samedi 13 août 2022

Regarder : les belles images

 
Bombay / India / 2003 / Steven Mac Curry
 
Un été comme ça : plusieurs semaines à rester paresser dans et autour de la maison, entrecoupé de quelques excursions. Un été qui rappelle les interminables étés de l'enfance, quand les heures s'étiraient, longues, longues, et les jours aussi et qu'on comptait le nombre de fois qu'on ferait "dodo" avant de pouvoir partir nous aussi en vacances.
Un été comme ça : un été à se tourner tous les matins en direction du soleil, à partir nager vigoureusement dans des courants clairs, à scruter avidement le ciel et ses avares nuages, à rester sereinement lire, face à la forêt et ses scintillants feuillages. A découvrir aussi toutes sortes d'images. 
Ce matin, suis tombée sur celles de Lyndsey Addario, une photojournaliste étasunienne multiprimée, travaillant pour les plus prestigieux magazines et qui vient d'être mise à l'honneur par la School Visual Arts de New-York, laquelle lui consacrera une rétrospective entre le 2 septembre et le 29 octobre prochains.
La photographe est douée, elle connaît son métier, elle a pris tous les risques pour l'exercer. On regarde ses reportages, dont les sujets sont aussi poignants que leurs couleurs sursaturées. Des représentations parfaitement construites. Saisie d'un vague malaise, on hésite. On se demande si l'horreur peut flirter avec l'esthétique, si la séduction aide à regarder l'effroyable en face ou si au contraire elle contribue à l'effacer. On réfléchit : qu'est-ce qui frappe, qu'est-ce qu'on regarde en premier : le désastre exposé ou l'élégance sophistiquée ?
On s'est déjà posé des tas de fois la question. On n'a jamais vraiment réussi à répondre. Il est possible qu'une image soit splendide et poignante tout à la fois, mais peut-être qu'en matière de photojournalisme l'esthétique, quand elle est trop recherchée, finit par détourner insensiblement le spectateur du but premier : témoigner pour sensibiliser, c'est-à-dire faire émerger l'identification en même temps qu'un désir de mobilisation.
Lyndsey Addario s'explique dans une courte vidéo : pour elle, une image doit être attractive pour que les gens ne soient pas tentés de tourner la page, de ne plus regarder, assommés comme ils le sont par quantités d'informations perturbantes et déprimantes. Une image doit donner envie de regarder, elle doit attirer l'empathie. Difficile de trancher. Sans douter de la sincérité de cette photographe, de son travail militant et de son courage, je constate que trop de couleurs ripolinées, trop de perfection neutralisent en moi l'aptitude à l'émotion. En d'autres termes, trop de beauté tue la capacité à la solidarité.
 
Article du Guardian / paru le 12.08.2022 / ICI
Autobiographie de la photographe : "Tel est mon métier", Fayard, 2016, Paris
Interview de Télérama lors de la sortie du livre ICI
 

4 commentaires:

  1. De photos a l'image de notre société
    où tout doit être
    plus que parfait ;-)

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    1. Ce plus que parfait nous éloigne hélas du présent. Il serait impératif de penser le futur sans fioritures, mais avec pleine conscience de notre temps. :)

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  2. Comme souvent chez les photographes de guerres ou simplement chez ceux qui couvrent les famines, les migrations, les camps de réfugiés, les réalités humaines qui ne font pas la « une » des médias, il y a en tout cas deux niveaux. Je veux dire, celui de l’engagement et celui du cadre de la communication : montrer la vérité crue – en noir et blanc – pour attirer le regard de spectateurs, ou montrer la vérité sous un angle esthétisé, avec recherche de couleurs et construction photogénique. Le premier niveau consiste à faire le travail de photoreporter sur le terrain, affronter le danger, quel qu’il soit et revenir pour communiquer, pour montrer et souvent pour dénoncer. Le deuxième niveau est celui de la publication, donc de la communication. Dans quel cadre ces photos vont-elles ou doivent-elles être publiées ? Elles sont destinées à quoi, à qui? A une revue sur papier glacé que l’on trouve sur la table basse de la salle d’attente du médecin ? A être publiées dans une revue engagée ? voire dans un cadre indépendant, thématique, proposé avec la participation de l’auteur comme celui d’une exposition de photos de reportages ?
    J’ai quelque fois l’impression que notre capacité d’être encore réceptifs à ces photos en occident – car c’est bien de l’occident que l’on parle et pas de l’Afrique ou de l’Asie - tient presque du hasard et surtout de la couverture d’un événement donné par les médias. Qui est sensible à des photos reportages de la guerre sans fin au Yemen ? de la misère des Masaïs ou des réfugiés Rohingyas, après le passage éphémère dans les journaux du soir ? Nous ne sommes plus capables de nous pencher sur tous les problèmes humains, il y a trop. Et sans le vouloir consciemment, on fait le tri.
    Il n’empêche que personnellement je ne peux pas m’imaginer pendre au mur de mon bureau une photo, certes fort esthétique, représentant une facette de la misère humaine du monde. La beauté du cadrage et des couleurs ne crée pas d’empathie pour une situation, mais uniquement un intérêt momenté pour une personne. Combien de Sharbat Gula meurent entre temps https://phototrend.fr/2018/09/dessous-des-images-afghane-aux-yeux-verts-steve-mccurry/
    Mais par cette question on se sent encore plus impuissant

    Gaspard

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    1. Vous avez raison de distinguer les objectifs (sic!) qu'on assigne à l'image une fois qu'elle est prise : montrer/informer /dénoncer ou encore faire vendre. Les photographies peuvent être montrées dans différents cadres, et à des années de distance de leur réalité première. Les objectifs peuvent être variables.
      D'après ce que j'ai compris, cette photographe - une excellente professionnelle qui prend pas mal de risques - se veut militante (elle a fait beaucoup de reportages sur la condition des femmes). Elle estime que ses photos doivent "accrocher" le regard, donc lier l'esthétique à l'information. Elle veut qu'on les distingue.
      Je crains que malheureusement on les remarque, mais pas forcément pour les raisons qu'elle voudrait. On est tenté de les distinguer parce qu'elle séduisent. Pas parce qu'elles parlent à nos émotions et nous invitent à la prise de conscience et à la réflexion.
      Moi aussi, j'aurais de la peine à les exhiber chez moi, comme élément de décor. J'aurais l'impression de les voir détournées de leur but premier (vous mentionnez MacCurry, que j'ai utilisé en guise d'illustration, mais on peut aussi penser à toutes les images "zen" qui font tellement tendance, Himalaya, temples japonais, et qui ne sont que des belles images, bien éloignées de la réalité du bouddhisme).
      A propos de me sentir informée, je dois dire que certains documentaires, réalisés par de solides journalistes qui prennent le temps pour rendre un travail de terrain me semblent très utiles (même s'il faut avoir le courage de les regarder certains soirs, quand comme vous les dites, on peut se sentir impuissants face à tout ce que l'on apprend.
      Belle soirée. Merci.

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