Portrait de jeune femme en robe verte / Palma il Vecchio/ KHM / Vienne
Il y aura toujours la vie que nous avons menée, et la
vie qui a accompagné la vie que nous avons menée, la vie
parallèle ou les vies parallèles qui n’ont jamais réellement eu
lieu, que nous avons vécues en imagination, nos vies sou-
haitées : les risques que nous n’avons pas pris, les occasions
que nous avons évitées, qu’on ne nous a pas fournies. Nous
nous référons à elles comme à nos vies non vécues parce
que nous croyons, au fond, qu’elles s’offraient bien à nous,
mais que, pour telle ou telle raison – que nous pouvons
passer notre vie vécue à essayer de cerner –, elles avaient
quelque chose d’impossible.Ce qu’elles avaient d’impossible
ne devient alors que trop facilement l’histoire de nos vies.
En vérité, nos vies vécues pourraient servir de deuil étiré
ou de rage sans fin à celles que nous avons été incapables
de vivre. Mais les exemptions que nous endurons, qu’elles
soient subies ou choisies, nous font ce que nous sommes.[p.14]
vie qui a accompagné la vie que nous avons menée, la vie
parallèle ou les vies parallèles qui n’ont jamais réellement eu
lieu, que nous avons vécues en imagination, nos vies sou-
haitées : les risques que nous n’avons pas pris, les occasions
que nous avons évitées, qu’on ne nous a pas fournies. Nous
nous référons à elles comme à nos vies non vécues parce
que nous croyons, au fond, qu’elles s’offraient bien à nous,
mais que, pour telle ou telle raison – que nous pouvons
passer notre vie vécue à essayer de cerner –, elles avaient
quelque chose d’impossible.Ce qu’elles avaient d’impossible
ne devient alors que trop facilement l’histoire de nos vies.
En vérité, nos vies vécues pourraient servir de deuil étiré
ou de rage sans fin à celles que nous avons été incapables
de vivre. Mais les exemptions que nous endurons, qu’elles
soient subies ou choisies, nous font ce que nous sommes.[p.14]
La meilleure des vies. Éloge de la vie non vécue.
Adam Philipps, éditions de l'Olivier, revue Penser/Rêver, 2013 (éd. originale : 2012)
Adam Philipps, éditions de l'Olivier, revue Penser/Rêver, 2013 (éd. originale : 2012)
Invitée de Boomerang hier, Nicole Garcia a choisi de partager ce texte du psychanalyste britannique Adam Philipps contenu dans le prologue de La meilleure des vies. Un texte à lire, à relire, qui donne à réfléchir... où avons-nous été le plus vivants, dans notre vie "réelle" ou dans toutes celles que nous nous sommes inventées au fil des années et qui ont mené leur vie, si l'on peut dire, en parallèle ?
Pour une actrice, habituée à entrer dans d'autres vies que la sienne, peut-être que ces questions peuvent paraître plus naturelles. Mais pour les autres, tous les autres, il y a quelque chose de vertigineux dans le fait de penser à tout ce que nous avons été, à tout ce que nous avons fait, quelque part, dans notre imaginaire... Les moments les plus intenses de notre vie ne sont-ils pas ceux où les vies multiples s'entrechoquent et s'entremêlent ?
"Être envieux des autres nous fait découvrir à l’évidence les vies que nous ne vivons pas" [p.15] Pas faux : j'ai toujours utilisé mes envies à peine identifiées pour mieux savoir ce que je désirais (et me le procurer par tous les moyens à ma disposition). Me laisser aller à détruire par envie ne me passait jamais par l'esprit : trop occupée à me procurer ce qu'il me fallait, c'est-à-dire à ramener vers ma vie "réelle" des bribes de vie imaginée. Voilà qui me porte à m'interroger : les vies doivent-elles toujours être parallèles ou est-il heureux qu'elles en viennent parfois à se rencontrer ?
Talentueux et précieux passeurs, les invités de Boomerang quand ils distribuent spontanément leurs pépites, ouvrent des portes, lèvent des rideaux, apportent un éclairage sur les coulisses de notre être.
Oh!que c’est intéressant! Je vais écouter le podcast.
RépondreSupprimerIl existe un article de France Culture très instructif sur le livre d’Adam Philipps. Ainsi, "Péter Altenberg parlait d’une vie oubliée au café comme un vieux parapluie".
Je ne saurais dire mieux bien sûr si ce n’est que comme vous je n’ai jamais été envieuse de la vie des autres. J’ai la mienne, c'est suffisant et très bien ainsi.
Si ce n’est, peut-être, mais c’est un autre sujet, ce que j’aurais pu parcourir ou découvrir si je pouvais encore marcher davantage, juste un peu.
Encore merci pour la réflexion et belle soirée.
C'est peut-être... Nicole Garcia qu'il faudrait remercier! Hier, fait rare, j'ai écouté en direct. Je sais que A.T. est un bon intervieweur, attentif, professionnel, mais... se livrer avec lui au jeu du direct n'est pas toujours facile. A certains moments, on sentait l'actrice portée au bout de ses possibles aveux. Il faut une sacrée confiance pour se livrer, pour oser se dire en répondant franchement. C'est risqué. Mais en même temps en se disant on peut y gagner - comme en psychanalyse - de mieux se connaître. Et puis, je suis toujours sensible à ce qu'apportent les invités (textes choisis, ou textes composés). Ce sont des cadeaux qu'ils font et qui font de l'émission qqch d'exceptionnel. J'apprends beaucoup avec ces textes proposés.
SupprimerDésolée pour vos problèmes de mobilité. Ils doivent être particulièrement difficiles à accepter. Mais... Ce sont peut-être eux qui donnent à votre vie intérieure tant de profondeur et à vos voyages dans la littérature tant d'attrait ?
Belle soirée à vous aussi!
La vie, celle que je mène depuis un certain nombre d’année et/ou celles que j’aurais pu vivre. Je n’ai pas l’impression, personnellement, que j’ai des vies parallèles constantes, mais plutôt des moments, des bifurcations ou des aiguillages. Des instants ou par une décision, raisonnée ou instinctive, le chemin s’est déroulé de cette manière, mais aurait tout aussi bien pu se dérouler différemment : Lors d’un retour d’un séjour au sud du Portugal durant l’escale à Lisbonne : cette impression de liberté absolue en voyant les destinations des avions s’afficher sur le panneau qui annonçait les départs : Los Angeles, Amsterdam, Rabat, Londres, le Caire. Laisser les bagages filer dans un sens et moi dans un autre. Pourquoi ne pas prendre l’avion pour New York ? Commencer une autre vie, ou bifurquer à Copenhague ? Le choix est là, les places sont certainement disponibles, c’est presque un état d’ivresse momentané. Ou, autre situation, laisser l’offre d’emploi qui m’est parvenue sans réponse, pour change totalement de direction ? Suivre une opportunité raisonnable ou suivre des désires qui somnolent là, tout au fonds, et qui comportent certes des risques, mais des aventures titillantes aussi ? Par contre jalouser la vie d’autrui, quel intérêt ?
RépondreSupprimerGaspard
SupprimerLes moments où nous devons / pouvons opérer des choix nous ramènent inmanquablement à nos vies parallèles. On pense automatiquement à ce que nous apporterait l'autre option. Et peut-être qu'en y pensant on se crée une vie parallèle, laquelle pourra durer le temps qu'il faudra... Peut-être qu'on mène une vie équilibrée quand on est capable de considérer à la fois sa vie "réelle" et ses vies parallèles sans regrets ni ruminations, en leur accordant le droit d'être ce qu'elles sont, où elles sont.
Quant à jalouser, effectivement, quel intérêt ? ça peut être une étape, à métaboliser, à utiliser pour soi, ça peut nous faire comprendre quelque chose et aller de l'avant (c'est le sens de la remarque de Phillips, je crois). Si l'on se fige dans l'envie et la jalousie, on reste bloqué, jusqu'à la destruction (l'autodestruction) parfois.
Merci pour ces observations, Gaspard, et très belle soirée.