mardi 28 juin 2022

Regarder : Mondrian, dans les grandes lignes

 
Composition avec jaune et rouge, 1927
 
 
A l'occasion du 150ème anniversaire de la naissance de Piet Mondrian, la fondation Beyeler à Bâle, qui compte dans sa collection sept de ses œuvres, récemment restaurées, présente une exposition intitulée MONDRIAN EVOLUTION
Mondrian, pour la plupart des gens, ce sont des toiles épurées, des lignes droites, noires sur fond blanc, avec quelques rectangles de couleurs primaires, allant vers une simplification de plus en plus radicale. Bref, cet artiste semble connu essentiellement pour ses productions tardives, aux titres pour le moins standardisés (des  mots tels que "composition", "bleu", "rouge", "jaune").
Or, ce que cette exposition montre de manière exemplaire, c'est le travail évolutif de ce peintre hollandais, né en 1872, ayant vécu durant de nombreuses années à Paris et mort en 1944 aux États-Unis où il s'était réfugié pendant la seconde Guerre mondiale. Elle permet de comprendre comment il est passé de l'expression figurative à l'abstraction la plus absolue. Ainsi, plusieurs salles sont consacrées à un même sujet, traité de manière à souligner la progression de sa démarche (une série de moulins, d'arbres, de maisons).
A travers un choix judicieux de tableaux, provenant essentiellement de collections hollandaises, c'est tout le cheminement de la peinture occidentale du XXème siècle qu'il est donné d'observer, depuis les représentations que l'on pourrait appeler figuratives jusqu'aux épures des vingt dernières années. En voici un exemple :
 
 
L'arbre rouge / 1907-1910
 
Arbre, 1912 (?)

Pommier en fleurs, 1912
 
Alors que trop souvent les artistes sont exposés de manière morcelée, par période, ici on a opté pour une présentation transversale, ce qui se révèle très didactique. Le spectateur peut entrer dans la démarche de l'artiste, le suivre dans ses recherches et prendre ainsi la mesure de son processus créatif. Une exposition qui permet de dépasser les jugements "j'aime / j'aime pas" pour parvenir à appréhender l’œuvre dans son ensemble grâce à des repères utiles .
 
 Phare avec nuages près de Westkapelle, 1908
 
Phare près de Westkapelle, 1910

 
Composition avec bleu et blanc, 1936

Avant de sortir, j'ai proposé à R. de faire une seconde fois le tour des salles. En m'interrogeant à propos de ce que je venais d'admirer, j'ai identifié quelles étaient mes toiles préférées. Étonnamment, celles que j'ai retenues n'appartenaient pas à la même période. Entre toutes, celle-ci est ma préférée, elle me procure par son extrême simplicité une sensation de repos et d'apaisement :

Composition avec doubles lignes et bleu, 1935, fondation Beyeler
 
Ce moulin qui tourne ses ailes au soleil (soleil couchant ? ou levant ?) toile figurative mais déjà à la limite de l'abstraction, je l'aurais bien vu dans mon salon.
 
Moulin à vent, 1917, Stedelijk Museum, Amsterdam

Le nuage rouge, 1907, Kunstmuseum, Den Haag
 
Enfin, ce petit nuage rosi par un intense ensoleillement, interprété au seuil du non figuratif me touche énormément.
 
Ces peintures, si différentes en apparence, indiquent à rebours le cheminement de l'artiste comme autant de petits cailloux pour le comprendre. Toutes trois ont ceci en commun qu'elles contiennent une sensation d'équilibre dans leur recherche d'épure absolue. Au terme de la visite, il m'apparaissait qu'un lien invisible et cohérent les réunissait : celui de la tension obstinée vers le minimalisme pour parvenir à l'essentiel.

 

lundi 27 juin 2022

Vivre : l'art de l'écoute

 

 
 
se retenir de parler, de déverser les mots qui pressent, pour pouvoir laisser venir ce qui est près d'être exprimé

dimanche 26 juin 2022

Vivre : faire place

 
 
T. et A. viennent d'arriver (accompagnés par Z., 9 kilos à tout casser)
On s'était inscrits pour accueillir deux personnes ukrainiennes début mars et on tenait à passer exclusivement par des canaux officiels. On a reçu tout de suite un accusé de réception, puis un mail à l'attention des familles offrant accueil, un mail plutôt évasif sur les raisons de la longue attente qui s'installait. Puis, plus rien. Au début, on s'est équipés. On a acheté un lit, revu l'organisation de l'étage chambres. On a réfléchi à toutes sortes de situations qui pouvaient se présenter. Mais il arrive un stade où réfléchir ne sert à rien : on ne sait pas quelles personnes arriveront et avec elles quelles problématiques. Une jeune mère avec un bébé ? Deux personnes âgées et malades ? Des personnes en deuil ? Des jeunes cadres désireux de se reconstruire au plus vite une vie stable en Suisse ? On ne sait pas. On attend. Tout ce qu'on sait, c'est qu'on veut faire quelque chose de concret en faveur de l'Ukraine, parce que ce qui est en train de se passer là-bas heurte profondément nos valeurs et notre conception de l'humanité. Tous les jours, les nouvelles qui parviennent nous révulsent et nous blessent.
Par conséquent, T. et A. viennent d'arriver. A. ne parle que russe et ukrainien. Elle dit comprendre l'anglais. Mais elle me regarde avec des yeux écarquillés quand je lui dis des choses basiques, comme : veux-tu manger quelque chose ? où sont tes parents ?
La vie de ces prochains jours risque d'être chamboulée. Il nous faudra bien un peu de temps pour apprendre à cohabiter. Se partager l'espace et les croquettes en bonne intelligence (et en toute solidarité). 
 

samedi 25 juin 2022

Vivre : tenir en place

 

Il nous a dit : Nous sommes des âmes errantes. Je n'avais jamais entendu cette expression prononcée par un être vivant, qui plus est jeune, dynamique et en bonne santé. Il a poursuivi : Nous avons passé deux ans à Dubaï. Ensuite, nous sommes partis à Madrid. Nous avons hésité entre Oviedo et Barcelone pour ouvrir un restaurant avec quelques chambres. Et puis, finalement, c'était compliqué. On est revenus ici il y a cinq ans, près de notre famille. Mais c'est étriqué, ici. Nous aimons les défis.
Depuis la terrasse, on pouvait admirer les collines du Chianti qui se déroulaient à perte de vue. L'endroit était délicieusement aménagé. Il s'en dégageait un don certain de créativité, une aspiration à l'originalité. Cependant, la cage à oiseaux en disait long sur leurs futurs projets.

vendredi 24 juin 2022

Vivre : Still life / 116

 
 
Impossible de passer à Sienne sans aller visiter le mercatino della solidarietà, situé dans un ruelle toute proche de la synagogue, juste derrière le Campo. L'association Auser s'est fixé comme but de favoriser l'activité et l'utilité des personnes en âge de retraite au sein de la communauté urbaine. Elle a développé toutes sortes d'interventions, allant de visites en milieu carcéral jusqu'à du soutien scolaire en passant par de l'aide aux transports et des actions écologistes.
Le mercatino apparaît comme une minuscule boutique, dont le rideau de fer est le plus souvent baissé. Il faut non seulement savoir qu'il existe, mais aussi en connaître les horaires (généralement épinglés sur un petit feuillet). Quand on entre, on a l'impression d'être dans une caverne d'Ali Baba. Des tonnes de vêtements, de linges et de petite brocante. On est accueilli par des sourires pleins d'humanité et aussi par une forte odeur de moisi : c'est qu'une bonne part des objets vendus sont stockés dans le sous-sol, sous les arcades médiévales de la ville où règne une forte humidité (des restaurants du quartier ont loué des caves voisines pour y déposer leur vin, entre autres, l'élégante Osteria Le Logge). 
Cette fois-ci, je devais remplacer deux verres à pied brisés et me procurer quelques tissus anciens, avec lesquels emballer pots de confitures ou tresses au beurre, ces petites attentions pour dire merci (pour se faire plaisir aussi). Ce n'est qu'une fois rentrée, regardant l'initiale de la broderie que j'ai réalisé : il s'agissait d'un "D".
Ce napperon sera gardé.

 

jeudi 23 juin 2022

Vivre : enfin !


 y a-t-il plus belle offrande que l'orage plongeant sur les dernières heures de la journée ?

mercredi 22 juin 2022

Vivre : une qualité

 
Il Redentore (détail) / Giovanni di Paolo / Pinacoteca / Siena

 
 Cette compétence admirable : pouvoir considérer frontalement l'injustice intolérable et savoir aussi la combattre avec des mots posés

mardi 21 juin 2022

Regarder : la fierté des origines

 

Il quarto Stato / Giuseppe Pelizza da Volpedo / Museo del Novecento / Milan (photo Dad)
 
 
Ce tableau, conservé au musée du Novecento, à Milan, est exposé jusqu'à la fin du mois au palazzo Vecchio de Florence. Il n'est pas dépourvu d'ironie que cette œuvre majeure de la peinture italienne, rendue célèbre par le film "Novecento" de Bernardo Bertolucci occupe une place d'honneur dans la salle des Cinq-Cent, au cœur du palais-forteresse, là où l'élite de la ville siégeait durant le Moyen-Âge et qui remplit aujourd'hui à la fois les fonctions de musée et d'hôtel-de-ville.
 
Par une fin d'après-midi caniculaire, dans la vaste salle du Palazzo, les gardiens s'accrochaient comme des noyés à leurs bouteilles ou se ventilaient désespérément en agitant leurs formulaires. Leurs regards dirigés au plafond lançaient des s.o.s. Les visiteurs étaient à peu près dans le même état. Cependant, malgré la touffeur à la limite du supportable, on demeurait fasciné :  l'attraction de la toile était telle qu'il était impossible de s'en éloigner. 
 
Giuseppe Pelizza a mis plus de dix ans à réaliser cette œuvre gigantesque (mesurant 2,83 sur 5,50 mètres) à la gloire du Quart-Etat (le Quarto-Stato en italien, c'est-à-dire le Prolétariat). L'idée  du projet lui en était venue en 1891, après une manifestation de travailleurs à laquelle il venait d'assister. Il le porta à terme en 1901. En effet, pour parvenir au résultat final, il passa par la création de deux tableaux, deux étapes nécessaires pour obtenir le rendu souhaité. Le premier, Les Ambassadeurs de la Faim, fut réalisé en 1892. On y voit un cortège de travailleurs dans le village de Volpedo avec trois hommes à leur tête, désignés pour défendre leurs revendications auprès de leur patron.

 Les Ambassadeurs de la Faim / collection privée
 
Mais cette version laissa l'artiste insatisfait. Il décida de se lancer dans une réalisation de plus amples dimensions, qu'il intitulera La Fiumana (la Marée humaine) et à laquelle il travaillera entre 1895 et 1896.
 
   La Fiumana (la Marée humaine) / pinacoteca Brera / Milan  (2,55 x 4,38 mètres)
 
En observant attentivement  Le Quarto Stato, on constate que le peintre a adopté une méthode nouvelle. Au lieu d'appliquer les couleurs par amples coups de pinceau, il a recouru à la technique du divisionnisme, qui consiste à juxtaposer sur la toile de petits points de couleurs pures pour provoquer un mélange optique dans la rétine du spectateur. Il vise en cela plus d'intensité lumineuse. Il a également peu à peu délaissé le décor, jusqu'à le faire disparaître pour mettre en évidence les personnages, ou plutôt : la foule, qui est le véritable sujet.
 
D'où provient la force d'attraction de ce chef-d'œuvre ? De sa dimension, peut-être. Mais aussi de son fort pouvoir d'évocation et de sa construction (cette foule, s'avançant d'un seul élan, déterminée, majestueuse, invincible, dirait-on, portée par le mouvement conjugué de la terre et des corps). Les trois personnages principaux, qui occupent le centre de l'espace pictural, sont magnifiques de fierté et incarnent la détermination. Ils semblent dire : nous sommes ensemble, nous sommes le peuple, le monde ne pourrait pas tourner si nous n'étions pas là, s'il n'était la force de nos bras.

Cette conscience d'être soi, de la valeur de la place que l'on occupe dans le monde saisit le spectateur aux tripes. C'est une recherche qui fait contrepoids aux représentations d'un art élitaire, voué à dépeindre des nobles et des bourgeois. Un procédé qui fait la nique au nantis, aux tenants de la culture académique. Il ne s'agit pas d'une représentation misérabiliste, ni humble, ni tristement réaliste de la condition ouvrière et paysanne, comme on en a peint beaucoup au cours du XIXe siècle, dans le courant de la peinture dite sociale. Nous sommes ici en présence d'un art étendard et il n'est pas étonnant que Bertolucci l'ait choisi pour illustrer sa fresque courant sur toute la première moitié du vingtième siècle en Émilie-Romagne. On ne trouve ici aucune trace de victimisation, et bien que la peinture soit strictement figurative, elle ne semble pas vraiment réaliste. Il s'agirait plutôt d'une représentation vouée à galvaniser, à permettre d'espérer, à donner des envies de se redresser.
 
Les deux hommes et la femme tenant un enfant entre ses bras adoptent la posture souveraine de qui revendique son droit à être et à se voir reconnu (on parlerait peut-être aujourd'hui d'estime de soi). C'est peut-être ça qui émeut tant dans cette œuvre : ces personnages adoptent un maintien vertical et fier, alors que tant de lois, de règles et de valeurs tendraient à leur faire courber l'échine, à avoir honte de leur condition. On regarde une dernière fois la toile, on sent le long de ses joues quelque chose couler, mais ce n'est peut-être pas de la sueur. 

Nous sommes tous des héritiers. Certains s'en souviennent, d'autre pas. Certains veulent l'oublier, certains ne veulent pas le savoir. Mais ce qui nous fascine et nous fait trembler dans ce tableau, c'est très probablement, au plus profond de nous, la mémoire de notre histoire.
 
Il quarto Stato / Giuseppe Pelizza da Volpedo / Museo del Novecento / Milan 
(photo scannée de l'ouvrage "Pelizza da Volpedo. Catalogo generale" Aurora Scotti pour cause de reflets)

 

lundi 20 juin 2022

Vivre : la dernière chance

 

Persée / Louis Martin / Musée Granet / Aix-en-Provence

Combien de fois peut-on donner une seconde chance ? Une seule, par définition. Mais certains désinvoltes ne prennent pas la chose au pied de la lettre : ils demandent pardon, puis recommencent sans façon. "Pardon" est le sésame qui leur ouvre la porte de toute réitération. Si on ose leur rappeler qu'ils viennent de nous marcher sur les pieds de manière répétée, ils ouvrent de grands yeux étonnés. Leur regard abasourdi n'a d'égal que leur hypocrisie. Leur mauvaise foi en dit long sur leurs intentions : écraser, moquer, dominer, jalouser sans limitations (on se demanderait presque : à l'origine de tout cela, quelle acrimonie, quelle frustration?)
Il ne reste plus alors que deux options : écraser à son tour ou simplement tourner les talons. Et comme on a bien trop à faire, entre tendresse, natation et toutes sortes de créations, comme on n'a pas envie de se salir les escarpins, on se détourne rapidement pour suivre résolument son précieux chemin.

dimanche 19 juin 2022

Vivre : présences

 
Détail de Maestà / Lippo Memmi / Pinacothèque / Sienne
 
 Enfant, je croyais dur comme fer qu'il existait, et qu'il me protégeait, et qu'il me surveillait (sans pour autant aller jusqu'à balancer). Puis, au fil des années, ma conception rationnelle a pris le dessus. J'ai converti dans mon esprit l'image ailée avec des notions telles que "sagesse" ou "sagacité". J'avais envie de sourire en constatant chez certains comme un engouement, quand ils se procuraient des figurines ou des reproductions.
Mais il m'arrive d'y repenser, à ces anges qui sont censés veiller sur nous. Leur accès aux non-dits, à tout ce que les êtres gardent par-dedans eux en fait de précieux alliés. Ils peuvent tout comprendre, tout légitimer.  S'il existait, de quoi le mien aurait-il l'air ? Trouverait-il que je lui ai donné beaucoup à faire ou alors qu'il a été relativement cool de m'assister ?  
Certains jours, certaines heures, quand je sens un souffle me caresser, quand un objet tombe sans raison, ou que surgit un bruit non identifié, je me dis que... c'est peut-être lui ... Ou pas. Dans ce domaine, comme dans tant d'autres, il n'en va pas de ce qui est, mais de ce que tu crois.
Ange, mon bel ange, si tu existes, je te remercie pour toutes les fois où tu m'as sauvé la mise. Et si tu n'es que pure invention, bel ange, alors c'est la Vie qu'il faudra remercier, pour ce qu'elle a donné, pour tout ce qu'elle permet d'inventer.
 
(Revoir "Les ailes du désir". Absolument. Les premières minutes, surtout, quand les anges sont présents, entendent tout, voient tout, circulent parmi les humains dans la plus totale transparence.)

samedi 18 juin 2022

Vivre : le métier de vivre

 
Annonciation (Gabriel) / Ambrogio Lorenzetti / Pinacoteca Siena
 
Le plus ardu, le plus nécessaire :
bien savoir où diriger son regard. 

vendredi 17 juin 2022

Vivre : côté lac

 
 

Nos matins commencent très - parfois beaucoup trop - tôt. Nous croisons au passage à niveau le train des premiers pendulaires, le train des nettoyeurs et des livreurs. Il nous indique précisément qu'il est cinq heures vingt-neuf : le village se tire péniblement du sommeil. Quelques lumières sont déjà allumées dans l'école primaire. Un camping-car allemand se prépare à rejoindre le Sud après une halte salutaire. Une conductrice fonce et bâille à s'en décrocher la mâchoire. Un homme considère rêveusement ses salades, semblerait vouloir rester accroché à son arrosoir. A travers les vitrages du restaurant de la plage, une femme s'active à accomplir la première partie de sa triple journée. On entend deux coqs en stéréo s'adonner à des vocalises face aux rives désertées.
 

Sur la passerelle, je reconnais quelques arbres amis, des individus très estimables que je fréquente depuis près de quinze ans, qui résistent aux érosions des rives, aux espiègleries des rongeurs, aux lubies de la météo laquelle, prodigue en averses, les inonda l'an dernier, et aujourd'hui les menace de canicule alors que le printemps n'est pas encore achevé.


Sur le chemin, le chien vagabonde et ainsi en va-t-il de mes pensées. Ma gorge se noue à la vue d'un papillon que la nuit a condamné. Une idée de lettre survient pour une belle âme dont j'aimerais me rapprocher, puis une réponse fugace, presque volatile, à des questions qui m'ont longtemps taraudée. "Ouvre grand ton cœur" me souffle une voix. "Écoute le langage du vent, écoute ses sagesses. Prends soin d'observer la vie, ses chausse-trappes et toutes ses largesses".

Sur le chemin du retour, Messire Soleil nous salue de loin. Il fait le pitre, le saltimbanque, entame des facéties que personne ne perçoit, tant de gens occupés à s'affairer, obnubilés par l'heure, par les tâches de leur journée. J'établis mentalement une liste que de toute manière je ne suivrai pas. J'entends la passerelle gémir à notre passage. J'évite de justesse une libellule immobile, qu'y a-t-il donc, libellule, qui te retient de voler ? Soudain, branle-bas le combat : un castor de belle taille se rue sous nos pieds et glisse entre les joncs pour aller se baigner.

 
Un nouveau jour commence. C'est beau, c'est émouvant, une naissance de jour, c'est un peu comme une maternité sans murs et sans infirmières.  L'air de rien, notre journée a commencé il y a plus de deux heures. La faim commence à nous tenailler. Il est grand temps de regagner nos Pénates : monter dévorer des tartines comme on dévore la vie, plonger une cuillère décomplexée dans une confiture divine concoctée cette année (cerises, citron et myrtilles, une tuerie). Juste avant d'emprunter le petit chemin enchanté, lancer un dernier regard à une douce présence, le pêcheur qui, là-bas, se penche, et d'un geste ample ramène ses filets.


jeudi 16 juin 2022

Vivre : la vie est une fête

 
Le rapt d'Europe / Johann König / Pinacothèque / Sienne
 
à quoi sert-il de fêter son anniversaire quand chaque jour est une fête - ou du moins pourrait l'être ?

mercredi 15 juin 2022

Voyager / Habiter : le mobilier repensé

 

Revenons à la Chartreuse d'Ema et à nos "immeubles villas", deux formes de cellules à échelle humaine. Si vous saviez combien je suis heureux quand je puis dire : "Mes idées révolutionnaires sont dans l'histoire, à toute époque et en tous pays". (les maisons des Flandres, les pilotis du Siam ou des lacustres, la cellule d'un père chartreux en pleine béatification.) [p.97]
A Galluzzo, le hasard nous a conduits vers de très belles personnes. Il y a des gens comme ça, on sent que les émotions et la complicité circulent au premier regard. Dans la seconde salle, une des guides a soudain pointé du doigt la maquette en bois, désignant les dix-huit cellules dévolues aux moines, et juste au moment où je regardais, elle a prononcé : "tellement émouvant, Le Corbusier..."
 
(évidemment, le temps prévu pour la visite s'est révélé bien trop court, tant de détails à capter, tant de perceptions à identifier, enthousiasme et frustration entremêlés. Dans ce lieu de haute spiritualité, où circule une belle énergie, protégé sans doute par les anges, ayant affronté au fil des siècles la peste, Napoléon et tant d'autres calamités, il y avait trop à voir. Pontormo, et Bronzino, et Della Robbia, pour ne citer qu'eux, nous appelaient...)

 
A l'intérieur de la cellule numéro X, on pouvait imaginer le jeune architecte arrivé en 1907, chamboulé par ce qu'il découvrait, se représentant le passé, bousculé par mille idées, bouillonnant de projets, pressentant ce qu'il créerait.


Il était permis de l'imaginer, le jeune Charles-Edouard Jeanneret, dans ce couloir, cet espace pour rien, tellement inutile en apparence, ce couloir pour faire quelques pas, se dérouiller les membres engourdis par trop d'immobilité, se libérer la tête d'avoir trop étudié assis à sa table, ce couloir de silence, indispensable inutilité qui donnait sur la vallée.


Et ce guichet, lien ténu entre le public et le privé, passage étroit entre le monde et soi, assurant protection, préservant relation, ce minuscule point par lequel on s'assurait autrefois de pouvoir veiller sur qui en avait besoin.

 
Enfin, cette échappée sur les collines, par-dessus le jardin, où le regard pouvait se perdre, aller de la terre jusqu'au ciel parcouru de nuages, passant des choses les plus concrètes à la plus pure abstraction, regard symbole d'une vie de moine à travers les âges.

Depuis mon retour, je parcours le recueil de dix conférences que Le Corbusier a données en 1929 à Buenos-Aires et qui ont été publiées en 1930 sous le titre: Précisions sur un état présent de l'architecture et de l'urbanisme. Je suis émue par la manière qu'a l'architecte de dessiner. Par sa façon directe de s'exprimer. Par sa cohérence et sa modernité. Le chapitre sur le mobilier se révèle un véritable bijou. Extrait :
Qu'est-ce donc que le mobilier ?
"Le moyen par lequel nous faisons connaître notre rang social."
C'est, très exactement, de la mentalité des rois : Louis XIV s'en est tiré brillamment. Serions-nous des Louis XIV ? En voici beaucoup! S'il y a des millions de Louis XIV sur terre, il n'y a plus de Roy-Soleil.
Sérieusement, nous tenons expressément à être des Rois-Soleils ?
Le mobilier, c'est : 
             des tables pour travailler et pour manger,
             des chaises pour manger et pour travailler,
             des fauteuils de diverses formes pour se reposer de diverses manières
             et des casiers pour ranger les objets de notre usage.
Le mobilier, c'est des outils.
Et aussi des domestiques.
Le mobilier sert nos besoins.
Nos besoins sont quotidiens, réguliers, toujours les même; oui toujours les mêmes.
Nos meubles répondent à des fonctions constantes, quotidiennes, régulières.
Tous les hommes ont les mêmes besoins, aux mêmes heures, chaque jour, toute la vie. 
Les outils répondant à ces fonctions sont faciles à définir. Et le progrès, nous apportant les techniques nouvelles, le tube d'acier, la tôle pliée, la soudure autogène, nous fournit des moyens de réalisation infiniment plus parfaits et plus efficaces qu'autrefois.
L'intérieur des maisons ne ressemblera plus à du Louis XIV:
Voilà l'aventure. [p.108]
Ces mots éclairent et ravissent. Ils trahissent la maturité du créateur, ses conclusions mises au point après vingt ans de recherches et de métier. L'importance d'une maison, la valeur d'un habitat tient à son espace, aux entrées de lumière, à la circulation de l'énergie, à sa fonctionnalité. Ce que nous appelons "décoration", le mobilier utilisé pour enjoliver et non pour remplir son but premier, les bibelots peuvent conduire aisément à l'encombrement. A trop vouloir nous rassurer, accumuler, posséder, nous nous perdons. Nous perdons notre temps. Nous détournons notre attention de l'essentiel. Nous gaspillons nos énergies. Dans la cellule numéro X, c'est peut-être ce que l'aspirant architecte avait pressenti. 
 
 
Ranger dans des casiers : vaisselle, livres, vêtements. C'est tout!

L'espace  et la lumière abondent.
On circule, on agit rapidement.
Et peut-être aurons-nous plaisir à penser à quelque chose, en cette heure du repos, à cette heure de détente, chez nous ?
Voilà le fond du sac, penser à quelque chose.
A l'harmonie des proportions.,
ou à quelque poème de la mécanique, de la vie des peuples modernes ou anciens, même à un poème en vers,
ou à quelque musique, ou à quelque sculpture, quelque tableau,
à un graphique,
ou à telle photo d'un phénomène simple ou sublime, fondamental ou exceptionnel.
La vie est pleine d'occasions de rassembler des bibelots qui soient des objets à penser :
ce galet de la mer,
cette pomme de pin admirable,
ces papillons, ces scarabées,
 cet élément d'acier poli pris à une machine 
ou ce morceau de minerai. [p.121]
 

mardi 14 juin 2022

Vivre : la circulation des énergies

 
Jugement universel (détail) / Beato Angelico / Pinacoteca / Siena
 
La réciprocité. Ce n'est pas calculer, ni attendre en retour ce qu'on a distribué. Ce n'est pas du donnant-donnant, ce n'est pas en vouloir pour son argent. C'est un échange de bons procédés. C'est dispenser volontiers et accueillir avec plaisir ce qui nous est octroyé. C'est une harmonie ressentie, un équilibre savouré. C'est très simple : c'est le signe même de la santé.

lundi 13 juin 2022

Vivre : shopping et shopping

  
Il buon governo (mercato) / A. Lorenzetti / Palazzo communale / Siena
 
Pour éviter d'entrer à Florence en voiture (une calamité qu'on ne peut souhaiter ni aux malheureux locaux que la canicule et les particules fines menacent d'exterminer ni aux pauvres touristes pris dans les embouteillages et menacés d'amendes salées) nous laissions notre véhicule dans une allée ombragée, traversant ensuite une place animée au cœur d'un faubourg où se tenait tous les matins un marché. Là, à quelques kilomètres du Palazzo Vecchio, se déroulait une véritable vie de quartier. Un petit kiosque servait des espressos et des brioches à quelques habitués, des maraîchers offraient des tomates au cageot, des produits horticoles approchant le kilomètre zéro. Une femme maghrébine proposait des nuisettes et des soutien-gorges à trois euros. Un homme exhibait rideaux et tapis de bain pour trois fois rien. Vivant, coloré, c'était un lieu où des plaisanteries fusaient, où des gens s'embrassaient. C'était un lieu où l'on se sentait bien (si je n'avais eu des objectifs programmés depuis longtemps, j'y aurais volontiers passé la journée, allant de terrasse en épicerie, devisant avec un boucher ou avec une fleuriste, échangeant avec quelques chiens ou leurs propriétaires diserts). De l'autre côté de la place, nous nous procurions tous les matins chez un tabaccaio quatre billets de bus, empruntant une ligne sympathique qui nous déposait en une dizaine de minutes au cœur de la cité.

Dans la ville des Médicis, depuis toujours, quelques fléaux, souvent liés au tourisme, sévissent et ont repris de plus belle après l'accalmie Covid. La plaie entre toutes reste la circulation, objet de toutes les incivilités et de toutes les absurdités. Pollution sonore, pollution atmosphérique, encrassement des bâtiments, risques d'accidents, motifs à hurlements, tout ce qui est motorisé est source de tensions. Florence est sans doute la ville italienne par excellence qui n'a jamais su - ou pu ou osé - régler la question (même si officiellement le trafic y est strictement limité). Généralement, les nantis esquivent le problème en prenant un taxi. Cette année pourtant, une nouveauté : le nombre de voitures noires à vitres teintées, souvent des limousines avec chauffeur loués pour la journée, qui stationnaient devant toutes les boutiques de luxe. Il était courant de voir les conducteurs épuisés par la chaleur inhabituelle tomber la veste devant le xième magasin (à noter : la ville étant relativement petite, ces enseignes réputées, Guccci, Ferragamo, Dolce Gabbana, et cetera, se trouvent toutes dans un périmètre restreint, celui de la via dè Tornabuoi). Mais il faut croire que les clients exténués par leurs séances d'essayage avaient absolument besoin  de ces véhicules, dont souvent on laissait tourner le moteur, afin qu'ils trouvent une climatisation adéquate à chaque fois qu'ils rentraient y poser leurs postérieurs éprouvés. Une chose frappait : la différence de tenue entre clients et employés. A l'intérieur, il n'était pas rare de voir des personnages en T-shirt décontracté et tongs kaki dégainer avec désinvolture leur carte de crédit, tandis que l'homme qui les attendait sur le trottoir arborait un costard cravate et l'attitude servile de celui qui tient à faire convenablement son métier.  

dimanche 12 juin 2022

Voyager : saisir ou vivre

 

Là-bas, j'aurais voulu tout photographier, pour tout ramener, pour ne rien oublier. Et puis, tôt ou tard, parfois tard dans la soirée, un insupportable tiraillement me saisissait. Tout m'appelait à vivre, tout me rappelait à seulement vivre. Suivre la danse délurée des nuages, admirer la silhouette d'un contrapposto à contre-jour, écouter les hirondelles emportées dans leur sarabande endiablée, percevoir la ville qui fatiguait, lentement s'épuisait. Une joie lacérante s'emparait alors de moi, accompagnée d'une non moins lacérante envie d'arrêter le temps.
Qu'est-ce que le temps présent ? Peut-être quelque chose d'impossible à capter, à immobiliser. Du sable entre les doigts, du bonheur qui s'en va. Inexorablement.
Saisie d'une pulsion irrépressible, je dirigeais mes pas vers la Vecchia Latteria, la petite échoppe dans la via San Pietro qui n'a l'air de rien mais propose des glaces artisanales comme autrefois. Je tendais l'index, une deux trois fois et puis je tendais trois pièces de monnaie par-dessus le comptoir. Je me dirigeais illico vers le Campo, j'allais m'asseoir en tailleur sur les pavés lustrés, parmi les enfants infatigables et les chiens résignés, et là, les yeux fixés sur la tour que le ciel azurait, je me laissais aller à simplement déguster.

dimanche 5 juin 2022

Voyager / Habiter : chartreuses de charme

 
 Chartreuse de Galluzzo (Florence)
 
J’ai vu, dans ce paysage musical de la Toscane, une cité moderne couronnant la colline. La plus noble silhouette dans le paysage, la couronne ininterrompue des cellules des moines ; chaque cellule a vue sur la plaine, et dégage sur un jardinet en contrebas entièrement clos. J’ai pensé ne pouvoir jamais rencontrer une telle interprétation joyeuse de l’habitation. Le dos de chaque cellule ouvre par une porte et un guichet sur une rue circulaire. Cette rue est couverte d’une arcade : le cloître. Par là fonctionnent les services communs, la prière, les visites, le manger, les enterrements. Cette ‘cité moderne’ est du quinzième siècle. La vision radieuse m’en est demeurée pour toujours. 
Le Corbusier, Précisions sur un état présent de l’architecture et de l’urbanisme, 1930
 
C'est par un blog dont je ne me remets toujours pas de l'arrêt, en 2015, que j'ai découvert pour la première fois le lien entre Charles-Edouard Jeanneret et la Chartreuse de Galluzzo.
 
(Le Divan fumoir bohémien représentait pour moi un sommet d'élégance et d'originalité. Pourquoi le silence tombe-t-il soudain sur des lieux ressource, des lieux de beauté et de stimulation intense ? Je n'en sais rien. Les liens silencieux qui se tissent sur la toile gardent souvent leur mystère et c'est peut-être bien ainsi. Ce qui est beau, c'est de pouvoir retourner visiter ces lieux aimés et de constater l'inaltérable force des images et des sujets. Ne sachant faire le deuil de choses qui m'ont envoûtée, il m'arrive encore régulièrement de passer relire quelques pages de ce blog enchanté.)

A force de parcourir le billet consacré aux deux séjours que le futur Le Corbusier effectua dans cette chartreuse au sud de Florence, j'ai bien entendu ressenti une grande envie de me rendre moi aussi sur place. Hélas, la distance du centre-ville, ainsi que les blocages dus au Covid ont longtemps mis à mal mon projet. Mais maintenant, l'excursion est programmée et depuis quelques jours je ne suis qu'impatience. Je m'y prépare comme à un rendez-vous important, comme si la noble demeure m'accordait enfin audience.
 
La perspective de ce voyage, m'a rappelé une autre magnifique chartreuse toscane. Il y a deux ans, nous avions séjourné juste après la réouverture post-confinement dans la Chartreuse de Pontignano, équivalent siennois de Galluzzo, et nous étions parmi les premiers hôtes de retour. On nous avait alors attribué une cellule tout au fond du dernier cloître. Le jeune réceptionniste nous avait glissé : "Avec le chien, vous y serez bien". Et c'est donc grâce à Mister P. que nous avons pu occuper la noble - quoi qu'un brin austère - cellule dévolue aux abbés qui ont dirigé l'institution au cours des siècles.
 
  Le bâtiment central de Pontignano
 
Le puits dans le jardin
 
Notre cella occupait l'angle sud-est du grand cloître. Le jardin était de belles dimensions et disposait d'une loggia au fond de laquelle se trouvait une petite chapelle privative. Au rez, il y avait une cuisine, une bibliothèque toute en longueur, et une chambre décorée à fresques. On accédait au premier étage par un escalier étroit et malcommode qui menait à la seconde chambre dotée d'une salle de bain. De là, on apercevait la ville, au Sud-Ouest, sa silhouette nous souriait dès l'aube et ses lumières illuminaient nos nuits. 
 


 
Point de climatisation, naturellement, dans ces espaces spartiates où tout ramenait à l'essentiel. Quelque chose d'intimidant aussi. Quand je partais le matin promener le chien à travers les couloirs déserts et que nous débouchions devant la magnifique villa seigneuriale, dans le jardin qui jouxtait le verger, j'étais  toujours saisie d'un sentiment d'imposture : quoi, moi, nous, autorisés à être là ?
 

Voici le dessin que j'avais réalisé de notre cellule (on me pardonnera le côté approximatif : n'est pas architecte de génie qui veut):
 

Ci-dessous, voici ce que le jeune Charles-Edouard Jeanneret a esquissé à Galluzzo, où il séjourna en 1907 et en 1911. Il avait été frappé alors par les similitudes entre les espaces mis en place pour la vie des moines au Moyen-Âge et ce qu'il pressentait comme les besoins en matière de logement concernant des ouvriers au début du XXe siècle (les premières intuitions de ce qu'il allait mettre au point des années plus tard, soit l'équilibre entre l'individuel et le collectif en matière d'habitat) :


 Note : on peut trouver divers dessins sur le site Facebook de la Fondation Le Corbusier. Il suffit de taper "Galluzzo / dessins / le Corbusier" dans le moteur de recherche. 
Précisons également que la Chartreus de Florence s'appelle Galluzzo (du nom du faubourg florentin où elle se situe, et aussi parfois d'Ema (nom de la petite rivière qui court dans cette région au nord du Chianti)

C'est donc remplie de curiosité que je vais partir visiter cette imposante bâtisse, riche en histoire, en architecture et en peintures. Qui sait ? A l'heure où le minimalisme a le vent en poupe, où les micro-habitats offrent des solutions séduisantes à nos besoins contemporains, peut-être va-t-elle m'inspirer à moi aussi quelques élucubrations et quelques projets ?

samedi 4 juin 2022

Vivre : les Alpes, la France, les canards

 


Tu admires au loin les Alpes, tu perçois clairement les terres savoyardes qui précipitent dans les eaux canard. Sur le chemin qui longe les rives, une jeune mère te sourit et semblerait elle aussi être tentée de plonger, n'était son bébé. Une grappe de bambins joyeux te font des signes, maîtrisant les sons mais non les mots, ils émettent des séries de "ah", de "ouh" et de "oh". Quelques chiens frétillants passent et conversent avec le tien, qui t'a quand même à l’œil, tiens-toi bien. Tu réponds au salut du pêcheur, penché sur ses filets, flanqué d'une bande de hérons, fieffés gloutons, sacrés écornifleurs. Alors, brassant les eaux à peine tempérées, il te semble enfin comprendre l'expression : nager dans le bonheur.