jeudi 13 juin 2019

Lire : les mots de Rainer Maria


Place Saint-Marc / Venise

Dites-vous bien : que serait une solitude qui ne serait pas une grande solitude ? La solitude est une : elle est par essence grande et lourde à porter. Presque tous connaissent des heures qu'ils échangeraient volontiers contre un commerce quelconque, si banal et médiocre fût-il, contre l'apparence du moindre accord avec le premier venu, même le plus indigne... Mais peut-être ces heures sont-elles précisément celles où la solitude grandit et sa croissance est douloureuse comme la croissance des enfants, et triste comme l'avant-printemps. N'en soyez pas troublé. Une seule chose est nécessaire : la solitude. La grande solitude intérieure. Aller en soi-même, et ne rencontrer durant des heures personne c'est à cela qu'il faut parvenir. Être seul comme l'enfant est seul quand les grandes personnes vont et viennent, mêlées à des choses qui semblent grandes à l'enfant et importantes du seul fait que les grandes personnes s'en affairent et que l'enfant ne comprend rien à ce qu'elles font.
Lettre à un jeune poète / 23.12.1903

Il est des livres dont je ne me lasse pas, que je lis et relis sans relâche, comme si je devais encore en tirer la substance, comme si une sagesse essentielle m'avait encore échappé, malgré les explorations et les années. Alors, je les relis, Rilke en premier, et j'y trouve toujours un éclat, un éclairage nouveau, un peu comme dans ces boules à facettes qui ne renvoient jamais la même lumière, qui ne reflètent jamais la même réalité, mais qui, réfléchissant, donnent toujours à réfléchir.


7 commentaires:

  1. Coucou Dad. Combien de gens ne supportent pas la solitude... car être seul avec soi-même peut être parfois...vertigineux. Bises de plaine ensoleillées (enfin).

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  2. La solitude a tant de visages ! On peut se sentir seul parmi les gens, dans un groupe, dans une foule. On peut souffrir de solitude tout en étant entouré, tout en étant en couple par exemple. On peut souffrir de se sentir différent, exclu, incompris.
    On peut aussi se sentir seul et s'en trouver bien. On peut être seul et accepter cet état de fait, en l'intégrant à part entière dans sa vie. On peut se sentir complet avec soi-même.
    On peut faire le choix de la solitude, ou s'en accommoder, ou alors la subir comme une honteuse maladie. La subtilité tient dans la composante de souffrance, plus ou moins importante. Rilke, je le comprends ainsi, parle de la solitude comme d'un passage obligé vers plus de maturité, d'expérience, d'humanité. Il est opposé à toutes les concessions que beaucoup acceptent de faire parce qu'ils ont peur ou horreur se trouver face à eux-mêmes. Il est opposé à la fuite.
    J'aime l'idée d'appartenir à la famille humaine et de la rejoindre quand elle a besoin de moi ou que j'ai besoin d'elle. J'aime aussi l'idée – sans arrogance - d'être unique, d'être apte à penser par moi-même et de me suffire souvent. Je déteste l'idée de se rallier à n'importe quelle opinion juste pour ne pas se retrouver seul. Ceux qui hurlent avec les loups par lâcheté m'insupportent.
    Cela dit, savoir doser la bonne quantité de vie sociale et de vie intérieure est une sacrée gageure. Ne faut-il pas une vie entière pour trouver le bon dosage ?
    Le WE est proche, chère Dédé, et il sera ensoleillé!!!

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    1. Pour l'instant je teste le dosage de la "sauvagerie choisie". Quant on travaille dans nos métiers, on donne déjà beaucoup de soi-même et il faut du temps pour soi, pour se retrouver. J'aime cette sorte de solitude qui me permet de me recentrer sur moi-même.
      Merci de ta réponse complémentaire et bises alpines.

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  3. Ooooh! je te comprends si bien! quand je sortais d'une journée ou d'une semaine durant lesquelles on m'avait fait tant de confidences, demandé tant de conseils, je n'aspirais qu'à une chose : le silence des hommes... les sons de la nature... c'est pour cela que je suis peu - vraiment peu - portée sur les commérages et autres radotages. Comme toi, j'aspirais et j'aspire toujours au recentrage. Belle soirée.

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  4. Je ne sais pas ce qu'est la solitude. La solitude, dans le sens où l'on vit seule. J'ai vécu avec mes parents, ma mère, mon mari, mais je n'ai jamais vécu seule. Et pourtant, je l'ai ressentie à maintes fois la solitude. Peut-être certains jours où je me sentais en décalage d'avec les gens qui étaient autour de moi, où j'avais l'impression de ne pas vivre dans le même monde qu'eux. Mais cela me le fait de moins en moins souvent. Je me pose peut-être moins de questions. :-)
    Belle fin de journée, Dad.

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  5. Ton commentaire est intéressant : je ne m'étais jamais posé la question et j'ai réalisé que j'avais vécu seule, en tout et pour tout, durant trois années. D'abord, quand j'avais trouvé mon premier poste de travail dans une ville éloignée. Et puis, à quarante ans, quand j'étais partie faire un séjour Erasmus lors mes études d'histoire de l'art (mère de famille, je laissais mari et fils à la maison). Le reste du temps, j'ai vécu avec mes parents, ou en colocation, ou en famille, avec mon fils, et mon compagnon.
    Cela ne m'empêche pas d'avoir toujours ressenti très fort le sentiment de ma solitude. Et il ne s'agit pas d'une souffrance, ou d'un sentiment de manque. Non : il s'agit d'un sentiment d'être fondamentalement seule, séparée, tout en faisant partie du monde qui m'entoure. J'y vois un moyen de garantir ma liberté, mon indépendance d'esprit. C'est pour cela que Rilke m'est si cher. Parfois, il m'est arrivé de souffrir de me sentir différente dans des groupes sectaires, fermés, mais je préférais cette souffrance à leur conformisme débilitant à mes yeux. Je préférais me sentir seule que conformiste parmi ces gens.

    Connais-tu le livre de Jacqueline Kelen, L'esprit de solitude ? Elle y défend l'idée qu'on peut être avec les autres tout en préservant sa solitude. Une question : Peut-on vraiment être bien avec les autres si l'on ne sait pas être seul avec soi-même ?

    Merci pour ton passage. Belle soirée, beau WE:

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    1. "mais je préférais cette souffrance à leur conformisme débilitant à mes yeux" Oui, je le comprends tout à fait, Dad.
      Je ne connais pas ce livre dont tu parles, mais il me paraît intéressant dans ce que tu en dis. Je vais me le procurer.
      Belle soirée à toi aussi, Dad, et un beau week-end également.

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