mardi 31 mai 2022

Vivre : still life / 114

 

Calamités entre toutes, pas question de les prendre avec des pincettes, car les tiques attaquent de plus en plus et de plus en plus tôt dans la saison. On commence à voir ça et là des panneaux signalétiques qui indiquent les zones infestées (pratiquement tout le pays : elles pullulent non seulement dans les sous-bois et les prairies, mais aussi en montagne jusqu'à 2'000 mètres). Leur prolifération serait due au réchauffement climatique. Quelque 14'000 personnes sont piquées chaque année, avec risque de borréliose ou pire : de méningo-encéphalite. Les autorités leur consacrent de plus en plus de sites. Cela dit, avec quelle tactique affronter ces pestes endémiques ?
Pour le chien, il y avait jusqu'ici le collier. Mais cette année, il s'est révélé inefficace : au retour de balades, on voyait frétiller sur son poil ces minuscules bêtes sans complexe. Sans compter quelques Draculettes surprises à s'abreuver sans vergogne entre ses flancs. Il a fallu trouver le moyen de déloger ces ingrates qui s'incrustent et passer au répulsif en gouttes. L'autre jour, traversant un pré, j'ai surpris deux intrépides qui grimpaient sur mes jeans pour exécuter leurs galipettes. Puis une autre, la vache, qui avait trouvé dans le pli de mon genou un endroit sympathique où donner de la tête. 
Être piquée, ce n'est pas grand chose, ça démange un peu. On déloge avec cet indispensable instrument en plastique, puis on désinfecte. Le problème, ce sont les risques potentiels. Il s'agit donc d'inspecter après la promenade, intervenir tout de suite au besoin, et surtout ne pas oublier de surveiller : si des halos se forment autour de la piqûre on serait bien inspiré de consulter vite vite et passer inévitablement par la case antibio...tiques.
Bon sang ! quelles pestes! quelles têtes à claques! (encore que, tout bien considéré, il est dans le monde - et surtout en ce moment - toutes sortes de parasites et d'envahisseurs bien plus toxiques, contre lesquels hélas aucun remède ou instrument ne semble pouvoir être mis en place).


lundi 30 mai 2022

Vivre : rien ou presque

 

En observant le paysage, je repensais à ce que dit l'écrivaine Ryoko Sekiguchi à propos du tofu : 
est-il réellement fade ou bien ne sommes-nous pas en mesure d'en apprécier toutes les subtilités ? 
ce qui nous paraît sans attrait met-il en évidence une absence de caractéristiques avérée
ou est-il plutôt révélateur de nos insondables insuffisances à déceler et à cerner ?

dimanche 29 mai 2022

Vivre : vices et vertus

 
Vénus accompagnée de trois putti (détail) / Botticelli (atelier?) / Petit-Palais / Avignon
 

Effarée et pensive, elle contemple ce qui semble relever d'une irresponsable avidité.
Impressionnée et admirative, elle suit les élans de ceux qui savent donner sans compter.   
 
 

samedi 28 mai 2022

Vivre : va vers ton risque

 
Dalle tenebre alla luce / Michele Balugani / Museo archeologico /Ferrara

Qu'importe les fats, les refus et les rebuffades,
suis ta route, va où tu veux, fais ce que tu dois.

vendredi 27 mai 2022

Vivre : définitivement provisoire

 

Le définitif, c'est le provisoire.
 
 
impermanence : accompagner les nuages dans leur danse

jeudi 26 mai 2022

Vivre : résistances

 
 Madone et enfant (détail) / Ambrogio Lorenzetti / Offices / Florence
 
eh bien non, pas question ! 
allez-y si vous voulez, mais moi, j'ai donné,
pas question de la quitter,
ma zone de confort. 
 

mercredi 25 mai 2022

Vivre : naissance

 

 
 rien de plus doux au levant que d'assister à une mise-bas
 


mardi 24 mai 2022

Vivre : tempêtes

 


Cesse de t'agiter comme les arbres.
Cesse de vouloir imposer tes volontés.
Cesse de vouloir changer ce qui est.
Trouve ton calme où il se love : en toi.

lundi 23 mai 2022

Vivre : nous sommes des roses, dirent les roses

 


 


L'autre soir, au fond du parc de San Martino A., elles me tendaient les bras. Ou plutôt : elles me lançaient des signaux, de véritables appels à la conversation. Je me suis mise à dialoguer avec elles. Je les trouvais exquises, toutes en délicatesse olfactive. Les yeux fermés, j'aurais pu les suivre à la trace.  Elles formaient des cascades saisissantes, déversaient quantité de notes sur le gravier et embaumaient de leurs fragrances les sentiers.
 
 
Il y en avait tant : je ne savais plus où donner des yeux et du nez. Et immanquablement, des passages du "Petit Prince" me revinrent en mémoire. Sa rose, sa déception face à la multitude - au moins cinq mille! -, comme si toutes étaient banalement dupliquées, son besoin de trouver la spécificité de sa fleur unique au monde :
 
Mais il arriva que le petit prince, ayant longtemps marché à travers les sables, les rocs et les neiges, découvrit enfin une route. Et les routes vont toutes chez les hommes.
- Bonjour, dit-il.
C'était un jardin fleuri de roses.
- Bonjour, dirent les roses.
Le petit prince les regarda. Elles ressemblaient toutes à sa fleur.
- Qui êtes-vous ? leur demanda-t-il, stupéfait.
- Nous sommes des roses, dirent les roses.
- Ah! fit le petit prince...
Et il se sentit très malheureux. Sa fleur lui avait raconté qu'elle était seule de son espèce dans l'univers. Et voici qu'il en était cinq mille, toutes semblables, dans un seul jardin !
"Elle serait bien vexée, se dit-il, si elle voyait ça... elle tousserait énormément et ferait semblant de mourir pour échapper au ridicule. Et je serais bien obligé de faire semblant de la soigner, car, sinon, pour m'humilier moi aussi, elle se laisserait vraiment mourir..."
Puis il se dit encore: "Je me croyais riche d'une fleur unique, et je ne possède qu'une rose ordinaire. Ça et mes trois volcans qui m'arrivent au genou, et dont l'un, peut-être, est éteint pour toujours, ça ne fait pas de moi un bien grand prince..." Et, couché dans l'herbe, il pleura. 
 

A dix ans, la tyrannique Mademoiselle R. nous avait bien expliqué la distinction entre une fleur apprivoisée et n'importe quelle autre fleur au monde. Je me souviens que j'avais bien intégré sa leçon : le lien qui fait toute la différence. Mais l'autre soir, je peinais à comprendre le petit bonhomme chagriné : la beauté des roses me paraissait tenir dans leur ensemble, leur capacité à faire corps, à se déployer en mille touches sur les murettes, les portails et les maisons. Une seule rose était certes importante, mais ne constituait que le fragment d'un grand mouvement, quand un rosier exubérant pouvait enchanter des ruines et leur conférer noblesse et élégance. L'effet de groupe m'est apparu dans toute son absolue souveraineté. Le tout est plus important que la somme des parties. Le prince blond de mon enfance m'est alors apparu rétréci, tout petit (et, quand j'ai dû quitter le jardin magique, je me suis sentie comme expulsée du paradis ).

dimanche 22 mai 2022

Vivre : boussole

 
Enfant lisant / Guido Musso / Pinacoteca / Asti

Fourvoyée ? Remonte en enfance. Retourne lire dans ton grenier.

samedi 21 mai 2022

Vivre : immersion

 

Est-il envisageable de se sentir seul, isolé, incompris dans la nature ? Non, assurément. La nature nous accepte maternellement, tels que nous sommes, nous accueille, nous inclut (on songe à ce mot étrange pour la qualifier, "environnement", étrange et incohérent). Là, un tronc couché offre un abri à mille insectes affairés. Plus loin, une branche arrachée continue de bourgeonner comme si de rien n'était. Ici, sous notre nez, tel arbuste refleurit avec la même constance chaque année. Plus haut, un coucou (suisse) donne l'heure sans compter. La nature est, ne cesse d'être et n'a que faire de frimer. Les seuls qui se pavanent, durant la brève saison de leurs amours, sont quelques coquelets. Le vivant tout entier ne cesse de nous appeler, et nous, souvent imbéciles, ne cessons d'en parler en termes d'exclusion, en êtres séparés.

vendredi 20 mai 2022

Vivre : nuances

 

La nuit, tous les chagrins sont gris.
Sont étain, sont de Payne.
Mais il arrive aussi que la nuit,
tous les chagrins sourient.

jeudi 19 mai 2022

Vivre : la dureté du verre

 
"Mindful Hands" / fondazione Cini / Venezia / 2017
 
Cet après-midi-là, mortifié, le lézard qui avait tenté durant de longues minutes d'attraper la mouche et s'était acharné, sans réaliser que l'insecte se trouvait de l'autre côté de la vitre, du côté où j'avais déposé mon livre pour l'observer, fascinée, mortifié, le pauvre, vexé au plus haut point, il se mit en S et garda la pose sous la lumière dorée jusqu'à ce que l'angélus eut cessé de sonner. 
Je venais quant à moi d'écouter un peu plus tôt comment les humains aussi se heurtent à des impossibilités, ces plafonds de verre qui font si mal tant qu'on ne les a pas identifiés et décidé de les affronter.

mercredi 18 mai 2022

Vivre : être et avoir

 
détail décoration à fresque / château / Fontanellato / Parme
 
 
Quelqu'un avait tracé à grandes lettres sur le mur : SOYEZ DES AMOURS!
Oh oui! soyons, ayons ! soyons et ayons. Être et avoir sans contradiction!
 

mardi 17 mai 2022

Vivre : l'art de la réussite

 
Portrait de Haesje Jacobsdr van Cleyburg / Rembrandt /Rijksmuseum / Amsterdam
 
C'est le B.A. BA et la première ménagère vous le dira :
il suffit d'un peu d'eau et de quelques gouttes de produit.
Agitez vigoureusement (le résultat tiendra à la force de vos bras)
Enfin, quand la mousse aura tout envahi, heureuse et ravie,
battez des mains (mais avec modestie)
Ainsi avec trois fois rien et beaucoup de vent
viendra le succès auquel vous aspirez tant. 


lundi 16 mai 2022

dimanche 15 mai 2022

Vivre : l'importance des choses qui n'en ont pas

 
 
Nier les fadaises.
Garder le cap.
Suivre sa voie.
Tourner le regard
vers ce qui a
vers ce qui fait
sens. 


samedi 14 mai 2022

vendredi 13 mai 2022

Vivre : cadeaux du ciel

 
Arbre Collier / Jean-Michel Othoniel / Château La Coste / Le Puy-Ste-Réparade
 
Pourquoi changer de lieu, pourquoi changer de paysage quand on peut changer d'horaire ? C'est sans doute ce que pense Mister P., le bougre, quand il vient secouer ses puces et ses médailles devant notre porte à l'heure où le coq n'a pas encore entrepris de chanter et, si j'aime faire partie de ceux qui  entendent le gallinacé en premier, ça ne m'empêche pas de bougonner. Cependant, à peine debout, à peine dehors, tandis que je bouscule quelques grappes de glycine encore endormies, mon humeur acquiert vite la roseur candide du ciel qui se déploie et berce le lac somnolent sur lequel quelques pêcheurs ondoient. 
Oui, pourquoi changer de paysage quand un autre paysage est là ? Les aubes ne sont jamais les mêmes, et ces aubes-ci, celles de ce printemps princier, ne seront jamais pareilles à celles de toutes les autres années.
Sur la route, les merles font du rase-motte. Ils jouent avec les pneus, nous défient, ignorent le danger. Nous croisons une voiture,
mal réveillée, puis une seconde, aux manoeuvres saccadées. Deux renards d'une belle robe mordorée nous coupent la priorité. Là-haut, tout semble ouvert, tout semble attendre. L'air embaume les mille parfums de mille herbes coupées. Les champs striés de colza, les longues bandes de feuillus, les parcours tracés, les chemins égarés, tous, oui tous, attendent que le dieu soleil daigne se lever. Au loin, tout au fond, un lac, un autre, plus petit, offre sa face mauve aux dernières étoiles oubliées par la nuit.
Nous marchons lentement, fendant sifflements et cris. Les épaules effleurées par des bourgeons vert vif, nous avançons parmi les brindilles. Nous glissons entre deux touffes nos pieds détrempés. Un papillon pas plus large qu'un pouce vient nous saluer. Un oiseau décrit des arabesques dans l'azur et, à le découvrir si gracile, si déluré, nous nous demandons s'il est le premier oiseau qui sache voler. Quoi de plus beau qu'un oiseau, seul, fendant l'aube épurée ?

Nous hésitons à redescendre, nous savons que la journée sera remplie de menues contrariétés, que des galettes seront trop salées, et des refus opposés, que des tracas viendront, que des mots ne viendront pas, nous savons tout cela, mais nous connaissons la valeur du moment savouré : derrière les sapins, un éclair écarlate, immense, triomphant vient de s'imposer. Ce jour sera une fête et la fête peut commencer. 
 

jeudi 12 mai 2022

Vivre : pleurer / pas pleurer

 
Auf Papier festgehalten_ Augen / Sonja Gangl / Musée Albertina / Vienne
 
 
La femme se plaint régulièrement d'un fastidieux problème oculaire : ses yeux secs rougissent, lui causent des démangeaisons, elle se frotte, voudrait expulser définitivement les maints corps étrangers qui semblent s'être introduits sous ses cils, et à la fin, éprouvée, elle finit toujours, pour obtenir quelques gouttes salvatrices, par courir consulter.
Contrairement à la femme, je vis un phénomène inverse depuis quelque temps : il m'arrive de me pencher et de relever la tête avec l'impression d'un surplus de liquide sous mes paupières. Rien de grave. Il n'en demeure pas moins étrange que, me courbant pour un motif futile, et n'éprouvant alors aucun sentiment particulier, les larmes qui surgissent font remonter en moi une tristesse inexpliquée.
Ce n'est pas l'émotion qui me rend triste à pleurer. Ce sont mes yeux humides qui charrient de la peine. L'expérience n'est pas destinée à durer. Et le chagrin, fugitif volatile, s'évapore entre mes cils incrédules.
 

mercredi 11 mai 2022

Vivre : mitonner

 
Escalier central (détail) / Château de Govone / Piémont
 

Contrariétés : comme en cuisine, faire de ces ingrédients un plat neuf, suave et engageant
 

mardi 10 mai 2022

Lire : comme un ciel en nous

 

 Il faudrait, je suppose, commencer par l'amour. Un sentiment comme un ciel en nous. Et comme un ciel, toujours changeant. p.53
 
MA NUIT AU MUSÉE est une collection à part. Les quelques livres que j'en ai lus frappent par leur qualité et leur ton. Ils invitent à pénétrer dans l'intimité de l'écrivain/e qui se livre à l'exercice. Il me faut absolument, me suis-je juré, lire toute la collection avant la fin de l'été (de quoi voir arriver sans désarroi les longues séries de jours pluvieux qui nous déboulent dessus durant la prétendue "belle saison"). MA NUIT AU MUSÉE, c'est une nuit, qu'un écrivain/e passe seul/e dans un musée célèbre, ou dans une salle de ce musée, ou devant une œuvre précise du musée concerné. Cela parle donc un peu d'art - très peu pour certains, pas mal pour d'autres, avec négligence, ou ironie, ou intelligence, selon l'intérêt de l'auteur concerné. Mais, par-delà ce rapport avec l'art, son histoire et son exposition publique, ce qui est frappant, c'est le retour aux origines qu'opère celui ou celle qui accepte de se laisser enfermer dans la solitude de la nuit. Les narrations contiennent des confidences étonnantes, parfois poignantes. Ils révèlent des retours sur soi désarmants de sincérité. On sort du livre au moment où l'artiste écrivain sort de sa prison culturelle. On prend congé de lui toujours un peu à regret, souvent devant un café, comme on quitte sur un quai un passager particulièrement attachant après un trajet passé à converser.

(il me vient à l'esprit que le prochain livre de la collection, je devrais le lire durant une nuit, pour mieux mettre mes pas dans les pas de son auteur)

Bien sûr, on a beau savoir que l'expérience nocturne, ces quelques heures plongées dans l'obscurité et l'étrangeté, n'ont pas donné lieu à l'écrit qu'on parcourt, on a beau savoir que le livre s'est rédigé sur une certaine durée, longtemps après (et peut-être même longtemps avant, lors des préparatifs de cette excursion), ce qui frappe, c'est le retour sur soi et sur des réalités intimes que semble avoir déclenché le projet.
 
Le Louvre est la première ville française où je me suis senti chez moi, disait mon père. p.18
 
Que transmet-on à sa fille, sa fille unique, quand on a renié son passé ? Quand on a pu ou cru pouvoir se réinventer, dans un autre pays, une autre langue ? Mon père m'emmenait au Louvre. L'histoire de l'art est une histoire de fantômes pour grandes personnes, me disait-il. p.34
 
Dans ce récit, Jakuta Alikavazovic s'apprête à traverser quelques heures d'insomnie dans l'aile Sully du Louvre, au pied de la Vénus de Milo. Dans ce récit, "et toi, comment t'y prendrais-tu, pour voler la Joconde ?" est une interrogation qui revient en boucle (j'ai compté : elle apparaît neuf fois). Dans ce récit, il est beaucoup question de vol, d'usurpation, de légitimité. Il est beaucoup question d'exil, celui que l'on vit, que l'on porte sans cesse en soi. Il est aussi beaucoup question de droit : comment conquiert-on un droit d'appartenance? le sentiment de l'exil finit-il  un jour par se détacher des êtres qui ont dû partir, tout quitter pour un rêve de monde "meilleur"? On a beau avoir tout juste, avoir fait ses preuves, parler une nouvelle langue avec un vocabulaire châtié, être parvenu à force d'efforts à se faire bien voir, n'est-on pas toujours menacé d'expulsion, ne vit-on pas toujours dans la crainte d'être démasqué, n'éprouve-t-on pas toujours le sentiment d'évoluer sur le fil du rasoir
 
Dans ce récit, il est question d'art : d'art antique, d'art classique et d'art contemporain. L'autrice bénéficie d'une belle culture et nous la partage avec brio. Elle fournit d'intéressantes anecdotes ( sur le vol de la Joconde en 1911, sur les signatures que Corot apposait volontiers pour donner de la valeur aux croutes de certains amis). Elle avance de pertinentes réflexions (sur la restauration des peintures, par exemple). Pour évoquer son entrée dans l'âge adulte et le nécessaire éloignement de son père, si attaché à la culture classique, elle raconte sa passion pour l'art hors les murs, l'art hors musée et évoque des œuvres du Land Art comme Spiral Jetty de Robert Smithson, The lightning Field de Walter de Maria, les ouvertures de James Turrell
 
Dans ce récit, bien sûr, il est essentiellement question d'une fille et de son père, originaire du Monténegro :
 
Il ne voyait pas le mal dans le monde parce qu'il refusait de le voir. Peut-être n'était-ce pas conscient; quelque chose en lui, disons, refusait de le voir. Pour cette raison, il m'a semblé parfois que c'était moi l'adulte et lui l'enfant. p.60-61
 
Lorsqu'on quitte tout, lorsqu'on trouve la force en soi de se lever et de partir, de quitter son pays, sa langue, sa famille, comme l'a fait mon père, pour se réinventer, pour être à la fois son propre parent et son propre enfant - puisqu'on s'élève seul sur une terre étrangère, puisqu'on s'apprend à vivre -, lorsqu'on quitte tout, l'histoire qu'on se raconte et qu'on raconte à ses enfants est celle d'une table rase.
 
La fille décrit ce père de manière magnifique, un père dont on devine qu'elle ne l'a pas toujours compris (mais connaît-on jamais vraiment son père ?), pas toujours approuvé, pas toujours suivi, mais qu'elle l'a finalement retrouvé et on pressent que ce livre est une manière de lui rendre hommage à la hauteur du lien qui les unit. Une déclaration d'amour de fille unique à un père unique (et le prix Médicis Essai obtenu a dû être le plus précieux des trophées pour ce géniteur ainsi reconnu). 
 
(il est aussi question d'un élégant sac de voyage en toile et cuir, d'un carré de nougat, de chaussettes en lurex doré et d'une enfant dont une institutrice avait prédit un jour : "cette petite ne parlera jamais français", une prédiction qui s'est révélée aussi sotte qu'irrémédiablement fausse)
 
En résumé, Comme un ciel en nous est un livre merveilleux, éclectique, enrichissant et surtout : une des plus belles lettres qu'un père puisse rêver recevoir. Un livre qu'on lit, qu'on relit, et qu'on sera sans doute amenée à relire sans qu'il se laisse épuiser.
 

A propos de la collection MA NUIT AU MUSÉE , un précédent billet ICI


lundi 9 mai 2022

Vivre : grains à moudre

 
Vierge / Jean-Pancrace Chastel / Musée Granet / Aix-en-Pce
 
Il s'agirait, dans ce monde fou et consternant, il s'agirait peut-être et seulement - et ce serait déjà un grand pas en avant - d'apporter un petit quelque chose - pas grand chose - juste de mettre son grain de sucre dans tout ce foutoir. Que chacun ajoute sa petite dose de saccharose - une main, un mot, un soutien - pour qu'avec cette accumulation de minuscules contributions le monde consente à tourner un peu plus rond.

dimanche 8 mai 2022

samedi 7 mai 2022

Vivre : loupages

 

Nature morte à la tourte entamée / Pieter Claesz / MBAA / Besançon
 
J'ai raté mon gâteau. Bien cramé à l'extérieur, il lui manque la blondeur appétissante de certaines sorties pleines de panache. Une cerise, là, tombée où il ne fallait pas, forme une tache noire sur le biscuit. De plus, tout au milieu, à l'intérieur, la pâte est restée liquide, elle n'a pas pris. J'ai raté mon gâteau, évidemment. Et pourtant, en mordant dedans, en avalant une, puis deux bouchées, j'ai du plaisir à déguster. Je savoure les noisettes, et les myrtilles, et les tronçons de rhubarbe rougie, et ce petit arrière-goût de vanille. J'ai raté mon dessert, c'est sûr, mais rater, n'est-ce pas le prix à payer pour tenter sans recette, pour se lancer sans mode d'emploi, pour mettre au point une pâtisserie qui change de l'ordinaire ?
L'espace d'un instant, dépitée, j'avais oublié combien il est plus aisé de réussir quand on s'efforce de suivre à la lettre, point par point, les dosages et les instructions fournis, quand on se plie et qu'on suit.
Le prochain gâteau sera sans doute un peu moins raté. En attendant les prochaines expériences, celui-ci sera mangé, jusqu'à la dernière tranche. Les avis divergent, mais chacun s'accorde sur un point : les choses peuvent être tout à la fois ratées, moches et douces au palais.

vendredi 6 mai 2022

Vivre : en un mot comme en cent

 
Entrée du baptistère  (détail David) / Place des Miracles / Pise
 
complexes, certaines situations, mais on réalise qu'on a compris
- enfin, vraiment -
quand on peut réduire les choses à leur plus simple expression

jeudi 5 mai 2022

Vivre : drôle de zèbre

 



Ces derniers temps, on voit fleurir dans le ray-grass d'Italie de drôles d'éléments mal identifiés.
Il m'arrive de m'inquiéter : se pourrait-il qu'un jour on retrouve dans un ballot notre impulsif  Mister P. ?





mercredi 4 mai 2022

Vivre : face au problème

 


Perplexe, on s'interroge, on s'agite, on cherche en vain 
Et c'est toujours à la der des der que l'illumination vient...

mardi 3 mai 2022

Vivre : céder au CV (ou pas)

 

Jh présenté par Vénus aux sept Arts libéraux / Botticelli / Le Louvre / Paris
 
Elle se refuse à être identifiée par son métier, à ne vivre que pour exceller dans ce domaine, à ne fréquenter que des gens de ce milieu. Elle dit qu'elle n'est pas que cela, que réussir à ce prix, c'est chèrement, c'est cruellement payer. Elle ajoute : "et si un jour je devais perdre mon emploi, qu'est-ce que je deviendrais, que resterait-il de moi ?" A la recherche de compromis, elle accepte et décline tour à tour des invitations. Elle se méfie des cases et des enfermements. Elle veut être reconnue comme une bonne professionnelle, mais elle renâcle à être perçue uniquement en tant que telle. Ses attentes, ses possibilités vont largement au-delà. 
D'où ses questionnements : d'où vient cette nécessité d'évoluer dans un monde qui nous ressemble et auquel nous voulons tant ressembler au point qu'on ferait tout pour se conformer, à travers nos relations, nos consommations, nos habitations ? quelle nécessité de tendre constamment vers la consanguinité sociale ? pourquoi avons-nous tant besoin de miroirs rassurants ?
Elle ajoute :... quelle place pour le risque, pour s'aventurer vers ce qui semble étranger, pour les pas de côté, pour la créativité... ? Elle se penche sur son verre et semble pensive... elle répète : la créativité... 


lundi 2 mai 2022

Vivre : élucider

 
Abbaye de Silvacane
 
 donner du temps au temps
permettre l'ouverture
laisser le jour se faire jour

dimanche 1 mai 2022

Ecouter / Lire : Rosa et l'oiseau

 
Madonna dell'Arancio (détail) / Cima da Congliano / Accademia / Venezia
 
Il y a des émissions qu'on découvre et d'autre qu'on retourne écouter, en partie ou en entier, selon les besoins, un peu comme on retourne à une lecture aimée ou dans un lieu qui nous a impressionnés. Bénis soient les podcasts. L'autre jour, j'ai réécouté l'émission Une journée particulière, dont Anouk Grinberg était l'invitée. A un certain moment, elle a lu une lettre de Rosa Luxemburg adressée à son amie Sophie Liebknecht, durant sa détention (R.L. a été emprisonnée à plusieurs reprises au cours de son existence. La période d'emprisonnement la plus longue, à la fin de sa vie, date de juillet 1916 à novembre 1918. Durant cette période, sa correspondance, les rares visites étaient ses seuls liens avec le monde extérieur. Les missives adressées à ses amies révèlent une facette différente de la théoricienne socialiste combattive : elle s'y montre proche du vivant, attentive aux plus petits êtres qui l'entourent, une écologiste avant la lettre pourrait-on dire).
Ma Sonioucha chérie, votre chère lettre est arrivée au bon moment hier. Elle et le soleil qui brille depuis deux jours ont fait tant de bien à mon âme blessée. Ces derniers jours mon cœur souffrait beaucoup, mais maintenant, ça ira mieux.Si seulement le soleil voulait bien rester encore un peu. C'est ainsi, je suis dehors pendant presque toute la journée. Je flâne au milieu des buissons, j'examine chaque petit recoin de mon petit jardin et j'y trouve toutes sortes de petits trésors. Hier, j'ai rencontré devinez qui? un papillon citron, tout neuf, étincelant, j'en ai été si heureuse que mon cœur a fait des bonds. Il est venu se poser sur ma manche. Je portais un gilet mauve. C'est surement la couleur qui l'a attiré, puis il a batifolé dans les airs et s'est envolé par-delà le mur. Mais... je dois sans doute être malade pour que tout me bouleverse si profondément. Ou alors... savez-vous ce que c'est ?
J'ai parfois le sentiment de ne pas être un vrai être humain, mais plutôt un oiseau ou quelque autre animal qui aurait très vaguement pris forme humaine ; au fond de moi, je me sens bien plus chez moi dans un petit bout de jardin comme ici, ou dans la campagne, entourée de bourdons ou de brins d'herbes, que dans un congrès du parti. A vous, je peux bien dire cela tranquillement : vous n'irez pas tout de suite me soupçonner de trahir le socialisme. Vous savez bien qu'au bout du compte, j'espère mourir à mon poste : dans un combat de rue ou au pénitencier. Mais mon moi le plus profond appartient plus à mes mésanges charbonnières qu'aux 'camarades'. 
Anouk Grinberg a publié aux éditions de l'Atelier, en 2009, une sélection de lettres de Rosa Luxemburg, que l'on peut lire ou écouter, puisqu'elles sont accompagnées d'un CD. L'actrice a aussi fait des lectures publiques de cette sélection (un enregistrement d'une émission de France Culture est disponible ICI). A propos de cette expérience théâtrale, la passionnante et passionnée Anouk a dit : 
"C'était comme un acte civique. Et j'ai vu tant de gens pleurer, tous bords confondus, comme si d'un coup fondait en eux tout ce qui avait gelé. Mais que pleurons-nous ? Rosa ? Cette amie qu'on rêverait tant d'avoir ? Son assassinat ? Nos vies ? L'étouffement de nos rêves et de nos sentiments ? Ce que le XXème siècle a fait à l'humanité ? Ce que la politique est devenue ? C'est tout ça, mais c'est aussi l'inverse. On pleure de retrouver ses forces, on pleure d'être rendu à soi-même. C'est comme une contagion heureuse : on aime à nouveau. On voit." 
Être une intellectuelle visionnaire, voir grand et penser large. Se réjouir du tout-petit et se concevoir comme une particule. Rosa Luxembourg, mésange révolutionnaire, portait tout cela en elle. D'où la beauté de ces lettres qu'Anouk Grinberg restitue avec fougue et sensibilité.