La
femme racontait qu'elle allait fêter son anniversaire le lendemain.
Elle ajoutait que c'était une année pour rien, que c'était comme si
cette année n'avait pas existé. Gommée. Effacée. Une mesure pour rien.
Pourtant, durant toutes ces journées, trois-cent soixante-cinq très
exactement, le soleil s'était levé, le lac avait scintillé, et les Alpes
s'étaient apprêtées, parfois en rose parfois en blanc, les canards et
les nageurs avaient plongé, les enfants avaient joué, les chiens avaient
pissé sur les traces d'autres chiens, les pêcheurs avaient ramené dans
leurs filets toutes sortes de poissons argentés, il y avait eu des cris et des mots
prononcés, jetés sur les rives, des exclamations et (rarement il est
vrai) des vociférations, et toutes les fois que le soleil se couchait,
les regards s'attardaient avec admiration. Des oh! des ah! des c'est
beau!
Mais
pour la femme, tout cela ne comptait pas. Quelque chose lui avait été
pris, lui avait manqué qui avait éclipsé dans son corps et sa mémoire
toute la lumière de ces trois-cent soixante-cinq journées.
En l'entendant, on avait de la peine pour elle, vraiment, et pour tout ce que les manques subis lui avaient fait manquer.
Comment ne pas penser au célèbre vers de Lamartine :
RépondreSupprimer« Un seul être vous manque et tout est dépeuplé »
quel ciel ténébreux assombrit cette personne au point de ne plus rien voir.
Lamartine d'ajouter :
"Je parcours tous les points de l’immense étendue,
Et je dis : « Nulle part le bonheur ne m’attend. »"
Christophe a essayé de s'en sortir : il a crié Aline ! Pour qu'elle revienne
(sourire désolé au passage…)
Ce sentiment d'une année perdue qui tend à se répandre à l'approche de l'anniversaire de la naissance d'une pandémie…
On le comprend, et on se dit qu'on a de la chance de ne pas encore être sous Prozac… ni jeune, ni étudiant…
En ce qui concerne tes 2 dernières lignes :
SupprimerQu'est-ce qu'une année "perdue"? Qu'est-ce qui est "perdu" quand on énonce ce genre de sentiment ? Les frustrations subies justifient-elles de tout effacer ? Le paysage était si beau tandis que la femme tenait ces propos...
Que faire d’autre sinon écouter et compatir? Espérant que l’horizon s’éclaircisse et que le manque soit un peu moins présent!
RépondreSupprimerEntendre et tenter de comprendre... tout en admirant le lac splendide (et qui a été splendide pendant toute l'année écoulée)
SupprimerLe changement est abrupte, il est imposé, et génère des manques, des pertes. Les habitudes sont volées, la zone de confort – comme on dit – est remise en question et les repères disparaissent. Pourtant, les mouettes sont toujours là, le matin, et attendent le retour du pêcheur, poissons ou pas poissons ? Les chiens tirent sur leur laisse et les enfants jouent dans la cour de l’école. Mais la femme ne le voit plus. Même si elle regardait ces joies du quotidien, elle ne les voit plus, ne les ressent plus. Quelque chose s’est rompue. Si les conditions de vie ne permettent pas de remplacer les pertes par d’autres territoires à valoriser, lectures, relations numériques ou épistolaires, séries à regarder, ou toute autre activité à mettre en œuvre, alors on se retrouve bien vite devant un tas de débris, un tas de morceaux de regrets et rapidement d’amertumes. Même l’espoir peut être avalé dans cette peau de chagrins. Mais même, si cette femmes essaie d’effacer (couper - coller), la mémoire reste présente, à moins que ?
RépondreSupprimerGaspard
Oui, les choses ont changé abruptement. Oui, quelque chose s'est rompu. On peut alors se demander... qu'est-ce qui fait que certains élaborent des stratégies pour investir de nouveaux territoires et continuent de se sentir vivre et d'autres se retrouvent comme devant un trou, comme si on leur avait enlevé qqch d'essentiel ? Une question de ressources extérieures ? de vie intérieure ? d'attentes déçues ? d'énergies perdues ? (la femme devait avoir dans les 70 ans). Qui sait ? Nous ne sommes pas dans la tête ou dans la vie des gens pour savoir ce qui les fait réagir si différemment... Ce qui était surprenant, c'est cette annulation totale, comme si rien n'avait existé de positif, comme si rien n'avait existé tout court.
SupprimerMerci pour cet intéressant commentaire et belle soirée, Gaspard!