mercredi 29 juillet 2020

Habiter : une incomprise


Vallée de la Seine / Edward Hopper / Whitney Museum / New-York

"P., dit mon ami Jean, ce n'est pas une ville : c'est une maladie." Chaque fois, je dois l'admettre, que je dois me rendre là-bas, rarement, très rarement, je me souviens de ces mots. P. c'est une ville qui pourrait vous rendre dépressif rien qu'en y passant quelques heures. Mais, si vous allez mal, P. a un grand avantage : en rentrant, vous vous sentez mieux, parce que vous vous dites que, quels que soient vos problèmes, quelle que soit leur importance, au moins - au moins! - vous n'habitez pas à P.

*Référence au livre de V. Noyoux, Le tour de France des villes incomprises (résumé ICI)
 

4 commentaires:

  1. C'est quand même Pierre Perrin qui a tranché la question de la valeur ultime des villes françaises. Après une étude particulièrement approfondie et documentée de l'ensemble de la question, ce fut Maubeuge qui fut l'élue définitive et incontestable.
    Personne depuis 1961/62 n'a osé remettre cela en cause.
    ;-)

    https://www.youtube.com/watch?v=QDvse-udxm4

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    1. Noyoux parle de Maubeuge. Son "guide" incomparable donne envie de visiter ces incomprises autrement (il y a entre autres Vesoul, Mulhouse, Draguignan). Il invite à garder les yeux ouverts, loin des clichés et de la facilité. Je te le conseille vivement :) Hélas, Noyoux n'a pas étendu ses investigations à l'Helvétie et P. , ville suisse, reste incomprise. C'est ce que je me dis toutes les fois que je vais voir mon carrossier là-bas. Belle journée à toi.
      PS : la chanson est très belle. quelle que soit la version.

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  2. Bonjour, le bien par la vison du mal, une méthode qui en vaut une autre.
    On trouve plus malheureux que soi.

    Julien Gracq, quant à lui, déconseille vivement de séjourner à Truro:

    Les flèches de la cathédrale de
    Truro sont maintenant deux cônes de maçonnerie compacte, et l'aspect des façades a beau demeurer le même, l'espace est étrangement mesuré aux pièces
    habitées par l'épaississement anormal des murs; quant à la population — le sourire mesquin et tordu de quelqu'un à qui on a marché sur le pied — on dirait
    d'un bernard-l'ermite expulsé par une intumescence interne de sa coquille.
    Truro souffre encore sans se plaindre.

    D'année en année, la croissance de l'aubier minéral rétrécit vers l'intérieur des pièces l'espace disponible; en même temps la lutte sournoise du
    génie végétal contre les angles vifs s'observe à plein : déjà nombre de salles à manger sont en rotonde, et j'ai souvent, invité dans la haute
    société de la ville, l'impression anachronique de prendre le thé dans un donjon.
    Les meubles qu'on n'a pas eu la précaution de mouvoir sont scellés aux murs par le progrès de la gangue vitreuse, assez comparable par son aspect ganglionnaire à ces plaques
    muqueuses qui, de jour en jour, par les hivers froids, bourgeonnent sur l'ardoise des urinoirs.
    La minéralisation gagne particulièrement vite les draperies : l'aspect est resté encore souple que la main fait crouler les franges des rideaux en une friable poussière de
    craie.

    On a beau éloigner sa couche des murailles et cacher son appréhension sous le prétexte de la mode ancienne des lits de milieu, il arrive parfois que le visiteur au petit matin
    tâte du doigt un drap déjà rigide, ou crève d'un orteil impatient une insidieuse pellicule de marbre, comme un poisson troue d'un coup de queue la jeune glace des mers
    du
    Sud.
    Le phénomène des stalactites ne s'observe guère que par les saisons pluvieuses, dans les parages du
    Faubourg
    Maritime.
    Ce n'est pas qu'il y ait à proprement parler danger, encore qu'on cite déjà des phénomènes subaigus et des cas d'occlusion accélérée des issues de
    secours, et cependant — quoique, je le reconnais, sans raisons vraiment péremp-toires — je me permets de déconseiller dorénavant le séjour de
    Truro, car dans de telles pièces, comme dit le poète, on ne loge pas seulement son corps, mais aussi son imagination.

    Julien Gracq

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    1. Merci de m'avoir fait découvrir ce poème en prose de J. Gracq. Cet écrivain est extraordinaire. Il parvient à entremêler le réel et le rêve d'une manière unique. Je viens de relire Le balcon en forêt : Il y réussit à rendre irréelle, secondaire la guerre et ses atrocités. Plus exactement : la guerre est atroce, mais on peut fuir l'atrocité en se réfugiant dans un monde féérique.
      Belle journée.
      PS : à vrai dire, en parlant de P., je suis un peu beaucoup ironique. Je n'apprécie guère les endroits sans eau, rivière, lac, mer, sans dégagement, aucun, rien que des casernes et des exercices militaires pour tout horizon.

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