dimanche 10 octobre 2021

Voir : apprendre à perdre, apprendre à vivre

 
 
En sortant, on avait regardé le ciel qui s'était curieusement assombri. Étonnant : trois heures avaient passé, avec la légèreté d'une plume de colombe, la profondeur d'une véritable rencontre. En sortant, on avait scruté le ciel, la vie, les gens, l'animation autrement. On s'était promis de retourner voir ce film, qui nous avait rendus plus grands. On se sentait bien, allégés, comme sur un nuage, vivants.

Cette histoire de deuils à surmonter, de relations à assumer nous avait ramenés au cœur de l'existence. Elle nous avait rappelé que la vie n'est pas simple et qu'il s'agit, loin de vouloir la simplifier, de l'accepter dans toute son infinie complexité. L'intrigue, si on tente de la résumer, se réduit à peu de chose : un acteur perd son épouse avec laquelle il avait effectué une traversée au long cours. Ensemble, ils avaient eu une fille, trop tôt disparue. Deux ans plus tard, il accepte d'aller mettre en scène Oncle Vania lors d'un festival qui se tient à Hiroshima. Alors qu'il insiste toujours pour conduire son véhicule, on lui impose pour divers motifs un chauffeur, qui se révèle être une jeune femme taciturne et obstinée. Les répétitions commencent avec des acteurs de toutes provenances.

En sortant, on s'était dit que des films comme ça étaient rares. Étonnant : on s'était retrouvés mi-éblouis  mi-émerveillés devant cette pépite. On était entrés par hasard et on se découvrait chercheurs d'or. On a hésité un moment ensuite entre les autres films qui nous tentaient et celui-ci qu'on voulait absolument revoir.
 
On savait qu'on ne regarderait plus jamais les vieilles Saab rouges de la même manière. On n'aurait jamais imaginé que les détritus d'Hiroshima pouvaient ressembler à des flocons de neige. On se promettait de relire Tchekov (et pas seulement Oncle Vania) et, dans le même élan, on tenait absolument à réécouter cette émission, ICI, qui avait si bien su évoquer ce génie il y a quelques années. Les phrases "Nous nous reposerons ! Nous entendrons les anges. Nous verrons tout le ciel en diamants ; nous verrons tout le mal terrestre, toutes nos souffrances, noyés dans la miséricorde qui emplira tout l’univers ; et notre vie deviendra calme, tendre, douce, comme une caresse. Je crois cela, oncle ; je crois…  Pauvre, pauvre oncle Vania, tu pleures… Tu n’as pas connu de joies dans ta vie, mais patiente, oncle Vania, patiente… Nous nous reposerons… Nous nous reposerons ! " tournaient en boucle dans notre tête. On revoyait la gracieuse actrice coréenne qui jouait en langue des signes exprimer ces mots si doux avec des grâces de libellule.

En sortant, on respirait profondément. On mesurait sa chance et on aimait tout ce qu'on respirait. Si l'un des buts du cinéma est de nous aider à vivre, le moment que l'on venait de passer avait été exceptionnel. On garderait encore très très longtemps le souvenir de cette séance dans un écrin phosphorescent de la mémoire.

 

2 commentaires:

  1. Haruki Murakami... une raison valable de voir le film ; deux du coup avec ce résumé contagieusement enthousiaste.
    Belle semaine Dad.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, c'est la première des sept nouvelles du recueil "des hommes sans femmes" de Murakami. Une série d'histoires sur des hommes qui ont perdu une femme de leur vie... Une nouvelle, genre littéraire court, pour un film plutôt du genre long... conseillé... je te souhaite d'y trouver un bonheur pareil au mien. Belles soirée.

      Supprimer