mardi 29 mars 2022

Voyager : à seize heures, place des Corps-Saints

 
La circoncision (détail sainte) / Giovanni Bellini / Musée du Petit-Palais / Avignon
 
 
Savoir écouter, pensais-je en la regardant, savoir faire place au silence et à tous ses présents. Donner du temps au temps et de l'attention aux passants. La femme savait tout cela. La femme, on avait envie de la prendre dans ses bras. D'emblée. Assise dans son fauteuil, elle accompagnait de gestes saccadés les sons qui trébuchaient dans son gosier. Son élocution maladroite, due à on ne sait quelle méchante attaque, ne l'avait nullement privée de sa curiosité envers tout ce qui l'entourait. Elle avait posé un regard empli de douceur sur le chien, s'est enquise de son nom, et surtout de son histoire. 
Cet après-midi-là elle dictait à l'homme qui l'accompagnait les vers que la vie lui inspirait. Il les recopiait méticuleusement dans un petit carnet. Elle avait des yeux terriblement brillants, qui se posaient sur les mille petits riens du quotidien. Je me disais en la regardant que j'aurais pu moi aussi passer toute l'après-midi à ses côtés, à reporter ses mots tandis que le soleil faisait danser les branches sur le sol pavé.

6 commentaires:

  1. Il m'a toujours semblé que la traversée des épreuves pouvait amener une acuité intense sur tout ce qui concerne ce qui est vraiment vivant.
    La personne trouve le moyen d'exprimer l'essence d'elle-même quand le corps est malmené ou affaibli.
    J'ai apprécié la qualité d'écriture du texte.

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    1. Oui. Cette femme était merveilleuse. Je pense que de longues périodes passées à négocier avec un nouvel état de santé, à prendre du recul, à redéfinir ses priorités ajoutent de la force et de l'intelligence.
      Ce qui est regrettable c'est que parfois, en face, chez les interlocuteurs, on tend à confondre le fond et la forme - comme pour bcp de choses du reste - et on confond le discours , les gestes saccadés avec les capacités intellectuelles de la personne qui parle. On peut en arriver parfois à ignorer la profonde sagesse intérieure à laquelle on a affaire. On se peut se couper de tout ce qui se passe - des préjugés en quelque sorte -
      Dommage, tellement dommage : tout ce qu'on perd alors de l'échange...
      Belle soirée.

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    2. Le philosophe Alexandre Jolllien (IMC) est un bel exemple – parmi d'autres – que les apparences sont sujettes à des bourdes d'interprétation.
      Dans mes longs séjours en centre de rééducation depuis mon enfance, j'ai appris à côtoyer suffisamment d'interlocuteurs au corps tordus et aux gestes difficilement maîtrisables, aux allures qualifiées de « débiles », pour en avoir tiré des enseignements pour toujours.
      (Et je ne dira rien à ce sujet de mon état physique personnel qui m'a mis bien souvent en contact avec l'imbécillité des gens…)

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    3. "Imbecillus" en latin veut dire "faible". Dans ce cas : "vraiment très faible en communication"!
      Les imbéciles seraient donc des gens qui confondent le fond et la forme et se fient trop au monde des apparences ? des gens qui restent en surface, en somme...

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  2. La personne malade, handicapée ou plutôt porteuse de handicap reste la même personne. Elle n’a pas changé, seul son corps a changé. Reste, comme le dit Alain, l’essence d’elle-même, ce que Christian Bobin appellerait sans doute "la présence pure" et c’est le plus important.
    Je me souviens d'Anne Bert et de son regard bleu étincelant de vie, d’intelligence et de volonté alors que son corps était emmuré par la maladie de Charcot. Comme j’aurais aimé passer quelques instants avec elle au bord de l’océan. Cette femme était la Vie.
    Belle soirée.

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    1. Être la même personne...oui, il y a une continuité... mais il me semble que l'expérience vous fait mûrir - on a tous progressé dans la vie à coups d'expériences, plus ou moins heureuses, plus ou moins cruelles - ce qu'il m'a semblé pressentir chez cette femme, c'est que la traversée de cet... appelons-le accident l'avait rendue plus attentive, plus sensible à ce qui l'entourait, avait renforcé chez elle le sens des priorités. Peut-être étaient-ce seulement des suppositions, qui valent ce que valent les suppositions, mais je la sentais mature comme une grand-mère dans ses vieux jours (elle paraissait avoir une petite cinquantaine). Ai visionné une itv d'Anne Bert. C'est curieux : elle ressemblait à la femme d'Avignon, y compris le regard. Belle soirée.

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