Ma rencontre avec le médecin de l'établissement s'est révélée aussi désolante qu'instructive. Était-ce le personnage, avec son regard fuyant, qui était affligeant ? Ou peut-être le rôle qu'il s'efforçait de jouer, avec peine, en s'efforçant de concevoir tout problème comme mécanique, en bégayant des réponses techniques ? Était-ce le système dans lequel il évoluait qui motivait sa manière d'esquiver prudemment toute recherche de sens ? Au-dedans de moi quelque chose de fort bouillonnait, qui ne pouvait trouver à s'exprimer dans cet échange effarant. Face à ce professionnel qui bredouillait, se répétait, évoquait médication, prescription et éventuelle hospitalisation, je me suis efforcée de rester calme et de m'en tenir au factuel. Je me suis efforcée de poser des questions et de prendre note des réponses. Je me suis efforcée d'écouter patiemment l'infirmier aux mains moites quand il rectifiait les informations approximatives que le médecin débitait. Je me suis efforcée ensuite de marcher calmement vers la sortie tandis qu'il me semblait manquer d'air.
Longtemps, j'ai cru que le suicide était une chose dramatique, innommable, impossible à considérer, un signe de lâcheté. Je me souviens d'un été où je n'arrêtais pas de pédaler rageusement pour décharger ma réprobation contre un départ abrupt qui m'avait impactée.
Maintenant, je crois que la pire des choses, c'est d'être privé du droit de décider, de céder cette part de soi à d'autres. Notre mort, intimement liée à notre vie, est sans doute un de nos biens les plus précieux, un de nos droits essentiels. Ce bien, ce droit, ne devrait dans l'idéal appartenir qu'à soi. Le céder à des professionnels déterminés à maintenir coûte que coûte en vie, angoissés sans doute par l'idée de leur propre finitude, enfumant toute décision : quelle dépossession, et, au final, quelle défaite...
Longtemps, j'ai pensé que le véritable luxe, c'était de pouvoir faire construire sa propre maison. Et puis, j'ai fait construire ma propre maison. Ou alors, pouvoir partir à New-York ou monter jusqu'au Machu Picchu. Puis, sachant que j'avais le montant du billet à portée de souris, je me suis dit que le luxe, c'était aussi de pouvoir se refuser quelque chose qui est à notre portée.
Maintenant, je crois que le luxe d'une vie, c'est de pouvoir définir comment partir. Arrêter de tourner autour du pot, ne pas déléguer à d'autres, à un entourage désemparé, ce fondamental droit de décision. Une affaire de soi à soi, où l'esprit et le corps s'expriment tant qu'il restent maîtres à bord.
Cette semaine, j'ai rempli mon document. J'ai écrit : je veux ça, ça et ça.
Cette semaine, j'ai rempli mon document. J'ai écrit : je veux ça, ça et ça.
Oui, durant ce long, ce trop long hiver, il n'est de jour où, comme des papillons comme des insectes insistants, mes pensées n'aillent vers ma noble mort et l'interrogent incessamment.
Coucou ma chère Dad. J'ai tenté à plusieurs reprises de mettre un commentaire sensé aujourd'hui sur ce billet qui me remue profondément. Mais je n'y arrive pas. Alors je voulais juste te dire que je te trouve courageuse. Courageuse devant tant d'incompétence médicale, courageuse devant ta tristesse et tes interrogations, courageuse de décider pour toi et courageuse d'être là, même si elle n'est plus vraiment là. Bises alpines ma toute belle.
RépondreSupprimerUn seul mot, ma chère Dédé, pour ce commentaire sensible : merci.
RépondreSupprimerA vrai dire, quand j'ai commencé à écrire "La Traversée…" c'était pour prendre du recul par rapport à ce que je vivais. Écrire sur un blog, c'est différent que dans un journal intime, où il est facile de déverser ses émotions sans filtre. Ça oblige à formuler d'une certaine manière, plus distancée. Ça fait du bien. Je dois dire aussi que si une personne – une seule – pouvait se sentir moins seule à me lire, alors qu'elle accompagne un parent dans ce long tunnel, je serais heureuse de l'avoir fait. En matière d'accompagnement et de mort, on vit trop souvent sous des chapes de divers tabous et de bienséance. Ce qui nous prive de nos énergies vitales, dont nous avons le plus grand besoin. Très belle soirée, Dédé, j'espère que tu as eu droit à un beau soleil sur les montagnes…
Il y a quelques jours tu parlais de travailler en Corse, aujourd'hui tu nous fais part de ton départ...
RépondreSupprimerTu vas bien, Dad ?
Julie, franchement, j'ai hésité à te répondre, tellement j'ai trouvé ce commentaire déplacé. La question du sens ne se pose pas que pour les pensionnaires hébergés dans des établissements spécialisés. Elle se pose aussi pour les commentaires que l'on choisit de faire ou pas.
RépondreSupprimerAller à toute vitesse, lire de biais, tous azimuts, distraitement. Ecrire juste pour écrire quelque chose, quitte à manquer de respect. C'est peut-être la tendance du temps qui veut ça. Ce n'est pas ma tendance à moi. J'ai toujours préféré le silence à des commentaires négligents ou décentrés (qui sont foison, même sur des sites de médias intelligents et documentés). J'aime mieux rien que des mots vains.
Le monde est certes fait de petites fleurs et de petits bonheurs, il est heureux qu'il ne soit pas fait que de cela. Notre vie est bien plus vaste que le consensuel et la recherche éperdue de virevoltes et de virtuelles amitiés.
L'onglet "La traversée de l'hiver" explique la raison de cette série de billets. La réponse que j'ai faite à Dédé hier complète cette explication. Restons-en donc là.
Aller à toute vitesse ?
RépondreSupprimerJ'ai lu ce texte quatre fois ainsi que le commentaire de Dédé dont je cite cette phrase : "courageuse de décider pour toi et courageuse d'être là, même si elle n'est plus vraiment là" qui me laisse perplexe...
Pardon Dad de t'avoir manqué de respect, je suis sincèrement navrée.
Dédé a écrit hier un commentaire qui m'a semblé cohérent. S'il t'a laissée perplexe, rien ne t'empêchait de le lui dire directement. Quant à demander pardon, faire des excuses… là n'est pas le problème. Peut-être simplement que le contenu de ce blog ne correspond pas à ce qui te parle, à ta sensibilité. Dans ce cas… c'est très simple : il faut seulement aller en lire d'autres. Nous sommes libres. On a tellement de choix sur la blogosphère : pourquoi se priver ?
RépondreSupprimerPffff... je formule autrement ma question : ta santé va bien, Dad ?
RépondreSupprimerExcuse stp une nouvelle fois ce regrettable malentendu... c'est que mon français est perfectible ; dorénavant je vais continuer à te lire avec la même soif de m'améliorer. Courage pour la suite. Bises.
« Cette semaine, j'ai rempli mon document. J'ai écrit : je veux ça, ça et ça. »
RépondreSupprimerJ'y pense parfois, et puis je me dis que j'ai le temps. Pourtant, on peut tellement partir vite, sans prévenir. Je pense à mon frère qui est parti si brutalement, qui n'avait laissé aucune instruction, aucun mot, rien du tout. Je pense qu'il serait bien (peut-être que je le ferai) de laisser une lettre s'adressant à tous les gens que j'aime, une lettre qui serait lue le jour de ma mort. D'ailleurs, lors d'une consigne sur un atelier d'écriture où je me rends, on nous demandait (seulement si on le désirait) d'écrire une éloge funèbre, de s'écrire à soi une éloge funèbre. Sur le coup, je n'ai pas voulu y participer. Et puis, finalement, en lisant des textes que d'autres avaient écrits, cela m'a donné envie. Alors j'ai écrit une lettre justement, et je me demande si je ne vais pas la mettre de côté au cas où... Pouvoir dire les choses même une fois que nous ne serons plus là, laisser un message posthume. Merci pour ce billet qui me parle encore tant, Dad.
Nous vivons dans une société où l'idée de la mort est escamotée. C'est désolant et regrettable. Cela laisse les gens désemparés, mal à l'aise. Cela les fait courir dans tous les sens pourvu qu'ils puissent garder l'illusion de pouvoir lui échapper. Cela pourrait faire de nous de véritables handicapés de la vie. Des êtres terrorisés au fond d'eux-mêmes qui se fuient. L'idée de l'éloge funèbre destiné à soi-même me parle. L'idée de la lettre, message postume aussi. Cela me semble une belle manière d'accompagner et de rassurer notre entourage, un beau "passage de témoin". Je te remercie pour ces deux opportunités qui m'aident vraiment à aller plus loin. Merci pour ton regard sensible et attentif. Bon dimanche, Françoise.
RépondreSupprimerPS : dans ma tête, j'ai l'intention de vivre encore trente ans, comme l'a fait ma grand-mère, qui est mon modèle, mais, dans la vie, on le sait bien, on ne planifie pas tout et dans le fond, c'est bien ainsi…