jeudi 14 octobre 2021

Vivre : la cliente

 
La Servante / René Auberjonois / coll. Planque / Granet XX / Aix-en-Pce

On a beau se garder d'être indiscrète, difficile de ne pas entendre la femme se confier dans le magasin relativement vide durant les minutes suivant son ouverture. Elle parlait en toute franchise à la libraire, qui semblait être pour elle un peu plus qu'une libraire, c'est-à-dire qui semblait l'écouter et la conseiller au-delà de questions purement littéraires.
La femme évoquait avec un grand naturel ses difficultés à être. Elle disait : "je ne suis plus moi-même, je suis en peine de me lever, je ne ressens plus les forces que j'avais". Elle continuait : "je me sens flotter, par moments je me sens flotter". 
(Insensiblement, je l'avoue, j'ai marqué un intérêt appuyé pour les romans policiers disposés près du duo qui conversait).
La cliente soupirait, décrivait son mal de vivre, sa peine à avancer. Et la libraire - une amie ? une voisine ? une gérante étonnamment attentionnée ? - hochait la tête, relançait. Il y avait de la bienveillance dans l'air, de la douceur, un lâcher-prise, une confiance particulière. Et à les entendre on se disait que s'il existait ainsi davantage d'espaces où l'on prenne le temps de se parler, de s'entendre, d'échanger sans embarras, certains cabinets se verraient bien moins débordés, la vie montrerait bien moins de complexité.

4 commentaires:

  1. Ce matin, je lis sur un blog les phrases suivantes :

    " Ecouter est peut-être le plus beau cadeau que nous puissions faire à quelqu’un.
    " D’une certaine façon, c’est lui dire :
    " Tu es important pour moi, tu es intéressant, je suis heureux que tu sois là.
    " Je suis disponible à ta présence.
    " Je me sens touché par ce que tu es, par ce que tu dis. » "
    Jacques Salomé

    La libraire avait peut-être lu ce qui précède ;-) et tant mieux pour la cliente, vous, nous. Beaucoup d'effets pour une écoute, que d'autres, moins attentives, auraient pu voir comme une discussion de "bonnes femmes", une suite de plaintes ou je ne sais...

    Bonne journée.





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    1. Jacques Salomé... ça faisait longtemps... Oui, la capacité d'écoute est une compétence précieuse, un don à l'autre qui, loin d'être passif, lui permet de se dire et de se comprendre. Elle demande moins de faire que d'être et, c'est tout à fait vrai ce que vous dites, la libraire semblait faire preuve d'ouverture et de maturité. Pour ma part, j'ai appris en les regardant / écoutant, j'ai mesuré la marge de manœuvre que nous avons pour nous exprimer, exprimer nos ressentis. Je suis en train de lire le dernier livre d'Aldo Naouri et à un certain moment il raconte comment il s'est choisi son premier psychanalyste, il y a fort longtemps. C'était je crois le huitième qu'il avait testé, il était sur le point d'abandonner. Il l'a choisi pour la qualité de son regard. Ce psy était une personne qui n'interprétait pas, mais écoutait. AN avait besoin de quelqu'un qui lui permette de s'entendre. Car la véritable écoute permet de mieux s'entendre au sens large.
      Merci et belle fin de journée.

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  2. Sans doute sont-ils nombreux les espaces que tu évoques et qui débordent largement leur fonction première marchande ou de services. Autant de lieux IRL que ces lieux du monde des tuyaux du net.
    Mais le besoin d'échanger et de parler n'aboutit pas nécessairement à un mieux vivre durable s'il reste narcissique. Probablement faut-il un minimum de compétence chez celui qui écoute. Compétence naturelle chez certains, acquise et perfectionnée chez d'autres. Quoiqu'il en soit il y aura encore et de plus en plus de cabinets nécessaires.

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    1. Il est certain que le besoin de cabinets professionnels est un indice que le monde va mal. Et, regardant autour de soi, du moins ici, du moins en cette période, on se dit que la demande ne fera qu'augmenter.
      Ce qui m'a frappée dans cet échange, c'est le naturel avec lequel la femme parlait et l'autre écoutait. J'ai été frappée de cette liberté de parole, sans trop d'autocensure. Peut-être avons-nous tendance à être trop autocensurés dans nos échanges ? Peut-être pourrions-nous plus simplement dire nos émotions (en choisissant la bonne personne en face). Car les émotions, comme des tuyaux, ne s'obstruent que quand on ne leur permet pas de s'écouler. (Au fond, un bon professionnel est sans doute un bon plombier ?) :) Garder les choses en soi favorise la honte, le repli, génère du chagrin, un sentiment de différence. Apprendre à parler de soi, sans accaparer, ce qui revient aussi à apprendre à écouter, sans interrompre, voilà qui pourrait être enseigné dans les écoles...
      Bonne soirée.

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