mardi 31 août 2021

Vivre : une valeur sûre

 
Pèlerinage au mont des Intentions pures / 2006 /Fabienne Verdier / Centre Pompidou / don A. Dandois / Paris
 
 
 L'instinct : la meilleure protection dont nous disposions.
 
 

lundi 30 août 2021

Vivre : un dimanche ordinaire

 

Ce jour-là, les prévisions se révélaient plus ou moins fumeuses. On nous prédisait un temps généralement sec et passablement d'éclaircies. Nous avons d'abord eu un grand ciel dégagé, puis une tempête qui a ramené au port tous les voiliers, suivie de quelques averses éparses et enfin un coucher mirobolant, aveuglant. Nous en avons eu pour notre argent. 

 
 
On s'est baignés longuement en observant les lubies géométriques de quelques hélicoptères. On a passablement pétri, testé et approuvé les baguettes aux tomates et olives noires. On a aussi un peu photographié (en reposant l'appareil, on s'est juré que dimanche prochain, sans faute, on s'y mettrait avec nos pinceaux et nos crayons, on ajouterait de la couleur à la couleur, de l'émotion à l'émotion).

 
Quand finalement on s'est décidés à plonger dans les bras de Morphée, quelque part encore, le jour se refusait à nous imiter.



dimanche 29 août 2021

Vivre : le coeur a ses saisons

 
 
Les arbres qui commencent à se dorer, quelque chose dans l'air qui ramène à des flambées, une lumière intense que la bise rend insolente et qui célèbre la rentrée. Il faut l'admettre : l'automne s'est mis en route (sans que nous ayons eu d'été). L'automne nous adresse ses avant-courriers et c'est une merveille de pouvoir les accepter : les récoles dans les champs, les fruits sur les marchés, les vagues se jouant des voiliers et puis ce je ne sais quoi qui sollicite la mémoire, en ramène les scintillements de septembre sur le canal de la Giudecca, et quelques îles blondies par le  Maestral, et tant de battements dans les dernières criques secrètes. 
Les élans sont printaniers. La plénitude est estivale. Mais le bonheur, le pur bonheur, lui, ne peut être qu'automnal. (Et tant pis pour cet été, qui nous a effrontément snobés.)

samedi 28 août 2021

Voyager / Lire : sans conséquence

 
Collage trouvé sur le net

Cet été, je me suis retrouvée plusieurs fois à déambuler, dans des villes qui m'étaient étrangères. Je n'avais pas vraiment choisi les villes en question, je n'avais pas d'intérêt particulier à les découvrir, si bien qu'après avoir arpenté leurs principales rues, je me retrouvais toujours avec la perspective de m'attabler à une terrasse pour y attendre la personne qui devait me rejoindre. J'avais du temps à disposition mais, sans doute à cause de mon manque de curiosité envers les lieux, je ne ressentais pas d'attirance particulière à observer les passants ni les interactions. Aucune personnalité ne me frappait. Aucun incident ne se produisait.
Mal préparée à ces heures de désœuvrement et peu encline à m'ennuyer stoïquement, je finissais par entrer dans la première librairie qui se présentait. Évidemment, comme toujours dans ces cas-là, je ne trouvais rien de consistant à me mettre sous les pupilles. Je tournicotais entre les rayons, j'allais et venais, les livres présentés me paraissaient insipides, ou trop connus, ou trop distribués. Ne désirant rien de particulièrement original, ni d'affreusement banal, mes doigts se promenaient sur les étagères, cela me rappelait ces après-midi de pluie où l'on se trouve confinée dans des maisons de location et où l'on se cherche une occupation parmi les bouquins abandonnés par de précédents occupants. 
Je viens de réaliser que le hasard m'a fait acheter ainsi trois livres d'Aki Shimazaki. Une fois leur lecture achevée (une lecture rapide et pas vraiment marquante), une fois rentrée chez moi, je les ai relégués dans un coin. La première fois que j'ai lu cette auteure, j'avais été intéressée par l'histoire d'Hôzuki, et le concept des pentalogies à entrées multiples m'avait semblé ludique et fascinant. 
Ces dernières semaines j'ai réalisé combien, avec les auteurs trop prolifiques, les narrations finissent à la longue par sembler dupliquées. On en vient à les deviner, un peu comme ces tours de magie qui à force d'être vus révèlent leurs ficelles. Impression de voir tourner un carrousel. Un roman n'est pas qu'une histoire racontée, il faut un style pour le porter, un processus pour l'amener à maturité. Chez Aki Shimazaki, les sujets ont toujours trait à des passés secrets, à des blessures mal cicatrisées, à des liens familiaux tourmentés.
Je suis allée ce matin déposer les trois opuscules décidément trop légers dans la boîte à échanges. Qui sait ? Peut-être enchanteront-ils trois lecteurs qui ne les connaissent pas ? Peut-être un cycliste en villégiature se retrouvant oisif entre deux étapes sera-t-il ravi de passer un moment en leur compagnie ? En les laissant, je leur ai souhaité une bonne continuation, comme on le fait avec des gens dont on prend congé en sachant qu'on ne sera plus amené à les rencontrer.

vendredi 27 août 2021

Vivre : let it be / 22

 
Deuil de Marie-Madeleine sur la dépouille du Christ / A. Böcklin / Kunstmuseum / Basel
 
Elles ont besoin de penser unifié, évidemment. De se regrouper, forcément. De se trouver remorquées, fatalement. Elles s'effraient à la descente, elles peinent à la montée, elles se cherchent désespérément un centre de gravité. Elles ont besoin de wagons, de locomotives et de destinations. Elles manquent d'horizon. Elles manquent d'allant, de perspectives et de convictions. Elles suintent l'ennui, elles voient petit, tout petit, ne dédaignent pas les mesquineries. Flamandes sans flamme, flottantes sans rames, elle ne rient pas, elles ricanent tout bas, pour qu'on ne voie pas. Du reste, personne ne les voit, c'est pour ça qu'on s'attriste pour ...ces suivistes.

jeudi 26 août 2021

Vivre : question de sentiments

 
 
Jugement universel (détail) /Giovanni di Paolo / Pinacothèque / Sienne
 
Il m'a dit : on ne trouve dans ton texte aucune mention de l'amour. Je m'en suis étonnée : l'amour n'est pas quelque chose dont on parle obligatoirement, qu'on déclare ou qu'on ressasse. L'amour se sent, se montre, s'éprouve. Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour.  
Permettre à quelqu'un d'être lui-même, le reconnaître sans réserve et sans condition, l'autoriser à suivre sa voie, n'est-ce pas la définition même d'aimer ? Le reste, ce ne sont que paroles, paroles, paroles... (qui, comme le saccharose, sont certes agréables, mais point indispensables).
Il s'est tu. Je crois que ce grand sentimental n'était qu'à moitié convaincu.

mercredi 25 août 2021

Vivre : démasquer

 

 
A les voir sur les trottoirs, à les voir dans les allées, abandonnés sur les bancs, sur des aires de jeux, à me dire qu'il fallait bien que quelqu'un vienne s'en occuper, que quelqu'un viendrait sûrement, ça me démangeait depuis longtemps. A force d'attendre quelqu'un de concerné, aujourd'hui, je me suis décidée, aujourd'hui j'allais être ce quelqu'un. A moi de jouer, je me suis penchée, comme pour les cannettes, pour les briquets usagés. 
J'en ai pris un, puis un autre, j'ai trouvé une poubelle et je les ai jetés. Ras-le-bol des incivilités (et ras-le-bol du temps perdu à blâmer).

mardi 24 août 2021

Vivre : variations sur un thème

 

 
Ce soir-là, ce printemps-là, j'avais pris plusieurs photographies de la lumière jouant avec les vitraux sur les dalles de l'église, à Cairanne. Je sais que j'en ai posté déjà quelques unes ici, mais je ne m'en lasse pas. Ces derniers temps, la répétition des choses me fascine et m'enchante tout à la fois. J'aspire à relire, à revoir, à réentendre, à retrouver. J'ai besoin de tourner en boucle autour de mon passé. Les nouveautés m'ennuient. Les modes m'horripilent. J'aime. J'aimerai. Je ne me lasserai jamais de ce que j'ai aimé. Si les airs sont toujours les mêmes, les variations - subtiles - viennent m'enseigner que rien - rien - ne saurait jamais se répéter entre changement et continuité.

lundi 23 août 2021

Vivre : un monde devant soi

 

La nuit se refusait à tomber. Le jour n'entendait pas céder. 
Nous mêmes ne voulions pas abandonner
ces heures où nous nous étions pris à rêver.

dimanche 22 août 2021

Vivre : garder confiance

 
Madone entre saints et anges (détail) / Stefano di Antonio di Vanni / Pinacoteca / Siena
 
 
Donner, recevoir : la chaîne de l'espoir.


samedi 21 août 2021

Lire : votre colis est en route

 
Madone entourée de saints (détail) / Luca Signorelli/ Pinacothèque / Volterra
 
Je connais peu de choses aussi perturbantes à expérimenter que ces instants d'attente et de recherche éperdue entre un livre passionnant et un autre. Après les heures dévorantes et l'expérience de pure fascination, suivies abruptement par la cruelle période de post-partum, se remettre en piste, rechercher, emprunter, relire, feuilleter, abandonner devient un véritable parcours du combattant. Combien il faut de patience avant de pouvoir enfin mettre les yeux et la main sur ce dont  on a besoin...
Où es-tu donc, ô livre censé me faire oublier Un mois à Sienne ? et Juli Zeh et la relecture de tous mes Terzani ? Où te caches-tu, dans quelle librairie, sur quelle étagère, au fond de quelle bibliothèque ? Je commence et je repose. Je commence et je n'accroche pas. Je commence et résiste pour atteindre péniblement le mot de la fin, tout  en restant toujours sur la mienne (hum, qu'on me pardonne) ... Je me sens en manque, dans l'état lamentable d'une junkie sans sa dose, où es-tu donc toi, roman que j'attends ?
Ce moment de frustration intense, qu'aucun ouvrage conseillé ou recommandé ne sait apaiser, il s'agit de le vivre, à fond, vraiment, pour qu'un jour, finalement Le Nouveau Livre apparaisse comme par enchantement. Et alors... alors... avec volupté... plonger dedans... Replonger, plus exactement...

vendredi 20 août 2021

Vivre : point de bonheur sans nuages ...

 

 
...lire, déchiffrer, décrypter et lire encore tandis que s'envolent les pages ...

jeudi 19 août 2021

Vivre : tous les maux réprimés

 

 Sculpture médiévale / Complesso Santa Maria della Scala / Sienne
 
Trop de choses en elle, trop de sanglots rentrés, sensation trop forte de manquer d'air, elle a murmuré: "J'avais tellement de reproches à lui faire que je n'ai rien pu dire". Elle s'éloigne avec le poids de ses mots refoulés, avec l'espoir qu'ils trouvent un jour, bientôt, tout bientôt, le moyen de se réunir, de s'assembler et de la libérer. Ce soir, son regard embué draine des secrets qu'elle n'est pas près d'avouer. Ce soir, les mots se bousculent au fond de son gosier.

mercredi 18 août 2021

Vivre : tant à faire

 

Christ au ciel entouré de 4 saints et un donageur (détail) / Domenico Ghirlandaio / Pinacothèque / Sienne

 
A quoi bon se crisper sur ce qu'il faudrait, ce qui devrait ? Lever les yeux sur ce qui est.

mardi 17 août 2021

Vivre : à pas lents dans le palais

 

 
De salle en salle, progressant en silence, le projet se faisait peu à peu évidence.

lundi 16 août 2021

Vivre : l'entre-deux


70 heures d'affilée sans pluie, c'était presque trop beau pour être vrai.


On était sur le point de croire que l'été pouvait commencer.

Déjà, on s'était mis à enfiler des sandales. Le soir, on scrutait les étoiles.


Après 70 heures, trente-six minutes et quelques secondes,
l'orage a éclaté. Ce fut un bel orage, un orage presque parfait.
L'avantage : cette année, pas une fois on n'a eu besoin d'arroser.
 

dimanche 15 août 2021

Vivre : compenser les forces

 
Madone avec enfant (détail) / Francesco Benaglio / Musée Correr / Venise

 
La santé : un équilibre, cent fois perdu et cent fois retrouvé. Une aptitude à créer.
La santé : un instinct qui permet d'identifier ce qui est frelaté et de s'en détourner.
Et aussi : une capacité de générer des réponses sages envers et contre toute adversité.
 

samedi 14 août 2021

Vivre : participer (ou pas)

 

Portrait de famille noble (détail) /Cesare Vecellio /Musée Correr / Venise
 
L'exubérante terrasse s'ouvrait sur la vallée du Rhône rosie par un soleil doux, quasi printanier. Il y avait des couples, plusieurs couples aux interactions variées : ceux qui cherchaient des recoins abrités, jasmin, vigne, buissons pour abriter leurs confidences, ceux qui s'asseyaient n'importe où et réservaient leurs épanchements à leurs smartphones, ceux qui réussissaient l'exploit de passer la soirée ensemble, sans se parler et sans bouder (qui apparemment étaient à court de mots, mais en toute civilité). Il y avait aussi un couple de personnes âgées, tout à leur bonheur de profiter de leur merveilleuse sortie. Ils se souriaient, puis souriaient à l'ensemble des convives, et leur sourire était comme un deuxième crépuscule irradiant sur cette soirée.
Il y avait des familles, avec bébés et chaises hautes, ou avec enfants sages, gastronomes en herbe ou jeunes personnes très bien éduquées (ou peut-être les deux, qui sait ?). Et puis aussi des chiens, pas mal de chiens, que le responsable s'est arrangé pour placer à des tables suffisamment espacées. 

Enfin, sont arrivés par petits groupes les occupants de la longue table installée en milieu de terrasse, rassemblés apparemment pour fêter la doyenne, une grand-mère bien mise qui devait être pour le moins octogénaire. Deux dames d'un certain âge, ses filles selon toute vraisemblance, se sont placées chacune à ses côtés. A chaque bout de table, les filles avaient installé leur progéniture respective : des trentenaires bien sapés, certains accompagnés de leur pièce rapportée.
Très vite, il y a eu comme un déséquilibre : tandis qu'à l'est les commensaux avaient entamé une discussion certes un peu poussive, mais poliment relancée, côté ouest, auprès de la fille aînée, celle qui portait les sacs avec les cadeaux pour la mémé, l'atmosphère était pour le moins frigorifiée. Trois filles et un garçon qui se ressemblaient comme quatre gouttes d'eau, bruns et secs, paraissaient comme figés et d'emblée excédés. Avant même de s'asseoir, la question des places revenant à chacun avait généré des incidents fâcheux et, par effet rebond, une guerre froide entre les différents protagonistes.

La table était devenue la scène d'une désolante représentation, qu'ils semblaient avoir bien rodée : il est rare de voir trois sœurs se chamailler à l'instant même où elles s'installent pour un repas de famille, l'une se mettant à pleurer, une autre toute occupée à bouder, la troisième lançant des SOS à son conjoint qui lui faisait face et le frère, arrivé en dernier, imposant sa présence en bout de table, déplaçant une de ses sœurs qui s'y était installée. Ambiance.
Alors que les regards, au levant, se rencontraient régulièrement (on n'allait pas se le cacher : un repas avec mémé n'était pas forcément une partie de plaisir, mais chacun semblait résolu à le faire en individu civilisé), au couchant, les yeux regardaient dans tous les sens, les mots semblaient comptés, l'attention rivée vers toutes sortes de points extérieurs à la tablée. De temps à autres, certains émettaient des mimiques glacées en guise de sourire. "On ne peut pas ne pas communiquer" affirmait Watzlawick. Ce soir-là tous les participants, versant occidental de la table, semblaient vouloir illustrer cette règle fondamentale de la Théorie de la Communication.
"J'en ai marre". "Je ne vous aime pas". "Je voudrais être ailleurs". "Personne ne me comprend". "C'est moi qui commande, c'est moi qui sait." Chaque personnage semblait assumer un rôle particulier.
 
Il y a des moments dans la vie où l'on se réjouit d'avoir une famille restreinte. Ce qui émanait de ces jeux malheureux, c'était la tension et la douleur des différents membres obligés de se fréquenter. A les regarder, on était saisi d'une infinie tristesse : les considérant, on pouvait les imaginer s'écharper, pour des questions de pouvoir, des questions d'héritage, de partage de biens, ou alors des questions héritées de génération en génération, dont on peinait à repérer l'origine et le sens. On avait de la peine pour eux et pour ces obligations que la vie familiale (ou sociale) nous impose, quand on ne sait ni vraiment participer ni carrément refuser.

 

vendredi 13 août 2021

Lire : un café, une terrasse

 

Il y a des bistrots aux terrasses bien ombragées, où l'on voudrait s'attabler, tranquille, commander un Diabolo fraise ou une Panachée, saluer en retour le groupe de touristes jurassiens qui passent en file indienne et lancent chacun leur tour un "bonjour" tonitruant, le regard droit, quelque chose de fier et de pugnace dans leur maintien. Il y a des bistrots, où l'on voudrait se poser pour le restant de la journée, ouvrir un bouquin, quelques poèmes de Rilke, une élégie, pourquoi pas, ou alors ses Lettres au jeune Franz Xaver Kappus, et s'imaginer que c'est à nous qu'il les a écrites (Très chère Madame, c'est à Florence que j'ai reçu votre lettre du 29 août et c'est seulement maintenant - après deux mois - que je vous en parle. Pardonnez simplement cette négligence...) et puis aller aux dernières pages, celles que l'éditeur a laissées non imprimées, et se mettre à poser là quelques pensées, quelques idées, un ou deux projets. Il y a des bistrots qui vous donnent juste envie de vous laisser couler dans cette bienheureuse saison qu'on nomme l'été.

LES PAUVRES MOTS
    Les pauvres mots qu’affament les mornes heures,
    les ternes mots, oh, je les aime tant !
    Avec mes fêtes je leur prodigue couleurs,
là ils sourient et se font gais, lentement.    
Leur être, qu’en eux, craintifs, ils avaient dompté,
se renouvelle, si clair que le voit chacun ;
jamais encore ils n’ont été chantés, 
et frémissants, ils courent dans mes quatrains.
Poème tirée de :  Rimes, Rythmes ( fr/angl/all,) trad. Cl. Neuman, éd. Ressouvenances
 
[...] s'il n'y a pas de communauté entre vous et les autres, cherchez à être proche des choses que vous ne quitterez pas; les nuits, elles, sont encore là, et les vents qui traversent les arbres et passent sur tant de pays; parmi les choses comme auprès des animaux, il y a encore tant d'événements auxquels il  vous sera possible de participer; et les enfants sont encore comme vous étiez vous-même lorsque vous avez été enfant, aussi tristes et aussi heureux - lorsque vous pensez à votre enfance vous vivez de nouveau parmi eux, parmi les enfants solitaires, et les adultes ne sont plus rien, leur importance n'est d'aucune valeur.
 LAUJP, 23.12.1903, trad. M.B. de Launay, éd. Poésie/ Gallimard
 
 [...]  Car dès l'enfance
on nous retourne et nous contraint à voir l'envers,
les apparences, non l'ouvert, qui dans la vue
de l'animal est si profond.  Libre de mort.
Nous qui ne voyons qu'elle, alors que l'animal
libre est toujours au-delà de sa fin:
il va vers Dieu; et quand il marche,
c'est dans l'éternité, comme coule une source. 

Huitième élégie, Élégies à Duino, trad. François-René Daillie/ coll Orphée/La Différence
 

jeudi 12 août 2021

Vivre : Drôme, les lampions


Ce soir-là, après une journée un peu sinueuse, un peu chargée, ponctuée de tensions diverses et de doux éblouissements, nous avions traversé le village sur lequel les étoiles commençaient à veiller. Nous nous étions aventurés sur des pavés que quantités de pas fureteurs avaient lissés jusqu'à la brillance. Il y avait de la pêche, du jasmin et des grillons dans l'air. Il y avait un nombre impressionnant de chats et des éclats de voix - pas de rires : des voix - des gens qui se parlaient, qui avaient besoin d'échanger, après un début d'été rempli d'attentes et de désarrois. Au-dessus des tables peu à peu abandonnées, des visages penchés, bien disposés à s'entendre et à s'écouter. Il y avait des cuisines allumées où l'on se passait le pain avec solennité. Il y avait un curieux mélange de bruits et de silence, d'aménité et de déférence.
 
 
La nuit était tombée d'un coup, comme la fatigue. Le chien arrosait de temps à autre des touffes qui émergeaient insolemment des pierres. A travers des vitrages nous scrutions des tableaux d'artistes doués, que nous aurions aimé mieux apprécier. Nous avons croisé un jeune Hollandais rondouillard qui s'est mis à raconter des histoires de gâteaux et de clébards. Il émanait de lui et de la femme qui l'accompagnait cette euphorie un peu survoltée qui est le signe des amours naissantes. Nous les avons laissés s'évaporer dans l'obscurité, emportant dans leur sillage l'espoir que leur relation était faite pour durer.

 
R. m'a glissé tout bas à l'oreille quelques mots que j'avais déjà entendus des milliers de fois, mais au cœur de cette soirée qui n'avait rien de banal puisqu'il y avait des étoiles, et l'empreinte d'un soleil retrouvé, et des voix qui parlaient de détente et d'été, ces mots avaient résonné comme ceux d'une première fois. Alors, nous avons regagné notre chambre, tandis que le chien levait la patte, une dernière fois.
 


mercredi 11 août 2021

Regarder : quand l'humour ne manque pas de sel

 

A la Saline royale d'Arc-et-Senans, Plonk & Replonk exposent cet été leur humour décalé et cela nous a paru suffisamment motivant pour traverser le Jura français - des kilomètres de sapins déroulés à perte de vue, des paysages inspirant une sérénité dont on ne saurait se lasser - pour aller rigoler un moment, avant d'aller nous délecter au bord de la Loue dans une guinguette proposant des Paris-Brest aux dimensions indécentes.
 
Le rire, si bon pour la santé, est un vaste sujet. On ne rit pas tous des mêmes choses, c'est bien connu, on n'a pas tous les mêmes sensibilités. En fin de parcours, R. et moi n'avions pas retenu les mêmes cartes postales. Dans la salle, tandis que je pouffais sous mon masque, je voyais des gens penchés, très attentivement, très sérieusement, appliqués à comprendre de quoi il s'agissait. Quoi qu'il en soit, florilège : 


 




 

mardi 10 août 2021

Vivre : entrevoir

 
Réfectoire / chiostro San Giovanni / Saluzzo
 
 Par instants, disparaissant, réapparaissant, 
se rappelant, fugacement, ou s'imposant :
l'ombre du début d'un éclaircissement.

lundi 9 août 2021

Vivre : still life / 101

 

Jour de pluie, jeu des perles d'ennui. Suis partie avec mon appareil faire un safari dans la maison, capter des images, un peu partout. C'est un exercice qui amène de drôles de résultats : on retrouve des objets qu'on avait cru perdus, on découvre des livres qu'on avait crus offerts, on considère les lieux comme on ne les avait jamais vus. Les pièces se révèlent sous d'autres ombres et d'autres lumières. On se trouve confrontée à des facettes de soi dont on ne se souvenait pas. 
Ce dessin, à force de passer devant, tant de fois, je ne le voyais plus, ou plutôt je le balayais du regard sans plus le voir. Je dois l'avoir ébauché il y a au moins trente ans. Il vient me rappeler ce temps où j'aimais rester de longues heures seule, à écouter de la musique et à crayonner. Il vient me dire aussi combien j'aimais accéder à mon univers et y rester longuement ancrée. Dans ces moments-là, je m'assumais entièrement autiste et m'en trouvais comblée. Aucune sonnerie, aucun appel ne pouvaient me rattraper. Comme ces enfants, tirant la langue, penchant la tête, absorbés à colorier.
Les jours de pluie, le jeu du safari : se rencontrer dans une autre vie.

dimanche 8 août 2021

Vivre : par soi-même

 

 
Par-delà les voiles et les reflets, parvenir à se faire une idée.