vendredi 5 avril 2019

Vivre : partir


Deux affiches / exposition Walter Studer / Kornhaus / Berne / 2018


Être migrant, c'est avoir du courage, le courage d'oser s'élancer vers l'inconnu, récupérer un espoir qui nous a été nié, un espoir perdu.
Être migrant, c'est ne compter que sur soi, sur son corps, sur ses ressources et c'est savoir que quoi qu'il arrive on ne pourra s'appuyer que sur ce tas de muscles, de persévérance et de volonté.
Être migrant, c'est avoir mal, c'est avoir froid, c'est endurer, c'est persévérer jusqu'au-delà du désespoir.
Être migrant, c'est ne pas détenir les codes, c'est toujours être l'imbécile de quelqu'un, celui qui ne comprend pas, le souffre-douleur vers qui se dirigent les ricanements.
Être migrant, c'est se battre, se battre pour soi, mais surtout pour les autres, les générations passées et les générations devant soi, leur permettre de se tracer une voie.
Être migrant, c'est se trouver au milieu d'un pont, contenir l'immense nostalgie, retenir ses larmes et surtout ne jamais se retourner, ne jamais se raviser.
Être migrant, c'est accepter de ne pas savoir, mais c'est aussi vouloir savoir, c'est vouloir conquérir, c'est s'acharner à devenir. Et c'est aussi y parvenir. Quelque fois. 
Être migrant, c'est lutter, lutter, et encore lutter. C'est aspirer à s'intégrer, obtenir le droit d'être - enfin - un immigré. 

Dédicace :Pour mes arrière-grands-parents, oncles et cousins, pour ceux qui ont laissé derrière eux le port de Trieste et ne sont jamais revenus, pour ceux qui partaient et partaient encore aux quatre coins de l'Europe en laissant femme et enfants, pour ma grand-mère qui, à près de nonante ans, connaissait encore par cœur l'adresse polonaise où elle envoyait ses lettres à son père maçon, pour mon père qui a traversé les Alpes sous les tirs des gardes-frontières en voulant fuir la misère, et pour une enfant clandestine, que mon cœur connaît bien. 

8 commentaires:

  1. Coucou Dad. C'est une très belle dédicace pour tous ses hommes et toutes ses femmes qui osent le voyage pour trouver un avenir meilleur. C'est le mot "lutte" que je retiens car c'est effectivement un combat de tous les instants pour garder son identité entière, pour ne pas la morceler dans tous les endroits traversés, pour savoir toujours qui on est. Merci pour ce texte touchant. Bises alpines.

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  2. Il m'arrive régulièrement d'évoquer le sort des migrants ici. Ce n'est pas par hasard que ce sujet me tient à cœur et me préoccupe. Ce n'est pas par hasard non plus si j'ai choisi de travailler à plusieurs reprises auprès de sans-papiers, ou de migrants pour les aider à se faire une place. Dernièrement, la question de mon histoire familiale est venue me solliciter : je repense à tous ces gens de ma famille, qui ont dû partir, à toutes ces séparations et à toutes leurs conséquences. Du coup, j'ai écrit ce texte, je me suis mise à leur place. Penser au passé m'aide à comprendre le présent. Je ne crois pas qu'être migrant hier ou aujourd'hui soient des réalités tellement différentes.
    Belle soirée. Bon WE, Dédé.

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  3. J'aime beaucoup tes mots sur ce sujet qui me touche....
    Et je m'étonne toujours des polémiques sur les migrants ! Nos pays d'Europe se sont tous forgés sur des vagues successives d'immi/émi/gration, non ?!
    Sans compter l'histoire coloniale de l'Europe qui a (de gré ou de force !) créé des liens qui perdurent (pour le meilleur et le pire !) avec bon nombre des pays que nous accusons aujourd'hui de nous envahir avec leurs ressortissants !!! Quelle ironie ! Quelle tristesse ! Quelle honte aussi...
    Bisous Dad et bon WE !

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    1. Je n'ai rien à ajouter à ce que tu dis. Si ce n'est… si ce n'est que quand je retourne en Italie (ou que j'en vois les nouvelles) je suis stupéfaite de la faculté que peut avoir un peuple à oublier. A présent que le pays est devenu une terre d'immigration, beaucoup de gens se défendent contre les "invasions étrangères", votent pour des populistes et rejettent les migrants. Heureusement qu'il y a une tradition d'accueil forte, liée en grande partie à L’Église, pour contrebalancer ces mouvements de rejet.
      Heureusement que, chacun à notre manière, nous pouvons faire de notre mieux pour inverser un peu la donne.
      Belle soirée, beau WE à toi.

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  4. Très beau texte, émouvant et ô combien véridique!
    Il faudrait le mettre sous les yeux de ceux qui par principe, refusent ces gens chassés de chez eux par la guerre,la terreur, la famine, l'absolutisme religieux, et j'en passe..

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  5. Merci de vos mots. Ce texte, je n'ai pas grand mérite à l'avoir écrit. Je suis née dans une terre de misère qui a essaimé des migrants dans le monde entier. Je ne parle donc que de ce que je connais.
    Je voudrais ajouter quelque chose : je participais cet après-midi à une manifestation contre le réchauffement climatique et on n'a pas manqué de rappeler que les pauvres du Sud vont être (sont déjà) les premiers touchés par nos abus en matière énergétique. Une honte, une injustice de plus, que nos comportements irresponsables vont leur faire payer. Dès lors, vouloir les repousser quand ils arrivent à nos portes devient du plus haut cynisme. Merci de votre commentaire et très belle soirée à vous.

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  6. Un texte très fort, Dad. Tu sais donc de quoi, de qui tu parles. Je suis à chaque fois outrée lorsque j'entends les propos racistes adressés à ces personnes qui ont un courage et une volonté incroyable, je suis admirative sincèrement. Les gens ont peur des migrants. Pourquoi ? Ils n'en savent même rien. Et surtout, ils ont la mémoire courte. Que c'est triste et injuste...

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  7. Oui, tristesse et injustice. Surtout si l'on pense que les pays du Sud vont payer (ou sont déjà en train de payer) le prix fort pour notre surconsommation des ressources de notre planète... "Nous" consommons à outrance, nous provoquons des déséquilibres dans les écosystèmes et ensuite nous nous indignons qu'il arrive des gens pour chercher refuge dans nos pays. Navrant. Navrant et inconscient.

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