup de culot, d'enthousiasme et un talent inné. Les deux acteurs professionnels engagés étaient Silvia Monfort et Philippe Noiret (de la compagnie du TNP) que l'on voit sur l'affiche :
 

La plupart des autres acteurs étaient des gens du coin, des "Pointus", des pêcheurs, des ménagères. Durant de longs mois de préparation, Agnès Varda a arpenté ce quartier populaire avec son Rolleiflex pour en saisir le monde simple et extraordinairement vivant qu'elle connaissait bien, puisque, adolescente, elle avait fui avec sa famille la Belgique en guerre pour trouver refuge sur un bateau à quai sur les rives de Sète. Par la suite, elle est régulièrement retournée dans ce lieu où elle avait laissé quelques solides amitiés et des atmosphères chéries.

Dans la salle de Saint-Trophime, on a exposé de nombreux tirages (la commissaire, Carole Sandrin,  a dû opérer un difficile tri parmi les quelques 800 vues qui ont servi de base au travail cinématographique). Les images sont admirables par leur captation du réel et leur sens du cadrage. Elles rendent compte de la vie de l'après-guerre dans ce quartier modeste et laborieux. On y voit la misère, l'humour, la chaleur. (Hélas, les reflets des cadres vitrés ne permettaient pas d'en saisir beaucoup. Cependant on trouvera ICI quelques belles sélections). A titre d'exemple, ce "chiot sur le quai du Mistral" pris en mars/avril 1953 lors des repérages :

 
A travers ces clichés et leurs sujets, c'est de la vie de l'époque qui est rendue dans ce qui apparaît comme un reportage sociologique. La jeune Agnès (à peine 25 ans) a photographié, entre autres sujets, la famille Birbe et ses sept enfants :




Ce qui est fascinant, c'est que la photographie est censée servir ici de support au scénario, aux futurs cadrages, aux atmosphères que le film devra restituer. Mais on peut également concevoir ces prises comme un corpus en tant que tel, une occasion de montrer les conditions de vies des habitants, leur quotidien, leurs joies, leurs fiertés.

A noter que cette première œuvre réalisée avec de tout petits moyens et montée par Alain Resnais sera fort remarquée et jouera un rôle primordial dans le cinéma d'avant-garde. Le film sera considéré comme précurseur de la Nouvelle-Vague par son attachement à la vie dans tout son réalisme. Plusieurs cinéastes et critiques renommés en ont fait l'éloge et s'en sont inspirés.
 
 

Arles / Salle du Cloître Saint-Trophime

Regarder ceux qui regardent est une prenante activité. Le pigeon semblait fasciné par les visiteurs fascinés. A la fin de notre visite, il n'avait pas bougé d'un pouce (ou plutôt d'une griffe). On eut dit qu'il veillait de là-haut sur tous les tirages suspendus, sur les souvenirs précieux de ce temps révolu, quand Agnès photographe se muait en cinéaste. Et, qui sait, il est permis de croire qu'Agnès, si elle l'avait aperçu, se serait essayée à lui tirer le portrait.
 
Rencontres d'Arles 2023 / du 3 juillet au 24 septembre :
Agnès Varda. La pointe courte. Des photographies au film.
 
A voirt aussi : LUMA / du 3 juillet 2023 au 30 avril 2024 :
 
 

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