mercredi 30 juin 2021

Vivre : se prendre au jeu

 

Là-bas, j'ai eu envie de me mettre à la pétanque et de me remettre au ping-pong, et puis aussi de racheter des raquettes de badminton. Je me suis penchée sur des glaces aux parfums pastèque, pistache, sésame noir et melon. J'ai passé des heures à feuilleter des romans déchirants et des albums chavirants.
Je suis entrée dans toutes sortes de minuscules échoppes et drogueries pour hésiter entre bonbons carrés et bonbons ronds. Mes préférés : fraise rhubarbe et sauge citron. 
Un soir, dans la chaleur étouffante qui précédait un orage, tandis que sur la piazza della Libertà tous les yeux étaient rivés sur deux écrans, et qu'apparemment ceux-ci n'étaient pas connectés à la même chaîne, car du bar Centrale les "hourra!" et les lamentos de déception arrivaient toujours avec quelques fractions de secondes de retard sur les élans fougueux provenant du bistrot situé juste en face, déçue par le jeu désolamment défensif de mon équipe, j'ai préféré abandonner la partie pour aller ronger mon frein avec toutes sortes de rongeurs qui avaient d'autres buts dans la vie.


 

Via Dante Alighieri / San Quirico d'Orcia

mardi 29 juin 2021

Vivre : renouer

 Pilastre / Abbaye de Sant'Antimo

Rentrer de quelques jours ailleurs. 
Qu'est-ce qui nous rend si aptes 
à déchiffrer, à défier nos impossibilités ?
Avec le recul, tout devient si clair. 
Au fil des jours, où va se perdre la lumière ?

lundi 28 juin 2021

Vivre : poste restante

 
Colle Val d'Elsa
 
Peu importent les chemins et leur mystère, l'essentiel est que les messages parviennent à leurs destinataires.
 (phrase entendue dans "Dolor y gloria" de Pedro Almodovar)
 
Il y a les courriers égarés et les mots vite tracés. Il y a les enveloppes sans contenu majeur et les fins de non recevoir. Il y a les messages sibyllins et les textes redondants. Il y a ceux qui en disent trop ou alors vraiment pas assez. Il y a ce qu'on déchire sans même avoir ouvert et ce qu'on voudrait n'avoir jamais découvert. Il y a tant de missives parfois qu'on finit par tout jeter. Il y a les réponses qu'on attend et celles qui n'arriveront jamais. Il y a les cartes qui font plaisir et les envois dévoyés. Il y a des correspondances qui ne correspondent pas à ce qu'on espérait. Il y a la nouvelle qu'on n'osait espérer. Et puis il y a vraiment des moments où l'on voudrait simplement se passer de courrier. Juste : parler.


 
San Quirico d'Orcia

dimanche 27 juin 2021

Vivre : rencontres

 

Je lui avais adressé un e-mail pour lui commander un album et elle m'avait répondu qu'il serait disponible dès le vendredi suivant. Mais quand je suis entrée, elle était dans tous ses états : ce jour-là tous les livres avaient été reçus en bonne et due forme sauf... le mien pour lequel manifestement le préposé aux expéditions avait fait une bourde é-nor-me. Elle avait alors appelé son collègue de Florence, Francesco, qui s'apprêtait à partir à la mer, en lui demandant (lui intimant l'ordre ?) de faire un détour par Sienne et de s'arrêter avec sa voiture à telle station d'essence proche de la porta San Marco où elle se rendrait elle-même en vespa pour récupérer le livre en question. J'étais gênée ("tant pis, ce n'est pas grave", "mais non! ne le dérangez pas!"). Elle aurait pu se dire désolée (dans le fond, elle n'était en rien responsable) mais elle en faisait une affaire personnelle. Elle houspillait le fameux Francesco dans le combiné et me faisait des signes impérieux de me taire. Si investie qu'au bout du compte, une heure plus tard, je tenais le livre prévu entre mes mains. 
Par la suite, toutes les fois que je passais devant son magasin pour me rendre à la pinacothèque ou au dôme, nous nous faisions de grands signes. Désormais, j'avais trouvé dans la ville ma librair(i)e attitrée.
 
 
L'homme d'âge moyen, vêtu d'un uniforme (un capitaine des carabiniers peut-être ?) est entré dans le bar, un des plus fréquentés de la ville. Il s'est dirigé lentement vers le comptoir et s'est adressé à la serveuse dans un italien châtié : "Bonjour, Madame. Serait-il possible, je vous prie, d'obtenir un café ? " Je crois bien que s'il avait porté un couvre-chef, il l'aurait retiré dans la foulée.
 

Elle s'appelait Gabriella. Mais tout le monde pouvait l'appeler Gabri (nous aussi, naturellement). Elle était mince comme un gressin et vive et alerte et elle menait son monde à la baguette. Une autorité légère et généreuse, mais bien présente : le service était parfaitement coordonné. Elle parlait d'elle, de sa famille, tout en faisant impeccablement son métier. Elle se rappelait de soir en soir nos consommations de la veille et n'a jamais oublié que je me prénommais Dad. C'était une personne qu'on ne remarquerait pas, au coin de la rue, mais que j'aurais de suite adoptée comme sœur ou comme amie de coeur.
 

J'ai connu Amélie (une chieuse de première). Et Achille (lequel entretenait un rapport quasi incestueux avec son maître). Et Pathos (très beau, extrêmement affectueux, d'une élégance rare). Et Gédéon (Géo pour les intimes). J'ai croisé Bip, Tender et Sandro. Mais mon préféré, dans l'absolu, c'était Otto. Otto, un bon mètre vingt au garrot, sublime lévrier anglais, racé, dont sa maîtresse m'assurait qu'il n'était encore qu'un bébé (à peine onze mois) et qu'il allait encore grandir (...) Surprenant de douceur et de grâce, je ne suis pas près de l'oublier...
 

Et puis, dans le Giardino Spoerri, il y avait cet insecte rouge et bleu qui volait de fleur en fleur comme un miracle étincelant et ce long serpent impassible suspendu à une branche et la fillette à qui je l'ai indiqué du doigt, qui a poussé un grand cri quand elle l'a découvert à son tour. Oui. Les vacances, ce sont des lieux et des atmosphères, mais aussi et surtout des rencontres qui se révèlent marquantes, sans en avoir l'air...



samedi 26 juin 2021

Vivre / Lire : aimer une porte

 

Tous les jours, plusieurs fois par jour, nous franchissions dans un sens puis dans l'autre la Porta Romana. Je ne pouvais me lasser de la regarder, d'en admirer les volumes, de la photographier (R. réfugié à l'ombre faisait montre d'une patience d'ange).
 
Cette double porte de forme carrée, la plus majestueuse de la cité, assiste au passage des voyageurs depuis 1329. Elle est reliée aux quatre autres portes de Sienne par des murailles solidement ancrées qui épousent  harmonieusement ses dénivelés. 
 
 
J'étais impressionnée par ces sept siècles de présence, cette sobre élégance. Il se dégageait d'elle un sentiment de sécurité immense (j'avais une pensée émue pour ses architectes Giovanni d’Agostino et Agnolo di Ventura et pour tous les ouvriers qui se sont échinés à la réaliser). 
 
Dans le jardin en contrebas de notre chambre, en fin d'après-midi, face à la campagne qui semblait elle aussi inchangée depuis le Moyen-Âge, je passais de longues heures à lire Hisham Matar raconter combien la ville, ses ruelles et sa peinture l'ont aidé à apaiser un insurmontable deuil. Il dit que la peinture siennoise, celle de Duccio tout particulièrement, démontre que ce qui rapproche les êtres humains est plus important que ce qui les éloigne les uns des autres.
Il parle d'art et de rencontres, de son père dont il ne saura jamais comment il a péri suite à son enlèvement en Egypte et à son emprisonnement dans les geôles de Khadafi. Il évoque l'esprit des lieux et l'importance de la beauté. Il parle d'amour, de solidarité et de choses innombrables, petites et grandes, qui sont vouées à rassurer l'humanité. 
 
 
Moi, une fois la lecture achevée, je n'ai pu que la recommencer. Parce que c'est un livre qui se lit en boucle, qu'on ne termine jamais. Toutefois, il me semble que le plus rassurant à Sienne, c'est de savoir que toute la ville est construite ainsi depuis des siècles et qu'elle se montre bien armée pour continuer de faire face encore et encore au paysage généreux et tendre qui l'entoure. J'éprouve intensément la sensation que, pénétrant par l'une de ses portes, on se sent protégé, comme dans un hortus conclusus, comme dans un berceau, un espace de culture et de stabilité. Oui. Dans un monde où tout est amené à évoluer, où tout progresse à toute vitesse, il existe des cocons où la vie assure sa pérennité, et va à son rythme. On s'y balade en se sentant à l'abri, posant ses pas dans le présent, entre un passé qu'on imagine bienveillant et un futur qu'on espère conciliant.



vendredi 25 juin 2021

Voyager : le jardin d'acclimatation

  
Au départ / A l'arrivée
 
 
 
Lac col du Grand-Saint-Bernard
 
Voyager. D'où que l'on vienne, où que l'on aille : une école d'adaptation
 

Environs de Pienza
 


mercredi 16 juin 2021

Habiter : vas, vis et deviens

 
Brick Labyrinth / Per Kirkeby / Château LaCoste / Le Puy-Ste-Réparade

Ces derniers jours, la maison, chère à mon cœur, désirée, idéalisée, projetée, dessinée, dorlotée, se met à faire la difficile. Elle demande des soins particuliers : les fenêtres ont besoin d'être nettoyées peu de temps après avoir été soigneusement lavées. Les parquets connaissent des problèmes de taches inexpliquées. Les lattes de la terrasse se mettent à grincer sous nos pieds comme si elles commençaient à fatiguer. La maison, au terme d'un secret dialogue, me fait sentir qu'elle est en train de traverser une crise existentielle : elle a besoin d'un peu de recul, de charitable solitude. Ces derniers temps, nous nous sommes trop fréquentées, trop de présence, trop de proximité. Je lui suis reconnaissante de m'avoir si bien enveloppée,  mais le temps est venu de prendre le large pour mieux nous retrouver. 
Après lui avoir fait une belle coupe le long de ses herbages pentus, l'avoir dotée d'une nouvelle table de chevet (face à la princesse impassible des temps passés) et agrémentée de quelques plantes bariolées, enfin, après avoir briqué son patio pour que lézards, papillons et crapauds viennent y prendre leurs quartiers d'été, je l'embrasse du regard et lance mon sac dans le coffre. Quelque part, m'attendent le Sud, des routes sinueuses écrasées de lumière et les accents chantants d'une langue retrouvée. 
 

mardi 15 juin 2021

Lire : éclairée par la nuit

 

Je deviens de plus en plus difficile, question lectures. Il m'arrive de passer de plus en plus de temps à inspecter les divers rayonnages d'une librairie, à saisir un livre, puis à le reposer sur sa pile, seulement après avoir parcouru en diagonale la quatrième de couverture. De plus en plus souvent, je passe un long moment à lire les premiers paragraphes sans parvenir à me décider et régulièrement je ressors bredouille.
A vrai dire, j'apprécie de moins en moins qu'on m'entraîne dans une histoire toute faite. J'ai besoin qu'un livre m'ouvre des perspectives, m'amène à mieux connaître le monde qui m'entoure - ou alors peut-être à mieux me connaître - et qu'il me sollicite, soit exigeant envers mes capacités de percevoir et de comprendre. J'apprécie de moins en moins ces gens qui se veulent écrivains et entendent tout dire, tout expliquer. J'ai besoin de failles, d'allusions, d'évocations nullement de certitudes, de contre-façons ou d'affirmations.
Avec "Le parfum des fleurs la nuit", Leïla Slimani est venue combler mes attentes. Parcourant les salles de la Punta della Dogana, où elle se prête au jeu d'être confinée le temps d'une nuit, elle semble faire à rebours le chemin de sa vie : l'exil volontaire, la double appartenance et la difficulté à s'ancrer, les diverses sortes d'enfermement qu'il est donné d'expérimenter et le besoin irrépressible de voyager. Sans avoir l'air d'y toucher, elle décrit en parallèle Venise et ses nombreuses facettes. Elle parle de l'art contemporain qui peut sembler si souvent élitaire, hermétique et difficile d'accès et aussi de l'écriture, avec ses exigences tyranniques. Elle cite à bon escient un certain nombre d'écrivains très estimables, comme Kundera, Rushdie, Pasolini ou Rilke. Elle évoque avec pudeur ses origines, surtout son père et leurs rendez-vous manqués.
Les parfums que Leïla Slimani propose sont inspirants et leur nuit nous éclaire. Difficile de savoir quel passage citer. Finalement... les écrivains sont toujours fascinants quand ils parlent de leur métier :

Écrire a été pour moi une entreprise de réparation. Réparation intime, liée à l'injustice dont a été victime mon père. Je voulais réparer toutes les infamies : celles liées à ma famille mais aussi à mon peuple et à mon sexe. Réparation aussi de mon sentiment de n'appartenir à rien, de ne parler pour personne, de vivre dans un non-lieu. J'ai pu penser que l'écriture me procurerait une identité stable, qu'elle me permettrait en tout cas de m'inventer, de me définir hors du regard des autres. mais j'ai compris que ce fantasme était une illusion. Être écrivain, pour moi, c'est au contraire se condamner à vivre en marge. Plus j'écris et plus je me sens excommuniée, étrangère. Je m'enferme des jours et des nuits pour tenter de dire ces sentiments de honte, de malaise, de solitude qui me traversent. Je vis sur une île non pas pour fuir les autres mais pour les contempler et assouvir ainsi la passion que j'ai pour eux. [p. 149]

Un livre presque parfait. Une remarque toutefois : l'autrice, pour son premier repas vénitien, commande une escalope milanaise. Impardonnable. Pas étonnant qu'elle lui reste ensuite sur l'estomac. Leïla!

La collection "Ma nuit au musée", proposée par la maison d'édition Stock, sollicite un/e écrivain /e à rendre compte d'une nuit passée dans un musée. Ici, Leïla Slimani a été hébergée par la Collection Pinault, à la Punta della Dogana, en face de la place Saint-Marc à Venise. Voir le site du musée  : ICI

lundi 14 juin 2021

Vivre : juste ciel

 

au bord de la nuit,
le ciel te rappelle
berce tes peines
efface tes soucis
au bord de la nuit,
le ciel te sourit
 


dimanche 13 juin 2021

Lire : et de temps en temps, un éléphant blanc

 

Le carrousel. 
Jardin du Luxembourg.
 
Munis d’un toit et de son ombre
la troupe de chevaux bariolés
se met à tourner pour un moment ;
tous sont de ce pays
qui longtemps hésite avant de sombrer.
Si certains d’entre eux trottent en attelage
tous ont pourtant le même air décidé ;
un lion court près d’eux rouge et méchant
et de temps en temps un éléphant blanc.

Il y a même un cerf comme dans les bois,
sauf qu’il a une selle et sur cette selle
une petite fille bleue tenue par des courroies.

Un garçon tout blanc chevauche le lion
et s’y tient ferme d’une blanche main chaude
tandis que le fauve montre sa langue et ses crocs.

Et de temps en temps un éléphant blanc.

Et sur les chevaux passent,
des petites filles claires aussi
déjà trop âgées pour ces cabrioles
et en plein vol elles lèvent leur regard
pour le poser ailleurs, quelque part.
 
Et de temps en temps un éléphant blanc.

Et tout continue, se hâte vers la fin
et tourne et vire sans cesse et sans but.
Un rouge, un vert, un gris qui passent en hâte
un petit profil à peine ébauché.
Parfois un sourire aux anges
se tourne, éblouit et disparaît
dans ce jeu aveugle et hors d’haleine…
 
 
Rilke, un poète impossible à cerner, impossible à quitter, qui ne cesse d'interpeler. Ce carrousel me fascine de fois en fois. On a beaucoup glosé sur ces strophes (et les pauvres écoliers allemands en savent quelque chose). A chaque lecture, je m'interroge : se prête-t-il vraiment à être analysé ? Le parcourant, je découvre à chaque fois de nouvelles images et de nouveaux messages. Je le lis et me voici devant une toile expressionniste, que Kokoschka, Franz Marc ou Chagall auraient pu créer. Une sollicitation des sens, une évocation de mille sensations, enivrantes, effrayantes, entraînantes. 
Venu du monde de l'enfance, le carrousel nous entraîne très loin de l'innocence et de ses enchantements. Décrivant des réalités tangibles, il porte en lui des évocations et des univers qui peuvent inquiéter. Le poète ramène au cœur de ses vers l'ombre, un monde qui sombre, le drame, la hâte, l'aveuglement... et s'il y a des sourires aux anges, il y a aussi le crocs d'un fauve et la perte de sens... On assiste à un spectacle, placé devant ce monde qui tourne de manière incessante, presque impossible à maîtriser. On suit des yeux ce mouvement qui s'emballe ou ces passages de vérités cruelles et voici que loin de suivre le mouvement, on se retrouve happé ... 
Rilke, un poète impossible à quitter, qui ne cesse de m'interpeler. Le poème, aujourd'hui, me ramène à notre monde, à sa course tournoyante et folle vers un progrès impossible à attraper.



* Tiré de : Rainer Maria Rilke, Poésie Œuvres II, Paris, Éditions du Seuil, 1972, p. 203-204. Recueil "Nouveaux poèmes", publié en 1906. Traduction de Lorand Gaspar.

samedi 12 juin 2021

Vivre : mais qui t'appelle ?

 

Tremble Tremble / Jesse Jones / Pavillon irlandais / Biennale Venise 2017
 
J'ai levé les yeux de mon assiette. Au-delà de la vitre, il y avait une immense fenêtre, largement ouverte sur la cour inondée de lumière. C'était le tout début de l'après-midi et la touffeur commençait à s'atténuer. Sous l'effet d'une légère brise, le rideau qui protégeait des regards l'immense fenêtre s'est mis à trembler. Un de ces moments où le temps semble comme suspendu. Les voiles qui dansent doucement durant les jours inspirés sont des présences qui viennent nous parler. Je me suis demandé qui était ce fantôme et ce qu'il venait me rappeler.


 

vendredi 11 juin 2021

Vivre : orange, jaune, bleu, gris et noir

 
Tableau 3 : orange, jaune, bleu, gris, noir / Piet Mondrian / Kunstmuseum / Bâle
 

Curieux, vraiment, comme le bonheur peut se loger même au plus profond de nos plus profondes peines. On peut être heureux dans le chagrin. Sans contradiction aucune. Les contraires s'attirent, complémentaires. Sans opposition, les traversées perfides, les écarts et les chamboulements rejoignent apaisements, assouvissements et alignements. La vie souveraine et magnanime nous apporte quantités d'indices et de figures dans un damier où nous n'avons qu'à moduler, trier, recomposer. 
 

jeudi 10 juin 2021

Lire / Regarder : M comme la mer

 

Joanna Concejo est une dessinatrice d'albums pour la jeunesse extraordinairement douée. D'origine polonaise, elle vit en France depuis 1994. Dans son blog (ICI), elle partage son travail au fil des mois. En cliquant sur le lien, on peut admirer la qualité de ses dessins, dont sa dernière publication, M comme la mer. Il faut prendre le temps, en parcourant ce site, car y pénétrer, c'est entrer dans un monde de professionnalisme et d'intériorité, de savoir-faire et de sensibilité. C'est une invitation à plonger dans nos propres souvenirs - un monde éloigné des grandes personnes - c'est se laisser-aller à ressentir des questionnements, des émotions, des langueurs, des fragilités.

Il faut aussi absolument visiter le site de son éditeur italien (ICI), car cet éditeur, Topipittori, exerce excellemment son métier. Il permet non seulement à l'artiste de présenter les circonstances qui l'ont portée à enfanter cette histoire, mais aussi les différentes esquisses et notes prises en cours d'élaboration. 

Ce qui est frappant, chez les éditeurs qui font bien leur métier, c'est leur manière de créer des ponts, de permettre au public intéressé d'entrer dans le processus de la création, pour constater qu'elle est le fruit à la fois de l'inspiration, et en même temps du travail, d'une constance, d'une application sans pareil. Ensuite, l'auteur/e, une fois publiée, pourra aller présenter son livre, en parler, transmettre par les mots et par la voix sa démarche faite de traits et de couleurs. Quel boulot à accomplir ! Et en même  temps, quel merveilleux métier !

Bravo aux éditions Topipittori, basées à Milan, pour tout ce précieux travail. J'attends avec impatience mon prochain séjour en Italie, pour aller me procurer l'album (plus quelques autres, naturellement).


En français : M comme la mer, éditions Format, 2021. Site : https://www.editionsformat.com/sklep/820_m-comme-la-mer

mercredi 9 juin 2021

Vivre : les matins du monde

 


 Matins de brume, matins de rien, de quoi vont donc s'habiller ces matins ? 
Les laisser être, ces jours timides, empruntés, en devenir. Les laisser mûrir.
Leur faire place, laisser éclore les larmes les casse-têtes les projets les sourires.
Rester curieux, rester debout, face à toutes ces énigmes, tout ce magma d'avenir.

mardi 8 juin 2021

Habiter : sauvage

 
Bunkerdorf / Uwe Schloen / Giardini Spoerri / Seggiano / Toscane
 
A la toucher presque des doigts, à tendre les bras vers elle, à la voir se pencher pour embrasser les arbres fruitiers, susurrer des berceuses aux lattes de la terrasse, j'en viendrais à croire que j'habite chez elle - ou elle chez moi - qu'elle s'introduit ici ou que c'est moi qui m'aventure, à dévorer ses fruits, à l'écouter, à partager nos invités, je me dis que nous cohabitons depuis la nuit des temps, elle et moi.
Et sauvage, je me retrouve, enfant des ronces et des cabanes, sauvage, je me revois, grimpant, inventant, me réfugiant dans ses bocages, ses bosquets et ses sous-bois. Je vis chez elle, elle vit en moi, forêt sage ou bois sauvage, je te retrouve, tu me protèges, comme autrefois.

lundi 7 juin 2021

Vivre : matins de juin

 
Spring / Harald Slott-Moller / Hirsprung collection / Copenhague
 

Le bleu fervent des bleuets dans le blé, les vaches repues qui paissent dans les prés, la nature dans son infinie générosité : juin, le mois divin, le mois des renaissances, est arrivé. 
A l'autre bout d'un champ, un chevreuil immense s'est dressé et nous fait face. Il se tient droit, nous contemple, ne nous lâche pas. Il a compris qu'ici, le souverain, c'est lui. Imperturbable, il nous dit : ce lieu est à vous, je vous le prête, mais il est aussi à moi, il est à tous les êtres qui sont là. Le noble cheval hennit. Le veau minuscule, si frais, si démuni, vagit. On s'arrête devant une caravane de fourmis. On pense aux terreurs du monde, on frémit. On lève le regard vers le busard qui décrit de folles arabesques dans l'air azurin. On se dit que la vraie vie, c'est pas la folie, c'est ici. On se sent grands, à se découvrir si petits.
 
 

dimanche 6 juin 2021

Voir : au carrefour des vies

 

 
Visionné hier soir "En attendant les hirondelles", premier long-métrage de Karim Moussaoui, un jeune cinéaste algérien. Cette œuvre présentée en 2017 au festival de Cannes propose un regard neuf et marquant sur l'Algérie contemporaine à travers trois personnages : un homme dans la soixantaine, tiraillé entre ses devoirs et ses lâchetés, une jeune femme sur le point de se marier, hésitant entre raison et passion et finissant par opter pour la sécurité, un médecin rattrapé par son passé alors qu'il met tout en œuvre pour se ménager une place au soleil.

Dans ce  film, on croit toujours voir arriver le drame. On s'attend au pire, mais le pire justement n'arrive pas. Ce qui arrive, c'est ce qui mène les personnages à leur choix - ou à leur choix de ne pas choisir, ce qui revient au même. Le drame n'arrive pas, parce que le drame est déjà là : dans la situation du pays. Les contradictions entre tradition et perspectives bouchées, les blessures de l'Histoire jamais cicatrisées, la corruption, la violence omniprésente sont évoquées en arrière-fond.

Le film est porté par des paysages sublimes, rugueux et désertiques et par la cantate "Ich habe genug" de Jean-Sébastien Bach. La caméra balaie des banlieues dont on ignore si elles sont en train de se construire ou de se déliter. Elle filme aussi des gens en train de danser, mais pas des danses de salon ou de boîte de nuit, des danses où l'on se donne à corps perdu, désespérément, comme si elles étaient le seul lieu où les désirs trouvent encore à s'exprimer.
 
Chaque personnage semble oppressé par un fort sentiment d'impuissance. Personne ne se perçoit maître de son destin.  Cela pourrait être triste, plombant, mais il y a une image qui émerge quasiment à la fin. Le médecin, que les ragots commencent à atteindre, soupçonné d'avoir pris part à un viol collectif, s'insurge : il avait été appelé par une bande de terroristes en tant que médecin et s'est vu réduit au silence, incapable  de s'opposer, seul, quand une femme a été abusée. La femme l'a retrouvé. Elle lui réclame en guise de rachat pour sa non-intervention qu'il s'occupe de son fils, né après le drame. Le neurologue revient sur ses pas et s'assied à terre près de l'enfant de dix ans, oiseau blessé qui pousse des cris lacérants, pour aller le rejoindre au fond de sa souffrance. 

Dans ce film, on attend les hirondelles, on attend le printemps. On espère pour ce pays traumatisé que le médecin saura trouver le chemin, que son regard saura rejoindre le regard de l'enfant pour le ramener à la vie et lui  donner quelque confiance en l'humanité.

samedi 5 juin 2021

Vivre : ce qui nous afflige

 
White porcelain / Taizo Kuroda
 
Se voir évoluer dans le monde du plus, du toujours plus. 
Se sentir happée, entraînée à vouloir plus, toujours plus. 
S'efforcer de faire ce pas de côté : laisser s'enfuir les désirs.
 Laisser entrer ce qu'il faut de lumière pour seulement accueillir.

vendredi 4 juin 2021

Vivre : seule, une seule une vie

 
Jeune fille au pavot / Ferdinand Hodler / Kunstmuseum / Berne
 
Tant de voix à entendre. Tant de bruits à écouter.
Tant de choses à dire. Tant de silences à respecter.
Tant de questions à lire. Tant de larmes à verser. 
Tant de mots, tant de réponses, tant d'histoires à crier. 
Seule, une seule vie ne peut suffire. Il faut écrire.
Il faut se laisser aller à inventer. Il faut rêver.

jeudi 3 juin 2021

Vivre : le temps des moissons

 

 
Jolie et précieuse amie, cesse de gaspiller tes atouts, cesse de trop offrir, de trop dispenser à tous ceux qui n'ont que faire de tous ces attraits, qui seront trop heureux de prendre sans jamais rien rendre, de piller sans jamais remercier. Regarde les oiseaux, regarde les feuillages, prends soin de toi et ne sois sage que pour mieux te sauvegarder.
Jolie et précieuse amie, la vie t'attend, il est grand temps d'apprendre le bonheur (envoyer se faire voir ailleurs tous les abu- po- ra- seurs).

mercredi 2 juin 2021

Vivre : le visiteur

 
Madone (détail) / Segna di Bonaventura / Pinacothèque / Sienne
 
Qu'il vienne toujours te surprendre, ce visiteur :
Ne t'habitue jamais au bonheur.

 

mardi 1 juin 2021

Vivre : l'éprouvée

 

Faustine dans les habits de Cérès / MAN / Naples

 
Vivante, sans doute, mais tellement opprimée, elle ne sait plus voir, elle ne veut plus écouter. Enfermée dans sa bulle, où son malheur prend toute la place, on la voit peu à peu qui s'efface. Elle se replie, comme endormie, elle n'entend rien, elle n'entend pas et affirme de mille manières "la plus triste, c'est moi!". Certains la trouvent déséquilibrée, d'autres passablement coincée. On voudrait l'aider, lui parler. On lui souhaite de pouvoir un jour se réveiller.