La déploration du Christ (détail) / Bronzino / MBAA / Besançon
C’est un petit salon franchisé, au cœur d'une ville étrangère. L'autre jour, j’en ai franchi le seuil pour la troisième fois
(si cela continue, je vais finir par me fidéliser).
Le salon est
accueillant : on vous y offre un café excellent. Comme il
applique des forfaits raisonnables, on y trouve des grand-mères, des
étudiantes, des employées qui passent à la pause
déjeuner. On est loin ici du confort cosy des espaces détente. Pas de décorations classieuses avec miroirs énormes
et meubles clinquants. Pas de visagistes ni de relookings en tous genres. La responsable est une femme dans la quarantaine, filiforme, portant son maquillage impeccable comme un masque, adoptant un ton vif
pour exiger de ses trois employées que les choses retrouvent constamment leur place.
L’autre jour, avec la
plus jeune, elle démêlait la chevelure d’une sexagénaire blonde,
venue pour une teinture avec une repousse de six centimètres. Les cheveux
étaient fins, emmêlés. Les deux femmes debout mettaient
du temps à progresser, mèche par mèche, défaisant les nœuds un à un, veillant à ne pas faire mal.
Elles avançaient patiemment dans leur tâche : un jeune homme est venu pour une coupe, puis il est reparti tout sourire. Une étudiante attendait que son roux prenne un sirotant un thé. Une jeune
mère pâle a demandé qu’on rafraîchisse son look qui en avait bien besoin.
La femme blonde,
assise à mes côtés, s'est mise à parler, dessous sa longue frange. Elle parlait de son AVC, elle parlait d’apnée du sommeil. Elle parlait de sa
dernière hospitalisation. Elle parlait de gens de son entourage qui avaient
succombé. La responsable écoutait, relançait, conseillait. Sous son fond de
teint épais, sous ses dehors pointus, on sentait une personne qui avait une réelle vocation pour son métier : savoir couper, savoir dégrader, certes, mais surtout savoir
écouter et exprimer de l'empathie. Je l’avais déjà
entendue prêter une oreille attentive et tenir des propos rassurants à quelques habituées.
Je suis sortie du
salon ravie. Une jeune coiffeuse avait tout compris et raccourci ma coupe d’un centimètre
en se taisant : elle n’avait pas plus envie que moi de papoter et je lui
en savais gré. Ces dernières années, j'ai pris l’habitude de confier ma tête à des coiffeurs inconnus aux quatre coins de l’Europe, au hasard des déplacements. Je redoute depuis l’enfance
ce moment toujours un peu risqué, ce passage obligé. Pourtant, ce salon des plus conventionnels révélait une autre dimension. C’était l’espace où l’on venait confier non seulement sa tête, mais aussi une part de soi. Qui pouvait être pour certaines l’espace
du lâcher-prise, du laisser-faire, de la confiance récupérée. Un espace de parole dont on
avait le plus grand besoin, d'où l'on pouvait sortir fière, soulagée, se redécouvrant blonde et lisse dans les vitrages. Loin des doutes qui vous nouent l'estomac, loin des perfusions et des centres de rééducation.
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