rue de Naples
De loin, sur le cours, on entendait l'homme vitupérer. On se demandait quelle mouche pouvait l'avoir piqué. Approchant de la rotonde, tout près de l'immense fontaine, on l'apercevait enfin, penché sur son smartphone. Il hurlait : "Là, là, c'est la dernière fois que tu me vois!" Il ajoutait : "Salope! Connasse!" en direction de son écran. On observait les gens qui descendaient vers le carrousel décrire des "O", histoire de l'éviter. On aurait dit qu'ils craignaient de se prendre les insultes qui ne leur étaient pas destinées. "Houlà, c'est chaud" a lancé un mec en se hâtant. "La dernière fois, tu m'entends ? Salope!"."Pouffiasse!" Qu'on puisse se quitter par mail ou par fax, on le savait depuis longtemps. Voici que la technologie permet maintenant de le faire online, sur la place publique, devant des passants démunis ou indifférents : ainsi va le progrès, apparemment... seule la rage impuissante des amours manquées, lacérantes et lacérées, seule cette rage n'a pas changé...
« Quand une rombière engraisse en gardant de la fermeté, c'est déjà presque une pétasse. Mais, malheur, si ça ramollit, nous tombons dans la poufiasse » déclarait Georges Duhamel dans le désert de Bièvres en 1937. Il fut quand même le fondateur de l'abbaye de Créteil, ce phalanstère d'artistes et poètes éminents.
RépondreSupprimerIl a donc des lettres et du vocabulaire ce brave homme qui entend mettre fin en place publique à une relation par écran qui ne lui convient plus.
Grâce à lui voici remis au goût du jour des ouvrages anciens pour l'édification des foules qui passent.
Que voila un individu au langage châtié particulièrement stylé qui devrait être candidat à l'Académie française.
;-)
Oui, le langage est un reflet de la personne qui l'emploie. Oui, il valait mieux qu'il existe un écran entre l'homme et la femme qui se quittaient. Oui, il vaut mieux en rire. Il n'empêche : quelle pitié, un homme qui hurle dans le soir sa rage et sa détresse. C'est l'hiver, c'est la nuit et il n'a qu'une tablette à qui parler. Il croit abandonner et c'est lui qui est largué. Brrr! Cela dit : lumineuse soirée. Et tant qu'on y est : lumineuse année!
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