mardi 27 février 2018

Vivre : petite souris



Je pars. J’ai rendez-vous avec une jolie petite personne que je n’ai encore jamais rencontrée, mais que je connais depuis fort longtemps. J’avais eu l’intuition de sa présence l’été où sa mère m’avait répondu : « non, pas du tout, on a tout juste procédé à des contrôles ». Depuis, je l’ai vue en vidéo et je la sais active gastronome et pleine d'impétuosité. Elle est le soleil, la lune et les étoiles que beaucoup attendaient. Je me réjouis du moment où je vais lui apporter la souris doudou trouvée chez Balthazar et où nos quatre yeux noirs vont se deviner.

lundi 26 février 2018

Habiter : deux ou trois choses sur elle




Il y avait chez elle une longue paroi recouverte de livres, de matériel de peinture, de souvenirs colorés ramenés d'autres  continents, une impressionnante collection de guides, des plans de villes lointaines, des monographies de peintres très différents. Son salon révélait un goût affirmé pour les couleurs vives. Je passais de longs moments face aux deux fauteuils rouge vif à me demander ce qu’elle pouvait faire dans la vie. Était-elle une enseignante aux Beaux-Arts qui aimait voyager ? une libraire qui avait un goût prononcé pour l'art, surtout américain ? une rédactrice, une journaliste qui appréciait la littérature contemporaine ? C’était quelqu’un qui avait l’habitude d’aller et de venir (pour preuve : sa cuisine fort bien équipée, avec des denrées, congelées ou pas, disponibles pour des repas élaborés). Elle aimait certainement être là, mais pas trop longtemps. L’appartement était un campement élégant, entre deux départs, entre deux découvertes. Il disait que le confort, c’est bien, mais pas tout le temps. Il disait qu'il fallait partir régulièrement se faire secouer aux quatre vents.


dimanche 25 février 2018

Regarder : deux raisons d'aimer Corot


Jean-Baptiste Camille Corot / Liseuse dans la campagne / Musée de Marmottan / Paris

Il répondait simplement à qui lui indiquait l'art émergent des Impressionnistes : "j'aime mieux ma petite musique". Et il la suivait.
Il avait cette manière unique d'ajouter une petite touche rouge dans un tableau à la palette restreinte, douce, toute en subtilité.


samedi 24 février 2018

Voir : où mènent les rêves




Projection du film, avant-hier à Neuchâtel en présence de son réalisateur, Wilfried Meichtry.
« Jusqu’au bout de nos rêves » est l’histoire de deux écrivains photographes, baroudeurs et rêveurs : Katharina von Arx et Freddy Drilhon. Ils se sont rencontrés en 1956 lors d’un reportage en Polynésie. Ils se sont aimés, ils ont eu une fille. Ils sont ensuite rentrés en Suisse où ils ont acquis à Romainmôtier une très ancienne maison délabrée, dont personne ne voulait : la maison du Prieur.
Leur lien est intense et passionnel, mais ils ont aussi des caractères affirmés et de forts besoins de liberté. Chacun doit également faire face à son histoire familiale, douloureuse et cruelle.
Elle va rester et mener jusqu’au bout la folle entreprise de rénovation. Il étouffe dans ce village suisse à l'esprit étriqué et finit par s'en aller vivre au bord de la mer en Ecosse.
L’œuvre cinématographique est présentée comme un documentaire. En fait, c’est plus que cela : W. Meichtry est un historien qui a accompli un travail de recherche rigoureux et a longuement interviewé Katharina avant sa mort (survenue en 2013). Ensuite, il s’est lancé dans la réalisation en complétant les archives photographiques et écrites, les témoignages et les films d’époque par des plages de fiction. Cette docufiction fonctionne à merveille, en grande partie grâce au talent des deux acteurs incarnant ce couple qui s'est toujours vouvoyé.
On sort de la salle nostalgique et pensive : l’amour, même profond, même fusionnel, ne peut pas tout combler, tout réparer, tout donner. Les feuilles mortes se ramassent à la pelle depuis de nombreuses années dans la cour de l'immense demeure, que l'on peut à présent visiter.


vendredi 23 février 2018

Lire : quelque deux-cent jours dans la vie d'une femme




Je suis partie au Japon le 25 octobre 1984 sans savoir que cette date marquait le début d'un compte à rebours de quatre-vingt-douze jours qui allait aboutir à une rupture, banale, mais que j'ai vécue alors comme le moment le plus douloureux de ma vie. J'en ai tenu ce voyage pour responsable. De retour en France, le 28 janvier 1985, j'ai choisi, par conjuration, de raconter ma souffrance plutôt que mon périple. En contrepartie, j'ai demandé à mes interlocuteurs, amis ou rencontres de fortune : "Quand avez-vous le plus souffert ?" Cet échange cesserait quand j'aurais épuisé ma propre histoire à force de la raconter, ou bien relativisé ma peine face à celle des autres.


J’aime entendre craquer le parquet de la librairie Delamain. Je sais que ces craquements me conduisent toujours vers quelques rencontres intéressantes. Je voulais lire Marguerite avant de la voir ou de l'entendre au cinéma. A peine avais-je posé La Douleur sur ma pile, que j’ai déniché cet exemplaire de Douleur exquise, dans lequel Sophie Calle raconte une rupture amoureuse, son contexte, sa guérison.  
L’enquête a fait l’objet d’une exposition à Beaubourg en 2003-2004. Elle est constituée de trois parties : les trois mois qui ont précédé l'événement, le message de rupture et la centaine de jours qui l’ont suivie. Durant ces trois derniers mois, on voit la photo de la chambre où elle a reçu, hébétée, la nouvelle : un lit, un téléphone rouge posé sur les draps. En regard, l’histoire de plusieurs personnes (amies, inconnus) qui ont bien voulu partager avec elle le moment le plus douloureux de leur vie.

A un certain moment, Sophie Calle écrit : pourtant, la vie solitaire, monacale, qu'il me proposait n'était pas faite pour moi. Trop rigide. Un jour ou l'autre, j'aurais renoncé. Seulement, il m'a prise de vitesse. Il ne m'a pas laissé le temps de le quitter la première. (Je me suis demandé : la douleur est-elle moins forte quand on est en mesure de quitter ? souffre-t-on vraiment davantage quand l'autre vous met devant le fait accompli ?)

Peu à peu, l’encre utilisée pour raconter son histoire se fait de plus en plus claire, devenant illisible, jusqu’à s’effacer totalement dans les dernières pages. A J+99, la souffrance s’est évaporée, face à la douleur d’autrui. 


La méthode a été radicale : en trois mois j'étais guérie. L'exorcisme réussi, dans la crainte d'une rechute, j'ai délaissé mon projet. Pour l'exhumer quinze ans plus tard.

C’est un livre gris et rouge. Qui se lit rapidement, mais qui se lit et se relit. Pour s'imprégner de l'histoire, des photographies. Pour penser (panser?) les ruptures.

jeudi 22 février 2018

Vivre : still life / 39




On se dit je t’aime tous les jours, plusieurs fois même, et le 14 février ne déroge pas à la règle (si règle il y a).
En trente-cinq ans, nous n’avons jamais pensé à fêter la Saint-Valentin. On ne comprendrait pas pourquoi. 
Ce soir-là, je me souviens que nous avions pesté car il ne restait plus aucune table libre dans les bons restaurants du quartier.
Pourtant, quelques heures auparavant, nous avions acheté cette boîte contenant deux petites tasses à thé.
En l’ouvrant ce matin, j’ai réalisé que peut-être, à notre manière, nous avions quand même fêté


mercredi 21 février 2018

Vivre : deux coeurs


fresque / musée archéologique / Naples


Je viens de recevoir des nouvelles de N. Elle, que je croyais soulagée, enfin sortie d’un terrible bras de fer professionnel qui avait eu la dureté de l’enfer, se retrouve à plat. Son fils de seize ans, né avec une malformation cardiaque, est hospitalisé à nouveau depuis des semaines. Il perd chaque jour du poids. Il tient des propos démissionnaires. Ne croit même plus à la possibilité d’une transplantation. Il ne se voit pas atteindre ses vingt ans. J’imagine ces deux cœurs : le cœur épuisé du fils, le cœur brisé de N. 

mardi 20 février 2018

Regarder : pourquoi tout ce temps ?






Nymphéas / Monet / Musée Marmottan / Paris


Pourquoi n'étais-je pas revenue depuis sept ans ?
Pourquoi avoir laissé passer tout ce temps ?
 Sans doute, trop de foule trop de gens trop d'engagements.
Pourtant... ils semblaient m'avoir attendue patiemment. 
Dans ce face à face intime, nous étions là, les nymphéas et moi.
Nous avons repris le dialogue où nous l'avions laissé.
Les vraies rencontres, en art comme entre humains,
résistent à la distance, ne réclament pas de fréquence.
Les vraies rencontres, en art comme entre humains,
demandent essentiellement disponibilité et présence.

lundi 19 février 2018

Regarder : la mercerie de Marie



Niccolò di Buonacorso / Vierge d’humilité / Le Louvre

A quelques pas du Boulevard de la Joconde, 
ignorée des foules et de leurs smartphones avides,
elle se tenait là, sereine, dubitative, placide,
et s'octroyait une pause entre deux reprises.


dimanche 18 février 2018

Voyager : à chacun son voyage

Noble Equipage voyageant sur la plage de Scheweningen  / Adriaen van de Velde / Le Louvre / Paris

Entre Frasne et Dole, le train s’est arrêté en rase campagne. Dans le wagon, les voix, de patientes, ont commencé à se faire de plus en plus tendues. On a assez vite (enfin, si je puis dire) cumulé pas mal de retard. Je ne porte jamais de montre, mais à la manière dont les gens prononçaient le mot "correspondance", je pouvais mesurer la durée de l’attente. On entendait résonner comme un leitmotiv : "quelle correspondance ?" "pas de correspondance !" "plus de correspondance !!!". Apparemment, la SNCF payait un employé censé passer régulièrement pour tenter de fournir des réponses (qu’il n’avait pas) et détendre avec des semblants d'explications souriantes la nervosité qui commençait à prendre comme une mayonnaise bien dense .
Dans la voiture bar, R. a salué un sympathique barbu. C’était un ancien collègue qui se rendait à Paris pour accompagner son amie à un concert le soir-même. Il n’avait pas l’air très enthousiasmé. En ce qui le concernait, le retard, il s’en fichait. L’essentiel pour lui était de parvenir à la fin du concert. J’ai oublié le nom de l’artiste en question. Selon lui, c’était un chanteur dépressif suicidaire canadien.
Assis dans la voiture 17, un groupe d'habitués enrageaient au téléphone et exprimaient en termes peu châtiés leur aversion pour la compagnie qui nous véhiculait. 
Une vieille femme afghane, réfugiée en Suisse, prenait son mal en patience. Elle partait réaliser son rêve de toujours : voir la tour Eiffel. Elle était montée dans le train avec une amie dans ce seul but : découvrir la célèbre tour. Alors, franchement, deux heures de plus ou deux heures de moins…
Je lisais un livre qui évoquait un épopée vers de grands espaces lointains. De temps à autre, levant les yeux, j’apercevais des forêts, des rangées d'arbres, et un renard qui traversait les pâturages. Je me voyais en train de faire mon voyage, je me disais : ces arbres et ces renards en font partie, ça prendra le temps que ça prendraJe crois n’avoir jamais vu autant de renards que ce jour-là. 

samedi 17 février 2018

Voyager : Paris, février






Les arbres avaient les pieds dans l’eau. 
La tour la tête dans les nuages.
Sillonnant la ville en bus ou en taxi,
j'observais combien le gris seyait à Paris.

mercredi 14 février 2018

Vivre : l'entre-deux


Février :

Une valse-hésitation de 28 jours entre les frimas impitoyables
et les clins d’œil des bourgeons intrépides.

mardi 13 février 2018

Lire : février et ses raclées



Le « syndrome de février » est un phénomène beaucoup plus puissant que nos faibles tentatives pour l’accepter ou y résister. Au moins autant que n’importe quel autre, le plus court de tous les mois est une force de la nature, et il vous file une sacrée raclée. Je l’ai sentie – cette tristesse pesante – me tomber dessus sans prévenir, m’envahir pendant plusieurs semaines – comme un parasite qui s’est invité tout seul -, surgir sans crier gare alors que quelque temps plus tôt je nageais dans le bonheur, ou bien s’infiltrer lentement précédée par des jours ou même des semaines de murmures indistincts suivis de palpitations erratiques.

Cette tristesse vient quand elle vient et, à mon humble avis, elle vous atteint que vous soyez fort ou faible, gai ou maussade. Quand on a vécu sur les hauteurs de cette merveilleuse contrée suffisamment longtemps, elle revient presque chaque année – parfois en octobre, novembre, décembre ou janvier, d’autres années pas avant mars, mais la plupart du temps – pour ce que j’en sais – en février.

Rick Bass, quelqu'un qui est "capable d'échouer dans l'exécution de n'importe quelle tâche mécanique", sait en revanche superbement décrire, de manière simple et concrète, la mélancolie qui vous saisit quand la lumière manque (et la lumière, ou tout autre type de stimulation vitale, peut apparemment vous faire défaut à tout moment en hiver). En le lisant, on en arrive à prendre son spleen en patience tandis que les brises viennent de toutes parts vous effleurer les joues .

Le journal des cinq saisons, folio, Gallimard, p.78

lundi 12 février 2018

Vivre: la traversée de l'hiver / 19




Depuis des années, bon nombre de blogueuses allemandes rendent compte de leur semaine le samedi, selon des intitulés rédigés au participe passé. Vu : Entendu : Mangé : Lu : Reçu : Acheté : Etc etc.
Passant en revue ces blogs germaniques, j’en ai trouvé un l’autre jour qui disait régulièrement : "Geweint" (pleuré).
"Geweint :" "Geweint :" revenait de samedi en samedi.
En faisant à rebours le chemin des larmes de cette blogueuse anonyme, j’ai vu qu’elle associait ce "Geweint" à un "Demenz" dans les libellés. Ainsi, depuis de nombreux mois, elle évoquait la maladie de sa mère, la perte de ses compétences ; le placement  en institution; la dépendance; le petit-fils qui ne supportait plus d’aller voir sa grand-mère.
Une pensée : combien sommes-nous à nous confronter à la démence, maintenant que les progrès de la médecine maintiennent en vie de plus en plus longtemps les personnes ?
Une question : Les avancées de la science allongent-elles la durée de la vie ou …de la survie ?
Une interrogation : Quelle différence entre ces deux notions ? Qui est à même de décider ? Quand ?

Je repense à ma grand-mère maternelle, une solide et courageuse paysanne, qui a travaillé son lopin de terre jusqu'à près de 88 ans. Un jour, un AVC l'a terrassée chez elle. Après une hospitalisation de 10 jours, elle s'est éteinte des suites d'une second AVC.  J'ai peut-être hérité des fragilités de son cœur, qui sait ? Si tel était le cas, j'aimerais qu'on me laisse vivre avec elles. Il m'arrive de rêver de mourir à sa manière. D'une mort somme toute naturelle. 

dimanche 11 février 2018

Lire : les pensées poilosophiques

Le pouvoir corrompt. Le pouvoir absolu n'est pas mal du tout.

Si tu peux conserver ton courage et ta tête quand tous les autres les perdront... 
Il est fort possible que tu n'aies pas bien saisi la situation.


De temps à autre, ouvrir une page juste pour rigoler. 
Avec les dessins et les pensées pas si bêtes de Jane Seebrook,
il y a de quoi se poiler. 
Vraiment. 

Furry Logic / en italien : Pensiero pelosofico

samedi 10 février 2018

Lire : se dépêcher d'écrire



Paul Auster est en France actuellement pour la promotion de  son dernier roman. L’autre soir, après avoir évoqué L’Invention de la solitude, son premier livre en prose, celui dans lequel il effectue un chemin de mémoire, retrace la vie de son père, ses silences, ses replis, ses drames familiaux, Laure Adler lui demande :

Aujourd’hui, Paul Auster, vous êtes plus âgé que l’âge auquel votre père est mort et a été enterré, je me demande si vous auriez pu écrire ce roman très étrange, très captivant, très étourdissant si votre père était encore vivant ?

PA : Ah... je crois que mon père aurait … 105 ans maintenant, donc c’est peu probable. Non, je crois que cela ne m’empêcherait pas.Mon père est mort quand j’avais trente ans. Alors il n’a pas lu un seul mot de prose que j’ai écrit. Seulement des poèmes que j’écrivais dans la vingtaine. J’ai commencé à écrire des livres de prose après. […] Alors il n’a pas vu mes romans, mes autres livres. 
La chose étrange, c’est que j’ai commencé à écrire 4,3,2,1 à l’âge de 66 ans. C’est exactement son âge quand il est mort et, c’était étrange, de passer à travers ce rideau invisible et d’être plus âgé que ton père était dans son vivant. Et j’étais un peu hanté par ça au début, durant les premiers mois, comme si je n’avais pas le droit de vivre plus longtemps que lui. C’est tout à fait une sorte de mysticisme bizarre qui n’a rien de rationnel là-dedans. Alors j’ai commencé ce livre... et j’avais peur. Je pensais que le livre allait me prendre 6 ou 7 ans d’écriture, parce que vous savez, c’est très long.[note: le livre fait 1016 pages] Et, hanté par cette idée de la mort, la chose que je ne voulais pas, c’était que je meure avant de terminer le livre. Alors j’ai beaucoup travaillé, j’ai travaillé de manière un peu féroce. Je suis toujours féroce, mais là j’étais plus féroce que d’habitude. Et le livre a été terminé en trois ans. Avec peut-être quatre, cinq,  six mois de révision de petites choses après, mais essentiellement, le livre était fini au bout de trois ans. Une sorte de record. Et je suis heureux que j’ai vécu... de voir la fin du livre. 

L'invention de la solitude, éd. Poche, 1994
L'heure bleue / 02.02.2018 / France inter

vendredi 9 février 2018

Vivre : le besoin de sud



Certes, toutes les saisons ont leur charme.
Mais, quand février se fait opaque, mutique, ce profond besoin :
entendre chanter la petite fontaine de Lourmarin.


jeudi 8 février 2018

Regarder : pastels, pastels



Etude de pieds  et de mules / attribué à Louis Aubert / non daté

Nature  morte au jeu de loto / Jean-Etienne Liotard / entre 1760 et 1771

Deux maisons parisiennes / XVIIIe et XIXe siècle

La Seine vers 1900 / Albert Marquet

L'atelier, rue Crussol, avec boîtes de pastels (détail) / Sam Szafran / 1972


Jeune femme à la chaise / Georges Segal / 1964

Une exposition présentant 150 œuvres, du XVIe au XXIe siècle, ayant pour point commun une technique : le pastel.
Pénétrant dans ce monde évanescent, aux gammes chromatiques délicates, il semblait que le médium non seulement rendait les sujets éthérés, oniriques, mais qu'il affectait aussi notre humeur, devenue peu à peu apaisée, rêveuse. Nos pas même se faisaient de plus en plus feutrés, nonchalants au cours de la visite. 
Une simple craie colorée pouvait-elle avoir un tel effet sur nous ?

Une fois au-dehors, nous avons observé que le phénomène dépassait le cadre du musée : face au parc, nous avons admiré les Alpes évanescentes sous le soleil pâle d’hiver, le paysage lémanique fondu dans une douce lumière. Ce jour-là, l'exposition nous avait invités à basculer dans un univers incroyablement tendre, tempéré, diaphane.

mercredi 7 février 2018

Regarder : le manteau rouge de Nika



Les fleurs bleues, le dernier film d'Andrzej Wajda : le chef-d’œuvre pessimiste d’un vieillard de 90 ans.
Un hymne à la résistance, quel qu'en soit le prix.
Une facture classique et des images sobres pour raconter les dernières années de l’artiste Wladyslaw Strzeminski, principal représentant de l'avant-garde polonaise,  
un créateur incapable de compromis, honni par le régime stalinien. 
On suit la déchéance progressive de cet homme, qui a bien connu Kandinski et Malevich, qui enseigné aux Beaux-Arts et fondé le Musée d'art de Lotz.
De l’art d'asphyxier un être humain, en le bannissant inexorablement.

Impressionnant, le personnage de sa fille Nika*, adolescente têtue et fière, déchirée entre sa mère agonisante et son père déchu, mais croyant résolument en leur génie.
Nika, son regard azur intense, son pas décicé, petit chaperon dans son manteau élimé, semble être le fil conducteur, le point lumineux de l’histoire. Elle, qui finit dans un orphelinat, qu’on voit suivre seule le corbillard de sa mère, elle qui arrive trop tard à l’hôpital et demande à toucher les draps dans lesquels a agonisé son père.

Je suis allée faire quelques recherches sur le personnage réel. Difficile de trouver des informations. Il semble que Nika Strzeminska soit par la suite devenue médecin, psychiatre, écrivain et qu’elle ait beaucoup œuvré pour la réhabilitation de ses parents. Dans le film, à un certain moment, son père l'observe alors qu'elle quitte fâchée son appartement et prédit : "Sa vie ne sera pas facile".
J’aurais aimé que Wajda tourne la suite : l’histoire d’une petite fille au manteau rouge qui avait appris dès l’enfance à se battre obstinément et qui a dû mener une "vie pas facile". 

* Le rôle est tenu par la toute jeune Bronisława, fille de l'excellent Zbigniew Zamachowski, héros attachant de Trois couleurs : Blanc.

mardi 6 février 2018

Vivre : les zigzags



On se couche au printemps
On se réveille en plein hiver
(certains jours : le contraire)
En cette saison de zigzags,
deux atouts nécessaires :
une raclette coriace et des yeux fureteurs.

lundi 5 février 2018

Vivre : les transitions




Étrange : pourquoi appelle-t-on "passages à vide"
ces moments où l’on fait l’expérience d’un trop-plein d’émotions ?
Trop au-dedans. Pas assez vers l’extérieur, sans doute.


dimanche 4 février 2018

Regarder : les histoires dans la ville




A Padoue, j'ai suivi le peintre de la nuit, celui qui habille la ville de petites histoires anonymes, 
celui que l'on ignore sans rien discerner ou celui qui vaut qu'on s'arrête pour regarder.
Celui qui fait partie des meubles ou de la poésie.

samedi 3 février 2018

Vivre : les tentatives de saison



En fin d’après-midi, durant une heure, deux peut-être,
le soleil perce la chape et nous fait son show.
On y croirait presque : perce-neige, primevères, cuicuis enchantés.
Mais il n'est pas très endurant, ce soleil débutant.
Il n’y a qu’à le voir s’écrouler au soir sur le Jura,
épuisé, ko, une longue coulée de vernis orange vif,
 qui s'écoule à petit feu 
en rêvant de printemps.

vendredi 2 février 2018

Lire : pas forcément le deuil





Dans Une autre Aurélia, journal qui court sur quatre ans, Jean-François Billeter évoque sa vie avec Wen, après la mort de celle-ci. Il n'y a pas de deuil, mais un autre genre de présence. 

Au fil des jours, on le sent s'ouvrir, à ce compagnonnage nouveau, à ses rêves, à des réflexions plus amples sur l'existence :

27 janv. (2016. p.76) : Documentaire sur les crimes hitlériens. J'ai changé. Je comprends mieux le mal dans toute son horreur parce que je n'ai plus peur des grandes émotions. Elles ne sont plus une menace pour moi.

23 mai (p.81) : Ce qu’on n’a pas reçu au début de la vie, il ne faut pas l’exiger plus tard, mais le donner. C’est une faute de l’exiger comme un préalable à tout échange, encore d’en faire un motif de rétorsion ou de vengeance. Il faut donner, réamorcer l’échange. J’en connais qui ont raté leur vie faute d’avoir compris cela. Certains ont connu des fins tragiques.

Jean-François Billeter, Une autre Aurélia, éd. Allia 

jeudi 1 février 2018

Vivre : fausse route




Ô crétin qui klaxonne là-derrière, 
si trois voitures s'arrêtent au milieu de la nationale,
c'est qu'il s'agit d'un cas de force majeure.
Le cygne, plus tout à fait un bébé, plutôt un ado :
des plumes beiges et l’air affolé,
dansant une drôle de sarabande sur la chaussée, 
un pas en avant, deux autres en arrière,
ne savait plus où aller, perdu, décontenancé.
Imaginer son pauvre cœur tourneboulé.
Sortir, lui parler, l’inviter à rejoindre le lac, 
juste derrière le bosquet.