A ressortir des armoires écharpes, gants vénitiens et bottines, à
observer la forêt pâlir, une âme en peine, chagrine, à
découvrir la vaste contrée blanche étendue chaque jour sous nos yeux, et le
bruissement et la danse des feuillages désolés, à admirer les envols et
les atterrissages de tout ce qui dans les environs porte plumage, se surprendre à rêver...
Rêver d'anciens trains pris très tôt le matin, l'annonce retentissant dans la gare de G. et les voyageurs transis, les yeux perdus dans leur buée, prêts à se ruer sur un premier café avant de replonger pour une heure ou deux dans les bras de Morphée.
Rêver d'une ville où l'on débarque, les reins un peu cassés, portés par une langue étrangère, et des cloches à toute volée, et des appels à remonter encore plus loin, encore plus à l'Est vers des capitales de l'ex-Yougoslavie où l'on voudrait tant partir, où l'on n'est encore jamais partis. Puis, le tangage constant sur le vaporetto, les yeux hallucinés, captivés par toutes les merveilles déployées, et le mental qui peine, qui tourne au ralenti et s'efforce de s'aligner sans parvenir encore à réaliser : trop de beauté.
On peut descendre dans une ville en bord de mer et sitôt après - c'est là tout le pouvoir de l'imaginaire - s'en aller illico presto toquer à la porte d'un
ancien château perdu au fin fond de la campagne toscane. Un logement nous attend là - il attend depuis la nuit des temps - et au centre de l'espace attendent de grands divans.
Se prendre alors à rêver de larges cheminées anciennes, avec leurs
manteaux, leurs frontons et leurs nobles jambages, leurs corbeaux aux
volutes entrelacées, et les coulées de suie que les années leur ont
dessinées, et les tas de bûches entassées face à des fauteuils
légèrement défoncés, les bagages ça et là dispersés et des tasses
fumantes de boissons chocolatées.
On jettera un regard songeur sur une pile de livres, qu'on traîne depuis des semaines et dont on ne sait pas s'ils nous feront tout le séjour ou un jour à peine. On passera ainsi de longues après-midis, à lire, peut-être, à méditer, sans doute, à rien faire, probablement (et à être satisfaits de ce manque de rendement).
Est-il possible de poursuivre son rêve sans rêver de marcher, marcher à pas cadencés, à travers bois et forêts, escaladant des pentes endormies, effleurés par des flocons qui hésitent à tomber, caressant le paysage qui se laisse dorloter, longeant de timides ruisseaux, surprenant par moments la fuite d'un oiseau ? Marcher, marcher encore, le chien sur les talons, jusqu'à en avoir les pieds cloqués, le regard égaré, rêvant, à mesure qu'on épuise cette longue balade, d'un grand, d'un immense bol de thé.
Juste avant de regagner notre gîte, il ne serait pas interdit de faire une halte à l'épicerie, troquet pourvu de mille délicatesses, tenu par une mamma bourrue, qui insiste pour nous faire tout goûter. Et par conséquent on goûte. On goûte et on se laisse tenter. On ressort pourvus de miels et confitures du coin, et pourquoi pas aussi d'une bouteille de bon vin, le rouge de ces contrées, trapu et fruité.
Enfin, comme tous les rêves ont une fin, on reprendra avec quelques regrets le chemin de ce qu'on nomme réalité. On traversera des montagnes qui nous reconduiront à notre véritable et indispensable maison, où l'on se lovera et on rêvera qu'on a rêvé. Mais, sitôt arrivés, on sera prêts à recommencer. Quand les précédentes sont loin derrière et les futures vraiment trop
loin devant, qu'il est doux de confier nos vacances à notre imagination.
*Merci à Xavier Dolan pour l'inspiration du titre