dimanche 20 décembre 2020

Vivre : sur le bas-côté

 
Légende de Sainte-Ursule (détail arrivée des ambassadeurs) / V. Carpaccio /Accademia / Venise
 
 
Son chat vient de mourir. Immense perte, vraiment, alors que son cœur qui bat la breloque trop souvent, alors que son corps qui menace sans cesse de la ficher aux abonnés absents la rendent plus pâle qu'un brouillard de novembre. Elle maigrit, elle tousse, elle gravit de plus en plus péniblement le chemin qui mène à sa maison. Depuis le printemps dernier, elle a décidé d'être vieille. Définitivement. Dans son petit appartement, elle se sent isolée et incomprise. Terriblement. Elle-même comprend de moins en moins - du reste a-t-elle jamais compris ? - le fonctionnement du genre humain. Personne ne pense jamais à l'inviter. Jamais quand ni comme elle le voudrait. La question qu'elle-même puisse inviter, qui que se soit, ne se pose pas. Ni méchante ni gentille, blême Agnès usée par les écoles de la vie, elle n'existe pas, ou plus, ou si peu. Elle devient transparente, elle s'efface à mesure que le temps passe, comme se sont estompés peu à peu tous ceux qui ont compté. Quand on la croise, ses yeux délavés semblent déjà regarder ailleurs. On lui écrit une carte, pour son chat. On se rend compte que c'est une authentique carte de condoléances. Face à la perte de cet être qui vivait à ses côtés, elle est inconsolable, elle reste inconsolée. Elle chancelle en marchant. Comme si les vents de décembre pouvaient l'emporter, la faire tournoyer et disperser sa grise silhouette très très loin, là où volent les corvidés. Elle remercie pour la carte. Elle dit non merci pour le reste. Elle tourne son dos voûté et se dirige vers sa destinée.
 

 

4 commentaires:

  1. Qui s'abandonne se retrouve abandonné(e).
    Hélas.
    Il y a du monde sur le bas-côté.

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    1. Ou peut-être :
      A force d'avoir été abandonné, on finit par abandonner tout espoir d'être accepté.
      (dans ce cas-ci : un état dépressif que rien ni personne ne saurait alléger)
      Manque d'amour, manque d'attention, que de gens sur les bas-côtés, en effet.
      Le solstice approchant, je te souhaite une soirée aussi lumineuse qu'une maison scandinave hygge.

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  2. Trop de fatigue. Trop de chagrin. Trop de solitude.
    Comment ne pas penser à toutes les personnes âgées, actuellement, dans les EHPAD privées de leurs familles et de toute affection qui lentement se laissent glisser faute de l'essentiel, l'amour de leurs proches. Comment ne pas penser à toutes les personnes âgées seules et isolées chez elles.
    Merci pour ce billet.

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    1. Oui... les personnes en EHPAD, les personnes seules : au nom de la protection, les voilà isolées. Le mieux est-il l'ennemi du bien ? On se le demande.
      La personne en question vit déjà depuis longtemps avec un fond de dépression (depuis toujours, peut-être). Là, l'isolement n'a fait que rajouter à son mal de vivre.
      Sans compter que bcp, dans la tranche d'âge +70, sont illettrés du numérique. ça ne facilite pas les contacts et les relations. On parle bcp de lutter contre l'analphabétisme, mais l'incapacité d'accéder à l'informatique est un réel handicap de nos jours. On n'en parle pas assez et il se rajoute souvent à une solitude première.
      Comme pour Alain, bon solstice, belle lumière.

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