dimanche 31 janvier 2021

Ecouter, Vivre : ce qui ne tue pas... blesser l'éternité

 

Fan de podcasts, lesquels accompagnent une bonne partie de mes activités quotidiennes, j'apprécie tout particulièrement Les remèdes à la mélancolie, pour le ton à la fois grave et enjoué d'Eva Bester, son écoute attentive, son humour décalé, son tact et la complicité qu'elle sait instaurer avec ses invités. Sa manière aussi de prendre au sérieux la vie, tout en assumant une distance tendre et ironique avec petits et grands soucis.
Faire parler les gens sur leurs remèdes aux blessures intimes est un concept fondamentalement approprié : au fil du dialogue, il y a des douleurs qui se révèlent et elles peuvent se dire uniquement parce que l'on mentionne en même temps les capacités que l'on a pour faire face (ou pour faire avec). Les gens parlent donc d'eux, en creux, sans trop en dire, avec le sourire. On devine les failles, on partage, on compatit.
L'automne dernier, l'animatrice recevait Mathias Malzieu, lequel racontait qu'il avait réalisé qu'il était sorti d'une très grave maladie le jour où il a commencé à râler, comme tout le monde, pour des conneries : la météo ou la défaite de son équipe de foot préférée.
Il a aussi dit - et je le comprends si bien - qu'il ne partageait pas l'opinion de Nietzsche. Il a énoncé : Tout ce qui ne tue pas... abîme un peu. Et puis, il a cité Thoreau, ce mot si beau : En tuant le temps, on blesse l'éternité. 
S'embêter, se perdre en distractions, attendre Godot, c'est sans doute injurier infiniment, douloureusement l'éternité.
 

samedi 30 janvier 2021

Vivre : l'incompris

 
 Autoportrait / Jan Lievens / SMK / Copenhague
 
Il sème des exigences, il récolte des refus.
Il voudrait qu'on le reconnaisse, il est souvent déçu.
Il aimerait qu'on l'aime, mais mieux et surtout plus. 


vendredi 29 janvier 2021

Vivre : alarmantes certitudes

 
 Deux visages masculins / Francesco Riboldini dit Il Francia / Pinacothèque / Bologne
 
Les idées préconçues : tellement évidentes, tellement sûres qu'avec elles on est quasiment assuré de foncer dans le mur.


jeudi 28 janvier 2021

Vivre : ce rêve familier

 

Cette sinuosité si douce et familière, s'offrant tous les jours humblement à mes yeux, c'est étonnant à quel point elle peut se révéler à chaque fois ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. C'est elle, là, à chaque instant, qui change, se modifie selon l'heure, la saison, le temps. C'est mon regard aussi, qui évolue, se faisant plus ou moins attentif, ou admiratif, ou absent.
Aimer une montagne ou un être au quotidien, c'est pareil. L'objet change, fluctue, sans arrêt, au fil de ses météos intérieures et de ses saisons. Et le regard, s'il veut préserver l'étonnement, se doit d'être toujours curieux et présent. Le regard sage observe et s'attache à noter la suite des variations. Le regard déficient, lui, croit avoir tout compris, affirme : je le connais comme ma poche, les choses lui passent sous les yeux, il voit, mais sans rien percevoir dans le fond.




mercredi 27 janvier 2021

Vivre : let it be / 22

 
Arlequin / René de Saint-Marceaux devant La Fanfare de Bois-le-Roi / Antoine Bail / MBA / Lyon
 
Il traverse le trottoir pour nous saluer, puis s'immisce dans notre conversation sans y avoir été convié. Il est au courant d'un tas de choses, a un avis sur tout et se montre bien entendu prêt à le donner. N'hésite pas à prodiguer des conseils, signale quelques erreurs dans nos propos, nous informe qu'il connaît mieux que quiconque (et dans tous les cas mieux que nous) une multitude de choses que nous semblions ignorer. En moins de dix minutes, il nous a abreuvées de son savoir. Nul doute n'est permis : il a tout lu, tout vu, tout compris. Nous en sommes estomaquées. En le regardant s'éloigner, je glisse à mon amie : Ciel, quelle sommité! Elle me rétorque : Dis plutôt : quel complexe d'infériorité !
 
 

mardi 26 janvier 2021

Vivre : couleurs hivernales

 

A le ressentir glacial, à le penser toujours gris, souvent blanc, hostile, gelé, pourvoyeur de nuits noires et de matins blafards, 
on peine à imaginer combien l'hiver est une saison bleue. 


Nos balades nous entraînent pourtant dans des univers électriques, céruléens, azurins, turquin, bleu acier, bleu Prusse, bleu Bondi.


L'associant si souvent aux Suds et à l'été, on en oublierait combien ce champ chromatique peut être froid
et ajouter du frimas aux frimas.



lundi 25 janvier 2021

Vivre : les choses qui commencent

 
La jeune glaneuse / Paul Peel / Musée des Beaux-Arts de l'Ontario / Toronto
 
C'est une évidence, tellement évidente qu'on n'y pense pas souvent : pour tant de choses qui s'achèvent, qui nous lâchent, nous abandonnent, qu'on laisse s'en aller ailleurs faire leur chemin, tant de choses se présentent qu'il s'agit d'observer et de laisser s'approcher. 
Cette question, le soir de Noël : avais-je jamais tricoté ? qui m'a conduite à aller rechercher au fond d'un placard un pullover entièrement créé sous mes doigts rêveurs et inspirés, lequel dormait là depuis... quoi ? trente ans peut-être, cette question m'a ramené une pluie de pelotes et me voici à chaque moment libre en train d'inventer en parallèle deux créations uniques (qui seront je l'espère achevées avant l'été!).
Cette personne rayonnante attirant détente et bonne humeur, sans se soucier d'éventuels retours, ni de possibles rebuffades, cette personne lumineuse, cette présence originale, je la veux, je la vise, je la vois. Et cette autre, tellement orientée solutions, que, face à elle, on ne peut concevoir le moindre problème, je l'embarque, elle aussi, dans mon caddy d'envies.
Et cette balade du soir, qui s'est imposée d'elle-même, et m'offre une lumière qui pavane dans toute sa magnificence, ponctuée de roucoulements lents, longs et satisfaits. Et ces mots qui s'invitent : certainement, mais bien sûr, d'accord, bien entendu. Et ces nouveaux rythmes qui se présentent, nouveaux chants, nouvelles voix, tout ce que je désire accueillir, je leur ai fait place, les voici, les voilà.

dimanche 24 janvier 2021

Vivre : les choses qui finissent

 
 La musique / Edward Burne-Jones / The Ashmolean Museum / Oxford
 
C'est une loi naturelle, tellement naturelle qu'on ne la remarque même pas.Tant de choses commencent, tant de choses finissent. Comme dans un rondo, dont le refrain revient, dont les strophes changent et se renouvellent, que Couperin ne renierait pas, chaque nouveau jour entamé contient en lui mille possibles et, à peine commencé, se destine à être achevé. Il en va de même avec les relations, les objets les plus usuels, les habitudes les plus quotidiennes. Un jour, on se dit : tiens, ce rideau, je n'ai plus envie qu'il soit là. Un jour, on regarde une personne amie en pensant : et dire que je l'estimais et lui trouvais tant de qualités. Un jour, on n'a plus envie d'endosser un cardigan qu'on avait pourtant porté à longueur d'années.
On laisse encore quelque temps le rideau dans sa salle de bain. On voit encore la personne amie, mais on la voit de moins en moins. On enfile encore le lainage et puis un jour, au lieu de le ranger dans l'armoire, on le pose au fond du sac pour le magasin qui donne des coups de pouce.
Les choses finissent sans discontinuer, les choses finissent souvent en douceur, sans se casser, elles s'effilochent et, dans le fond, à quoi bon tenter de rafistoler ce qui est destiné à se terminer ?


samedi 23 janvier 2021

Vivre : la bonne conduite

 

 
Et si la meilleure façon de vivre était de s'inspirer de la conduite sur neige (avec des pneus d'été, cette année, qu'on n'a pas remplacés, parce que ces derniers hivers on avait investi pour rien - ou pas grand chose - dans des pneus mieux profilés) et si la meilleure façon de vivre était de glisser, d'accepter de déraper, toujours par surprise, de ne pas braquer, ne pas freiner brusquement, de lâcher prise, d'affronter avec confiance et d'accompagner le volant avec souplesse, laissant les roues retrouver leur axe tout naturellement. 
Et si la meilleure façon était d'accepter le risque, mais sans prise de risque inutile, de rester vigilant, mais composant avec la perte inévitable de contrôle pour finir par se retrouver dans ses traces, sur la bonne voie, en acceptant de ne pas tout maîtriser, en perdant et retrouvant cent fois l'équilibre, toujours avec foi en la vie et ses possibles.
Et s'il était impossible de rouler toujours sur une route sèche et dégagée, et encore moins envisageable de rester attendre au chaud que la belle saison veuille bien se décider à arriver ?

vendredi 22 janvier 2021

Lire : le voyage des années

 

 
J'apprécie depuis longtemps Laure Adler, qui représente pour moi moins la philosophe et la biographe douée que la précieuse voix du soir, rendez-vous quotidien, arrivant à l'heure bleue, et qui auparavant aimait se focusser sur toutes sortes de hors-champs. J'aime son ton particulier, ses questions qui induisent la confidence, sa manière de dire aux invités "nous vous aimons pour...", "vous nous avez éblouis quand vous avez...", comme si elle parlait en notre nom, connaissant nos goûts sans nous avoir consultés.  
Avec ce livre, elle s'est lancée dans une longue réflexion sur la vieillesse en ce début de XXIe siècle, une enquête qui lui a demandé près de quatre ans, menée au pays de la culture, des EHPAD et de ses amis vieillissants. Elle y raconte moult anecdotes pour dire ce que c'est que "prendre de l'âge", fournit les exemples de gens connus, vivants ou décédés, recourt à la pensée de philosophes, à des phrases de poètes. Elle se confie aussi, à propos de sa propre expérience de (jeune) septuagénaire.
L'ouvrage se laisse lire aisément, entre témoignages, citations philosophiques et analyses sociologiques. L'auteure a l'habitude de rédiger et sait raconter sans ennuyer, au moyen de chapitres courts et de paragraphes efficaces. On y trouve des réflexions qui nous ont traversé plusieurs fois l'esprit et suffisamment de sujets consensuels pour intéresser un vaste public (le coût des EHPAD, le personnel admirable mais très mal payé, l’État qui n'en fait pas assez, l'injustice de l'exclusion progressive, etc etc). 

On se demande à qui s'adresse ce livre. Aux jeunes, à ceux qui ne sont pas encore des "vieux", ni des "séniors", afin de leur permettre de comprendre la réalité de leurs aînés ? Aux gens plus matures, qui s'apprêtent à entrer dans "l'aventure" du vieillissement ? Aux vieux, aux carrément vieux, pour qu'ils se retrouvent dans les réalités décrites et les problèmes relevés, qu'ils y rencontrent un avocat digne de les représenter ?
 
La critique principale que j'aurais envers ce voyage de nuit dans lequel le lecteur est embarqué est de présenter les "vieux" sans tenir compte de leur ancrage social. Car il n'y a pas "une" vieillesse, de même qu'il n'y a pas "une" jeunesse. On est jeune et on est vieux en fonction de la classe sociale à laquelle on appartient. On ne vieillit pas de la même manière selon les moyens financiers, intellectuels, relationnels qui sont à notre disposition. 

Le problème... c'est que l'on referme le bouquin avec une certaine frustration, l'impression de se retrouver certes un peu plus cultivés, un peu plus stimulés à réfléchir, mais pas sûrs d'avoir été invités à penser le vieillissement de manière globale, tant sur le plan socio-politique que sur le plan éthique.
 
On se demande ainsi à quoi sert un regard qui divise la société en strates, séparées par les tranches d'âge, par les spécificités. Ce livre constitue une investigation tous azimuts, mais ne fournit pas de clefs pour penser global. Si on le lit pour chercher comment se positionner soi-même face à son inévitable vieillissement (attendu que vieillir est un privilège, puisque c'est le seul moyen qu'on ait trouvé pour ne pas mourir), on reste sur sa faim. En aucun moment, il n'est question de la composition de cet âge, appelé "vieillesse". Quand est-il censé commencer ? Faut-il inclure dans la même catégorie un alerte septuagénaire et un vieillard grabataire ? Qu'est-ce qui définit la "vieillesse"? La dépendance ? L'impotence ? La perte de moyens physiques ou financiers ? La restriction des relations sociales ? L'inaptitude à se projeter dans un avenir et l'impossible sentiment d'avoir prise sur celui-ci ? La faculté ou non d'apprentissage et de curiosité ?

A traverser avec L.A. le territoire du vieillissement on en vient à se demander : est-il si facile d'être jeune aujourd'hui ? Par exemple, de se trouver étudiant, face à un avenir aux perspectives bouchées ? Ou quadra, devant se battre à la fois sur le front de l'emploi et de toutes sortes d'exigences familiales ? Ou encore quinquagénaire, luttant pour garder sa place, face à une compétition orchestrée et sans pitié ? Sans parler des migrants, des exclus en tous genres ? Une analyse doit-elle être ciblée sur tel ou tel groupe social? La recherche d'une société plus juste ne devrait-elle pas plutôt  concerner l'ensemble de ses membres, lesquels doivent tous être reconnus et intégrés ? La réflexion sur les étapes de la vie ne doit-elle pas être systémique dans un monde où tout et tous sont portés à être chosifiés, utilisés et finalement débarqués?
 
Il y a longtemps, Christiane Singer avait écrit un livre, plus orienté vers la spiritualité, qui s'intitulait "Les âges de la vie". Elle y retraçait les différentes périodes qu'un être humain est amené à traverser au cours de son existence, en montrant le sens que constitue ce cheminement. On existe dans le désir de ses parents, bien avant d'arriver au monde, et notre avancée jusqu'à notre dernier souffle est une trajectoire naturelle, contre laquelle il ne s'agit pas de lutter, mais qu'il s'agit d'expérimenter intensément, suivant chacune des étapes nécessaires et fondatrices qui la composent. Bref, elle offrait une vision globale de la vie, destinée à un être unifié.

Au terme de ma lecture,, j'aurais voulu m'adresser à l'auteure, en lui disant (la paraphrasant un peu) : "Laure, vous vous êtes donné de la peine, merci pour ce livre construit et cultivé, mais, s'il vous plait, approfondissez, votre copie est un peu fourre-tout, un peu bâclée." J'aurais voulu aussi lui rappeler ces mots de Bourdieu, que L.A. admire et dont la pensée est toujours d'actualité. Rappelant que la "jeunesse" n'est qu'un mot  et que les divisions entre les âges sont arbitraires, le sociologue affirmait :

Ce que je veux rappeler c'est que la jeunesse et la vieillesse ne sont pas des données, mais sont construites socialement dans la lutte entre les jeunes et les vieux. Les rapports entre l'âge biologique et l'âge sociologique sont très complexes. ("La "jeunesse" n'est qu'un mot" / Entretien avec A.M. Métailler, paru dans "Les jeunes et le premier emploi", Paris, Ass. des âges, 1978, p. 520-530)

On rêverait de penser à notre vie comme à un tout, un passage précieux et cohérent, une traversée offerte, parsemée de découvertes et d'embûches, un voyage avec ses particularités et ses luttes pour en affirmer sans cesse les richesses jusqu'au tout dernier moment.
 


 

jeudi 21 janvier 2021

Vivre : la cure de janvier

 
Une palissade / Vienne / 2014
 
De même que tant de choses dans la maison demandent à être ordonnées, voire éliminées, certaines réactions, certaines relations, certaines opinions peuvent être triées. On en arrive tout naturellement à appuyer sur "delete" et puis en conséquence à vider la corbeille. Avec une impression de soulagement. Avec le sentiment d'être disponible envers tout ce qui pourra arriver.

mercredi 20 janvier 2021

Vivre : sous cloche

 
Famiglia Valmarana (Isotta et Penelope?) / Giovanni Antonio Fasolo /Palazzo Chiericati / Vicenza
 
Petite fille trop entourée, chérie, préservée, elle n'aspire qu'à recevoir, se ménager, rester autocentrée.
Petite fille gâtée, elle redoute les avanies, les évite tant et si bien qu'évitant elle finit par esquiver la vie. 
 
 

mardi 19 janvier 2021

Vivre : à l'horizontale

 


Aimer
cette heure entre loup et chien
où s'insinuent les possibles
où se dévoilent les desseins.
 
 

 

 


lundi 18 janvier 2021

Vivre : l'invitée

 
Façade de la collection Lambert / Avignon
 
La femme parlait, parlait. A mesure que la soirée avançait, c'en devenait insupportable de l'entendre parler autant. Comment pouvait-on énoncer autant de banalités ? Ressasser autant de lieux communs année après année sans se rendre compte que les anecdotes se faisaient élimées à force d'avoir servi ? (C'est une voisine avec laquelle on partage pour l'essentiel un pommier, depuis douze ans, côté soleil levant). Mais le plus insupportable, de l'entrée au dessert, c'était l'attente : on avait ralenti, on s'était efforcé de manger lentement, tandis que les plats tiédissaient, et que les dernières bouchées devenaient carrément froides en dévalant le gosier, mais quelle qu'ait pu être la stratégie, il arrivait toujours un moment où notre assiette se révélait vide et il fallait alors patienter, avec un estomac frustré, attendre que la femme se décide enfin à progresser dans son histoire et dans sa déglutition. On ne savait plus trop à quel saint se vouer. On aurait voulu lui faire ravaler ses mots ou avaler ses nouilles. Ou les deux à la fois. Dans le reflet de la vitre, il était difficile de discerner l'heure inscrite sur le voyant numérique qui manifestement refusait de collaborer. Rien ne semblait avancer, ni l'histoire, ni le temps, ni la mastication.
A la fin, à la toute fin, heureusement, la femme a décliné l'offre d'un café. Elle a paru alors se rendre compte qu'elle venait d'avoir la dernière bouchée et le dernier mot (toutes les fois qu'on avait tenté de poser une question à son mari, elle l'avait coupé pour quelques indispensables précisions). Un ange est passé, puis un autre. Elle a soudain posé les yeux sur la table, comme si elle prenait conscience de l'endroit où elle se trouvait et elle a dit : J'espère ne pas avoir trop accaparé... ? Elle aurait sans doute eu besoin qu'on la contredise, qu'on lui affirme que pas du tout, c'était intéressant de connaître ses récits et toutes les opinions qu'elle avait énoncées. On a dit ce qu'on a pu, avec ce qu'il nous restait de politesse. On a maudit intérieurement les effets de l'isolement, la perte de repères, ces vannes trop longtemps réprimées qui se lâchent sans plus vouloir s'arrêter. On a pesté aussi contre ces efforts qu'on s'impose parfois envers des gens qui ne nous sont rien, avec lesquels on ne partage rien, si ce n'est un pommier et un repas, une fois par année. On a raccompagné la femme rassasiée en la priant de faire attention aux marches de l'escalier. Le ciel furieusement gris semblait gonflé de flocons, qui ne demandaient qu'à se déverser.
Ailleurs, le jour même, on a appris qu'un étudiant s'était défenestré de désespoir et de solitude. Parmi les effets collatéraux de la pandémie, toute la folie insidieuse qui fait son chemin, toute cette marée de mots et de besoins que certains ne savent comment partager ou ne peuvent évacuer...


dimanche 17 janvier 2021

Habiter : retour chez soi

 

 « Et tous les espaces de nos solitudes passées, les espaces où nous avons souffert de la solitude, désiré la solitude, joui de la solitude, compromis la solitude sont en nous ineffaçables. Et très précisément, l’être ne veut pas les effacer. Il sait d’instinct que ces espaces de sa solitude sont constitutifs. Même lorsque ces espaces sont à jamais rayés du présent, étrangers désormais à toutes les promesses d’avenir, même lorsqu’on n’a plus de grenier, même lorsqu’on a perdu la mansarde, il restera toujours qu’on a aimé un grenier, qu’on a vécu dans une mansarde. » Gaston Bachelard, La poétique de l'espace, éd. PUF, p.28
 
Comment ne pas adhérer pleinement à ces mots de Bachelard ? Comment ne pas vouloir entrer encore et encore dans sa poétique si douce et si proche de l'enfant que nous étions ?
Les maisons essentielles de notre vie - combien peut-il donc y en avoir ? une ? deux ? une petite poignée ? - se retrouvent toutes nichées au fond de nous, dans un lieu imaginaire et sûr où rien ne saurait les détruire ni les effacer.
Quel meilleur moyen, vraiment, pour retracer le parcours de sa vie que de revisiter par la mémoire les maisons passées ? 
Quel meilleur moyen pour savoir si notre vie nous convient que de comparer notre maison actuelle à celles qui nous ont été essentielles ?
Et ce plaisir de trouver sur le chemin de nos balades une cabane, qui éveille au fond de soi le souvenir de toutes les cabanes inventées...


samedi 16 janvier 2021

Vivre : fiat lux!

 
Le Couronnement de la Vierge (détail) / Enguerrand Quarton / Musée / Villeneuve-lès-Avignon
 
Tant de choses se sont mises en travers de mon chemin ces derniers temps - un tout petit peu trop de choses - si bien que quand le garagiste, s'étant penché sur mon feu arrière gauche, m'a dit : je vais chercher l'ampoule de rechange et s'est dirigé vers le fond de son atelier, j'ai été certaine qu'il reviendrait en prononçant d'un air vaguement peiné : désolé, je n'en ai plus en stock. Je dois les commander à la centrale, car elles sont fabriquées en Allemagne. Mais en ce moment, à cause du Covid, leur production a été ralentie et ils ne sont pas en mesure de nous fournir ce que nous leur demandons dans les délais habituels. Il faudra compter quelques semaines. Je vous appelle dès que je les reçois. Au lieu de cela, il s'est présenté avec dans la main une minuscule ampoule Osram H4 XYZ, qu'il a vissée immédiatement, en me demandant un montant ridicule pour ce service. A ce stade, j'ai éprouvé tout au fond de moi quelque chose d'inattendu, que dis-je inattendu ? Quelque chose d'extraordinaire : le miracle des choses qui fonctionnent bien.


vendredi 15 janvier 2021

Vivre : still life / 97

 
 

 
C'est un ange qui veille sur moi depuis très longtemps. Quand il m'a remis ce colifichet ce matin, je me suis réjouie de ces pompons colorés. Puis j'ai vu la maison (j'avais cru à une simple médaille). En ce moment, tout me ramène à la maison : je range, je trie, je jette, je me déleste, j'offre des maisons lanterne, je lis des textes qui parlent de chambres à soi, j'entends évoquer des jardins à défricher, je redécouvre en moi des pièces que j'avais crues à jamais fermées. Je retrouve des serrures que j'avais crues cadenassées. Mais pas du tout : les portes me sont ouvertes, grandes ouvertes et je n'ai qu'à entrer. Les espaces sont là. Ils ont toujours été là. Ils m'attendaient. Les espaces sont là, inondés de lumière, et je n'ai qu'à m'y installer, les parcourir, les aménager : tout un monde à ma disposition, un monde de possibilités qui ne demandent qu'à s'animer. 


jeudi 14 janvier 2021

Vivre : ben voyons!

 
La reine douairière Juliane Marie / Vigilius Eriksen / SMK / Copenhague
 
 
La plupart du temps, quand on pose des limites à des personnes effrontées, 
on entend  : "et dire que j'allais presque te considérer comme une amie!"
Il faudrait donc pour qu'elles daignent éventuellement accorder leur amitié 
qu'on consente à les laisser nous piétiner. Sans façons, Majesté : non, merci. 
 
 

mercredi 13 janvier 2021

Lire : un espace à soi

 


 Si nous ne pouvons pas, ne serait-ce qu'imaginer que nous sommes libres, nous vivons une existence qui ne nous convient pas.

Très vite, en lisant Le coût de la vie, on se sent en terre connue, comme si on rentrait chez soi. Très vite, curieusement, ce récit pour adultes reconduit aux livres de l'enfance dans lesquels on avait tant de plaisir à entrer. Extraordinaires souvenirs! Comme on aime lire durant l'enfance, combien on lit et on relit les livres que l'on a adoptés (ou qui nous ont adoptée, on ne sait jamais très bien). Je me sentais alors toujours en manque. Il n'y avait jamais suffisamment de livres pour satisfaire mes besoins. Mes parents n'en possédaient aucun.  Leur principale préoccupation était de disposer d'assez d'argent pour nous nourrir et nous habiller. La bibliothèque municipale n'autorisait l'emprunt que d'un roman et deux documentaires au maximum. Par la suite, j'ai découvert qu'en classe, on pouvait aussi prendre un livre et le ramener et en reprendre un autre jusqu'à épuisement du stock aligné au fond de la salle. Puis, j'ai appris qu'on pouvait demander un livre en cadeau, comme on demande une poupée. Et enfin, que si l'on avait bien travaillé durant toute l'année scolaire, on recevait en juin un prix lors d'une cérémonie officielle et que ce livre allait devenir un compagnon privilégié pendant les longues trop longues vacances d'été. Par quel mystère Le coût de la vie est-il venu me parler des bulles dans lesquelles mon enfance avait trouvé à se réfugier ? Me suis-je engouffrée dans ses pages avec la même fascination qu'autrefois ? Ai-je éprouvé à nouveau cette impulsion contradictoire de tendre vers la fin tout en ne voulant jamais y arriver ?
 
Le coût de la vie parle d'une femme en reconstruction après un mariage au long cours. Elle se trouve un appartement au sixième étage d'un immeuble victorien (pas vraiment confortable, pas vraiment bien chauffé, mais un logement bien à elle), elle se trouve aussi une vieille cabane pour y écrire (qu'elle partage avec un congélateur et les cendres d'une chienne), elle se trouve un vélo électrique pour garantir son autonomie et passe son temps à assurer sa vie matérielle comme dirait Duras, une écrivaine que Deborah Levy cite énormément. Le coût dont il est question, c'est le prix de la liberté.
Le coût de la vie est un livre que l'on parcourt comme une maison qu'on se sent sur le point d'acheter. On s'y intéresse à des choses très ordinaires, comme un poulet perdu sur une chaussée, écrasé sous une roue et qui fera un excellent souper assaisonné avec de l'ail et du citron. On s'intéresse à une voisine qui cherche à vous pourrir la vie pour tromper son insondable ennui. On s'intéresse au contenu d'un sac à main. A ce que disent les gens à la table d'à côté. Dans ce récit, comme dans la vie courante, il n'y a pas de hiérarchies : les objets quotidiens parlent incessamment de vécus intimes et de blessures secrètes.
Est-ce qu'un homme pourrait aimer lire ce livre "féministe" ? Difficile de savoir. Oui, si cet homme connaît la difficulté d'avoir un lieu à soi, une existence à soi, des espoirs à soi. Si c'est un homme dont les désirs ont été ignorés, niés et qu'il a besoin de les recoller comme on recolle un pot cassé dont on a une vague idée de la forme originale.
Pour illustrer le style de D.L., les chapitres les plus évocateurs sont peut-être ceux où elle parle de sa mère, décédée un an après sa séparation. Cette mère atteinte d'un cancer n'appréciait durant les dernières semaines que les glaces à l'eau (citron vert - ses préférées - fraise et orange). Même s'il n'est pas aisé de dénicher des glaces à Londres en plein hiver, D.L. trouve le moyen de lui en apporter deux par visite et se délecte des petits sons de plaisir émis par la mourante. Or, un jour, il ne reste au fond du bac, dans le petit magasin de journaux tenu par trois frères turcs, que l'intolérable saveur "chewing-gum". La narratrice pique alors une crise devant les trois frères, une crise énorme (qu'elle ira leur expliquer plus tard, après le décès) tellement en colère parce qu'elle sait que sa mère en fin de vie fera la grimace en posant les lèvres sur ce parfum honni. L'accompagnement d'un être proche vers la mort se décrit aussi par des histoires de glaces à l'eau saveur chewing-gum, porteuses d'un phénoménal pouvoir de frustration. Extraits :
 
A quoi peuvent nous servir des mères rêveuses ? Nous ne voulons pas de mères qui portent le regard au-delà de nous, qui désirent être ailleurs. Nous avons besoin qu'elles soient de ce monde, pleines de vitalité, capables, entièrement présentes pour répondre à nos besoins. p.104

Je me suis transformée en promeneuse nocturne, sans bouger de mon fauteuil. La nuit est plus douce que le jour, plus silencieuse, plus triste, plus calme, le bruit du vent qui frappe aux fenêtres, le sifflement des tuyaux, l'entropie qui fait craquer les parquets, le bus de nuit fantomatique qui passe et repasse - et toujours, dans les villes, un son lointain qui ressemble à la mer, qui n'est pourtant que la vie, plus de vie. Je me suis aperçue que c'était ça que je voulais, après la mort de ma mère. Plus de vie. p.114

Durant les quelques semaines qui ont suivi la mort de ma mère, j'ai complètement perdu le sens de l'orientation. J'étais déboussolée comme si une sorte de système de navigation interne avait perdu le nord. Pendant ce deuil, je n'ai pas voulu prendre mon vélo électrique, alors j'ai téléchargé l'application d'une compagnie de taxi sur mon téléphone portable. Le chauffeur était guidé vers l'endroit où je me trouvais, l'idée étant qu'il me conduise ensuite jusqu'à ma destination à l'aide d'un navigateur satellite. C'est à cette occasion que j'ai connu la terreur primale d'être perdue dans Londres, ma ville bien-aimée, alors que je dépendais d'un chauffeur qui n'avait pas la moindre idée d'où il allait. p.119

Deborah Levy est née en Afrique du Sud, d'un père Juif polonais et d'une mère issue de la bourgeoisie WASP. A l'âge de neuf ans, après que son père venait de  passer 4 ans en prison pour soutien à l'ANC, sa famille a émigré en Grande-Bretagne.
Le coût  de la vie appartient à une trilogie autobiographique. Le premier volet s'intitule Ce que je ne veux pas savoir. Le troisième volet est en attente de publication.

mardi 12 janvier 2021

Vivre : la surprise

 
Jeune homme à la fenêtre (détail) / Jacopo Robusti dit le Tintoret / MBAA / Besançon
 
 
Il s'avance et s'arrête. Il vous regarde droit dans les yeux. Il prononce : Je t'aime et je t'admire tout de go.
On en reste sans voix. On défaille. On rougit. Même après plus de trente ans, on ne s'y attend pas.

 

 

 

lundi 11 janvier 2021

Vivre : stupeurs et ébranlements

 

 
Les premiers jours de l'année sont consacrés à l'élaboration d'un journal créatif. Il s'agit de prendre autant de recul que possible pour solliciter la mémoire récente et faire jaillir un bilan de l'année achevée, avec tous les moyens à disposition : illustrations, découpages, peinture, crayons, ciseaux, et déposer cette création - souvent : ces pages de création - dans un épais cahier à spirale. Puis, délaissant le recours au mental, accueillir les images, les mots, les associations qui s'invitent.
Cette fois-ci, un mot s'est imposé : sidération. C'est l'étiquette qui convient le mieux pour définir la prise de conscience qui a émergé (référence étymologique à la mauvaise influence des astres, et aussi, au sens figuré, profonde stupeur face aux événements). Or, la sidération, je m'en suis rendue compte, concerne moins la suite d'événements qui se sont enchaînés durant cette année vingt vingt, laquelle nous a entraînés dans un tourbillon de déconvenues, d'anxiétés et de réaménagements constants, non : la sidération s'applique plutôt à notre (rétrospectivement) abyssale inconscience - j'allais écrire "stupidité" - une inconscience qui a laissé faire, qui a permis les dérèglements de ces dernières décennies. Nous avons cru à la "croissance", à une croissance infinie, au toujours plus, toujours plus vite, toujours plus fort. Nous l'avons même exigée. Nous avions pourtant été prévenus (il date bien de 1972, le premier rapport du Club de Rome ?). Nous avons laissé faire.Nous nous sommes moqués de ceux qui tiraient les sonnettes d'alarme. Nous en avons même ri, comment rient les fous et les idiots.
Et l'année de la sidération est arrivée.
Difficile de cloisonner, de croire que le développement économique est une chose et qu'un virus minuscule, une maladie zoonotique en sont une autre. Difficile de croire qu'en deux coups de cuillère à pot, avec un miraculeux vaccin "Mars et ça repart", tout pourra s'arranger enfin. Difficile, vraiment.
Durant mes pauses, entre deux collages, m'asseoir au bord de la forêt, observant les envolées furtives des mésanges affamées, les tremblements des branches assaillies par les vents harcelants est l'une des activités que je préfère, un point d'ancrage, une source de méditation. Il m'apparaît alors que quoi qu'il arrive au genre humain, la nature saura toujours se sauver. Et cette pensée a de quoi soutenir et arrimer.

dimanche 10 janvier 2021

Vivre : l'énigme de janvier

 
Retable Montini (détail St-Jean-Evangéliste/ Cima da Conegliano / Galerie nationale de Parme

Parfois, en janvier (pourquoi particulièrement en janvier ?) on en vient à se demander ce qui se passe dans la tête de quelqu'un qui fait la gueule (ou, plus élégamment exprimé : qui se met à bouder). D'où provient cette hostilité, d'où provient ce besoin d'esquiver, ces yeux qui ne veulent pas voir et ces mots qui ne veulent qu'agresser ? Quelle phénomène chimique dans le cerveau, quels souvenirs remontés, quelles mayonnaises mal tournées, quelles aigreurs endurées, quel manque désespérant, quel besoin désespéré ? 
Face à ces mines renfrognées, inspirer un bon coup, ne pas donner prise, lisser ses ailes intérieures, tourner son regard vers les busards et leurs volutes si parfaitement maîtrisées,vers les envols synchrones des étourneaux risque-tout et laisser les choses se faire : le soleil des mauvais coucheurs finira, on l'espère, par se lever. Et février par arriver.
 
 

samedi 9 janvier 2021

Vivre : une insupportable petite musique

 
L'Iliade / JAD Ingres / MBA / Lyon

 
Cette voix, cette voix en soi, qui prend le pouvoir et donne de la voix, qui critique, qui amplifie, qui se permet de juger, juste au moment où l'on est un peu fragile, où l'on se sentirait presque défaillir, où l'on se verrait à deux doigts de trébucher, cette voix, impérativement, péremptoirement lui intimer l'ordre de la boucler!


Vivre : impermanences

 


 
Entre espoirs, éclaircies, soupirs, tornades et giboulées, ne jamais savoir de quoi sera faite la journée.




vendredi 8 janvier 2021

Vivre : autodéfinition

 
La collection de l'archiduc Léopold-Guillaume à Bruxelles (détail) / David Teniers / KHM / Vienne
 
Je suis dérouté par la mêlée des vents ; La vague qui roule vient tantôt d’ici, et tantôt de là ; Nous cependant, au milieu des flots, nous sommes emportés avec notre noir vaisseau, ballottés violemment par la grande tempête ; L’eau, dans la sentine, couvre le pied du mât ; Toute la voile est déchirée ; Elle pend en grands lambeaux ; Et les câbles cèdent… // Alcée de Mytilène

 
De tous les gens rencontrés ou croisés ces derniers mois... il semble que ceux qui s'en sortent le mieux, jeunes, moins jeunes, ou carrément vieux, sont ceux qui sont parvenus à garder un cadre. Leur propre cadre. Qu'il soit horaire, ou mental ou encore comportemental, qu'il se le soient approprié au vu des circonstances ou qu'ils l'aient toujours possédé, ils avancent à leur rythme, suivent leur ligne et déroulent leurs projets personnels. Préservant des contacts, mais n'attendant pas de stimulis d'un groupe, de réponses des uns et de confirmations des autres, ils ne se retrouvent pas marris, désemparés, emmitouflés dans leur tristesse, voire leur désarroi. Ils ne se liquéfient pas dans l'attente d'un Godot qui n'arrive pas - lequel finira sans doute bien un jour par arriver, mais qui se laisse momentanément désirer - et vivent leur vie, malgré - ou avec - les donnes imposées. Structurés, souplement ancrés, ils vont leur chemin, parfois ballottés, ou agités par les vents, mais faisant face dignement.
Force de caractère ? Aptitude à l'autonomie ? Conscience de leur valeur, joie intérieure, foi en l'avenir ? Défiance vis-à-vis de toute forme de suivisme ou de conformisme ? Ils sont vivants, chacun à leur manière (ils l'étaient déjà en janvier de l'année dernière) et continuent à le rester.
 

jeudi 7 janvier 2021

Vivre : le courage ordinaire

 
Sybille / J.B. Corot /coll. H.O. Havemeyer / MET / New-York
 
 
C'est une femme sans âge, ou peut-être entre deux âges. On l'a croisée pendant quelques années sur le quai de la gare, en attendant le train qui menait à la ville internationale connue pour abriter une multitude de banques avec leur lot de clients importants. C'était justement dans l'une de ces banques qu'elle travaillait. Elle saluait toujours très aimablement, avec une certaine faconde, tout en précisant qu'elle ne pouvait révéler le nom de l'établissement qui l'occupait à plein temps ni en dire plus sur ce qu'elle y faisait exactement.
On ne savait rien vraiment sur elle, si ce n'est qu'elle vivait seule dans une belle maison en lisière des champs, qu'elle partait tôt le matin et qu'il lui arrivait de rentrer tard le soir. Sauf qu'un jour, à l'occasion d'un retard dû à des intempéries, devant un café, elle avait révélé qu'elle venait de se faire licencier après dix-sept ans de collaboration. "En quinze minutes" a-t-elle précisé sobrement. 
On l'a croisée l'autre jour se baladant sous la neige. Elle nous a interpelés et s'est hâtée de raconter qu'après deux ans de chômage, n'ayant pas retrouvé d'emploi (son statut de "senior", la conjoncture, toute la cruauté ordinaire de ce monde extraordinairement performant...), elle s'était résolue à se former comme thérapeute en chromothérapie quantique (on ne connaissait pas, on l'a écoutée, on n'est pas sûrs d'avoir compris toutes les subtilités de ce traitement).
Et voici qu'à présent son activité indépendante, qui commençait à être rentable, s'est ralentie au point d'être quasiment stoppée.
Ce qu'elle se souhaitait pour l'année 2021 ? "Des clients". Et puis naturellement : "La santé". Elle avait toujours le même sourire vaillant sur les lèvres, toujours la même amabilité, elle est repartie vers la forêt. 
En la regardant s'éloigner, lutin léger et solitaire disparaissant sous les flocons, on s'est dit qu'un bel exemple de courage, c'est peut-être ça : sauver la face, avancer coûte que coûte et garder les larmes au-dedans de soi.
 

mercredi 6 janvier 2021

Vivre : louvoiements

 


Le type parlait dans son smartphone. Il adressait des vœux de manière péremptoire : Je vous souhaite du bonheur, et beaucoup de santé, et de la vitalité, et une vie lumineuse en 2021 ! Puis, il a marqué un temps d'arrêt (son interlocuteur avait peut-être réussi à en placer une ?). Ensuite, le mec a repris : Du reste, la preuve que mes vœux de l'an dernier ont fonctionné, c'est que vous ne l'avez pas attrapé. Vous êtes passé entre les gouttes!
Imparable. Pour ma part, je me suis entendue formuler des vœux sobres ces derniers jours. Rien de trop précis, ni de trop affirmatif. Le proverbe japonais Si tu es pressé, fais un détour m'a semblé une sage injonction. Je l'ai noté dans mon calepin et me suis souhaité de belles sinuosités pendant l'année qui commençait à se déployer.


mardi 5 janvier 2021

Regarder : P., le gibier, la perplexité

 

Fort curieusement, au moment même où je recevais hier l'annonce et les dates des prochaines Rencontres d'Arles 2021, j'étais en train de me poser la question : qu'est-ce qu'une photographie ratée ? Une photo qui rend compte de la lumière, des conditions atmosphériques, des tremblements, des coups de vent et du sujet en mouvement peut-elle être totalement loupée ?
 
Ce matin-là, comme tous ces derniers jours du reste, nous étions les deux seuls insensés à nous être hasardés sur le plateau, à peine le jour s'était-il levé. Il devait faire moins dix degrés (allez! moins cinq en tirant vers le haut). Une bise glaciale soufflait.


P. s'est tout dernièrement pris de passion pour un curieux et invisible gibier qui ne laisse pas de traces dans la neige et le met en état de parfaite effervescence. Il va et vient, indifférent à l'hostilité des éléments.

Quant à moi, les doigts engourdis, je l'observe fascinée, j'en oublie mes pieds glacés et j'adore le suivre dans ses ébats de chien du Sud ignorant superbement les rafales sibériennes. Nous nous baladons ainsi, heureux et givrés, en nous moquant royalement du froid et des résultats.






lundi 4 janvier 2021

Vivre : la suite des jours

 
Agrigente / Nicolas de Staël / Henie-Onstad Kunstsenter / Oslo
 
 
Ouf ! Pas fâchée d'être sortie de cette période de confusion totale, où les dimanches suivaient les fériés, où des ponts étaient annoncés, jamais les mêmes ici ou là, où des ouvertures inexplicables côtoyaient des fermetures justifiées, bref où il s'agissait régulièrement de se demander quel jour on pouvait bien être et de se le rappeler tout au long de la journée.
(sans compter bien évidemment les averses de neige qui venaient tout brouiller et les nouvelles décisions en matière sanitaire, qui, elles, n'ont pas cessé de tomber, et à propos desquelles on continue de s'interroger question cohérence et clarté)
 
 

dimanche 3 janvier 2021

Vivre : perdus de vue

 


sur leurs traces, de mur en mur,
je les avais suivis au mois d'août
(on suait alors à grosses gouttes) 
à présent, saison des pluies revenue,
 papillons envolés, enfants délavés,
tant de cœurs dispersés dans les rues,
que sont les tagueurs de Padoue devenus?