mardi 19 octobre 2021

Vivre : sous d'autres latitudes

 
Venise / Punta della dogana
 
La femme marchait bon train. Il faisait froid. Je lui ai emboité le pas. Nous avons commencé de parler comme si nous nous connaissions depuis des années. Chiens, puis voyages, puis projets. La femme justement en avait un, tout frais, tout prêt, qui allait se mettre en place dans quelques semaines : changer de maison, changer de pays, changer de vie.
Elle et son compagnon avaient choisi pour leurs futures années de quitter les hivers d'ici, leur rigueur, leurs brouillards, pour aller retrouver le soleil du Midi. Ils avaient cherché et puis trouvé pas loin de la mer, à deux pas d'une forêt, une belle maison dans un de ces beaux villages du Var, à flanc de colline où les étrangers aiment tant résider. 
J'ai quitté la femme devant sa grande maison rouge, qu'elle avait, précisait-elle, réussi à vendre en moins d'une semaine. Je lui ai souhaité un avenir avec beaucoup de soleil, puisque, apparemment, elle en manquait. Puis je me suis demandé rêveusement si ça me plairait, de mettre en route un tel projet, et aussi si j'en serais capable.
Tout quitter pour entreprendre, pour aller reconstruire autre chose ailleurs, ça me parlait. Pour ce faire, il m'aurait fallu surtout un défi, quelque chose de risqué, un truc fou et stimulant, une ouverture sur d'autres horizons et une vue quotidienne sur la Grande Bleue. Par conséquent : capable, oui. Mais désireuse, non. J'aime trop cette maison, et ces brumes lentes à se dissiper, et ces orages, et ces forêts, et cette étendue azurée sans cesse étalée sous mes yeux. J'aime trop ce lieu où j'ai fini par m'ancrer, moi que l'exil a si longtemps marquée.
Il ne faut jamais dire "fontaine, je ne boirai pas...". Il ne faut jamais. Mais l'échange avec cette inconnue a eu le mérite de me rappeler combien nous avons besoin de projets. Ceux qu'on met en marche et ceux qui font rêver, ceux auxquels on finit par renoncer, ceux qu'on garde dans un tiroir secret. Ils fournissent à nos vies d'impératives pulsations, un indispensable carburant. Ce sont eux qui nous gardent vivants.

3 commentaires:

  1. « capable, oui. Mais désireuse, non. »
    Tout est là en effet.
    Est-ce que d'aller vivre les doigts en éventail sur la plage, un cocktail frais à la main, est un projet de vie ? Et même si on est « à la retraite ».
    Ce n'est pas ainsi que je le conçois. Pour « garder vivant » comme tu dis, ne faut-il pas quelque chose qui engage et concourt à un plus pour la société ? Oui je sais ça fais gros bla-bla, mais enfin c'est toujours de cette manière que j'ai tenté de vivre. C'est je crois ce qui m'a gardé vivant et même encore maintenant par divers engagements ex–professionnels ou associatifs.

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    1. Partir, pourquoi pas ? si c'est un projet pour construire et non pas pour fuir quelque chose. Ce que l'on fuit, on risque fort de le retrouver d'une manière ou d'une autre devant soi tôt ou tard. Ce qu'on a envie de construire, on le développe, en étant conscient des difficultés qu'on va rencontrer. Il y a des expats heureux et d'autres qui rentrent au bout de quelques années. L'autre jour, j'ai trouvé intéressant de faire l'exercice pour moi-même. Sans tricher. Quant à toi, je t'imagine heureux, satisfait de ta vie, stimulé, nullement en manque de projets. Et puis, il y a tant de projets qui sont intérieurs... Belle fin de journée.
      PS : c'est marrant, mais en rouvrant le post, juste maintenant, j'ai fait un lapsus de lecture. J'ai lu "sous d'autres lassitudes". ah ah ah!

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    2. Partir sous d'autres lassitudes !
      Je trouve ce lapsus de lecture merveilleux. On se retrouve sous des lassitudes si le projet prend sa source dans une fuite… on emporte toujours dans des bagages encombrants toute son histoire, qu'on le veuille ou non…
      C'est assez juste que tu dis de moi à condition de ne nullement majorer. Quand je ne suis pas en forme ou découragé certains projets apparaissent comme des chimères.
      Ce que je crois pouvoir dire c'est qu'ils ne sont pas des fuites, et ceci sans tricher pour reprendre ton expression.

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