samedi 30 novembre 2019

Vivre : rester interdit


23 tonnes 2016 / Hamid Magrahoui / Biennale Lyon / 2017

Devant tant de propriétés et d'espaces privés, "privés de quoi ?" a-t-on envie de demander.

vendredi 29 novembre 2019

Vivre : perturbations





Temps de migraine, temps versatile,
les arcs s'enchaînent, vertiges pulsatiles,
couleurs de migraine, couleurs ibuprofène, 
pâleurs et patience, douleurs et tourmente, 
dehors les passages, dedans l'attente lente,
dans les nuages dansent des visions fuyantes,
clameur de migraine, boucans immobiles,
les notes s'égrainent, les pluies se déchaînent.

jeudi 28 novembre 2019

Lire : la fille qui voulait un monde à soi




Combien de livres lit-on durant une année ? Combien de romans nous passent-ils sous les yeux  et entre les mains ? Et combien d'entre eux s'inscriront-ils dans nos mémoires ? Un peu comme les gens, les livres traversent nos vies, et parfois ce n'est pas le moment, parfois on est trop pris ailleurs, rares sont ceux qu'on n'oublie pas et qui trouvent leur place à nos côtés (combien de livres aussi m'est-il arrivé de racheter, me retrouvant tout étonnée avec un double exemplaire d'un roman à la couverture attractive, gentillet, mais ne tenant pas la route sur la durée ?)
Miss Islande est un roman qui parle de différence et d'affirmation de soi au début des années soixante, qui parle de l'obstination à suivre ce que l'on est et à vivre ce pour quoi on sait devoir vivre, de l'homophobie nauséabonde et, surtout, du besoin impérieux d'écrire. Il dit l'oppression des femmes et l'espace confiné qui leur était laissé, entre la maternité et le rôle de muse. Il raconte le cheminement d'une jeune femme mise au monde par un vétérinaire, à qui son père donne un prénom de volcan et qui trace coûte que coûte sa propre voie .
L'écriture est claire et limpide. Comme dans beaucoup de romans nordiques, la simplicité du style est accompagnée d'un parfum d'irréalité et de légende. Il y a de nombreux sous-titres qui sont à eux seuls des invitations au voyage : poète est un mot masculin / j'ai besoin d'être seule. Plurielle. Seule / nous sommes tous pareils, des baleines déboussolées et mortellement blessées / les astres errants des océans / je rêve d'un autre lieu qui touche une autre étoile / mes pieds ont quitté la terre ferme...
L'auteure de ce roman féministe, lumineux et profondément poétique, Auður Ava Ólafsdóttir, s'entretenait récemment avec Laure Adler : 
L.A. : Qu'est-ce que ça veut dire écrire quand on est empêché d'écrire, quand personne ne croit en vous, quand vous n'êtes pas du milieu social qui vous autoriserait à être connue, reconnue, vous êtes obligée de faire des  tas de petits boulots, votre héroïne en fait des tas, et comme elle est jolie, et comme elle est jeune, elle se fait harceler avec ses divers employeurs. Elle résiste, parce qu'elle a rendez-vous, pas forcément avec un homme, ni avec une femme : elle a rendez-vous avec la page blanche. Ça veut dire quoi "avoir rendez-vous avec la page blanche" en écriture ?
A.A.Ó : Ça veut dire qu'on tient la baguette comme un chef d'orchestre. On peut dire au monde qu'il peut naître, son monde à soi, son petit microcosme. Ça veut dire aussi que j'ai mis (c'est ce qu'il y a peut-être de plus personnel dans le roman) j'ai mis  mes petites idées sur la création, ce que j'ai découvert, je les ai mises dans la bouche de divers personnages.
[L'Heure bleue / 21.11.2019 / à réécouter ici /// Interview de l'auteur / Librairie Mollat / ici]
Miss Islande est un roman qu'on n'est pas près d'oublier. L'écriture, sans doute, peut être considérée comme la métaphore de l'aspiration à être soi. On ne peut pas s'empêcher de s'identifier à Hekla, la fille volcanique qui n'a qu'une hâte : terminer son roman, pour pouvoir se mettre au suivant, et à celui d'après, et qui ne cesse d'esquiver les embûches qui se mettent entre elle et sa Remington.
On ne peut s'empêcher aussi d'être profondément touché par Isey, sa meilleure amie, se retrouvant cantonnée à 22 ans dans son rôle de mère au foyer, qui s'est procuré sa carte de bibliothèque, mais n'a pas le temps d'y aller et écrit dans un cahier caché au fond de son sac des histoires sur ce qui se passe et des histoires sur ce qui ne se passe pas.
La seule personne avec qui je parle de toute la journée, c'est le poissonnier. En fait, ils sont deux. Ce sont des jumeaux, ils travaillent à tour de rôle. Je m'en suis rendu compte hier en les voyant ensemble. J'ai eu du mal à les différencier. C'est là que j'ai compris pourquoi le poissonnier me taquine seulement certains jours en m'appelant sa petite chérie : en fait, ce n'est pas le même homme. Ils emballent le poisson dans du papier journal, dans le Morgunbladid. J'ai dit à celui qui me servait : Trouvez-moi un poème ou une nouvelle plutôt qu'un faire-part de décès ou une nécrologie. En  rentrant, j'ai soigneusement déballé mes filets d'aiglefin dans l'évier, la feuille intérieure était toute mouillée et presque illisible, mais sur l'autre, il y avait deux poèmes d'un de ces jeunes types qui passent leur journée au café Mokka.
- Hier, j'ai fait tout le trajet jusqu'au centre-ville avec le landau et j'ai acheté un nouveau carnet. En bravant la tempête. Le vendeur de la librairie Gudgeir s'est souvenu de moi, il m'a conseillé des cahiers d'écoliers, à lignes ou à carreaux, puisque je les remplis si vite. Et ça me coutera moins cher. C'est le seul luxe que je m'autorise.
Elle garde le silence en préparant le café.
- Je me suis mise à écrire des dialogues, reprend-elle. 
- Quel genre de dialogues ? Des choses que les gens disent?
- A la fois ce qu'ils disent et ce qu'ils ne disent pas. Je ne peux pas expliquer à Lydur que chaque fois qu'il ouvre la bouche, j'ai envie de noter ce qu'il dit. Et encore moins que j'écris aussi ce qu'il ne dit pas. Il ne comprendrait pas non plus que parfois j'ai envie de m'interrompre dans ce que je fais pour l'écrire au lieu de le vivre.

mercredi 27 novembre 2019

Vivre : plus grands que la peine


Vierge à l'enfant (détail) / Zanobi di Jacopo Macchivelli / Mbaa / Besançon

Quelle que soit la contrainte subie, ne jamais nous sentir réduits à sa féroce pression.
Notre banale et extraordinaire vie est toujours plus grande que tout ce qui l'asservit.

mardi 26 novembre 2019

Regarder / vivre : le lac, le matin




Aucun rapport, me dira-t-on, entre la photographie et le chien (à moins que l'on se plaise à immortaliser son toutou à tout bout de champ, ce que William Wegman a fait excellemment, mais P., de son côté, m'a clairement fait savoir qu'il tenait davantage à du menu gibier qu'à une éventuelle célébrité). Il n'empêche que cet être attachant qui aspire quotidiennement à être détaché m'entraîne malgré moi dans les bois et les marais. Pendant qu'il s'ébat et s'en donne à cœur joie (ignorant superbement les branches qu'au début je m'évertuais à lui lancer), il ne me reste rien d'autre à faire qu'à m'arrêter pour contempler, sidérée, obnubilée, le ciel, les poteaux abandonnés, les volutes raffinées des nuées... laisser mon regard se perdre au loin... et puis, éventuellement, sortir mon LG.

lundi 25 novembre 2019

Voyager : réveils bisontins






Sortir, au petit matin retrouver le parc délaissé. Sillonner les moindres recoins. Inspecter, comme si un trésor ne demandait qu'à être débusqué. Sentir l'air cendré, les rouages encore mal rodés, le silence blême. Observer les danses des cheminées lointaines. Fouler l'herbe glaciale. Regarder s'éteindre les dernières étoiles. Envoyer des baisers aux madones frigorifiées. Saluer un Allemand préoccupé, tout pressé de décamper. Déranger en crissant quelques merles transis, contrarier en passant un félin démuni. Rappeler inutilement le chien. Tendre l'oreille à la ville besogneuse qui bougonne et paresse. Prendre une pleine inspiration de cette lumière blafarde gorgée de promesses. Regagner l'ancien monastère et ses courants d'air, ses bois lustrés qui se repentent, ses croix négligées qui se lamentent. Aimer les jours qui commencent, aimer le café qu'on s'apprête à savourer, aimer la grisaille et la rigueur. Mordre dans l'instant comme on mord dans un fruit sur. Aimer l'hiver et ses griffures.

dimanche 24 novembre 2019

Voyager : traverser le froid


Lac des Taillères / La Brévine
 
Infiltrer le Jura. Se perdre dans les frimas.
Regarder, mais sans aucun besoin de voir.
Accepter le lâcher prise, le laisser-faire, le non-savoir

samedi 23 novembre 2019

Vivre : solitudes lémaniques






Ne pourriez-vous pas vous déplacer, venir plutôt de ce côté, non pas par ici, plutôt par là ? La femme semblait faire toute une affaire du jeu de deux chiens sur les rives dociles d'un lac resplendissant. Elle voulait attirer son clébard sur l'autre plage, dont la pelouse était selon elle plus adaptée, un peu plus loin, un peu plus en sécurité. Elle se montrait craintive, et interrogative, elle se rongeait les ongles (d'où lui venait donc cette anxiété sur son visage émacié que le soleil et la douce lumière ne savaient pas apaiser ?)

Attention, vous allez me renverser, attention, regardez comment vous conduisez! La femme sur le trottoir semblait très affectée à l'idée de céder le passage à une voiture qui s'engageait sur la chaussée. Sa démarche avait la rigidité et la précaution de ceux qui ont beaucoup aimé et beaucoup perdu (à moins qu'elle n'évoquât l'aspiration à des amours qu'elle n'avait jamais connues).

Vous verrez, Lena, autour des yeux, il ne faut pas vous inquiéter, c'est normal la première fois, l'intervention va très bien se passer, tout au plus aurez-vous pendant deux ou trois jours quelques bleus. Quand ladite Lena a pris congé, sur la terrasse, ses deux compagnes l'ont regardée s'éloigner avant d'égratigner en trois phrases et son appartement et sa manière de l'aménager et sa couleur trop foncée. C'étaient des femmes tellement ridées qu'on pouvait se demander depuis quand elles étaient en travaux et combien de temps durerait leur chantier (y avait-il seulement quelqu'un à leurs côtés pour aimer ces sillons laissés par les années ?)

Sur les rives cossues du Léman, il arrive qu'on croise des gens élégamment sapés, aux silhouettes compassées, il arrive qu'on entende de drôles de phrases voler, dont les mots déposent comme une imperceptible poudre grise sur le paysage et ses beautés.

vendredi 22 novembre 2019

Vivre : oser exprimer

Les trois archanges et Tobie / Attr. Francesco Botticini / Galleria degli Uffizi / Firenze

Et pourquoi donc se sentir emprunté au moment de les exprimer ?
N'est-ce pas une force de les connaître et de les admettre, nos besoins ? 

jeudi 21 novembre 2019

Regarder : se rendre visite


La Visitation / Giotto / capella degli Scrovegni / Padova

Le charme d'une vraie rencontre, c'est qu'elle a souvent lieu dans l'inattendu et l'inespéré. Elle est toujours fulgurante, unique, provoquant une émotion intense, illuminante.
Tout d'un coup on se retrouve comme ça, face à face devant un autre. Après quelques échanges, on se reconnaît. Le courant passe, comme on dit.

Et là, pendant qu'un rapport s'établit. Pendant que les esprits assurent la communication, les âmes créent déjà un état de communion. Moi, je distingue toujours ces deux degrés : la communication et la communion.
Et cette idée d'unicité de la rencontre, si je l'élargis,  je dirais que, sans parler des personnes, même pour un beau tableau, qui nous est familier : chaque fois que nous le regardons, il s'agit d'une rencontre unique. Et c'est comme ça qu'on avance peu à peu sur la voie de la vraie vie.

Cela dit, il faut admettre que les vraies rencontres sont rares. Ceux qui arrivent à saisir la valeur d'une vraie rencontre ne sont pas des gens trop sociables, pleins de relations. Pour moi, ce sont surtout des solitaires qui sont attentifs, et en attente, en quelque sorte. 

François Cheng / A voix nue / 2014 / France Culture
En écoutant ces mots, des représentations de la Visitation ont surgi, des fresques ou des tableaux, qui me réjouissent à chaque découverte ou retrouvaille.

La Visitation, c'est la rencontre par excellence. Deux femmes, séparées par l'âge, rassemblées par un même mystère, se rejoignent, tombent dans les bras l'une de l'autre, partagent leur secret et leur espérance. On assiste, comme le décrit F. Cheng, à une véritable communion. Quelque chose de rare qu'il s'agit de reconnaître. La possibilité de partager, de se confier. L'ouverture, l'autorisation à se laisser toucher. La confiance totale et le partage.

La Visitation, souvent présente dans les cycles illustrant le Nouveau Testament, a inspiré à elle seule plusieurs artistes, comme Raphaël ou le Pontormo. Quand les gens étaient illettrés, les images avaient pour but d'éduquer, d'enseigner. De nos jours, on en a toujours besoin, car elles parlent peut-être à l'illettré émotionnel que nous abritons tous au fond de nous. Elles nous guident, nous donnent accès à cette part d'inconnu qui se tient tapie et attend. Elles viennent nous parler du monde, de la vie, des autres et aussi nous dire que la véritable et première rencontre, c'est celle qui nous conduit à nous-même. Car, s'il arrive que les autres soient des mystères qui nous laissent perplexes, chacun est pour soi un puzzle inachevé, sans cesse remodelé, sans cesse complété.

F.C. dit que les véritables rencontres sont rares. C'est vrai. A l'époque du numérique, alors que se multiplient les clics et les contacts, l'authentique revêt un aspect unique. Quant à la nécessaire attention, la rencontre au sens large - personne, paysage, animal, arbre - a besoin de présence pour se manifester. Et, si souvent, nous sommes pressés. Si souvent, nous ne savons pas rencontrer. L'inattendu est toujours à portée, mais il passe trop souvent inaperçu.



mercredi 20 novembre 2019

Vivre : les débordements


Atlante / piazza Sordello / Mantoue / 2013

La caissière ce matin, habituellement souriante, semblait exaspérée : tant de chocolats avaient été amoncelés devant sa caisse, que les clients, surtout ceux avec poussette, ne pouvaient plus passer. Les boîtes tombaient et elle devait sans cesse les ramasser.
Appelée à la rescousse, la responsable lui a dit qu'elle ne pouvait rien faire : la provision de chocolat pour deux mois était arrivée et il fallait l'exposer. Il n'y avait plus aucune place où la caser.
A préparer Noël début novembre, les magasins sont pleins à craquer. Des marées sucrées envahissent les allées.
On ne va jamais pouvoir tout vendre, tout manger, on va finir par être gavés. La caissière était à deux doigts d'exploser. Il a fallu la faire un peu rigoler.
Si maintenant les caissières s'y mettent, Greta, nous sommes sur la bonne voie.

mardi 19 novembre 2019

Lire : les mots qui manquent



 

      Et toujours nous aurons le choix de répondre au manque par le déni et la violence ou par l'effort d'une langue qui s'invente des chemins de parole buissonnière, de paroles à habiter, comme des projets ou des maisons.

    A lancer, comme des bateaux ou comme des ponts.

    Des mots à mettre au bout des mains, comme des outils, des caresses ou des lanternes.

    Pour faire un peu de lumière dans sa propre obscurité. Un peu de paix.

    Et rassembler les morceaux éparpillés de notre part commune en dessinant quelque chose qui vaille.

    Quelque chose qui ressemblerait à la vie désirable que vantent les poèmes. 

A vingt-ans je me souviens avoir confié à une femme rencontrée dans un train entre Milan et Genève : "Je ne pourrais jamais vivre sans poésie". Je me délectais à lire, tout comme j'aspirais à trouver dans l'écriture de quoi survivre jusqu'au lendemain.
Et puis, la vie passe. Elle devient active. On élève des enfants. On construit. On planifie. On fait face. On assure et on se rassure. Oui. La vie va de l'avant et elle a besoin de mots bien concrets pour avancer.
Heureusement, il y a ces moments où l'on boucle la boucle, où l'on renoue avec des parties de soi. Ces derniers temps, accompagnée par les mots du poète toulousain disparu, j'ai retrouvé le temps des lectures. Certains jours, un seul vers me suffisait, tel celui-ci :

    Et l'inconnu partout qui nous parle de nous. 

Alors, d'autres vers encore, surgis de l'enfance, devoirs scolaires, Hugo, Rostand, Apollinaire, sont remontés à la surface. Et, à leur suite, certaines strophes italiennes de mon adolescence, chantées par Dalla, De Andrè et  De Gregori. Droite dans mes bottes, sur les tapis humides de la cariçaie, je suis allée récolter des images et des sensations, prêtant attention aux intenses mouvements de ma mémoire, le chien sur mes talons, plus ou moins fidèle compagnon. J'avançais dans la nature sauvage, avec les bribes et les rimes qui s'égrainaient dans les feuillages.
Oui, les mots nous manquent pour tout dire, le miraculeux et le terrible. Et pourtant, des mots sont là, qui persistent, qui nous accompagnent, qui nous guident, parfois à notre insu. Ils sont indispensables, ces mots, et heureusement qu'on les a.

Extraits de : Les mots nous manquent // Michel Baglin // Ed. Rhubarbe // 2019 // p. 93 et 22

 

lundi 18 novembre 2019

Vivre : plongée, contre-plongée


La Sainte famille (détail) / Jacob Jordaens / Museu Brukenthal / Sibiu

La dépression : on est tellement happé au-dedans de soi qu'on ne s'intéresse plus à rien d'autre.
L'émersion : on trouve enfin la force de prendre sur soi pour s'intéresser -vraiment- aux autres. 
 

dimanche 17 novembre 2019

Vivre : toute une histoire


Portrait d'un abbé / Ferdinand Voet / Musei civici /Padova

Tous les soirs, c'est la même histoire. Je le prie de m'en raconter une et j'entends sa voix suave qui entreprend de narrer. Or, je ne connais jamais la fin du récit. Bien avant la dernière phrase, j'ai déjà plongé dans les bras de Morphée. Si bien que tous les soirs, c'est le même début, de la même histoire, qui m'est conté. Une histoire de voyages et de grands départs. M'en lasserai-je jamais ?

samedi 16 novembre 2019

Vivre : Still life / 81




Les Boskoop et les Reinettes du Canada : mes préférées. Je les ai dans la peau. Consommées de mille manières, mais sans façons, elles ont le goût du péché. Jamais vraiment lisses, jamais tout à fait calibrées, surtout pas repulpées, souvent tavelées, et même fripées, elles se foutent des diktats imbéciles en matière de séduction et de suavité. Servant à l'occasion de résidence à un ver qu'il arrive inconsidérément de déranger (pour le coup, ce squatter étonné, quelque peu courroucé, a toutes les raisons de rassurer).
On nous confirme que le gaspillage alimentaire reste une véritable calamité. Un tiers de la nourriture produite est encore jetée et trop souvent pour des motifs purement esthétiques. Heureusement que les initiatives abondent contre ces normes qui sont des énormités : voilà de quoi nous rasséréner.
En attendant, quoi de mieux que de croquer dans une vraie bonne belle pomme kilomètre zéro pour vitaminer sa journée ?

vendredi 15 novembre 2019

Vivre : l'arrivée




Le paysage qui pâlit soudain comme sous le coup d'un grand effroi.
 Le corps qui frissonne, qui aspire à rentrer. Les branchages ébranlés.
Le cri bestial d'une pie esseulée. Les raves délaissées par les sangliers.
Une sommation brutale, une menace glaciale sur les champs éventrés. 
Un banc grisant, envoûtant, harcelant le Jura. La neige déboule. La voilà.

jeudi 14 novembre 2019

Vivre : trois p'tits tours et puis...


Ritratto di famiglia (dett.) / Cesare Vecellio / Museo Correr / Venezia

Décider une fois pour toutes que les esprits grognons n'ont pas de prise sur notre humeur. 
Décider que ras-le-bol des bougons et des mauvais coucheurs. Tourner vite fait les talons.
Partir en courant face au vent tonifiant. Notre vie bien trop courte n'a que faire des raseurs.

mercredi 13 novembre 2019

Vivre : memento mori


Portrait de femme avec crâne et livre (détail) / Bartholomaus Bruyn le Vieux / Museo Correr / Venezia

Et si, loin de nous faire peur, la mort devait se placer au centre de notre vie,
nous donner des ailes, nous permettre d'oser, de vivre sans crainte et sans limites,
s'il s'agissait de nous en souvenir, de bien la tenir au lieu de détourner le regard ?
Et si la peste, c'était justement ce furieux besoin de vouloir sans cesse la fuir ? 

mardi 12 novembre 2019

Vivre : miroirs





On porte toujours un monde en soi.
Dans nos objectifs, c'est probablement
toujours notre propre monde qu'on voit.
La fille, samedi, sur les rives du Léman,
était manifestement heureuse, avec son chien.
Elle photographiait la France et Evian
tandis que moi-même je les immortalisais,
elle, son chien, la Savoie, Evian et leur enchantement.

lundi 11 novembre 2019

Vivre : divines réconciliations


Portrait d'un jeune homme / Giorgione / Gemäldegalerie / Berlin


Son indulgence est totale envers les fâcheries qui m'emportent, parfois
(dont souvent l'origine m'échappe et le ridicule me désole tout à la fois).
Heureusement qu'on vend du Château De Brousse 2014 près de chez moi.
 
 

dimanche 10 novembre 2019

Vivre : Still life / 80





J'ai déniché cette petite peinture dans un atelier perdu en rase campagne piémontaise, un jour que je faisais encadrer une aquarelle. Un vieux panier en osier posé par terre contenait bon nombre de plaques de cuivre, de diverses dimensions, représentant pour la plupart des paysages, ou des scènes de genre. La propriétaire m'a expliqué qu'il s'agissait de travaux d'étudiants des Beaux-arts qui s'exerçaient à imiter des tableaux de maîtres sur ces supports. En échange d'un billet, je me suis procuré la modeste copie qui, depuis lors, se trouve toujours à mon chevet.
L’œuvre d'origine date probablement du XVIIème siècle. Je suppose que si je voyais le tableau original, je pourrais l'identifier aisément après avoir si longtemps observé ce détail. Mais je ne l'ai jamais retrouvé. J'aime regarder cette peinture sans prétention plusieurs fois dans la journée, en passant. Elle a quelque chose de rassurant. Elle me procure un sentiment d'apaisement. Je lui trouve un charme désuet et désarmant (bien que je sois peu sensible à l'art de cette époque, de manière générale).
Le soir au coucher, je me dis que si je devais tout quitter dans l'urgence, je glisserais dans mes bagages deux ou trois livres fondamentaux, mon laptop et cette petite plaque. Rien de lourd, rien de trop encombrant. Rien que le nécessaire pour pouvoir refaire ma vie quelque part.
(Il m'arrive régulièrement de faire ce rêve éveillé, dans lequel je m'imagine contrainte de partir, de m'exiler au loin, réflexe atavique, qui revient sans cesse, moi dont la famille n'a connu que déplacements et migrations, je porte ancrée l'image de départs nécessaires, de reconstructions à faire, pour tout recommencer à zéro, quelque part sur la Terre).
Et cette petite plaque réalisée avec une application toute scolaire, m'apparaît comme un fil ténu entre les différents paysages de ma vie. Une image stable et idyllique dans un monde qui varie incessamment.

samedi 9 novembre 2019

Vivre : a minima





Ici, certains jours, le paysage peut se résumer à trois fois rien.
Et, sur cette page blanche (qui peut être bleue, verte ou grise)
la vie vient esquisser une arabesque de pensées, de pas, de signes.
Vivre alors, c'est laisser les choses se faire. Et les nœuds se défaire aussi. 

vendredi 8 novembre 2019

Vivre : question de priorités

Mobile / Alexander Calder / Biennale Lyon 2017

Que dit-on exactement quand on prononce : "je n'ai pas le temps" ?

jeudi 7 novembre 2019

Vivre : dans le bleu



A force de réveils grisâtres et de matins blanchâtres, à force de balades écourtées, à force de retours détrempés, à force... ne plus savoir résister à l'impérieux désir de partir prospecter, sillonner, débusquer une déchirure, quelque part, partir, oui, mais revenir bredouilles, désappointés, maussades, partir désespérément chercher, chercher encore et ne pas trouver, revenir et repartir, et puis... finir par rentrer, accepter de ne plus lutter face à tant de contrariétés, rendre les armes, se résigner à prendre les trombes, les averses, les oppositions comme elles viennent, advienne que pourra et, à la toute fin de cette longue traversée, l'apercevoir, se sentir enfin prêts à l'accueillir : l'éclaircie.

mercredi 6 novembre 2019

Vivre : laisser tomber


Le Christ entouré d'anges  (détail) / Antonello da Messina / Museo Correr / Venezia

On m'a chargée d'aller acheter un certain nombre de vidéos dans cette grande enseigne où je pénètre de plus en plus rarement. Je subis avec vaillance le fond sonore assommant. Perplexe devant les étiquettes, je m'approche d'un vendeur : Pourquoi celles qui sont au dos, mentionnant "prix adhérent" sont-elles néanmoins plus élevées que celles "prix vert" collées sur le devant ? Réponse : C'est le prix vert qui fait foi, parce que ce sont des nouveautés, elles sont moins chères, que l'on soit adhérent ou pas. 
!?! Il n'a pas eu l'air de remarquer mon air éberlué. Pour lui, c'était évident (ou du moins, se devait-il de trouver ça cohérent). Si je n'avais été dûment mandatée, j'aurais fui illico presto. Je sais bien que le feuilleton "Prenez-nous pour des cons" n'en est pas à sa dernière saison. On joue avec les prix. On joue avec notre argent, notre énergie. On joue et on pourrait laisser les autres jouer si cela leur chante, s'il n'y avait derrière tout cela des gens, des emplois, des salaires avec lesquels on joue impunément.

Quelques minutes plus tard, aux caisses, la jeune femme qui me précède est manifestement venue acheter des cadeaux pour un anniversaire d'enfant. Les bras remplis d'albums, de cahiers, de jouets (censée vendre des livres et de la musique, la chaîne propose de plus en plus de robots  de cuisine et d'attractions pour petits et grands). Au moment d'encaisser, le vendeur lui tient un discours ahurissant : Il vous faut retourner acheter encore un livre, si vous voulez profiter de l'offre exclusive adhérents. Et la femme retourne consommer. Docilement.

Les bras ont failli m'en tomber, et leur contenu également. Heureusement, j'ai tenu bon, car parmi toutes les promotions de films à grosse distribution, j'avais trouvé cette petite pépite, un premier long-métrage sans prétention, mais dégageant une forte charge d'émotion : Lune de miel.