Je suis allée aujourd’hui
rendre visite à ton frère. Nous nous sommes retrouvés seuls, tous les deux, dans sa dernière
chambre. Je l’ai trouvé pâle, changé, éprouvé. J’aurais pu ne pas le
reconnaître, sans l'étiquette à l'entrée qui lui attribuait l'espace numéro 1. Les perfusions et les câbles d'assistance respiratoire avaient laissé des traces sur ses poignets et son visage.
Nous avons parlé – enfin, moi surtout – je lui ai dit deux ou
trois choses qui me venaient à l'esprit. J'avais le sentiment qu'on communiquait. Le silence était épais, dense comme du marbre. Les voisins paraissaient très discrets, presque absents. Ils devaient être éprouvés,
eux aussi, les occupants des chambres 2, 3 et 4.
Avant de partir, j’ai déposé un bouquet de lys blancs en travers du cercueil. Ton frère n’a pas bronché.
Avant de partir, j’ai déposé un bouquet de lys blancs en travers du cercueil. Ton frère n’a pas bronché.
Je me suis souvenue –
détail loufoque – que c’était lui qui m’avait sevrée. Jeune mère épuisée, tu ne savais comment te défaire de mes appels à la tétée. Alors tu lui a demandé de dormir avec moi durant deux ou trois nuits. Me tournant contre lui, mes lèvres se sont lassées assez vite de le solliciter et je me suis tournée vers d'autres moyens de subsistance.
Dehors, c'était la ville morne de l'entre deux Fêtes. Il y avait peu de gens dans les rues, peu de magasins ouverts. La plupart des habitants devaient être sur les pistes de Verbier ou en route vers quelque lumineuse capitale. Dans cette grisaille, curieusement, je me suis sentie bien. Je savais - à ta manière, tu me l'avais rappelé - que la vie est chose fragile, éphémère. Memento mori. Je me suis sentie des envies de mordre dans des pâtisseries voluptueuses. J'aimais sentir mes chevilles travailler dans le cuir de mes bottes. J'aimais sentir les trottoirs sous mes talons. J'aimais me sentir en vie.
Un instant difficile, face à la mort. Et pourtant, il se dégage de ces moments-là une certaine sérénité. Et ce sentiment d'être connectée à quelque chose de bien plus grand qui nous dépasse complètement et qui nous fait nous sentir si vivante. Tu as bien fait de rendre cet hommage, qui te permet de dire aurevoir et de tourner une page. Mais je reste triste que tu aies été mise à l'écart des derniers instants. Tu vas devoir vivre avec cela et accepter. Et peut-être un jour dire à la soeur qui veut tout gérer ce que tu as ressenti...
RépondreSupprimerOu pas...
Je t'embrasse
P.S. Attention, il me semble que tu as une tâche sur ton capteur d'appareil de photo.
En fait, je n'ai jamais trouvé que la mort "naturelle", c'est-à-dire à un âge avancé, après une vie bien remplie, était une réalité pénible. Grave, oui, mais pas forcément difficile. Ce sont les moments de souffrance, de déchéance, de déni qui entourent la mort qui sont difficiles. Ce sont les conflits non résolus, qui sont indigestes. Et surtout, c'est la mort des enfants, des innocents, qui est intolérable. La mort "naturelle " est là pour nous parler de la vie, un cadeau fragile, dont nous devrions prendre le plus grand soin et qui devrait - devrait! - nous aider à relativiser beaucoup de choses.
RépondreSupprimerBelle entrée en vacances, chère Dédé!
PS : Merci pour la tache. En fait, la photo est ancienne, date d'un jour de neige…