mardi 9 août 2022

Regarder : deux grands d'Espagne

 

Horta de Sant Joan / 1898-99 / Museu Picasso / Barcelona
 
Greco, Velazquez, INSPirARme, écrivait le tout jeune peintre sur ses esquisses alors qu'il n'était âgé que de 17 ans. Le Kunstmuseum de Bâle présente une mise en regard d'un certain nombre de peintures du Greco et de Picasso, ce qui permet de fascinants face-à-face.

Portrait de vieil homme, MET, New York

Autoportrait, 1901, musée Picasso, Paris
Pour moi, il n'y a pas de passé ni d'avenir en art. Si une œuvre d'art ne peut vivre toujours dans le présent, il est inutile de s'y attarder. L'art des Grecs, des Égyptiens et des grands peintres qui ont vécu à d'autres époques n'est pas un art du passé ; peut-être est-il plus vivant aujourd'hui qu'il ne l'a jamais été. Pablo Picasso, conversation avec Marius de Zayas, in : The Arts, New York, mai 1923.
Pablo Picasso s'est toujours dit très influencé par les maîtres anciens. Il les a beaucoup admirés, copiés. Il s'en est inspiré. Toutefois, il est difficile de comprendre à quel point et par quels biais s'est réalisé cet héritage : thématiques, formes, postures, ou autres. Chaque spectateur est libre d'observer et de relever des liens, au fil d'une démarche plus ou moins subjective. 
Au musée de Bâle, certaines salles présentaient des filiations qui pouvaient paraître évidentes :
 
L'Adoration du nom de Jésus / National Gallery / Londres
 
Évocation (Enterrement de Casagemas) / Musée d'Art Moderne / Paris
 
Portrait d'un Homme / Musées d'Amiens

Buste d'un homme / Fondation Almine et Bernard Ruiz-Picasso pour l'Art / Madrid

D'autres rapprochements parvenaient plus difficilement à convaincre, à moins que l'on ne décide de voir dans toute jeune famille une Sainte famille ? :

La Sainte Famille avec Sainte Anne et St Jean-Baptiste enfant / Musée du Prado / Madrid


Homme femme et enfant / Kunstmuseum / Basel
 
Une chose est certaine : aucun artiste ne part depuis un point zéro de l'art (sauf peut-être ceux qui appartiennent aux courants de l'Art naïf ou de l'Art brut). L'artiste se forme. Il regarde. Il s'inspire. Il copie (copier devient un acte d'appropriation, qui permet d'entrer sinon dans la peau, du moins dans le pinceau et la démarche du prédécesseur). Et puis, s'il a du talent, de la personnalité, il tend vers son propre langage, c'est-à-dire qu'il métabolise l'ensemble des influences reçues et s'en libère en développant sa manière particulière. 
 
(Ce processus, du reste, concerne tout domaine de production humaine, et dépasse largement les frontières de la création artistique)
 
Parcourant les diverses salles, l'exposition m'a surtout permis d'approcher certaines toiles du Greco, un peintre que je connais mal et qui, répondant aux canons de la Contre-Réforme, m'a toujours paru terriblement austère, avec sa palette devenant au fil des années toujours plus restreinte et sombre, avec ses sujets religieux de plus en plus allongés, dématérialisés, et ses visages de nobles terriblement sévères. 

Si ses portraits d'hommes de cour sont peints avec un grand réalisme et une grande sobriété, ses tableaux religieux surprennent par leur imprécision, leur prise de liberté avec une stricte figuration, comme si par la distance avec les proportions et la réalité, il voulait marquer les différences entre le monde terrestre et le monde spirituel. Ainsi, la main de ce Saint Hildefons pouvait sembler carrément désarticulée : 


Finalement, le personnage qui m'aura le plus marquée est ce "gentilhomme âgé" sur le visage duquel j'ai perçu un éclair d'ironie, comme s'il se livrait à un jeu en posant pour le peintre et s'il voulait l'inviter à un peu de distance et de facétie.

Gentilhomme âgé / Musée du Prado / Madrid

5 commentaires:

  1. Tu nous offres un article enrichissant et instructif. Tu emploies un mot que je n'utilise jamais et qu'il m'arrive même de contester : le mot "talent". En effet je pense que le talent n'existe pas . Dans le domaine de l'art, on peut parler de prédispositions plus ou moins marquées mais sans travail, il n'y a rien. Ceci n'engage que moi, bien sûr. Je te souhaite une agréable journée.

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    1. Talent. ou don, ou prédisposition, on peut employer le terme qui nous convient. La question est en effet que ce talent (ou don, ou prédisposition, peu importe) doit être exercé si l'on veut parvenir à rendre le meilleur, en art comme dans n'importe quel autre domaine. Thomas Edison disait que le génie, c'est 10% d'inspiration et 90% de transpiration. Pas faux, si l'on pense à nombre de créateurs, comme par exemple Alberto Giacometti, grand bosseur s'il en est, éternel insatisfait, acharné à remettre chaque jour l'ouvrage sur le métier.
      En revanche, sans talent, le seul travail devient répétition, besogne, imitation (je pense au pauvre Salieri, dans le film Amadeus, si appliqué à bien faire, mais si peu inspiré et qui en devient jaloux, puis fou)
      Belle soirée à toi aussi.

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  2. Billet intéressant sur l'inspiration et la création.
    À mon sens, l’artiste véritable est celui/celle qui peu à peu conscientise être dépositaire de son art . Il commence à explorer ce « dépôt » dont il ignore le contenu et qui se révélera au fil des ans.
    Pour nourrir cette veine artistique il n'a d'autres choix que de s'inspirer des semblables de son art qui l’ont précédé. Il ne les choisit pas, ce sont eux qui viennent à lui, par le mystère des rencontres qui doivent se faire. Qu'ils soient vivants dans leur corps, ou vivants par ce qu'ils ont laissé comme une trace de leurs œuvres.
    Le montage d'une telle exposition tente une démonstration. Le pari est audacieux et aléatoire. Il me laisse en tout cas dubitatif, mais a cependant le mérite d'avoir été tenté !

    Qu'en est-il de l’alchimie intérieure qui se produit chez un Picasso qui commence par imiter ce qui a été fait, à un Picasso, qui ensuite innove fondamentalement, et en conséquence laisse une trace indélébile de son passage sur terre ? Il faut quand même une persévérance, une foi, une volonté intense, car les innovateurs sont généralement rejetés et détestés par leurs homologues contemporains jaloux à l'esprit étroit qui les horrifie.

    (me voici pour quelques jours en bord de mer… Mais le soleil ardent fait rester à l'intérieur aux heures chaudes de la journée,... pour la lecture des blogs intéressants ! )

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    1. Oui, ce genre d'exposition pose pas mal de questions, suscite pas mal de réflexions, dont on n'est pas obligé de détenir des réponses ou des certitudes. Chez Picasso, le génie selon moi tient au fait d'avoir toujours su observer, absorber tout ce qu'il voyait d'intéressant ou de nouveau, et puis de le métaboliser pour en faire quelque chose de personnel (je pense par exemple au voyage qu'il a fait en Italie, Rome, Naples, Pompei, en 1917, qui l'on ramené vers l'art antique, mais de manière tellement originale, en mixant cubisme et classicisme). Il avait l'intelligence de ne pas s'opposer pour innover, mais de comprendre (prendre pour lui) ce qui se présentait et d'aller plus loin.
      Curieusement, cette expo m'a fait réfléchir sur un plan plus large : au lieu de rejeter ou de s'opposer à la nouveauté, savoir en tirer le meilleur pour avancer.
      Belles journées de vacances. Profite bien de la mer et de l'air du large!

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  3. Je l'ai publié un commentaires chez toi probablement en anonyme car impossible autrement : AlainX

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