lundi 10 décembre 2018

Vivre : Still life / 56





Ce banal ustensile occupe une place privilégiée sur mon plan de travail. Que ferais-je donc sans lui ?

Un jour, à Barcelone, j’ai décidé que mon amie Montse en avait le plus grand besoin. Tous les étés, je la voyais éplucher au couteau ses patates et ses carottes. Une pitié. Apparemment, cette invention du tonnerre n’avait pas encore pénétré la Catalogne. Qu’à cela ne tienne ! Lors de ma visite suivante, je suis donc arrivée avec le précieux économe en cadeau. Mais l'été d'après, j’ai dû lui en racheter, car… je ne retrouvais pas chez elle l’exemplaire offert. Donc, je me suis vite fendue d’un envoi postal afin de la dépanner de toute urgence.

C’est au bout de trois années que j’ai fini par comprendre : un jour que je fouillais le fond d'un tiroir à la recherche d’un casse-noix, j’ai trouvé mes trois éplucheurs. Bien alignés, sous une montagne de louches et de spatules. C’était aussi simple que cela : mon amie Montse, polie, avait remercié, mais elle n’en avait pas le moindre besoin, de ces bidules. Elle continue à éplucher ses pommes de terre sans économie et s’en porte très bien.

Il y a parfois, entre nos amis, même les plus chers, et nous, des divergences profondes de vues et de pratiques, des frontières qui sont vouées à ne jamais être surmontées. Depuis, cet indispensable éplucheur, star incontestée de mon tiroir, est devenu le symbole de l’Alterité avec un grand A. Il vient au quotidien me rappeler, finement, que l'on ne peut en aucun cas faire le bien d'autrui malgré lui.

4 commentaires:

  1. Un éplucheur, symbole de l'altérité. C'est une bien jolie histoire que tu nous contes là. Effectivement, nous sommes multiples et heureusement. Un éplucheur peut devenir un ustensile indispensable pour certains et pas pour d'autres. De mon côté, je ne cuisine jamais à midi et le soir, c'est plutôt assez simple. Mais mon petit éplucheur est sympa. ;-) Tiens, cela me donne envie de faire une soupe aux légumes ces jours prochains. Le temps s'y prête bien. Bises de plaine grises et froides.

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  2. Oui, l'autre est autre, même dans des détails aussi ténus que les pelures. C'est quand on commence à vouloir faire le bien des autres et qu'on pense savoir mieux qu'eux ce qui est bon pour eux que commencent les problèmes. Une soupe? quelle bonne idée. L'autofictif a beau avoir écrit l'autre jour : "Des soupes, des tisanes – les flaques de l’automne." ce sont des flaques dans lesquelles je plonge joyeusement ma cuillère! Belle aprem!

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  3. C'est tellement vrai : pour moi aussi, sans économe, point de salut, et encore avez vous remarqué que certains pseudo économes n'éjectent pas la pelure? On m'a offert d'autres super éplucheurs qui ne valent rien à mes yeux, et sont mille fois mieux pour d'autres. Restons modestes, notre vision des choses n'est pas universelle, et cela vaut pour les épluche légumes comme pour des choses plus immatérielles

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  4. Les petites choses de la vie quotidienne recèlent un monde de profondeur. Constamment sous nos yeux, elles nous parlent de nous, sans grands discours. C'est tout le charme des Still life. Bonne soirée!

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