jeudi 11 janvier 2024

Lire : les inconsistants vs les stimulants

 

 
Ce bouquin pas véritablement acheté, puisque emporté grâce à un bon inattendu, ce bouquin plutôt léger - 194 pages imprimées en caractères relativement gros - ce bouquin décidément ne fait pas le poids et ce matin c'est presque en catimini que je me suis dirigée vers la boîte à échanges dans la grisaille du jour naissant. Cependant il a eu le mérite de me ramener à quelques questions essentielles : dans quel but acheter des livres ? à quoi servent les prix littéraires et de quoi sont-il le reflet ? faut-il terminer un livre qui vous tombe des mains ou le laisser tranquillement choir ? **
Je l'a choisi parce que les thèmes me parlaient : le ras-le-bol des métropoles, une nouvelle vie dans une maison à proximité de la mer, l'aventure de la solitude élue. Une fois fini, on ne peut pas dire qu'il soit mal écrit, mais on ne peut pas non plus parler de style à son sujet. On ne peut pas dire qu'il y ait une histoire, ni un début ni une fin. On ne peut pas dire qu'il comporte des personnages, parce qu'à force de descriptions ciselées, leurs caractères se font peu à peu cisailler. On pourrait dire que ce Martine à la mer est creux comme l'entre-deux-vagues, bourré de lieux communs sur le monde contemporain - plus exactement le monde parisien : que l'héroïne veuille le fuir n'est qu'un prétexte à le décrire - et on le dirait imprimé sur le sable à marée montante.
Ouh là! Dix lignes sur un tel livre, c'en est déjà neuf de trop. J'arrête.


Comprenant à peu près le même nombre de pages, mais dans un tout autre registre, le livre du sociologue Gérard Bronner offre une lecture des plus stimulantes. Avec cet essai incluant plusieurs passages autobiographiques, il se penche sur les "transclasses", en fournissant une conception époussetée du phénomène qui consiste à passer d'une catégorie sociale à une autre (il préfère au terme usuel de "transclasse" celui de "nomades de classe" lequel contient l'idée d'allers-retours, d'évolutions continuelles et souples). 
Partant du postulat selon lequel les origines sociales dépendent surtout du discours que chacun (se) tient, il met en garde contre ces fictions de nous-mêmes. En effet, ces récits peuvent nous piéger : il n'y a jamais un unique facteur apte à déterminer une trajectoire, de même qu'on peut se méfier des biais d'autocomplaisance (la tendance à s'approprier les causes de nos réussites tandis qu'on rejette la responsabilité de nos échecs sur les circonstances extérieures). 
L'auteur souligne le "risque du dolorisme" que certains peuvent endosser, à savoir l'exaltation de la souffrance, la honte et puis la honte d'avoir eu honte. Il prend ses distances par rapport à des écrivains et sociologues tels que Didier Eribon, Edouard Louis ou Annie Ernaux. Selon lui, parler de "honte" à propos d'origines modestes, c'est faire le jeu de la classe dominante, c'est-à-dire se soumettre aux attentes stéréotypées que les nantis ont envers les catégories populaires.
Je me sentirais sali si je décrivais mon milieu d'origine comme ressemblant à l'univers de Zola à seule fin de faire scintiller l'excellence de mon parcours personnel. Il ne s'agit pas tant de travestir les choses - ce qui ne serait pas plus honorable - que de ne pas se soumettre à cette forme de fossilisation de l'esprit à laquelle invitent l'idéologie et l'autocomplaisance. Tenter de rester disponible à la complexité du monde est le plus bel hommage que je puisse rendre à l'héritage de mes origines.[p.186]
Un texte qui se lit aisément, vivant, convainquant. Un apport sociologique qui ne se prend pas la tête et qui refuse les analyses et les discours convenus pour inviter tout un chacun à s'interroger : quelles sont mes origines ? D'où est-ce que je viens ? Quel a été mon parcours ? Qu'ai-je réussi  - respectivement en quoi ai-je échoué - à mes yeux  ? et aux yeux de la société ? Ai-je rencontré des "fées" ? Et ai-je dû faire face à des "mauvais génies" ? Une invitation à une auto-analyse salutaire. La vérité - si tant est qu'elle puisse exister et être cernée - n'est jamais aussi évidente qu'on pourrait se la raconter. Gérard Bronner nous invite à nous considérer comme un mille-feuille, un produit de la biologie, de la famille, des pairs, des rencontres et du hasard.
S'il y a quelque chose qui influence mon analyse sociologique, [c'est...] la recherche d'une forme de dignité intellectuelle. Cette forme de dignité est certainement une valeur universelle. Il me semble pourtant qu'elle est prégnante dans un milieu social où l'on sait ne pas pouvoir faire envie mais où l'on refuse de faire pitié. Un milieu social d'où je suis tout simplement issu.[p.186]

 
** Réponses : Les bibliothèques sont des lieux magiques et si on y trouve un livre marquant on peut toujours aller se le procurer en librairie pour le garder près de soi // A faire vendre en titillant notre infini besoin de consommer et de nous croire dans la tendance. Parfois à nous faire découvrir une voix, une voix riche et neuve // Non. Cent fois non. Et oui. Cent fois oui.

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