jeudi 7 mai 2020

Vivre : relâcher d'un cran


Maestro dei Mesi / Museo della Cattedrale / Ferrara

Il fallait t'y attendre. Francesca Melandri, dont tu as lu la lettre plusieurs fois, cette voix qui te parvenait de ton pays, cette voix amie, t'avait pourtant avertie (cela semble être si vieux, déjà, il y a longtemps, il y a si longtemps, il y a pourtant à peine plus d'un mois) ses mots t'avaient prédit que tu prendrais du poids.
Depuis, il y a eu les recettes inratables que tu n'as presque pas ratées, les recettes classiques, les recettes interprétées, toutes ces recettes qui te faisaient voyager : les pitas bien dodues et celles qui ont refusé de gonfler, et les curries - tous les curries végétariens ou pas - qui t'emportaient vers de lointaines provinces indiennes, les felafels, dont les parfums t'ont ramenée dans la vieille ville de Jérusalem, les tajines qui te conduisaient tout droit jusqu'au Sud marocain, et les différentes sortes de pasta, les lasagnes, les canneloni aux épinards et à la ricotta, les pizzas divines agrémentées d'artichauts et de gorgonzola (avec ces dernières tu te retrouvais au cœur de soirées romaines, dans le quartier de Trastevere, il te semblait entendre les cris et les rires qui fusaient de toutes parts) et il y a eu d'autres pâtes, et  différents pains, les tartes fines aux asperges et celles aux champignons, et les desserts, les crumbles aux pommes et aux baies des bois, les cinnamon rolls te rappelant ceux des cafés danois, les croissants, les carrotcakes, les tartelettes au citron meringuées, sans oublier le fameux gâteau aux noisettes piémontais que tu prépares les yeux fermés. Oh oui, tu as pris grand plaisir à concocter ces mets, tu as vu du pays, tu as retrouvé mille souvenirs sous tes papilles, tu t'en es donné à cœur joie. Sans compter les herbes aromatiques que tu allais tous les soirs humblement quémander à ton jardin, menthe, romarin, thym, origan, que tu ramenais en fleurs dans ton tablier. Tout en pétrissant, en mélangeant, en assaisonnant, tu écoutais des émissions (certaines te distrayaient, d'autres te lassaient, à la fin tu préférais les chants qui parvenaient de la forêt). Cette occupation quotidienne et créative, banale et sublime a mis tous les jours du piment et du soleil dans tes journées, a enrichi les conversations, a rythmé tes soirées.
Il te faut à présent admettre les faits : question calories tu t'es surendettée et tous tes crapahutages à travers les champs et les bois n'y ont rien changé : ta ceinture exige à présent d'être desserrée. Pénible bilan. Et ton seul espoir à présent, c'est vraiment, vraiment qu'avec ce foutu déconfinement tu te trouves d'autres saines activités, d'autres challenges, d'autres projets. Ton corps, ton miroir et tes jeans les appellent de leurs vœux. Urgemment. Et ton mental lui aussi aspire à d'autres conquêtes, d'autres territoires et passe-temps.

3 commentaires:

  1. Ah ben oui ! Si tu as fait tout ça comme petits plats !…
    Pour ma part, j'ai perdu 500 g. Il faut dire que les plaisirs de la table sont pour moi une cuisine simple, équilibrée, maison et à plat unique. Ni entrée, ni dessert. Je ne suis pas une bouche sucrée. Par ailleurs, je n'ai jamais été « un grignoteur »… Si le restaurant me manque, ce n'est pas d'abord par ce qu'il y a dans l'assiette, mais par la convivialité que cela représente. On peut être « bon vivant » hors des plaisirs gustatifs.
    J'ai lu qu'en moyenne les Français auraient pris 2,5 kg avec le confinement.

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  2. 2,5 kg, tu dis ? Bien, je dois être dans la moyenne. Félicitations à toi! Manger, ici, cela relève du plaisir, de la créativité, du voyage, du partage, c'est du bonheur reçu et offert. Et je dois dire que je me suis donnée avec ces ateliers du soir... : uniquement des produits frais, locaux, souvent bio, préparés à la maison. Et puis, les gâteaux, ce sont d'efficaces anti-spleen ...De plus, je crois que malgré mes sorties quotidiennes, j'ai moins bougé que d'habitude. J'ai évité les bords de lac, trop fréquentés à mon goût. Je vais devoir à présent rallonger mes balades... Belle soirée à toi.
    PS : à propos de Idir que tu aimes autant que moi, as-tu écouté le billet de Sofia Aram sur France Inter avant-hier ? A pleurer de beauté....https://www.youtube.com/watch?v=HiLQElfQaO8

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    1. Oui, j'avais bien senti dans ton texte tout ce que tu dis sur le plaisir et la créativité, etc. aucune critique de ma part à ce sujet. Ça n'aurait pas eu de sens d'ailleurs. C'est juste que je ne suis pas un passionné de gastronomie. Je ne crache pas non plus sur les invitations en ce sens !
      D'une certaine manière, la vie n'est pas si mal faite, puisque pour des raisons de mobilité liées à mon handicap il serait hors de question que je sois en surpoids ! Je perdrais alors toute autonomie.
      Et bon appétit à toi et tes convives !
      (Oui, merci, j'avais entendu ce billet de Sophie en direct… excellent…)

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