vendredi 7 décembre 2018

Vivre : la passagère


Tête de Pan / Glyptothek / CPH


C’est un train régional, desservant les principaux villages de la ligne et il m’arrive de l’emprunter quand j’ai raté le direct. C’est le train des étudiants, des gens qui ne sont pas motorisés, qui n’en ont pas les moyens. C’est le train des oubliés du progrès à tout crin.

Il y a toujours dans ce train un ouvrier qui monte, habillé de bleu ou d’orange fluo, avec ou sans sa trottinette. Il y a toujours un jeune aux yeux vagues qui semble redouter la vie qui l’attendra une fois arrivé à destination. Il y a toujours un couple d’âge mûr qui discute de manière frénétique pour résoudre des problèmes tels que : comment apporter ces pommes à Pierre ? ou : c'est samedi ou dimanche qu'on ira voir ta mère ? 

Il y a aussi toujours une femme – jamais la même – qui s’assied à mes côtés. La femme est d’origine émigrée. Ça se voit avant de s’entendre. Ça se voit à son habillement, à son air fatigué, à ses rides prématurées. La femme n’a jamais de maquillage. Elle ne porte jamais de foulard ou d'écharpe, rien qui pourrait l’enjoliver La femme vient sans doute de faire six heures de ménages et, une fois rentrée, elle devra entamer une nouvelle journée. Elle est sans doute préoccupée par toutes sortes de problèmes, le directeur de l’école l’a peut-être convoquée, ou bien sa mère au pays a-t-elle dû se faire opérer. La femme se tient tranquille, durant tout le trajet. Elle n’a pas de livre à lire ni de smartphone à consulter. Elle n'a pas le temps pour ce genre de futilités, elle est trop heureuse de laisser son regard se perdre dans les bosquets.
Cela ne l’empêche pas d’être attentive. Elle dit bonjour quand elle s'installe et fait son possible pour ne pas déranger. Elle a une manière bien à elle d’être prévenante et d’exprimer que non, mon panier ne lui cause aucune gêne. Elle se penche pour ramasser un stylo qui a roulé. Elle a des savoir-être qui lui viennent de très loin, elle a des politesses qu’ont perdues les battants, les consultants, les arrivistes et les arrivés. Elle est capable de sourire, sourire vraiment. Elle fait partie de ces personnes qui savent dire - avec élégance - au revoir, bonne journée en quittant un wagon.

2 commentaires:

  1. Coucou Dad. Je ne prends pratiquement plus les transports publics et pourtant, ce sont des lieux géniaux pour faire des observations et des analyses des gens qui nous entourent. Cette femme que tu décris, c'est certainement une des femmes dont je m'occupe actuellement. la vie l'épargne pas, elle fait tout pour trouver du travail et elle n'a que soucis en tête. Et pourtant, une grande chaleur se dégage dans son bonjour, dans sa poignée de main, dans ses remerciements. Et moi, je suis souvent bien démunie face à toutes ses questions et attentes. Bises alpines et bon vendredi. J'attends la neige, il paraît qu'elle va tomber en abondance les prochains jours.

    RépondreSupprimer
  2. L'attente de la neige est un bien joli moment... je crois qu'ici ce sera dès ce soir plutôt : l'attente de la pluie...
    Démunie, face à cette femme ? Déjà, elle trouve en toi un regard qui l'estime et la comprend, elle trouve une écoute qu'elle n'a probablement pas ailleurs, et puis, il s'agit de ne pas oublier la force et la créativité des gens : on met entre leurs mains trois fois rien, des pistes, des adresses, des suggestions... et ce sera à eux de faire avec l'énergie et les ressources qui leur appartiennent. Ils feront. Ou pas. Mais là-dessus, on n'a aucune prise. On n'est pas tout-puissants. (et j'ajouterais : heureusement!)
    Belle après-midi... beau WE, chère Dédé!

    RépondreSupprimer