dimanche 31 décembre 2023

Vivre : la chanson de la vie

 
 
Et je suis là, seule, immobile, silencieuse, enveloppée dans les épais draps noirs des ténèbres, de l’ennui, de la détention, de l’hiver – et pourtant, mon cœur bat d’une joie intérieure inconnue, incompréhensible, comme si je marchais sur une prairie en fleurs, sous la lumière éclatante du soleil. Et dans le noir, je souris à la vie, comme si je connaissais un secret magique, capable de confondre tout le mal et la tristesse pour les changer en clarté et bonheur. Je cherche une raison à cette joie, et je ne trouve rien, alors je ne peux m’empêcher de sourire à nouveau – sourire de moi. Je crois que le secret de cette joie n’est autre que la vie elle-même ; si on sait bien la regarder, l’obscurité profonde de la nuit est belle et douce comme du velours ; et dans le crissement du sable humide, sous les pas lents et lourds de la sentinelle, chante aussi une petite chanson, la chanson de la vie – si seulement on sait l’entendre.[Breslau, avant le 24 décembre 1917 ]**
Anouk Grinberg a tout à fait raison. Dans la "vraie" vie ou dans les livres, c'est pareil. Il n'y a pas vraiment de frontières. Lire Rosa Luxemburg, c'est faire une rencontre, une vraie, une qui illumine, loin des lieux communs et des phrases convenues. Dans sa lettre à Sophie Liebknecht, dont le mari est emprisonné, lui aussi, Rosa ajoute ces mots, juste en-dessous de sa signature :
Sonioucha ma chérie, soyez calme et sereine malgré tout. La vie est ainsi faite, il faut la prendre comme elle est, bravement, la tête haute, et avec le sourire – envers et contre tout. Joyeux Noël !…
... Il n'y a rien à ajouter. Sauf peut-être : espérer que l'année 2024 se révèle pourvoyeuse de joie infinie et d'infinie beauté.
 
**Source  : Rosa, la vie : lettres de Rosa Luxemburg, traduit par Anouk Grinberg et Laure Bernardi, Paris, Les Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières, 2009, p. 205-211
 

samedi 30 décembre 2023

Lire / Ecouter : il y a de l'eau et les gens ne savent pas où est le puits

 
Voir page de l'éditeur ICI

Une seule chose me tourmente : c’est qu’il me faille jouir seule de tant de beauté. J’aimerais crier à haute voix par-dessus le mur : « Oh, s’il vous plaît, contemplez cette splendide journée ! N’oubliez pas, même si vous êtes très occupé, même si vous ne traversez la cour que dans la hâte de votre travail quotidien, n’oubliez pas de lever rapidement la tête et de jeter un regard sur ces énormes nuages argentés et sur le calme océan bleu où ils voguent. Contemplez donc l’air alourdi par le souffle passionné des dernières fleurs de tilleul, et l’éclat et la splendeur qui baignent ce jour, car ce jour ne reviendra jamais, jamais plus ! Il vous est offert comme une rose pleinement épanouie qui gît à vos pieds, attendant que vous la ramassiez et la pressiez sur vos lèvres.[Extrait d’une lettre à Hans Diefendbach, Wronke, 6 juillet 1917, vendredi soir]
 
Entre 1915 et 1918, pour s'être opposée à la première guerre mondiale, Rosa Luxembourg a été emprisonnée, d'abord à Berlin, puis dans la forteresse de Wronke en Poméranie, enfin dans la prison de Breslau (Wroklaw en polonais) où elle était autorisée à une sortie quotidienne. Durant cette balade, indépendamment des conditions météorologiques, tout lui était occasion d'observer et de s'extasier devant la vie qui se déroulait sous ses yeux. Des pans de l'existence dont rien ne semblait lui échapper. Le ciel et ses nuages; des oiseaux (dont une mésange apprivoisée); des insectes (elle aime à protéger du froid une petite coccinelle); et aussi la végétation qui poussait là. Rosa était depuis toujours éprise de sciences naturelles. Toute jeune, elle avait entamé ces études avant de se tourner vers l'économie et la philosophie.
 
Tout dernièrement, au Book Club, Marie Richeux recevait Muriel Pic qui a coordonné la publication de cet Herbier de prison et assuré sa préface. Il contient en fac-simile 133 planches regroupées en sept cahiers et une soixantaine de lettres correspondant à chaque période de confection. 
 
Deux planches

Anouk Grinberg, ardente admiratrice et magnifique passeuse, avait déjà publié une bonne partie de la correspondance de la militante socialiste en 2009. Elle en avait aussi tiré un spectacle (voir le billet rédigé : ICI).  Le Book Club a diffusé l'autre jour un extrait où la comédienne évoque ce que lui a apporté la figure de Rosa : une révélation et une urgence à la partager.
On n'en sort pas indemne, de ces lectures. Ce sont des textes qui ont un tel pouvoir. Ça ne reste pas dans le domaine de la culture. Ça bondit dans votre vie et ça, c'est gai. Finalement, on n'en fait pas beaucoup de rencontres, que ce soit dans la vraie vie et même dans la littérature, et moi quand j'ai vu à quel point ça m'a lavée, construite, sculptée, à quel point j'ai retrouvé le goût de la vie... et le goût de la vie, c'est pas des grands trucs...
On s'aperçoit en lisant ça qu'on est devenus infirmes du côté du bonheur, mais vraiment infirmes, et je ne pense pas que c'est une affaire personnelle...
Ces textes ne sont pas connus, c'est incroyable! Il y a de l'eau et les gens ne savent pas où est le puits. Quand même!
Pour réaliser son herbier, Rosa trouve des spécimens au cours de ses sorties. Elle se fait également envoyer des graines et des fleurs séchées de ses correspondants. Sa démarche tient de l'émerveillement face au vivant sous toutes ses formes (elle n'est pas loin de se trouver oiselle ou fleur). Il y a tant de leçons tant de lectures possibles de son exemple. Ainsi, la liberté et l'enthousiasme qu'elle pouvait trouver au sein de son enfermement laisse pantois. On se doute qu'on n'est-on jamais aussi libre qu'on le croit. Ni aussi cadenassé.

vendredi 29 décembre 2023

Vivre : still life / 140

 

Chaque année, la maison se décore pour les Fêtes. En début décembre, les idées arrivent généralement d'un coup. Seulement cette année, je me sentais peu inspirée et.. rien ne venait. Il semblait que nous n'ayons besoin que des énormes ronds réalisés avec des tiges souples cueillies durant nos balades, enrubannées de lumignons et qui donnaient à nos soirées des allures de gros ballons d'espoir, lancés comme des bouées dans les ténèbres. Des bougeoirs dispersés, plus quelques lanternes pour attirer de potentiels lutins. Et puis, une après-midi, via dei Neri, nous sommes passés devant une vitrine de restaurant avec des dessins comme ceux que réalisent les petits, en maternelle. Sans perdre une minute, j'ai foncé dans la première papeterie en vue, car moi aussi je voulais un énorme nounours qui impose sa présence blanche dans la maison. Depuis, étalé sur tout un vitrage, nous accueillons un invité des plus charmants, poli et pas du tout envahissant. Il s'appelle Sandro et va encore rester ici pendant quelque temps avant de s'en aller rejoindre l'univers rassurant des contes d'enfants.

jeudi 28 décembre 2023

Vivre : la couleur d'un sentiment

 

Mais pourquoi tendre toujours vers cette couleur ?
Simple : parce que le jaune, le jaune c'est la joie.

mercredi 27 décembre 2023

Vivre : still life / 139

 

 
En période de Fêtes, les cadeaux constituent, semble-t-il, une complication. C'est ce que nous apprennent divers médias, évoquant pour certains les difficultés à trouver quoi offrir (un casse-tête épuisant auquel ils répondent par mille suggestions) et pour d'autres des réalités liées à la crise, comme l'explique ce billet de France Inter. 
 
Quelle misère que de devoir échanger des choses et des choses qui ne pourront pas faire plaisir... (une réalité de pays riches appelés à se réveiller tôt ou tard avec une gueule de bois, mais ça, c'est une autre histoire). Offrir par "devoir" et dans un évident "manque de plaisir" n'est-ce pas tout simplement incompatible avec l'idée même d'offrir ? Ne parle-t-on pas simplement de manque d'amour ou d'amour qui ne sait pas se dire ? Ou alors de façades, d'images sociales, de faire-valoir ?

Dans l'idéal, la valeur d'un cadeau ne devrait jamais être liée à une question monétaire. Son estimation devrait tenir à la joie qu'on se procure en donnant et à la joie qu'on éprouve à recevoir. Ces plaisirs-là ne sont liés à aucune sorte d'obligation. Dans l'idéal, l'élan qui pousse à choisir pour quelqu'un d'autre un objet, ou une expérience, pourrait être conçu comme un boomerang de contentement. Dans l'idéal, on se forcerait a minima, surtout s'il est question de Fêtes et de joie.

Et puis, une fois remis à son destinataire, ce cadeau qui nous aura fait tellement plaisir en tant que donateurs ne nous appartient plus. Il s'envole vers sa destinée comme un cerf-volant coloré survolant le grand carrousel de la vie. Apprécié, il trouvera à réjouir. Moins estimé, il pourra se transformer et aller vivre ailleurs une autre trajectoire : être recyclé, être échangé, revendu ou donné. Le pire sort qu'on pourrait lui trouver, c'est de le voir remisé tout en haut d'une armoire. L'inutilité est une condamnation barbare.
 
Pour ma part, j'adore les cadeaux. J'adore l'impulsion qui me porte à les choisir. J'aime aussi beaucoup en recevoir. Même quand ils ne me semblent pas correspondre à mes désirs, le fait qu'on ait pensé à moi me va droit au cœur et je trouve toujours quoi en faire. Je suis persuadée qu'il y a obligatoirement quelqu'un qui les attend quelque part. Un cadeau, dans le fond, ce n'est pas si compliqué : c'est une connexion appelée à se faire.

mardi 26 décembre 2023

Vivre : sans conditions

 
Descente de Jésus aux Limbes (détail) / Bronzino / Basilique de Santa Croce / Florence
 
 
Elle murmure : je devrais, je devrais, je devrais.
Devoir : verbe tyrannique, particulièrement cruel
quand il est conjugué au conditionnel...

lundi 25 décembre 2023

Vivre : turn off

 

C'est le soir du vingt-cinq. Le ciel lui parle infiniment. Il lui parle depuis le matin, quand les nuages ont décidé de dessiner sur l'horizon des branches gris de lin et rose bonbon, de danser à la manière des arbres s'adonnant avec prouesse à ce genre d'imitation. Deux voiliers rentrent au port, qui s'étaient fait la malle en douce sur le lac céladon. La journée fut paisible - un silence tendre comme un édredon constellé de quelques apostrophes bon enfant - quelques cris, quelques familles sur les chemins, histoire d'éliminer les trop plein. 
C'est le soir du vingt-cinq et la Fête tant attendue tant annoncée est en train de se dissoudre dans les chaumières en même temps que pas mal d'Alka Selzer. On remballe, on entasse, on charge les coffres, on s'embrasse. On s'efforce de gérer les enfants surexcités, déjà frustrés d'avoir été trop gâtés. On se réfugie dans sa voiture, soulagés. Irrités. Embués. Submergés. Écrasés par le trop reçu, le trop donné, le mal compris, le mal entendu. D'un coup, le ciel s'est grisé, la lumière aplanie, l'ampoule grillée et c'est déjà la nuit. Sur les routes, les autoroutes, les phares gambillent.
C'est le soir du vingt-cinq. Les flammes partent à l'assaut du noir et le noir vacille. Son regard va du four aux bougies. Ça sent bon dans la maison. Ça sent bon la magie. Ça sent bon l'espoir rendu et cet espoir n'a pas de prix.

Regarder : face-à-face

 
La pêche de Pierre / Masaccio

En 1423, à Florence, le richissime marchand et notable Felice Brancacci, allié à la puissante famille des Strozzi, commandita une œuvre de grande envergure dans une chapelle de l'église Santa Maria del Carmine. Cette église se trouve au cœur de l'historique quartier de Santo Spirito, situé dans l'Oltrarno, c'est-à-dire sur l'autre rive de l'Arno, par rapport au centre politique que représentait le palais de la Signoria. 
 
Pour réaliser sa commande, Brancacci s'adressa à deux peintres renommés de l'époque : le plus âgé, Masolino da Panicale (1483-~1440), était réputé pour son style raffiné, rattaché au gothique international. Originaire d'Ombrie, il était à la tête d'un atelier et s'était choisi pour assistant le jeune Masaccio, natif de Toscane et âgé d'à peine 22 ans, mais dont la notoriété était déjà bien affirmée grâce à l'audace et l'innovation de son langage pictural. Aux âmes bien nées la valeur n'attend pas le nombre des années... apparemment la réputation du jeune prodige s'était répandue comme une traînée de poudre auprès des connaisseurs.
 
La résurrection de Tabita (détail) / Masolino
 
Tête de saint / Le paiement du tribut / Masaccio

Le cycle prévu comprenait des scènes de l'ancien testament (la Tentation d'Adam et Êve; l'Expulsion du paradis) ainsi que certains épisodes de la vie de Saint-Pierre, saint protecteur de la famille Brancacci (voir ICI  en bas de page la description du cycle). Les deux collaborateurs se sont répartis les scènes, travaillant chacun selon sa manière à chaque extrémité des passerelles. Il est fascinant d'observer les fresques et de chercher à identifier quelle partie relève de l'un ou de l'autre peintre. Leurs langages réciproques se répondent avec une harmonie certaine, dans une évidente différence de style, sans jamais se heurter. Les admirer signifie prendre la mesure de ce que la Renaissance florentine a pu représenter dans le domaine de l'art. 
Tout au long des parois se déroule une transition en images : le passage d'un langage précieux et délicat à un expressionnisme naturaliste. Un peu comme un marcheur effectue un pas en avant, en ces lieux, au début du XVème siècle, la peinture a cherché à s'émanciper d'anciennes formules et d'anciens codes esthétiques.
 
  Deux personnages centraux / La guérison de l'infirme et la résurrection de Tabita (détail) / Masolino
 
La distribution des biens / Masaccio
 
Masolino, bien  qu'ouvert à la nouveauté, apparaît comme rétif à bouleverser la tradition à laquelle il appartient, tandis que le fougueux Masaccio ose la perspective, les corps, les incarnats, les muscles, l'expressivité avec des formules qui aujourd'hui encore étonnent par leur modernité.
 
Adam et Eve chassés du Paradis / Masaccio
 
La tentation d'Eve et d'Adam / Masolino

Les travaux allèrent de l'avant dans l'étroite chapelle du transept pendant quelques années. Puis, il furent suspendus. En 1428, Masaccio, le génie impétueux, meurt à l'âge de 27 ans à Rome sans qu'on connaisse les motifs de son voyage. En 1435, le commanditaire tombe en disgrâce et est contraint à l'exil par l'arrivée au pouvoir des Médicis, ennemis jurés des Strozzi, ses protecteurs.
 
La chapelle resta ainsi inachevée pendant des décennies. Ce n'est qu'en 1480, après la réhabilitation de la famille Brancacci et bien après le décès des premiers artistes, que l'on fit appel à Filippino Lippi pour compléter l'ouvrage. Filippino était le fils du célèbre peintre Filippo Lippi (Fra Filippo comme on l'appelait) un carme appartenant à la congrégation liée à l'église, qui avait été un élève de Masaccio cinquante ans auparavant.  

Filippino, lui aussi très jeune, porta à terme la décoration de la chapelle avec sa propre personnalité artistique. Il convient de souligner qu'il avait été à bonne école : non seulement il avait bénéficié de l'enseignement de son père, mais aussi de celui d'un autre artiste de talent, un certain Alessandro di Mariano di Vanni Filipepi, mieux connu sous le nom de Sandro Botticelli. Il est couramment admis qu'il a réalisé un portrait de son illustre maître en bonne place, le plaçant au centre de la paroi droite, à côté de la Crucifixion de Pierre. Une manière de rendre hommage à l'un des peintres les plus renommés de son époque :
 
Portrait de Botticelli / Filippino Lippi
 
Actuellement, les visites autorisées de manière restreinte offrent une rare opportunité puisque des échafaudages ont été installés pour permettre la restauration en cours. On peut dès lors monter sur deux niveaux pour admirer en face à face les réalisations et s'en approcher de telle sorte qu'il semble pouvoir les toucher. C'est sans doute cette proximité avec les peintures qui rend la visite particulièrement émouvante. On peut avoir l'illusion de se trouver en compagnie des peintres, de sentir leurs présences et leurs impulsions à créer. Masaccio s'est même portraituré, avec quelques amis : le voici près du saint patron, qui scrute le spectateur. A ses côtés, Masolino (Petit Thomas en italien), Leon Battista Alberti et derrière eux, le génial Brunelleschi :



Après la visite, on porte longtemps en soi les échos de ce moment, comme un trésor, un cadeau intangible et inoubliable reçu en cette fin d'année. Rien de matérialiste, juste une expérience d'équilibre et de sérénité, messagère d'un univers bien vivant malgré les vicissitudes et les siècles traversés.
 
 

dimanche 24 décembre 2023

Vivre : sans dé-penser

 
 Site BCU Lausanne
 
 
Devant l'imposant palais de Rumine, l'affiche invitait à se libérer :
Offrez-vous la gratuité!
Quel meilleur motto pour terminer et commencer dignement l'année ?

 

samedi 23 décembre 2023

Vivre : des foules tout sauf banales

 
Vitrine via Santo Spirito / Florence

 
Y a-t-il question plus embarrassante, quand on y pense, plus indiscrète, plus normative, plus violente, parfois, que celle qu'on ne cesse de nous poser en ce moment ? "Qu'est-ce que vous faites pour Noël ?" On peut préparer des réponses toutes faites, bien sûr, des DIY prêtes à l'emploi. On peut répondre n'importe quoi. Mais cette simple question bateau renvoie chacun à des couches très profondes en soi. Tout le monde le sait. Tout le monde le comprend confusément. Il y a fort à parier que peu de gens aiment vraiment répondre à ce type d'interrogation qui les ramènent à des réalités  tout autres qu'ordinaires.**

Et pourtant la question circule en mode viral, plus invasive que la variante Pirola. Plus les tensions sont fortes, les échanges crispés dans les rues, les espaces publics et les magasins, plus l'inattention à l'Autre gagne du terrain, et plus les questions se font distraites. "Qu'est-ce que vous faites pour Noël ?". Quoi de plus normal ? On se croit poli en tentant de converser ainsi. Et il en va de même pour les vœux. Quelle empathie dans tous ces bonheurs, toutes ces santés, toutes ces prospérités adressées à la chaîne ? En quoi ces mots convenus, chargés de vide ou de trop-plein, tiennent-ils compte de la personne à qui l'on s'adresse ?
 
L'autre soir, à la librairie Feltrinelli, tandis que la nuit attirait les badauds depuis la piazza della Repubblica, deux personnes se sont approchées de nous, désireuses de nous parler, va savoir pourquoi. Cela nous a valu deux échanges des plus intéressants, brefs, mais très intéressants (il y a parfois des inconnus qu'on aimerait inviter sans façons à prendre un verre pour continuer la discussion).
 
Au moment de la quitter, j'ai lancé à la femme qui travaillait comme guide culturelle en français : "Que pouvons-nous vous souhaiter pour l'année à venir ?" Elle a hésité pendant un fraction de seconde puis a répondu : La Paix!  Elle est partie en répétant de manière affirmée : LA PAIX! Un autre interlocuteur, très élégant, qui venait de nous raconter une bonne partie de ses soucis devant le stand des sciences politiques, nous a lancé : "Un travail sûr pour mes enfants!".
 
Hélas, après ces dialogues sincères, un seul coup d’œil aux livres de géopolitique exposés bien en vue par les libraires indiquait combien la réalité des faits risquait de s'opposer à ces désirs légitimes et à leurs sympathiques porteurs.


** Sauf les familles avec deux enfants blonds, des cousins et un chien, des grands-parents souriant de toutes leurs dents, habitant dans une belle maison, veillant à manger sain, sans lactose et sans gluten, ouvrant des cadeaux certifiés en bois FSC destinés à les combler.
 

Vivre : sans exagération

 
Annonciation (détail) / Botticelli / Galeries des Offices / Florence
 
On est époustouflée par la générosité ou par ce corollaire : la bonté, l'élan qui porte à donner et qu'on reçoit en plein cœur. Mais attention à ne pas trop remercier. La personne qui donne le fait avec simplicité, naturel et c'est avec naturel, tout simplement, qu'il s'agit de manifester sa reconnaissance. Ne surtout pas aller troubler le courant d'une source claire.

vendredi 22 décembre 2023

Vivre : comme le disait Eleanor

 
Ritratto di Pietro Carnesecchi / Domenico Puligo / Gallerie degli Uffizi / Firenze
 
Personne ne peut vous faire sentir inférieur sans votre consentement.
Eleanor Roosewelt 
 
Elle a dit : "C'est la personne la plus déprimante que je connaisse". Elle parlait de quelqu'un de pas très solaire, effectivement. Mais, dans le même temps, personne n'est en mesure de vous déprimer sans votre consentement. 
 

jeudi 21 décembre 2023

Vivre : solstice

 
Descente du Christ aux limbes (détail) / Bronzino / Basilica di Santa Croce / Firenze
 
C'est le mal du solstice, quand arrivent les tout derniers jours, quand tout s'apprête à s'arrêter pour que d'autres choses commencent ailleurs, autrement. C'est un mal un peu sournois, qui arrive sans crier gare. C'est un mal doux tout à la fois. On se surprend à observer un ouvrier sur un toit, avec tendresse, avec prévenance. On est toute étonnée de se trouver rassérénée à le voir, là, tenace, penché sur sa tâche, clouant ses dernières lattes, s'assurant qu'elles seront bien fixées, que la maison pourra compter sur elles pendant les prochaines années. Le mal peut vous saisir ainsi devant un arbre mutilé qui tient à se tenir droit. Ou une libraire avec sa manière bien à elle de boucler des ficelles que peut-être personne - personne d'autre que vous - ne regardera - pardon : ne verra. Le mal du solstice s'installe. Il durera quelques heures ou quelques jours. C'est peut-être la fatigue qui vous rend fragile, sensible à tant de choses qui sont si normales. Mais la normalité évidente, la normalité qui va de soi, la normalité qui efface, est une chose cruelle et c'est pourquoi on souffre - tout doucement - de ce mal tendre et sournois.

Vivre : ces moments où on ne sait pas

 

Il y a ces journées où le jour peine, il nage en plein brouillard, nous laisse en proie au démon de la blancheur. On pourrait se sentir perdus. On préfère se tourner vers un efficace polar. Et puis d'un coup, à la toute fin, le paysage se découvre, s'illumine, se dore, interpelle, séduit, frémit, blondit. Alors arrive ce moment où le temps se suspend et nos attentes aussi. On abandonne le livre et ses mystères. On scrute le ciel. On patiente. Peut-être une boule de feu va-t-elle apparaître, éclater, imposer sa lumière à notre univers. Ou peut-être pas. Peut-être que le brouillard reprendra ses droits. Aimer ce moment où, justement, on ne sait pas. Aimer observer. Aimer supposer. Et puis...


... subitement, nous nous retrouvons plongés dans un climat kitch et sanglant. Et alors...


et alors... parmi les derniers feux du jour mourant... on finit par savoir...
 

mercredi 20 décembre 2023

Vivre : bas de gamme


  Santa Maria Novella
 
Où que nous allions, la ville nous en faisait voir de toutes les couleurs. Même quand nous décidions de ménager notre nuque éprouvée, nous détournant des grands maîtres et des illustres concepteurs, nous nous retrouvions encore et encore confrontés à l'art de vivre en images, sollicités toutefois en mode mineur.
 

 


 
 

mardi 19 décembre 2023

Vivre : assumer

 
Portia / Fra Bartolomeo / Galeries des Offices / Florence

Faire un choix. Un choix ferme et léger (d'autant plus léger qu'il sera fermement adopté). 
Faire un choix et éprouver alors une étourdissante sensation de liberté.

lundi 18 décembre 2023

Voyager : le meilleur endroit, au meilleur moment

 

Certes, la ville était flamboyante en plein jour : ses vitrines classieuses, ses palais festonnés, ses sculptures, ses pierres altières. "Un musée à ciel ouvert" s'était exclamé un inconnu bouleversé par tant de magnificence. Mais à peine la nuit tombée, la cité des Médicis redoublait de faste et d'élégance. Accoudés au parapet du Ponte della Carraia, dégustant une glace au chocolat noir (détail à première vue insensé après un repas des plus convaincants, mais s'il y a une ville où il est légitime de savourer un sorbet après 22 heures en plein mois de décembre, c'est bien celle-là) nous nous sommes laissés envelopper par la beauté des lieux. C'était un moment où il n'y avait plus de place pour les mots. Les sensations étaient plus que suffisantes.
Depuis l'aube, nous avions quitté des arbres inondés de brume, longé des montagnes couvertes de sapins comme autant de flèches dressées vers un soleil hagard, fui les traitrises du Pô et de ses brouillards, abandonné derrière nous tous les enchevêtrements des autoroutes enrubannant Milan. Nous nous étions laissés couler le long des Apennins et nous avions enfin retrouvé la magie de la chambre numéro vingt et un et les ballottements du bus numéro 11.
Ce soir-là, de toute évidence, il s'agissait de coller notre regard envoûté, franchement voyeur, sur l'accouplement magnifique entre la ville et son fleuve, en sirotant la meilleure glace au monde voluptueusement  (et tout à fait déraisonnablement).
 


samedi 16 décembre 2023

Regarder : la chapelle et ses personnages

 
 
Toi, oui, toi, Filippino, toi et Masaccio, le maître éclairant que tu n'as jamais  rencontré, et Masolino et Sandro, le luxuriant Botticelli, et Brunelleschi le surdoué, comme il me tarde de revoir vos portraits. Tant de portes fermées, d'horaires chamboulés, de restaurations annoncées, tant de virus et d'obstacles durant ces dix dernières années. Mais maintenant, c'est bon, je viens de recevoir mon laissez-passer, rendez-vous est pris, attendez-moi, j'arrive. On va enfin pouvoir se retrouver en vrai!


vendredi 15 décembre 2023

Vivre : certitudes / incertitudes

 

Elle se retourne : "On dit  qu'il est difficile d'avancer en ces temps incertains"

"Mais, en ces temps, ce qui est plus que certain, c'est qu'on est dans le pétrin."



jeudi 14 décembre 2023

Lire : books on books

 
Books on Books / Liu Ye / 2007 / Biennale Venise 2017

 

Si la boulimie est un grave trouble des conduites alimentaires, un consumérisme anarchique mettant le corps en danger,
pourquoi donc la boulimie en matière de lecture serait-elle plus saine pour l'esprit, en quoi y aurait-il matière à s'en vanter ?


mercredi 13 décembre 2023

Vivre : renaissance

 

pourquoi inviter la lumière 
quand c'est elle qui t'invite 


à chasser l'obscur ?


mardi 12 décembre 2023

Vivre : protections

 
New York City Sliker / Carol Feuerman / Biennale Venise 2017
 
Ah! Que j'aime ma parka! Je l'adore et l'ai choisie autant pour son esthétique que pour son aptitude à me protéger du vent et de la pluie. Je l'enfile et je pars, insouciante et ravie, trois fois par jour - au moins - le chien sur mes talons ou truffe en l'air loin devant. Je brave les éléments. Je plonge dans les flaques, indifférente aux trombes et aux déferlements. Il y a juste que... j'aimerais pouvoir me procurer une parka similaire - bien résistante, parfaitement étanche - pour affronter ce monde cyclothymique et ses grands huit épuisants!

lundi 11 décembre 2023

Vivre : il pleut décembre

 
Evicted Tenants / Erik Enningsen / KMS / Copenhague
 
La femme avançait en direction de la gare et tirait par la main une enfant pas vraiment motivée. C'était une femme encore jeune, mais son regard paraissait harassé. On eut dit qu'il cherchait désespérément quelqu'un sur qui s'acharner. Il lui manquait à peine vingt mètres pour atteindre son quai, le train n'était pas encore annoncé, mais la femme semblait pressée. L'enfant tanguait, ouvrait de grands yeux qui lançaient des SOS. Sa mère l'a posée sur un banc, puis a sorti son téléphone et s'est mise à vociférer. Elle déversait dans l'appareil toute sa rage de décembre, toute sa vie ratée, toutes ses factures impayées. Le train s'est enfin profilé, a imposé son grondement et sa cadence, a hoqueté avant de larguer quelques silhouettes furtives que la pluie a noyées. Puis il est reparti, en mugissant, en soufflant, en emportant la femme, sa voix de crécelle furibonde, et l'enfant aux yeux immenses, des hublots tournés vers le monde, l'implorant d'aider sa maman.

dimanche 10 décembre 2023

Vivre : pourquoi ronchonner ?

 
Harlequin assis au fond rouge / Pablo Picasso / 1905 / Nationalgalerie / Berlin

 
la contrariété : vite effacée par la créativité 

samedi 9 décembre 2023

Vivre : bon à prendre

 
Statue / Jardin des Tuileries / Paris
 
 
Avec tes défauts, pas de hâte. Ne va pas à la légère les corriger.
Qu'irais-tu mettre à la place ?
 
 Poteaux d'angle / Henri Michaux / Gallimard / p.9
 
Ces derniers temps, je vis une période bénie d'indulgence envers moi-même.  Quoi que je fasse, j'ai toujours raison, je suis toujours dans mon bon droit, j'ai fait de mon mieux et je m'en félicite. Je suis pour moi la meilleure des mères. Pourvu qu'un excès de perfectionnisme ou de malencontreuse modestie ne vienne pas déstabiliser tant de doux compagnonnage!

vendredi 8 décembre 2023

Vivre : les lignes de partage

 
Les Iles singulières / Jean-Michel Othoniel / Domaine Lacoste / Le Puy-Ste-Réparade

Nullement choisi, rarement ami, parfois subi : tout l'art est de le (et de se) tenir à bonne distance. Parfois sans autres liens que celui de partager une paroi ou une barrière, ou d'emprunter matin et soir le même chemin, de se croiser d'un signe de tête ou de la main. Pas besoin de chaleureuses intimités ni d'affinités électives, mais à bien plaire : les échanges de bon procédés, les transports d'enfants, les papotages ou les dépannages, les vœux ou les apéros, les commentaires sur le temps à défaut de points communs. Des choses apparemment secondaires, et pourtant : dira-t-on jamais assez l'importance du voisin dans le sentiment réconfortant d'être chez soi ? 
C'est lui qui nous exerce à l'art de la discussion, de l'équilibre, de la conciliation. En conclusion : parmi les luxes que l'on peut rarement s'offrir, le conflit de voisinage est sûrement un de ceux qui reviennent le plus cher. Très coûteux en énergie il contamine la qualité de vie. CQFD : Voisiner avec sérénité participe grandement à la santé.

jeudi 7 décembre 2023

Vivre : simple comme...

 
Retour de la Fête de la Madone de l'Arc / Léopold Robert /Le Louvre / Paris
 
 Loin des mauvais coucheurs et des défiances,
un éclatant "bonjour!" comme une évidence.

mercredi 6 décembre 2023

Lire : allume tes lumières, prends tes skis et suis ta traque, chum

 

 
 Ça, les autres, c'est souvent des têtes de bois. Faut pas s'user à leur faire entrer
quelque chose dans le crâne s'ils veulent pas. Si c'est ce que vous essayez de
faire, vous vous râpez les nerfs pour des noix.[p.104]
 
 
Il y a pas mal d'années, une vive controverse (c'est-à-dire une tempête dans un verre d'eau helvétique) était née entre un écrivain doté d'un Prix Goncourt et un critique littéraire vaudois qui lui reprochait de ne pas savoir rendre les dialogues de manière "réaliste". Un débat de plus dans le petit monde des Lettres romand auquel notre professeur de littérature avait jugé bon de consacrer une heure de cours (ce qui m'avait semblé alors un peu longuet : la langue parlée et la langue écrite sont des choses qui n'ont rien à voir. Elles ne roulent pas sur les mêmes rails. A chacune son territoire. Essayez donc de transcrire un discours. Plus vous lui serez fidèle et plus les répétitions, les hésitations, les suspensions deviendront insupportables à déchiffrer). Toutefois, depuis lors, quand je lis des romans très dialogués je suis sensible à la vivacité des entretiens. 
 
Avec " Sous les vents de Neptune", un Vargas de très bonne tenue que je n'avais pas relu depuis sa sortie en 2004, l'autrice donne du piment à toutes les scènes et réussit le coup de force de rédiger quasiment la moitié des échanges en canadien. C'est savoureux, sans compter l'intrigue terriblement bien construite. De quoi passer une ou deux après-midis à hoqueter de rire tandis que mésanges et rouges-gorges se pressent sur la terrasse :
Inquiète-toi pas, je l'ai pogné par les schnolles dans son pick-up. Mais pour le faire jaser, ça a été une autre affaire. Il se tenait sur sa grandeur et il m'a d'abord conté des romances par poignées. Alors j'y suis allé tout fin drette et je l'ai menacé de le mettre à la glacière. [p.422]
 
Tu m'as bien niaisé en prenant le bord tout d'une fripe. Pour te parler dans la face, je dois te dire que je me suis fâché noir.[p.435]
 
T'as la tête croche, pour un pelleteux des nuages.

Je suis pas devineux, mais je dirais de prendre ta logique à deux mains et d'allumer tes lumières.[p.439]

Ton gros casque, Brézillon, il a convié le surintendant, histoire qu'ils ramarrent les bouts ensemble. [p.428]

Criss, ça fait plaisir de voir ça [...]. Tout le monde est habillé fouledresse, hein ? T'es bien beau sur ton fourty-five.[p.435]
Et la morale de l'histoire, c'est Sanscartier le Bon, le doux, l'indispensable qui la prononce : Le prends pas personnel, mais si ça te colle les bleus, c'est que tu te mélanges dans ton tricotage. 
 

mardi 5 décembre 2023

Vivre : la météo émotionnelle

 

Ces moments rares, mais pas tant que cela, 
ces moments de larmes qui sont en réalité de joie, 
quand les souvenirs viennent, tels des caresses,
rappeler la trame, ramener les fils et tisser l'histoire.


lundi 4 décembre 2023

Vivre : évidence

 giovane donna in vesti orientali / Ginevra Cantofoli / Musei civici / Padova


Pourquoi y penser ? Y repenser ? Tergiverser ?
Puisque la solution tient dans un simple "non" ?