Sofonisba / Ginevra Cantofoli / Musei Civici / Padova
I.
La femme s'affaire en secouant ses longs cheveux blanchis prématurément. Elle parle de l'homme si beau, si fort, si grand, perdu après vingt-cinq ans. Elle s'agite, elle explique, elle caresse sa chienne, fidèle compagne qui la comprend. La femme déverse ses mots pour combler tout le manque. Elle remplit l'espace de phrases. Le silence n'a nulle part où trouver de place. A force de vouloir aller vite, ses paroles arrivent parfois à contresens, elle a la langue qui fourche, elle peine à prononcer. Elle évoque son psy, son naturopathe, elle connaît des tas de médicaments miracle. Quelqu'un lui a dit l'autre jour: Trois ans, ça commence à bien faire, mais ça l'a heurtée : pour elle le deuil, ça ne se mesure pas, il n'y a aucune norme pour ça. Alors, comme chacun a sa manière de perdre, la femme répand ses mots partout, partout dans sa maison. Quand on la quitte, on entend l'écho de sa voix, de loin, qui explique au téléphone, sa voix qui résonne, sa voix encore ... sa voix...
II.
C'est la première fois qu'elle nous invite dans sa maison. Jusqu'ici on a toujours salué cette voisine depuis le chemin. Elle nous introduit dans le salon : on dirait un squat ou un stand de brocante. Il y a des meubles partout, des lits, des écuelles, des bibelots, des vases, de corbeilles. Elle a quatre chats et un chien qui vivent chez elle. Ou avec lesquels elle semble partager une colocation. Sur les étagères, il y a aussi des photographies. On y voit un homme qui s'appelait Max. C'est écrit sur un des cadres. Max souriant. Max en vacances. Max avec elle un jour d'été face au soleil couchant. La voisine nous offre un café, nous prie de nous asseoir en nous désignant une place entre Max et les corbeilles. Quand elle se penche pour nous tendre les tasses, on remarque ses rides. Une infinité de rides, comme une infinité de larmes qu'aucune brise n'a su venir sécher.
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