Remontant à l'hôtel, sous une pluie battante, chargés de sacs de L'Intranquille et de BD Fugue, nous envisagions la soirée sans aucune crainte : avec tous ces bouquins, ces Taniguchi miraculeusement dénichés, nous disposions de quoi voir arriver la nuit, observant de temps à autre les gouttes flaquer sur le parc en contrebas, les écoutant tintinnabuler contre la vitre.
J'ai mis de côté les BDs, les réservant au plaisir qui précède l'endormissement. J'ai dû ensuite abandonner un roman suédois au bout de 40 pages (avec le temps, je devrais me méfier : les livres présentés en quatrième de couverture comme "sauvages et poétiques... narrant le réveil d'une passion profondément enfouie et la renaissance d'une femme qui s'autorise à vivre enfin" menacent de m'emporter trop rapidement dans les bras de Morphée. Par quelle lubie de midinette avais-je donc posé celui-là sur ma pile ?)
J'ai empoigné finalement ce petit opuscule : une merveille, une croisière aux quatre coins de la France, me faisant découvrir depuis ma chambre des trésors que je ne connaissais pas.
Mulhouse, Vesoul, Guéret, Cergy, Cholet, Vierzon, Saint-Nazaire, Verdun, la vallée de la Fensch, Châtel-Guyon, Draguignan, Maubeuge. Tout un programme. En voici quelques extraits :
Les voyageurs n'ont aucune imagination.
Ils partent explorer des terres lointaines parce qu'elles sont lointaines. Ils filent au bout du monde pour fuir leurs semblables. Là-bas, ils s'aperçoivent que le bout du monde est plein de monde.
Ils rêvent de Macao, de Katmandou, de Zanzibar, de Pondichéry... Des générations d'aventuriers y ont traîné leurs guêtres, envoûtés par on ne sait quelle magie exotique. Pourquoi pas eux ?
J'ai donc choisi douze destinations en France. Douze lieux où l'on n'irait jamais passer un week-end : sous-préfecture déprimante, station thermale pour rhumatisants, vallée sinistrée, port industriel, ville de garnison.... Notre beau pays ne manque pas de territoires a priori rebutants.
Il faut toujours se méfier des villes moyennes, à l'histoire tranquille, à l'ambition mesurée. On croit qu'il ne s'y passe rien. On y vit pourtant des expériences curieuses, absurdes, hors champ (comme la chanson de Brel).
"T'as plus aimé Vesoul, on a quitté Vesoul", chantait le grand Jacques. Tout le monde peut se tromper.
"Le Vierzon, c'est d'abord un son. Comme il était long à démarrer, on ne l'éteignait pas à midi. Des générations d'agriculteurs ont grandi avec ce bruit typique du moteur qui va pour s'éteindre et qui repart in extremis. Comme un coeur qui bat de manière irrégulière, Au-delà du cambouis et de la graisse, il y a de la poésie là-dedans. Lorsque j'ai organisé un grand rassemblement de tracteurs en 2010, j'ai vu des vieux pleurer au son des Vierzon. Nous défilions dans la rue, les gens aux fenêtres nous acclamaient. J'en avais la chair de poule. Il faut que j'enregistre le son du Vierzon et que je le sorte en CD." Avec une délégation de Vierzonnais amateurs de Brel, Rémy Beurion a relié en tracteur Vierzon à Vesoul("deux jours de route à 25 km/h!")...
Ce livre, rédigé par un journaliste spécialisé dans le tourisme, est une véritable invite à l'art difficile du voyage. Car, dans le fond, en France ou ailleurs, à l'autre bout de la terre ou dans une bourgade voisine, qu'est-ce que voyager, sinon ouvrir grand les yeux et s'intéresser à ce qui se déroule devant soi, paysages, paroles, patrimoine, avec une curiosité inébranlable, dépourvue d'a priori et d'impatience ?
Oh! Je suis pour l'enregistrement du son du Vierzon! Quelle magnifique invitation au voyage, à la découverte, à la sortie des sentiers battus! Voilà quelque chose que j'ai bien envie de croquer. Mais je reste persuadée d'une chose, voyage au loin ne sert à rien tant qu'on ne sait pas voyager tout près, au quotidien, à s'émerveiller des petites choses de notre quotidien, comme le pépiement de cette petite mésange qui vient me rendre encore visite aujourd'hui, après m'avoir accompagné tout l'hiver. Merci Dad. Bises alpines.
RépondreSupprimerLe son du Vierzon qui émeut aux larmes les vieux paysans : tout un poème! ça pourrait peut-être faire un tube, qui sait ? J'ai choisi cet extrait, mais il y a aussi le récit d'une mini-cure à Châtel-Guyon, une ville d'eau flétrie où je craindrais pour ma part de plonger dans la dépression avant d'avoir fini de déglutir mon premier litre de Germaine (il faut dire que je ne souffre pas de psoriasis, ni de SII - syndrome de l'intestin irritable, ai-je appris). Mais raconté par Noyoux, le traitement de la colopathie, maladie fort douloureuse apparemment, devient passablement drôle. Je me suis bien marrée en lisant ce bouquin, mais je me suis aussi sentie émue, et il m'a rendue attentive à toutes sortes de détails. Je crois que maintenant, avant de dire qu'un bled est moche et de filer droit, je le regarderai avec plus d'attention.
RépondreSupprimerLa petite mésange ? Un petit bonheur du soir, qui vient t'accueillir et te dire que tu es rentrée chez toi, enfin ? Belle soirée, donc, devant la splendeur des cimes et en bonne compagnie!
Il ne faut pas forcément aller bien loin pour voyager et pour se dépayser. Pourquoi vouloir toujours aller au bout du monde alors qu'il y a tant d'autres lieux près de chez nous qui ne demandent qu'à être visités ? Bien souvent, nous ne connaissons même pas toute notre région, et ce sont des personnes la visitant, qui nous en apprennent sur elle. :-)
RépondreSupprimerC'est souvent quand je dois faire visiter "ma" région à des étrangers de passage que je découvre des tas de choses sur elle. Je la regarde alors avec des yeux neufs, rien n'est plus évident. Ah! Le mythe de l'ailleurs est tenace…
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