samedi 9 octobre 2021

Vivre : tout bien considéré

 
 
Ces derniers temps (depuis quand exactement ? depuis l'irruption de ce tsunami sanitaire dans nos vies ?) on trouve que tout va vite, beaucoup trop vite, que tout change de manière irréfléchie, que tout se retrouve trop souvent chamboulé. On considère la planète et on la perçoit comme un carrousel sur le point de se transformer en fusée.
On réclame de la lenteur. On voudrait de la cohérence. On aimerait pouvoir ralentir, mettre l'écran du monde en arrêt sur image (mais le monde semble embarqué dans un film muet, en noir et blanc, où tout paraît procéder avec des pas saccadés de mannequins désarticulés).
La ville, la ville qu'on aime, qui nous inspire une grande tendresse et un doux respect, exhibe des élégances de catin déchue, semble hésiter entre deux destins, celui d'une noblesse en perte de vitesse et celui d'une décharge pleine de promesses. Sacs éventrés, détritus encombrants dispersés au coin des rues, plastique, cartons, emballages, épluchures. On regarde les camions de la voirie passer, repasser, leurs employés se pencher, mais au fur et à mesure qu'ils dégagent de l'espace, celui-ci se voit envahi par de nouvelles immondices, comme s'il s'agissait de faire de la place pour les prochains déchets. Malgré la réouverture des restaurants les gens semblent s'être habitués à se faire livrer (on se demande : on faisait comment, avant, pour manger ?). Des sacs en papier uberisés jonchent le sol, qui contiennent des sachets, qui débordent de cartons, qui renferment des couverts jetables et de la nourriture à jeter.
Devant le supermarché Utile, à 7h57, j'attends devant la porte en même temps qu'une femme aux cheveux poivre et sel. Le vitrage du magasin est fendu sur un bon mètre carré. Ses brisures reflètent le tas d'ordures plus gros que la veille qui dégouline sur le trottoir. Je dis : "Une effraction, peut-être, cette nuit ?" La femme a l'air fatigué. Elle répond : "Non, ça, c'est rien. Un camion, qui a mal manœuvré. Moi, je suis rentrée hier d'un pays où rien, mais rien ne fonctionne. La Tunisie... " Autre regard, autre voyage. La femme a l'air à la fois traumatisé et soulagé : elle sait qu'il est huit heures et que les portes vont s'ouvrir. Dedans, elle trouvera du lait. Elle sait aussi que la pharmacie en face lui remettra des médicaments pour tenir, si elle devait en avoir besoin. Et ces deux certitudes suffisent à lui donner la force d'entamer sa journée.


2 commentaires:

  1. La ville, dont le centre semble être beau, comme souvent d’ailleurs en ce qui concerne les centres villes, peut effectivement rapidement basculer de la beauté au laisser aller. Les rues n’avaient pas été conçues pour accueillir la vie dite moderne : les voitures, les camionnettes, les emballages des marchandises que l’on trouve ensuite dans les magasins dans un flux continuel des nouveaux arrivages. Face à cette avalanche, même les services publics les mieux organisés, pourvus et dotés, ne peuvent pas toujours faire face. Cette image, nous montre aussi les déchets produits, et ramassés aussi bien que possible dans un combat de Sisyphe dont aucune fin ne semble en vue. Alors que d’autres se posent la question du tri d’un morceau d’aluminium : le mettre avec le fer ? ou simplement à la poubelle ?

    Les contradictions à l’intérieur de nos sociétés se sont encore exacerbées entre les grands producteurs de l’industrie d’un côté et de l’autre de petites expériences d’autosuffisance individuelle. Sans parler des réalités Nord-Sud qui se différencient encore plus depuis quelques années.

    Il faut savoir être un peu danseuse et connaître la maitrise du grand-écart, certes, mais cela ne suffira pas encore longtemps

    Gaspard

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    1. C'est vrai que les centres de villes européennes, souvent historiques, n'ont pas été conçus pour accueillir la vie contemporaine et tout ce qu'elle implique de consommation (marchandises, circulation motorisée). Il s'ensuit des engorgements et du chaos. Et énormément de déchets. Ce mouvement pour éliminer les déchets ressemble effectivement à un combat de Sisyphe : il s'agit d'enlever au plus vite, pour faire place à ce qui sera déposé sur le trottoir dès l'heure suivante.
      Il y a aussi des niveaux de conscience différents quant à l'empreinte écologique que l'on peut avoir : certains achètent et jettent par terre, ou n'importe comment et s'en fichent. D'autres sont plus sensibles à ce qu'il achètent, la provenance, l'emballage, et comment ils jettent et les suites de leur manière de consommer.
      IL y a ceux qui différencient et sont qui restent indifférents à ce problème.
      Dans ce cas récent, ce qui m'a frappée, c'est l'amplitude du phénomène des livraisons de repas : au début, on aurait pu croire que c'était passager : une manière d'aider les restaurateurs à survivre durant la crise. Mais cela semble être devenu une manière de vivre et maintenant, les centres ville sont encombrés de moteurs pétaradants partant ou remettant des livraisons, causant donc plus de pollution; les repas consommés ainsi impliquent l'usage déraisonnable d'emballages, de carton et de plastique; la nourriture produite semble dénaturée. Bref, c'est plus cher, ça pollue, ça diminue les échanges interpersonnel et... ça nourrit moins bien. Dans des villes comme Madrid, le phénomène est devenu une véritable plaie.
      De ce point de vue, le monde d' "après" semble encore plus consumériste que celui d' "avant".
      La question est : que faire ? Sacré casse-tête pour les autorités locales qui doivent (ou devraient) réagir rapidement veillant à ménager le dynamisme de leur ville et la qualité de vie des habitants.
      Certes, comparé à ce qui se passe au Liban ou en Tunisie, "c'est, rien" comme disait la dame. Mais... en matière de pollution, comparaison n'est certainement pas raison...

      Belle soirée, Gaspard.

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