mardi 30 juin 2020

Vivre : retenir


Les Héros grecs tirant au sort les captifs (détail) / Paulin Duqueylard / Musée Granet / Aix-en-Pce

à la fin de journées belles et denses, savoureuses, bienheureuses,
sentir parcourir dans nos veines une envie folle de figer ce temps
qui court impatient, qui file insolent entre nos doigts impuissants...

lundi 29 juin 2020

Lire / Ecouter : quand le voyage vous fait (ou vous défait)



L'autre soir, Laure Adler recevait Chantal Thomas, à l'occasion de la sortie de son dernier livre, "Café Vivre". 
"On peut lire "Café Vivre" comme un journal de voyage, si l'on croit que chaque matin contient une occasion de départ et une chance d'aventure, émotive, intellectuelle, la recherche d'une certaine qualité de vibrations".
A cette occasion, l'écrivaine a évoqué son amour pour les voyages - tous les voyages, géographiques, historiques, amoureux. Elle a parlé aussi de son goût particulier pour les cafés, avec tout ce qui peut s'y vivre. Elle a dit son admiration pour Patti Smith, et, quand on a lu "Mister Train", on devine qu'elle partage avec celle-ci, entre autres choses, une passion immodérée autant pour les cafés (boissons) que les cafés (lieux). Elle a ajouté qu'elle se sentait de plus en plus proche de Nicolas Bouvier, qu'elle cite en exergue de son dernier livre :
Le temps passe en thés brûlants, en propos rares, en cigarettes, puis l'aube se lève, s'étend, les cailles et les perdrix s'en mêlent... et on s'empresse de couler cet instant souverain comme un corps mort au fond de sa mémoire, où on ira le rechercher un jour. On s'étire, on fait quelques pas, pesant moins d'un kilo, et le mot " bonheur " paraît bien maigre et particulier pour décrire ce qui vous arrive.
Finalement, ce qui constitue l'ossature de l'existence, ce n'est ni la famille, ni la carrière, ni ce que d'autres diront ou penseront de vous, mais quelques instants de cette nature, soulevés par une lévitation plus sereine encore que celle de l'amour, et que la vie nous distribue avec une parcimonie à la mesure de notre faible cœur.  [L'usage du monde /A Erzerum, p.112]
Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait. [L'usage du monde / A Zagreb, p.10]
Des citations bienvenues en cette saison de post-confinement et de départs entrevus, des phrases que j'ai dégustées rêveusement en sirotant ma tasse (de café). Et puis, comme l'a exprimé parfaitement Chantal Thomas :
Ce qui me frappe beaucoup, c'est la vitesse, la vitesse d'un TGV, mais qu'est-ce qui est gagné ?... Ces vitesses actuelles sont des vitesses numériques. Ce ne sont pas des vitesses que notre corps accompagne. Je pense que jouir du moment, c'est être soi, et être avec son corps, et ce n'est pas nécessaire que quelque chose d'extraordinaire se produise... mais il y a le sentiment d'une certaine élasticité, une certaine douceur de soi...
Du coup, il m'a fallu descendre impérativement à la cave dénicher mon exemplaire gondolé de l'Usage, pour en relire quelques passages, histoire de suivre Nicolas Bouvier dans son monde et de réinventer l'usage du mien.



dimanche 28 juin 2020

Vivre : renversements

Araignée accroupie / Louise Bourgeois / 2003 / château La Coste / Le Puy-Sainte-Réparade

Il riait parce qu'il croyait qu'ils ne pouvaient pas l'atteindre - il ne s'imaginait pas qu'ils s'exerçaient à le manquer.
(Citation de Brecht, que Paul Watzlawick reprend dans "Une logique de la communication" en tête du chapitre " La ponctuation des faits")

Il est tellement sûr d'être indispensable. Sait-il seulement qu'on lui rend service en le sollicitant ?
On a vraiment le sentiment de lui faire plaisir. Sait-on seulement ce qu'elle nous donne en acceptant ?





samedi 27 juin 2020

Lire / Regarder : les pas hésitants de l'amour



Pendant que je m'installais au comptoir, j'ai commandé sans attendre : "Des haricots fermentés au thon, des tiges de lotus frites, et des échalotes au sel s'il vous plaît!" pour entendre presque simultanément le vieux dos fatigué énoncer : "Échalotes au sel, tiges de lotus frites, haricots fermentés au thon! Tout en me faisant la remarque que nous avions les mêmes goûts, je l'ai observé tandis que lui aussi se tournait de mon côté.

Trente années les séparent. Elle est une jeune femme indépendante, pas vraiment rangée. Elle le décrit comme un vieillard. Ils s'étaient rencontrés vingt ans auparavant. C'est lui qui la reconnaît et l'aborde dans le petit troquet où ils ont leurs habitudes. Il lui rappelle qu'elle a été son élève au lycée où il enseignait la littérature (une très médiocre élève). D'elle, on sait seulement qu'elle travaille dans un bureau. Le travail dans leur vie, comme dans les films de Rohmer, ne joue qu'un rôle très secondaire. Ils finissent par se croiser, au hasard des soirées, de plus en plus souvent. Ils boivent ensemble énormément de saké, pas mal de thé, rarement du café. Leurs points communs sont la nature (la pluie, les arbres, les fleurs, les orages) et surtout la nourriture. Ils sont de fins gourmets, réunis par les même goûts culinaires. A les entendre énoncer, soir après soir, la liste de leurs commandes, on se prend à saliver, même si l'on sort d'un bon dîner.
Il leur arrive une multitude de petites et grandes aventures et c'est souvent à travers de menus détails qu'on devine l'intensité progressive de leur lien. Il lui apprend, il la surprend, et, contrairement à ce qu'on pourrait croire, durant leurs excursions c'est toujours lui qui marche devant.
Leur histoire, adaptée en BD par Jirō Taniguchi, fait partie de ces lectures doudou, qu'il fait bon déguster en cas de bobo de toute nature, qui savent vous consoler et vous éviter bien des cauchemars.
Le roman de Hiromi Kawakami, publié au Japon en 2001, je l'ai parcouru récemment au bord d'une piscine, tandis qu'un crapaud qui s'était invité sans façons dans son eau vert amande émettait un croassement intermittent. Le mangaka a réalisé un ouvrage très original et en même temps très fidèle à l'écrit, lequel dépeint en touches subtiles les mouvements des cœurs et des corps. Ainsi, parcourant le livre, il me semblait voir se déployer sous mes yeux les dessins délicats des albums découverts il y a dix ans. Je lisais des mots et je découvrais des images, avec les oiseaux, les grillons, le batracien et le clapotis en fond sonore.
"Les années douces" se savourent comme un sirop grenadine, avec le plaisir incomparable et renouvelé des belles histoires bien racontées, avec la nostalgie, aussi, de toutes les amours dont on connaît la fin (dont il ne faut rien révéler).

vendredi 26 juin 2020

Vivre : le ciel bleu derrière les nuages


Clouds / Gerhard Richter / Fondation Beyeler / Bâle

La délivrance : quitter les automatismes pour la conscience.
 

jeudi 25 juin 2020

Vivre : sur le même bateau

Les Héros grecs tirant au sort les captifs (détail) / Paulin Duqueylard / Musée Granet / Aix-en-Pce

Des flots d'incertitude, des flots vraiment, une impression de naviguer à vue, malgré toutes les mises en garde et les remises en route, sur une mer qui ne pourra plus être comme avant. Une impression de comprendre, au plus profond de soi et comme jamais, le sens du mot impermanent. Se sentir fragiles face à tous les éléments. Tanguer, parfois, s'interroger, souvent, et malgré tout, aller de l'avant.

mercredi 24 juin 2020

Voyager : rencontres passagères



Dans la cathédrale Saint-Sauveur le gardien tient à garder votre chien pour vous laisser le temps. Deux dames sans âge débitent de fumeux messages. On salue tout bas Froment, ses personnages, son magistral talent. Les voix se tamisent tandis que les regards balaient le mystère. La lumière tombe d'on ne sait où. L'ombre caresse et paresse. Le Christ prend la poussière sans pour autant se froisser. Le temps semble s'être arrêté. La vie palpite et quelque chose d'immense vous éclate en plein cœur. Est-ce la joie, la pure joie, qui vous saisit, dans le miracle assourdissant de cet imposant silence ?







Vue du baptistère 
Le Christ ressuscitant / Honoré Pellé
Le martyre de Saint-Mitre (détail donateur) / Nicolas Froment)
Le roi David (détail) / Charles Desbordes

mardi 23 juin 2020

Voyager : la belle larguée



Ombre et lumière sur la ville déserte, beauté délaissée, mariée désemparée, plaquée sur le parvis, oubliée. Les rares passants ralentissent, les commerçants se languissent. Peu de rencontres sur les places, pas de Rencontres en face à face. Reste la splendeur décatie de ses impassibles impasses, les rues écrasées d'attente, les tags qui racolent des regards goguenards, les vitrines qui se morfondent et se lassent et attendent leurs habitués aux abonnés absents. Ombre et lumière sur la ville orpheline, un rien chagrine, muselée, enfermée, fermés les musées, et tellement désolée, qu'aucun festivalier ne vient consoler.






lundi 22 juin 2020

Regarder : l'amour, partout


Intérieur du pavillon Four Cubes to Contemplate Our Environnement / Tadao Ando / Chateau La Coste / Le Puy-Ste-Réparade

En sortant du pavillon, je traversai des murs de facétieuse lumière, respirant le soleil, les chants, les brindilles, j'allais au-devant d'un monde tout vert qu'aucun autre visiteur ne venait perturber. Soudain, dans l'herbe, j'ai aperçu un papier, curieuse découverte dans ce monde ordré, où nulle branche à terre ne semble être tombée par hasard. Je me suis penchée, m'attendant à une étiquette d'horticulteur, et j'ai lu : l'amour est partout. 
La missive était tombée d'un Wish Tree de Yoko Ono. Cela m'a paru de bon augure pour entamer la semaine. J'ai ouvert les yeux plus grand. Aux arbres alentour étaient suspendus d'autres messages, d'autres vœux que le soleil avait délavés et qu'il devenait malaisé de déchiffrer. Difficile de savoir quels désirs plus ou moins secrets y avaient été déposés les jours précédents. J'ai sorti un stylo de ma besace et j'ai noté sur l'un d'eux ma devise : it's now or never. 
En effet, si pas maintenant, juste là, maintenant, alors quand ?
Trois jours plus tard, de retour sur ce site apaisé, béni des dieux et préservé de tous les orages de la terre, le message était toujours lisible, pâle, mais lisible. Peut-être que des inconnus, passant par là, s'en étaient trouvés inspirés, s'étaient mis à respirer doucement, à expirer, à ralentir au cœur de ce monde émeraude, à en absorber toute la scintillante présence, qui sait ?


Yoko Ono a eu l'idée de ces Wish Trees depuis 1981, peu après la mort de John Lennon. Depuis lors, elle a recueilli tous les souhaits, qui s'élèvent actuellement à plus d'un million. Ils sont conservés et stockés dans le puits à souhaits de la tour Imagine Peace  sur l'île Viðey en Islande.

lundi 15 juin 2020

Voyager : en vadrouille


Publicité Fiat 500 / photo tirée du net

Certains jours, aimantée par le Sud, ma voiture bifurque à gauche devant l'ancienne boulangerie, file droit devant l'église et la supérette, salue au passage deux chevaux jaunes, trois ruches et une dizaine de cerisiers, pirouette devant la 4x4 noire Deluxe qui amorce un parcage, puis, s'étant pliée aux limitations d'usage, vrombit en quête de découvertes ...

dimanche 14 juin 2020

Regarder : les ombres, le vide, l'absence


Ville d'Orleans / 1950 / Fine Arts Museum of San Francisco

La maison du capitaine Kelly / 1931 / Whitney Museum of American Art / New York

Hopper peint des maisons assez âgées pour raconter des histoires, ou éveiller des sensations et des souvenirs enfouis. La question de savoir si ce sont de bons ou de mauvais esprits qui habitent ces bâtiments demeure en suspens.
Edward Hopper / Légende de l'exposition / Fondation Beyeler

Dans les toiles de Hopper, il fait jour, mais c'est comme si c'était la nuit. Il ne se passe rien, mais on s'attend au pire. Une sourde angoisse monte. Un sentiment de malaise. Des stores baissés, une absence totale de communicabilité. Les yeux se perdent vers un avenir qui ne vient pas. Les horizons semblent bouchés, les perspectives (et la perspective) déglinguées. Le noir côtoie l'acidulé.
Dans les toiles de Hopper, les ombres menacent. On pressent (on fabule?) un danger. On cherche en vain un lieu où se poser. Le regard scrute, déstabilisé, désespère de trouver une ouverture, une porte, une rencontre, une invite à entrer.

Cage d'escalier / 1949 / Whitney Museum of American Art / New York

(dire que pendant une bonne décennie la mode était aux couvertures de livres qui reproduisaient une toile de ce peintre. Dire que ses œuvres poussaient à lire. Ou du moins : à acheter.)
(aimer ou ne pas aimer Hopper n'est pas la question. Devant ses toiles, observer et laisser monter les impressions. Et puis chercher ce qui, dans la palette, la composition, le rendu suscite nos attractions et nos répulsions. Car il faut l'admettre : Hopper laisse rarement indifférent.)

samedi 13 juin 2020

Vivre : les brumes de juin



M'acheminant vers le musée, m'apprêtant à des face-à-face pas forcément faciles, avec des toiles pas forcément douces ou attractives, et avant cela, me préparant à zigzaguer, à contourner, à éviter, je pensai à cette étrange période où il semble devoir tout réapprendre : refaire certains gestes, redire certaines phrases, récupérer certains comportements, comme s'ils avaient été égarés depuis très longtemps. Et le tout en léger décalé, comme si quelque chose de ténu, mais de fondamental avait été modifié.

vendredi 12 juin 2020

Lire : dans la lumière des saisons



Il est des écrivains que je préfère entendre plutôt que lire. Leurs paroles, leur histoire me parlent infiniment plus que leurs œuvres. Souvent, enthousiasmée par une interview, je me rue sur un de leurs bouquins et je finis par l'abandonner, parce que je n'y trouve pas la vivacité, ou l'humanité ou le style qui m'avaient charmée à l'oral. 
Il y a quelques années, ayant entendu Charles Juliet converser avec François Busnel, j'avais trouvé l'homme très sage. Sa vie, me semblait-il, était terriblement romanesque et émouvante. Peu après, je m'étais empressée de me procurer un de ses ouvrages. Je me souviens de mon enthousiasme en sortant de la librairie Kleber. Hélas, l'écriture m'était apparue conformiste et fade. A tel point que je ne me souviens pas du titre (peut-être était-ce un de ses journaux ?) Profondément déçue, j'avais confié le bouquin à la caisse aux échanges du village en lui souhaitant d'être mieux compris ailleurs.
Là, à quelques années de distance, je viens de parcourir Dans la lumière des saisons, un opuscule dans lequel C.J. s'adresse à une amie lointaine par le biais de quatre lettres. Une rédaction pour chaque saison.
Le style est sans doute toujours la même, simple et classique. L'inspiration autobiographique. Ce n'est pas une écriture destinée à bousculer les conventions, ni à suivre une quelconque tendance, ni même, je crois, à émerveiller. C'est le travail d'un écrivain posé, enfin apaisé, déterminé à creuser et décrire ce que c'est que l'existence, de la manière la plus précise et la plus accessible qui soit.
Dans la missive estivale, il transmets à son amie des notes qu'il vient de retrouver. Ces quelques écrits, épurés, tamisés, frappent par leur profondeur et leur beauté :

Pour ne pas meurtrir
ce silence où germent mes mots
où que je sois
je parle bas.

Toute intention tout vouloir
empêche l'inconnu de se révéler.

Il est tant de refuges
tant de manières
de fuir d'éluder
de déserter la vie.

Ceux qui haïssent leur moi
mais ne peuvent s'en libérer.

Vie sauvage tumultueuse imprévisible
Par peur qu'elle nous entraîne
là où nous redoutons d'aller
nous nous empêchons de vivre.

J'ai trop voulu
ne pas vouloir.

Ce que je vis
n'est pleinement vécu
que si je le mets en mots.


 P.O.L, 1991.


jeudi 11 juin 2020

Vivre : éclaircissements




There is a crack in everything, that's how the light get's in.
Leonard Cohen // Anthem 

Il arrive que certains soirs, après des heures et des heures de pluie, la voix du divin Leonard plonge sur nos dépits,
vienne à point nommé nous dire des choses oubliées, pourtant capitales : We asked for signs and the signs were send...

mercredi 10 juin 2020

Vivre : le monde miroir


Deux tétrarques / place Saint-Marc / Venise

Que le monde ne soit pas ce qu'il est, mais ce que nous sommes est chose évidente.
Et les gens que nous rencontrons, qu'ils deviennent le reflet de notre regard,
est chose troublante : certains ne trouvent que des félons, d'autres que des trésors. 
 

mardi 9 juin 2020

Vivre : question de mérite


Vierge de l'Annonciation / Giovanni Martinelli / coll. Jean Bonna / Genève

Ces cadeaux trop grands, qu'on ne se sent pas en mesure d'accepter...
Tu plaisantes, disent certains. Hélas, justement pas, justement pas... 

lundi 8 juin 2020

Vivre : déraison


L'acrobate / Pablo Picasso / musée Picasso / Paris

Le besoin terrible d'avoir raison : signe certain de mauvaise direction.

 

dimanche 7 juin 2020

Vivre / voyager : des journées comme ça



Étrange journée, électrique, monochromatique, secouant les immenses peupliers pour leur extorquer dieu sait quels inavouables secrets, durcissant les regards dans les villes traversées, mines défaites et migraines qui menacent, invocations à la surface de nos âmes tourneboulées. Malgré toutes ces déstabilisations, pouvoir régler quelques affaires depuis trop longtemps emberlificotées, dénicher une chambre désuète au cœur de collines divines cajolant la Méditerranée, expédier un doux compagnon à la jolie Mademoiselle Émilie, sentir très fort des envies d'ailleurs et finir par m'écrouler, épuisée, sur mon lit en compagnie de Tiziano Terzani sur les traces des devins de l'Asie.
Ce livre a près de trente ans, mais se relit toujours avec la passion de la découverte. L'auteur, à qui un mage a prédit quelques années plus tôt qu'il risquait de périr en 1993 s'il voyageait en avion, se prend au jeu. Basé à Bangkok, il décide d'effectuer son métier de correspondant du journal allemand Der Spiegel uniquement par voie terrestre ou maritime. Terzani, grand reporter, infatigable voyageur, fin connaisseur de la géopolitique asiatique et écrivain visionnaire, a fait d'une banale prédiction non seulement le projet d'une année, mais aussi le thème d'un livre à la fois documenté et personnel. Un mélange de rationalité et de surnaturel, puisqu'en parallèle de ses investigations journalistiques, il se montre curieux de consulter des voyants à chaque fois que l'occasion se présente. Une suite de prédictions (très dissemblables, on s'en doute) mais surtout une recherche sur le sens de la vie et le sens de l'histoire, dans une fin du XXe siècle en pleine transformation, tournée vers la mondialisation.
Ce que Terzani disait hier se révèle encore d'actualité aujourd'hui, et plus que jamais. On ne peut qu'inviter à le lire (plusieurs de ses ouvrages sont traduits en français), car lire Terzani, c'est le suivre, c'est voyager à ses côtés, c'est s'enrichir de ses réflexions et de ses expériences. C'est aussi s'interroger, apprendre à observer, désirer comprendre. Relire Terzani, c'est ne jamais se sentir confinée, pas plus dans un lieu que dans une pensée et c'est achever une étrange journée en beauté.

Un indovino mi disse, Longanesi, 1995
Un devin m'a dit : voyages en Asie, Intervalles, 2015 (dernière édition française)

samedi 6 juin 2020

Regarder : être consolé


Madone avec enfant (détail) / Ambrogio Lorenzetti / Galerie des Offices / Florence

que trouver dans l'art ? la confiance en l'humanité

vendredi 5 juin 2020

Voyager : le changement et la continuité


Sienne, depuis l'hôtel Athena

Parfois, le besoin de changer.
Parfois, le besoin de retrouver.
L'essentiel : cette pulsion à avancer. 

jeudi 4 juin 2020

Vivre : rester ancrés



La danse des couleurs / Brygida Ochaim / Loïe Füller / 1988 / Biennale de la danse / Lyon

Ces temps où vivre le présent, l'expérimenter intensément, l'éprouver, le contempler, le savourer pourquoi pas ?, ces temps où s'efforcer de rester, rester vraiment dans l'instant est plus que jamais ardu, tendus que nous sommes vers un hypothétique futur, et nostalgiques - incroyable mais vrai - d'un récent passé par trop idéalisé.

mercredi 3 juin 2020

Vivre : le cahier de juin



Ces derniers jours, la nouvelle lubie de P. est de descendre à l'aube me soustraire à mes songes (des songes invraisemblables, sans queue ni tête, ridicules à raconter). Il frappe des griffes le parquet, tape de la queue en mode rythmé, puis entreprend de secouer son collier avec sa médaille et ses puces éventuelles. Comment résister à une telle sommation ? Quelques minutes et un café plus tard, sur le plateau, la journée s'ouvre, telle un cahier rempli de mille signes à déchiffrer : le ruissellement de la lumière faisant du morse à travers les branchages, les ondulations souples du blé à qui la bise donne des allures de Méditerranée, les chœurs entonnés dans les vibrantes et vertes cathédrales, les premiers hennissements, les merles se laissant effleurer, les renards à peine effarouchés, et, parmi les herbes hautes nous caressant les aisselles, les modestes campanules, les bleuets désireux de parader, les knauties que les piéridae viennent câliner. On frissonne un peu, juste pour la forme, il fait encore bon, mais on pressent que les températures vont monter. Passent deux ou trois voitures mal réveillées et un tracteur vorace fonçant vers son petit-déjeuner. 
L'heure vient bientôt de rentrer. A notre retour, il nous faudra répondre à la question rituelle : quoi de neuf, ce matin ? Quoi de neuf ? Justement, rien. Ou plutôt si : il s'agira de raconter les mille bricoles, le hanneton renversé, l'étrange insecte oblong qui escaladait un épi, les quatre taurillons de retour dans leur pré, les cerises sauvages arrivées à maturité, la merlette qui s'est quasiment jetée sous nos roues, deux lièvres se contant fleurette dans le creux où paissent les Franches-Montagnes, la senteur d'une certaine plante dans un coin oublié, tous ces petits riens qui remplissent la première page de notre journée.
Une bonne douzaine d'heures plus tard, quand nous aurons tourné quelques feuillets, c'est moi qui entrainerai P.  dans ce qui est ma toute nouvelle lubie : atteindre le plateau juste avant que le soleil ne s'apprête à mauvir le Jura et le lac, quand les voiles s'évanouissent une à une, comme par magie. Alors là-haut, nous mettrons nos pas dans ceux des chevaux qui placidement, dans la lumière mordorée, s'avancent vers l'été.

mardi 2 juin 2020

Vivre : rentrer chez soi


Atlas / Maroc / 2010

Curieux... 
c'est quand nous nous rendons le plus attentifs à nous-mêmes
que nous affirmons haut et fort n'y être pour personne.

lundi 1 juin 2020

Vivre : incomprise


Mme Herbert Duckworth /Julia Margaret Cameron / Musée Jenish / Fondation Cuendet / Vevey

A cinquante ans passés, elle alterne périodes de dépression et périodes d'exaltation. Quand elle déprime, elle appelle. Quand elle exulte, elle décline. Elle passe continuellement d'un mari à un ex, d'un ami à un amant, qu'elle renvoie, qu'elle reprend, qu'elle encense, qu'elle descend. Personne ne la comprend. Personne ne la soutient vraiment. Elle est sans cesse en manque d'argent. Si on l'aimait vraiment, on lui prêterait, on lui donnerait cet argent. Ce n'est pas sa faute, si le monde est mal fait, si rien ne convient jamais, si sa vie est tellement dure, ses employeurs des exploiteurs et ses propriétaires des profiteurs. Et sa voiture qui vient de la lâcher. Et ce dernier mec qui ne fait qu'abuser. Elle veut le quitter. Elle se fait traiter comme un paillasson. Elle doit se trouver un nouvel appartement. Elle a cinquante ans passés et personne sur qui compter, vraiment. Au moins, ses parents, au moins eux, savaient se montrer indulgents. Comme il est loin le temps où ils vivaient encore, ses parents ! Elle se plaint comme elle se plaignait enfant. Elle forme avec ses fils un trio bien rodé. Elle les renvoie régulièrement chez leur père, mais elle insiste rapidement pour les récupérer. Ne surtout pas tenter de lui parler, il n'est pas question pour elle d'écouter. Elle veut juste déverser. Et si par malheur vous aviez, vous, un problème à évoquer elle n'hésiterait pas à vous abreuver de conseils, impérativement, car pour les autres, la vie est facile. Évidemment. Elle finit par raccrocher, non sans vous rappeler avec insistance que dans une semaine c'est son anniversaire : elle va fêter ses cinquante-trois ans.