Maestro dei Mesi / Museo della Cattedrale / Ferrara
Il fallait t'y attendre.
Francesca Melandri, dont tu as lu la lettre plusieurs fois, cette voix qui te parvenait de ton pays, cette voix amie, t'avait pourtant avertie (cela semble être si vieux, déjà, il y a longtemps, il y a si longtemps, il y a pourtant à peine plus d'un mois) ses mots t'avaient prédit que tu prendrais du poids.
Depuis, il y a eu les recettes inratables que tu n'as presque pas ratées, les recettes classiques, les recettes interprétées, toutes ces recettes qui te faisaient voyager : les pitas bien dodues et celles qui ont refusé de gonfler, et les curries - tous les curries végétariens ou pas - qui t'emportaient vers de lointaines provinces indiennes, les felafels, dont les parfums t'ont ramenée dans la vieille ville de Jérusalem, les tajines qui te conduisaient tout droit jusqu'au Sud marocain, et les différentes sortes de
pasta, les lasagnes, les
canneloni aux
épinards et à la ricotta, les pizzas divines
agrémentées d'artichauts et de gorgonzola (avec ces dernières tu te retrouvais au cœur de soirées romaines, dans le quartier de Trastevere, il te
semblait entendre les cris et les rires qui fusaient de toutes parts) et il y a eu d'autres pâtes, et différents pains, les tartes fines aux asperges et celles aux champignons, et les desserts, les crumbles aux pommes et aux baies des bois, les
cinnamon rolls te rappelant ceux des cafés danois, les croissants, les
carrotcakes, les tartelettes au citron meringuées, sans oublier le fameux gâteau aux noisettes piémontais que tu prépares les yeux fermés. Oh oui, tu as pris grand plaisir à concocter ces mets, tu as vu du pays, tu as retrouvé mille souvenirs sous tes papilles, tu t'en es donné à cœur joie. Sans compter les herbes aromatiques que tu allais tous les soirs humblement quémander à ton jardin, menthe, romarin, thym, origan, que tu ramenais en fleurs dans ton tablier. Tout en pétrissant, en mélangeant, en assaisonnant, tu écoutais des émissions (certaines te distrayaient, d'autres te lassaient, à la fin tu préférais les chants qui parvenaient de la forêt). Cette occupation quotidienne et créative, banale et sublime a mis tous les jours du piment et du soleil dans tes journées, a enrichi les conversations, a rythmé tes soirées.
Il te faut à présent admettre les faits : question calories tu t'es surendettée et tous tes crapahutages à travers les champs et les bois n'y ont rien changé : ta ceinture exige à présent d'être desserrée. Pénible bilan. Et ton seul espoir à présent, c'est vraiment, vraiment qu'avec ce foutu déconfinement tu te trouves d'autres saines activités, d'autres challenges, d'autres projets. Ton corps, ton miroir et tes jeans les appellent de leurs vœux. Urgemment. Et ton mental lui aussi aspire à d'autres conquêtes, d'autres territoires et passe-temps.