Au fond d'une cour / vieille ville / Côme
L'antique Novum Comum se présente comme une ville élégante, à deux pas de la frontière suisse. Elle se trouve tout au sud du lac pittoresque, en forme de Y renversé, auquel elle a donné son nom, lac réputé pour ses demeures cossues, adossées aux montagnes qui plongent dans ses eaux d'un bleu intense. Bon nombre de Milanais nantis choisissent de s'établir dans les environs, occupant des propriétés souvent luxueuses, jalousement gardées par de hautes haies ou de solides barrières (leur métropole se trouve seulement à 50 kilomètres).
En période de migrations touristiques du Nord vers le Sud, Côme est une étape prisée. Les étrangers se pressent sur les quais et les terrasses. Ils flânent dans les boutiques du joli centre historique. Les places sont bondées. On y entend parler anglais, allemand, russe. Depuis quelques années, le lieu est particulièrement apprécié par la jet set, après que plusieurs stars du cinéma sont passées par là et que l'une d'entre elles s'est offert une résidence classieuse les pieds dans l'eau. Dans le centre-ville, le marché de l'immobilier se porte bien et les rénovations vont bon train, qui transforment les palais décrépis en lofts au design impeccable.
A l'extérieur des murs médiévaux, au-delà de tout ce luxe apparent, se cachent d'autres réalités : celles des anciennes fabriques laissées à l'abandon aux abords de la ville; celle des édifices publics défraîchis; celle des habitants locaux, faisant leurs achats à moins de dix euros sur les stands du marché (ici, c'est en italien ou en dialecte lombard qu'on s'exprime plus volontiers); celles des bénévoles œuvrant dans la basilique de San Abbondio, qui s'efforcent de valoriser leur patrimoine et d'en assurer l'entretien; enfin, aussi celle des mendiants, des nombreux mendiants qui sillonnent la ville (parmi eux : beaucoup d'Africains).
Débarqués au Sud de la Péninsule, attirés par l'aimant suisse, refoulés à la frontière de Chiasso, ils se retrouvent à errer dans cette Italie riche qui ne veut pas d'eux. L'autre jour : cet homme, un balai à la main, muni d'une pelle et d'une balayette, qui nettoyait un trottoir, enlevant consciencieusement les feuilles mortes et les papiers. A ses côtés, un écriteau et une petite coupelle : je nettoie la ville pour vous bénévolement. Merci.
La situation des migrants, en Italie comme ailleurs, est catastrophique. Après avoir surmonté les difficultés de leur longue traversée, ils se retrouvent utilisés et abusés dans les vastes exploitations agricoles, réduits à errer et à mendier dans les villes, trouvant parfois un peu d'aide de la part d'associations privées. Pendant des années, l'Italie et la Grèce, pays du Sud européen qui ont vu débarquer sur leurs côtes les plus grand nombre de migrants, ont demandé un soutien solidaire de la part de l'Europe. Sans succès. L'Europe n'a jamais réussi à mettre en place une gestion commune et cohérente des flux migratoires et les résultats sont là.
Le week-end dernier, nous ne sommes pas restés plus de 24 heures sur place. Le hasard nous a fait rencontrer plusieurs habitants du coin. Nullement des gens aisés : des actifs, désireux de bien faire leur travail, des indépendants, des restaurateurs, des artisans, des soignants. Des gens estimables, solidaires de leur entourage, fiers de leur région. Tous se disaient exaspérés par la présence des "stranieri" (entendez : "étrangers pauvres, réfugiés de la misère et de la violence"). Tous tenaient des discours de rejet et de repli identitaire. Sans leur poser la question, on pouvait deviner que ces braves gens - selon toute vraisemblance de bonnes et honnêtes personnes - avaient voté pour Salvini aux dernières élections. Ils avaient voté à droite, ou à l'extrême droite, parce qu'ils voulaient enfin chez eux l'ordre et la sécurité dont ils estimaient avoir besoin.
Sans doute signes de l'impuissance européenne à définir une réelle politique commune face aux phénomènes migratoires et face à la mondialisation, se dessinaient ces fissures sociales : d'un côté, les privilégiés (de quelque provenance que ce soit); d'un autre, les habitants locaux, Italiens ordinaires aspirant à leur sécurité et craignant de se voir déclasser; et enfin, il y avait aussi des gens comme cet homme, avec son balai à la main, qui ne désirait qu'une chose, en toute dignité : nettoyer pour pouvoir manger sans devoir tendre la main.
Je suis allée à Côme l'année passée à peu près à cette période. J'ai été effarée de voir le nombre de Chinois qui voulaient embarquer pour la fameuse croisière jusqu'à Bellagio. Je voulais la faire mais vu le monde et la queue, j'ai renoncé. Nous avons ensuite déambulé dans la ville. Et nous avons vu ce que tu décris. La politique européenne (et celle de notre pays également!) se dit impuissante face à ces flux migratoires. Vraiment? La population, face à des problèmes de cohabitation évidents, ne sait plus quoi faire et du coup, vote à l'extrême-droite qui croit que tout va s'arranger en prenant des décisions bien souvent très loin de ce qu'on entend par "humanitaire".
RépondreSupprimerOù est notre humanité dans ces drames? Ton texte m'a tiré les larmes. Car bien souvent tous ces migrants sont plus dignes que bon nombre de nantis.
Bises alpines dans le brouillard.
Bien sûr, au centre de l'Europe, la Suisse est bien placée bénéficier des filtres effectués par les autres pays et pour refouler hors de ses frontières. Elle n'est guère généreuse, loin de là. Etant double nationale, m'intéresse aux deux pays et, durant des années, j'étais affligée de voir comment on laissait le Sud italien (particulièrement pauvre) assumer les débarquements et la détresse africaine. Les appels à l'aide envers l'Europe ne donnaient rien, des accusés de réception, c'est tout. Parfois un journaliste français ou suisse descendait là-bas et dénonçait le sort réservé aux migrants dans les centres ou les exploitations éhontées par la mafia dans les cultures de tomates. D'un cynisme, et d'une mauvaise foi ! Subitement, l'extrême droite arrive au pouvoir, portée par la peur et l'exaspération des gens modestes qui se trouvent au front (sans jeu de mot) et "on" (souvent ceux qui se gardaient bien de porter la moindre aide extérieure) hurle à la méchanceté des Italiens qui ne veulent plus accueillir d'étrangers. Re-cynisme, re-mauvaise foi.
RépondreSupprimerTout cela me désole. J'aspire à un monde où l'on paierait les matières premières à leur juste prix pour que les pays africains puissent vivre de leurs richesses. J'aspire à un monde antigaspi où on n'abuserait pas des énergies et des ressources. J'aspire à un monde où l'on ne brandirait pas la peur du chômage quand il est question de ne plus vendre d'armes ou de taxer le kérosène.
Ce que j'ai vu l'autre jour à Côme et dans sa région m'a mise au bord du désespoir. C'était comme si toutes les contradictions se retrouvaient concentrées dans un micro système.
Ici, après une très belle aube aux couleurs pastel, la pluie est arrivée. Douce. Bénéfique. Je te souhaite une dissipation du brouillard pour bientôt. Bon dimanche.
Je relis ce texte et vos commentaires, je suis touchée de ce que vous dîtes. A croire que certains s'y retrouvent quand la situation dégénère et que les petites gens, désespérés, finissent par voter à l'extrême droite. Moi aussi, j'aspire à un monde où on paierait à un juste prix les matières premières afin que les pays exportateurs -africains et autres- puissent vivre de leurs richesses. Moi aussi, encore, j'aspire à un monde antigaspi où chaque ressource est précieuse, où on ne jette pas à tour de bras, c'est celui que j'ai connu enfant à la campagne où nous vivions très simplement et en quelques (je ne suis pas si vieille que ça) années, les choses ont beaucoup changé. C'est bien triste et je me demande quoi faire pour aller vers nos aspirations.
RépondreSupprimerBonne journée.
Chantal
Chère Chantal, je crois que vous posez vraiment la bonne question : que faire pour bien faire ? Déjà, le fait de se la poser montre qu'on est sur la voie d'une remise en question de nos comportements (consommer moins, mieux, local, tenter d'acheter des denrées respectueuses et issues du commerce équitable, ne pas céder aux discours publicitaires et ne pas prendre pour argent comptant toutes les sornettes qu'on nous débite, etc etc). Ensuite, nous sommes toutes et tous des citoyens, nous pouvons voter, signer des pétitions (ici, en CH, c'est monnaie courante), nous pouvons exercer des pressions. Il me semble que quelque chose est en train de se mettre en marche, un processus, une ouverture, une manière d'être plus "colibri" et moins "suiviste", un mode "être" et non plus "paraître". Il est important de croire à chacun de nos pas.
RépondreSupprimerMerci de votre précieuse visite.