vendredi 30 avril 2021

Vivre : débordements

 
Drop / Tom Shannon / 2009 / Chateau Lacoste / Le Puy-Sainte-Réparade
 
 
Si infime, si petite, et pourtant, incroyable, le pouvoir de la dernière goutte sur le vase. 

jeudi 29 avril 2021

Vivre : has been

 
Portrait de femme / École vénitienne XVIe s. / MBAA / Besançon
 
Elle se sent usée, asséchée, limitée, et donc frustrée. Elle rabâche, elle se répète, elle se raccroche à ce qu'elle a été. Elle se voit vieille, mais ça n'est pas une question d'années. C'est une question de cœur, d'allant, de vitalité. Elle s'imaginait actrice, créatrice, terre de fertilité. Mais le rideau de ses espérances semble définitivement tombé. Elle compose tant bien que mal son présent, se projette trop souvent au conditionnel, et se conjugue de plus en plus à l'imparfait. Elle voudrait encore gagner, être capable de griffer, elle se verrait bien triompher. Elle inspire juste de la pitié.

mercredi 28 avril 2021

Vivre : l'échange

 
Two Mothers (détail) / Franz Straké / Rijksmuseum / Amsterdam
 
En ce dimanche soir, elle traverse le parc qui mène à la gare. De dos, sa silhouette apparaît gracile, avec un je-ne-sais-quoi d'évanescent. Elle pousse un landau tout en tenant par la main une blondinette qui semble avoir tout juste cinq ans. Il y a quelque chose de découragé dans sa démarche. Son dos se révèle légèrement penché, ses épaules à peine affaissées, ses pas un rien hésitants.
Sur l'esplanade devant les quais, la petite fille s'élance soudain vers un homme d'une trentaine d'années, aussi costaud que la femme paraît fragile, aussi rougeaud qu'elle semble pâle, aussi terre-à-terre qu'on la voit aérienne.
L'enfant sourit. Les adultes se font face et échangent à propos d'un sac que la femme a apporté. Finalement, l'homme décide que non, ce contenu il n'en aura pas besoin. L'enfant sautille en disant au revoir, elle part main dans la main avec le parent retrouvé. Ils font la course, elle va gagner.
La femme rebrousse chemin, son landau à bout de bras. Son ombre tremble sur le trottoir. On ne sait rien de son visage, de son regard. On les imagine éteints, tandis qu'elle s'efface, absorbée par les gens pressés de prendre leur train.


mardi 27 avril 2021

Vive / Habiter : peindre ou rêver

 
 

Quand nous avons gravi pour la première fois le chemin qui mène ici, c'est la maison d'un peintre que nous avons visitée. J'ai pensé : l'endroit idéal pour se mettre à créer. Quand les ouvriers ont commencé à creuser les fondations, j'ai décidé : j'allais acheter des toiles et des tubes et j'appliquerais d'épaisses couches de gouache depuis la terrasse.

Puis le temps a passé. Aucune peinture de paysage, pas même une ébauche. Aucune huile, aucun pastel, aucune aquarelle où mes pinceaux soient allés se plonger pour rendre l'eau et le ciel. Rien. Rien que mes yeux absorbés et du temps passé à regarder. A satiété.
 






lundi 26 avril 2021

Vivre : les attraits d'une ville

 

Ville de Sienne (détail Allégorie du Buon Governo) / Ambrogio Lorenzetti / Palazzo communale / Sienne

 
Hier, la ville chère à mon cœur, inondée de lumière, frémissait comme jamais. Elle avait ouvert ses terrasses à une foule bigarrée, calme, respirant le bonheur d'être au monde. Gestes barrières, port du masque, gels et traçages, tous les comportements avaient été intégrés pour profiter de cette harmonieuse journée. 
Ces derniers temps le besoin de rencontres et de réunions avait donné lieu à toutes sortes d'innovations : des réchauds à gaz déposés sur des couvertures pour savourer un véritable petit déjeuner sur l'herbe dans les parcs luxuriants. Des picnics urbains, des grillades sauvages, des parties de badminton, de pétanque, mille manières de réinventer ces restaus et ces loisirs qui nous manquaient. L'envie de vivre explosait de toutes parts comme ces touffes d'herbe qui fendent l'asphalte et ne peuvent se résoudre à être emprisonnées.
A quoi tient l'attrait de la ville? me suis-je demandé en bonne villageoise devant mon espresso bien serré. Au fait de savoir qu'il existe des gens, d'autres gens, une multitude cosmopolite et variée en train de vivre et qu'on peut voir s'éclater ? Au fait de pouvoir consommer ? La ville serait-elle essentiellement un lieu de consommation (de spectacles, de biens, de restauration) ? Au fait de permettre les rencontres, les connexions, les échanges ? Ou encore d'émettre des notes et des mots, des chants et des cris ?
Oui, sans doute un peu de tout cela.  Mais en humant l'air de la ville animée on ressentait quelque chose d'essentiel, une énergie, un élan vital, quelque chose qui faisait vibrer toutes les cellules des organismes concernés. Et tout vibrait, effectivement : les étals et les musiciens sur le marché, les enfants qui s'aspergeaient aux fontaines, le ballon rouge qui avait dû s'évader d'une fête, un mariage qui se faisait photographier.
Comment décrire cette vitalité, cette joie électrique ? On peut le décrire en négatif, en songeant à tout ce qui a manqué. La ville avait été une ampoule éteinte que tout le monde avait besoin de voir se rallumer. On peut le décrire en positif : la vie est un courant d'eau claire, que rien, rien, pas même un virus, ne peut arrêter. La vie est plus forte que tous les interdits et l'a toujours été.

dimanche 25 avril 2021

Vivre : derrière un kleenex

 
Sculpture / Parc parisien / Les Tuileries (?)
 
Il y a des relations, comme des bibelots fêlés, des cardigans fatigués, des bouquins emportés impulsivement, qu'on garde par loyauté envers le passé. Qui nous font nous retourner, vers ce qui était, mais qui n'ont plus vraiment de fonction au présent. Il y a des relations, coquilles vides maisons désertées, qui exigent une décision, qu'il s'agit d'abandonner prestement, pour mieux aller de l'avant.

samedi 24 avril 2021

Vivre : écouter (vraiment)

 
Madone entourée de quatre anges (détail) / Pinacothèque / Sienne

 
Le manque d'attention : un manque de respect qui ne dit pas son nom.


vendredi 23 avril 2021

Vivre : still life / 98

  

Parmi les objets du quotidien, les plus banals, les plus insignifiants, il y a ces petites reproductions, cartes postales ou cartes de vœux, qu'on a décidé un jour de fixer à un mur, histoire de nous souvenir ou d'embellir notre ordinaire. 
Avec le temps, comme pour toute chose quotidienne, usuelle, on risque de les oublier. Ils finissent par faire tellement partie du décor qu'ils en deviennent transparents. 
Pourtant, un jour, on les voit. Mieux : on s'en approche. On les trouve poussiéreux, on les a trop vus, ces objets de rien du tout. On se dit naturellement : on va changer. Et on s'apprête à piocher quelque chose d'attrayant, de nouveau dans la boîte qui regorge d'images.
Mais tandis qu'on regarde, on voit à nouveau, vraiment, et on retrouve la joie, la même joie qui les avait amenés à être scotchés là. On se détourne alors de la boîte à nouveautés et c'est le ruban adhésif qu'on se contente de changer.



jeudi 22 avril 2021

Vivre : aimer le soleil, attendre la pluie

 

Au réveil, les rayons nous ont accueillis. En balade, les pics nous ont conduits (qui se lançaient des tam-tams par-dessus les taillis). A midi, un généreux repas fut partagé sans bruit. Dans l'après-midi, les oiseaux et les lézards se sont passé le mot pour murmurer tout bas combien il fait bon vivre et écrire et lire (et rien faire). Puis, soudain, dans le jour qui déclinait, des coups de tonnerre ont retenti. Étonnants, fracassants, impressionnants. Enfin la pluie qu'on espérait sans trop y croire est venue répandre un peu de notes perlées, un peu de traits argentés sur cette journée bénie.

mercredi 21 avril 2021

Vivre : arrêt sur image

 

 
La femme parlait de connexion avec tant de conviction que, dans un même élan,
extasiés, nous observions le vent du Nord emporter les nuages de nos pensées. 
 

mardi 20 avril 2021

Vivre : apprécier et le dire

 
Sainte Cécile / école bolonaise XVIIe s. / MBAA / Besançon
 
 
Le moyen le plus simple de connaître la santé mentale d'une personne :
son aptitude à la gratitude. 
 
 

lundi 19 avril 2021

Vivre : dehors / dedans

 
Plafond (détail) / Casa Cavassa / Saluzzo
 
 Face aux bourrasques et aux avis dépressionnaires :
Entendre (la détresse et les frustrations de l'extérieur)
Préserver (l'énergie et le rayonnement de son propre cœur)

dimanche 18 avril 2021

Vivre : l'évitement

 
Sibilla / Il Domenichino / Villa Borghese / Roma
 
 Ces gens, ces lieux que nous trouvons ennuyeux 
(au point parfois d'en avoir la nausée)
quels besoins en nous ne peuvent-ils pas combler ?
 

samedi 17 avril 2021

Lire : les mots d'Erri

 

La forêt a chanté durant toutes ces dernières journées. Les feuillages ont dansé à l'unisson et les oiseaux ont ri et surenchéri dans la lumière vive de ce printemps insolent. On n'a pas toujours la chance d'être ouvert à la poésie, apte à lâcher prise pour se rendre perméable à ses messages. J'ai passé de longs moments allongée, à piocher dans ce recueil d'Erri de Luca des vers généreux comme une table paysanne sobrement dressée.  
 
Je me suis assis à des tables somptueuses
où les verres vont avec les vins
et des hommes tellement plus élégants
tournent pour servir les plats.
Mais je connais mieux la table où l'on frotte le fond de son assiette
avec le pain et les doigts rouillés
table de bancs bas à midi
de souffles honteux d'appétit.
Pas de murmure de convives commentant le repas
mais de gorges endurcies qui avalent
pour retrouver leur force de travail
et ne portent pas droit leur couvert à la bouche
mais se penchent dessus, mordent en l'air
pour cacher leur maigre bouchée
le presque rien reste du soir.
Et ils ne parlent pas de nourriture de peur de la nommer
en vain.
TABLES / Aller simple

Erri de Luca est un écrivain né à Naples, ex-militant de l'extrême gauche dans les années 1970, ex-ouvrier. Essentiellement connu pour ses romans, il écrit dans "Non ora, non quì" qu'il "a exercé le plus vieux métier du monde, en n'étant pas une prostituée, mais son équivalent masculin, un ouvrier, qui vend son corps comme force de travail". Pendant des années, il a mené de front son besoin de gagner sa vie avec ses mains et son amour pour les mots. Il a appris diverses langues en autodidacte, dont le yiddish et l'hébreu, s'adonnant à cet apprentissage tôt le matin avant de partir travailler. Il est également alpiniste aguerri et fervent défenseur de la cause écologiste (a lutté entre autres contre la construction du TAV, une ligne de TGV censée relier Grenoble à Turin, ce qui lui a valu pas mal de démêlés avec la justice). Il défend aussi ardemment la cause des migrants qui traversent (ou tentent de traverser ou se dirigent vers) la Méditerranée.
 
Dans ce recueil de poèmes, que Gallimard vient de proposer en format poche et en édition bilingue, on retrouve des poésies publiées dans leur langue originale en 2005 (Aller simple), en 2008 (L'hôte impénitent) ainsi que quelques inédits. Il y a dans ces pages tout ce qui constitue les thèmes fondamentaux de son écriture : la migration et ses issues souvent dramatiques, la valeur de la terre, de l'amitié et de l'altruisme, l'amour, l'attachement aux idéaux de justice et d'humanité.

Notre mer qui n'est pas au ciel
et qui embrasse les confins de l'île et du monde
béni soit ton sel, bénis soient tes fonds.
Accueille les bateaux surbondés
sans une route sur tes vagues
les pêcheurs sortis la nuit,
leurs filets parmi tes créatures,
qui reviennent le matin
avec la pêche des naufragés sauvés.
Notre mer qui n'est pas au ciel,
à l'aube tu as la couleur du blé
au couchant du raisin de la vendange,
nous t'avons semée de noyés
plus que tout autre âge des tempêtes.
Notre mer qui n'est pas au ciel,
tu es plus juste que la terre ferme
quand même tu élèves des vagues-murailles
puis les abaisses au tapis.
Garde les vies, les vies tombées
comme des feuilles dans l'allée,
sois pour elles un automne,
une caresse, une étreinte, un baiser au front,
une mère, un père avant le départ. 
 
NOTRE MER / inédit
 
Reçu par Laure Adler dernièrement (ICI) il a dit que les retours à la lignes sont faits pour reprendre souffle, permettre la respiration et qu'il chante quand il fait de l'escalade pour mieux pouvoir grimper.
Sa poésie lui ressemble : ancrée dans les faits et le réel. Rugueuse, solide et solidaire. Tellement en lien avec sa prose qu'on se demande : les poèmes sont-ils des graines de roman ? ou une synthèse de narrations plus longues?
Précieux Erri de Luca, écrivain, mais aussi conteur! Lors des interviews, il se présente avec sobriété, honnêteté, détermination. L'entendre échanger avec des journalistes attentives, sachant laisser du temps pour les mots et du temps pour les silences est toujours un véritable plaisir (à écouter ICI et ICI aussi). Personnalité hors-normes au parcours hors-norme, à l'aise dans l'exercice de l'entretien approfondi, il parle de lui comme il parle du monde, avec la même droiture. Son existence se révèle pareille à un roman. Aussi belle et intéressante qu'un de ses livres.
Après l'avoir écouté, on n'a qu'une envie : retourner le lire (passer de l'oral à l'écrit, dans un va-et-vient qui peut durer toute une bienheureuse après-midi).


Aller simple, suivi de L'hôte impénitent  // Édition bilingue // traductrice : Danièle Valin / Poésie-Gallimard // 2021
Premières publications en italien : 2005 et 2008. Première publication en langue française : NRF / Gallimard / 2012

 

vendredi 16 avril 2021

Vivre : retour des voiliers

 
détail ange Madonna del Parto / Piero della Francesca / Monterchi
 
 
Le lac, le soir : un taffetas effleuré par la main d'un ange. 
 
 

jeudi 15 avril 2021

Vivre : vraiment, vivre

 
Allégorie de l'Abondance  / Entrée de l'Arsenal / Venise
 
Un seule chose (infime et extraordinaire chose) : 
savoir préserver la joie au fond de soi. 


mercredi 14 avril 2021

Vivre : présence

 
Sleep / Gottfried Helnwein / Albertina / Vienne

Qu'importe ma vie ! Je veux seulement qu'elle reste jusqu'au bout fidèle à l'enfant que je fus.
 Georges Bernanos, Les Grands Cimetières sous la lune
 
L'enfance : constante présence, ressource où puiser, point de départ, point d'arrivée, seule véritable loyauté.
 
 

mardi 13 avril 2021

Ecouter / Lire : esquisses de sagesse

 

 
Avec son ton léger, avec ses mots simples, l'artiste Pénélope Bagieu, apothicaire de l'âme, s'exprimait dimanche à propos de certaines thématiques intéressantes. Par exemple, la mélancolie :
 
"Quand elle arrive j'aime bien l'accepter et même me rouler dedans. Il faut aller au fond, en écoutant des chansons tristes. Il faut l'épuiser, pour arriver au bout. Et puis, la laisser repartir. La mélancolie ne m'a jamais effrayée. A partir du moment où l'on comprend qu'elle est cyclique et qu'elle a une fin. C'est comme une crise d'éternuement et il faut attendre qu'elle se termine."

A propos de l'échec et de la réussite, l'opiniâtre dessinatrice disait : "L'habitude de l'échec a fait de moi un roc. Pendant longtemps tout était une continuité de demi-échecs et de petites résignations. Ça m'a poussée à me demander ce qui était vraiment important. Est-ce que c'était le résultat et le fait qu'on le valide ? Ou est-ce que c'était le processus créatif qui me rend heureuse ? Donc même si on me dit au final "c'est pas dingue ce que t'as fait", je me dis : "Oui, mais moi, j'ai passé quatre heures géniales à dessiner". Donc ça rend les choses moins graves."
 
Formée également comme enseignante du yoga, la jeune femme a ajouté : "Les sutras, les préceptes du yoga, ce sont  des clefs de vie pour faire en sorte d'être une personne plus agréable pour les autres. C'est une sorte de code de vie, sans qu'il y ait un dogme religieux derrière. On dit par exemple: il ne faut pas voler. Mais ça va plus loin que le simple vol d'un porte-feuille. Parfois tu voles de l'énergie aux gens, tu leur voles du temps en étant toujours en retard. Tu fais chier. Ou alors tu voles quand tu es dans une relation d'amitié et que tu n'es pas présente. Ne fais pas ça : c'est du vol que tu fais. Cela va au-delà des postures et des exercices d'assouplissement. 
Suivre ces sutras, c'est être un maillon dans la chaîne de la société qui ne soit pas un problème pour les autres." (Par les temps qui courent, faire partie d'une grande chaîne et de ne pas être le maillon par lequel la chaîne va casser est une idée qui a de quoi séduire...)
 
La créatrice a exprimé  aussi: "J'ai un naturel heureux. J'arrive assez facilement reconnaître quand je suis en train de vivre un moment heureux et ça peut être après une simple journée passée seule." Elle a terminé par ces mots : "Mon bonheur dépend rarement d'autres gens." Là, on s'incline devant sa sagesse. On l'envie! Revigorée par ses paroles, inspirée par ses images, on remercie Pénélope pour ces quelques remèdes venus à point nommé.

Les culottées Des femmes qui ne font que ce qu'elles veulent, 2016-2017, Gallimard BD
Série télévisée, France Télévision, 2020

lundi 12 avril 2021

Vivre : au bout de tes rêves

 
Escalator / 2015 / Lotte Lyon / Albertina / Vienne
 
Pendant un certain temps, j'ai accompagné des bilans de compétences par groupes de 6 à 8 personnes. La dernière étape du travail consistait pour chaque participant à élaborer deux projets : un réaliste et un idéal. La consigne pour ce dernier était d'éviter de se censurer. Il s'agissait de poser les deux projets, en leur accordant la même attention, de les décrire le plus précisément possible par tous les moyens à disposition (mots, dessins, collages, photographies). Bref, de les traiter avec autant d'égards et de considération l'un que l'autre.
Le plus étonnant, c'est que le projet idéal n'était pas celui qui avait le moins de chances d'aboutir. Bien au contraire. Il fallait toutefois le prendre au sérieux et l'exprimer.
Au cours de ma propre formation, j'avais dû moi-même me prêter à l'exercice et, l'autre jour, tandis que je faisais du rangement, je suis tombée sur mes deux projets. Le projet réaliste, celui qui me paraissait alors à portée de main, n'a toujours pas été réalisé, ne le sera probablement jamais, car il ne me paraît plus vraiment pertinent. Mon projet idéal, en revanche, le rêve absolu, auquel je me serais interdit de croire s'il n'y avait eu cette figure imposée, s'est réalisé moins de deux ans après que je l'avais décrit, esquissé et présenté oralement à mes camarades.
Oser et exprimer : le premier pas pour réaliser. Le reste... le reste appartient aux secrets cheminements de nos désirs palpitants.


dimanche 11 avril 2021

Vivre : les toits blancs

 

 Printemps / Harald Slott-Møller/ Copenhague
 
 
Neige d'avril : un arrière-goût d'hiver sur une promesse d'été


samedi 10 avril 2021

Vivre : en lettres capitales

 
Porte d'une cave / accès à un cinéma  "Entre les mondes"
 
BERNE. Minuscule capitale d'un pays tout petit, où l'on vend le samedi des pommes et des patates devant la Banque nationale, où l'on circule à sec par temps de pluie sous six kilomètres d'arcades, où l'on nage dans l'Aar en suivant des yeux le Palais Fédéral, où les caves s'ouvrent pour faire place à des galeries d'art et des coiffeurs kosovars. BERNE. Une ville conformiste à faire peur ou à faire pleurer, mais dont le conformisme un brin aristocratique porte à rassurer (telle amie réfugiée d'un pays en guerre qui se disait tellement rassérénée par le calme ambiant et la politesse extrême de ses habitants). BERNE. Où flottent les fantômes d'Einstein et de Paul Klee, qu'on parcours allant de terrasse en terrasse sans se lasser, où quand on parle français, on vous répond en allemand, où l'on se désole - vraiment - quand on n'est pas en mesure de vous répondre favorablement, où l'on vous remercie mille fois d'avoir remercié, où tout se passe terriblement lentement, jamais rien de pressé, de stressé, jamais de hurlement, où il n'est pas rare de croiser une présidente ou un président en train de faire son marché dans le plus parfait anonymat. BERNE. Le royaume des ours et du chocolat, de l'exactitude et de la miniature, de la fiabilité et de l'amabilité, aux ruelles parcourues par des touristes (quand il y en a) ébahis par tant de candide sérénité. BERNE. Un lieu que personne ne connaît, dont personne ne parle jamais (et tout compte fait, c'est à se demander si se faire oublier n'est pas le meilleur moyen de se tirer d'affaire et d'avancer).

vendredi 9 avril 2021

Vivre : les mots médicament

 
Détail Madone/ Cima da Conegliano / Museo Correr / Venezia
 
Elle a dit, sous la glycine qui embaumait, elle a dit : "Tu as fait tout ce que tu pouvais".
Elle a répété : "Tout ce que tu pouvais" et, dans ces cinq mots, il y avait
juste le nécessaire pour se remettre le cœur en paix.
 

jeudi 8 avril 2021

Vivre : façades

 
Michele Balugani / Dalle tenebre alla luce / MANF / 2018 /  Ferrara

 
Quand on croise la femme et qu'on lui demande comment elle va, elle affiche un sourire vaillant : "Il faut bien faire aller". Pas question d'exprimer la moindre tristesse ou la moindre émotion. Son époux est toujours hospitalisé. Elle ne l'a pas revu depuis près d'un mois. Elle vit seule cette épreuve, retranchée entre ses quatre murs, loin de toute famille (peut-être à cause des mesures anti-Covid, ses enfants ne sont pas venus la voir). Comme sa maison aux volets fermés, elle refuse de montrer autre chose qu'une façade. Elle exhibe ce qu'elle veut que les autres voient : une attitude forte, presque crâne, une normalité lisse. Son mari devait rentrer, n'est toujours pas arrivé. Elle refuse d'en discuter. Elle semble dire au monde extérieur "Occupez-vous de vos affaires. Je n'ai pas besoin de quoi que ce soit." A-t-elle seulement jamais su parler d'elle et de ses désarrois ? A-t-elle jamais su pleurer ?  Demander ? Partager ? Dire ou admettre équivaudrait-il à s'effondrer ? Aurait-elle peur de s'écrouler ?
Une autre, on lui aurait pris la main, on aurait trouvé des mots. On regarde la femme partir vers sa solitude, vers sa vie cloîtrée. Pour certains parfois, la seule chose qui leur permette de tenir est de s'appuyer sur un mur de rigidité.

mercredi 7 avril 2021

Vivre : intensément

 

Ces journées...
 

... qui commencent en froidure et en flocons... 


... qui apportent des brassées de couleurs et d'agitations...
- maux de têtes entêtants, vent mauvais, promesses et ouragans -

... ces journées merveilleuses qui nous mènent très loin au chevet de nos désirs tambourinants
là où la vie joue aux auto-tamponneuses avec nos sentiments...





mardi 6 avril 2021

Vivre : quand l'heure, c'est l'heure

 
 NOW / Jean-Bernard Metais / Abbaye de Silvacane
 
Convoquée à 13h10, le dimanche de Pâques, j'arrive en bonne Suissesse à 13h07. Nulle attente à la réception. Les arrivées sont traitées avec fluidité. On me remet un formulaire en me priant de m'orienter vers le jeune militaire qui fait le guet. Celui-ci me dirige vers une place assise en me priant d'attendre. Au bout de 90 secondes exactement, on m'appelle pour un questionnaire administratif où je suis interrogée très aimablement. Au bout de 5 minutes, l'entretien étant terminée, me voici priée de patienter devant les loges de vaccination. A treize heures 19, l'infirmier plante l'aiguille. A 13 heures 20, il tamponne mon formulaire, regarde sa montre et me dit très sérieusement : "Vous étiez convoquée pour 13h 10, excusez-nous pour le retard."
Il y a des choses, il n'y a vraiment que dans notre bonne vieille Confédération qu'elles peuvent arriver.

lundi 5 avril 2021

Vivre : évasions évasions

 
Côte dalmate / Années 1950 / Musée d’ethnographie / Split
 
Par le fait du hasard, je tombe le même jour sur deux informations ayant trait au monde des croisières : l'émission "Les pieds sur terre" diffuse le témoignage d'une femme partie en vacances avec son fils sur un de ces immenses paquebots sillonnant les Caraïbes en mars 2020, et qui a expérimenté les malheurs du confinement au cœur du confinement. Elle décrit la communication opaque de la compagnie, les informations contradictoires, les escales refusées, le personnel malade, les autorités à bord invisibles, l'épidémie diffuse dans ce lieu clos, les scènes de panique, le parcours du combattant pour parvenir à rentrer (et puis les semaines de maladie au retour). Son expérience fait état d'un parcours infernal.
Or, sur le site de Rainews (plateforme d'information de la télévision italienne) j'apprends que le 30 mars 2021, soit juste un an plus tard, un navire de la compagnie MSC a quitté Gênes avec 2'000 personnes à son bord, soit un tiers de sa capacité maximale. Il n'a accepté que des passagers provenant de l'Espace Schengen  (plus des ressortissants de Croatie, de Roumanie et de Bulgarie). 
Une femme, enseignante de 39 ans, partie avec ses deux enfants, témoigne de son irrépressible besoin d'évasion : "Après un an de restrictions, nous avions droit à savourer un peu de liberté". " C'est un choix  fait pour assurer notre santé mentale" a ajouté un père de famille. Le reportage montre bien sûr les tests PCR présentés au départ, les contrôles de température, le personnel dûment masqué, mais aussi les restaurants, les salles de fitness, les boutiques, les gens allongés sans masque au bord de la piscine, par centaines sur les ponts, pour bronzer en rangs d'oignons,  avec le soleil et la mer pour toile de fond. Le tout laisse songeur...  consterné et songeur : alors que toute l'Italie se voit strictement confinée pour la quatrième fois, on a donc laissé partir ce navire en toute légalité... et puis tant d'efforts d'évasion pour se retrouver en fin de compte assignés à résidence en compagnie des autres voyageurs, dans cette cité-paquebot, avec une quarantaine de cinq jours imposée au retour.

Hallucinant ? Incohérent ?  
On ne peut s'empêcher de se demander : entre les deux croisières, que s'est-il passé ? Le Covid est-il entré dans les mœurs, ses conséquences banalisées ? Les gens se sont-ils habitués aux chiffres et aux décès ? Se sentent-ils intouchables, non concernés ? Les hospitalisés, les enterrés, est-ce que ce sont toujours "les autres" ? Et, si ces touristes  ne se sentent pas impliqués par le Covid sur le plan de leur santé, qui, selon eux, va devoir fatalement prendre en charge les retombées sociales et financières de leur comportement ?
Au fond, la crise économique et sanitaire que nous sommes en train de vivre n'est pas seulement le produit des excès chaotiques de la mondialisation. Notre manière d'y répondre est aussi le reflet de tous nos fonctionnements autocentrés, de tous nos égoïsmes et de toutes nos infinies manies d'enfants gâtés.

dimanche 4 avril 2021

Vivre : seconde dose

 
Arlequin / Edgar Degas / collection Bemberg / Toulouse
 
Qu'on le veuille ou pas, Covid ou pas, il y a  à Pâques quelque chose de fou, de doux, de déluré, de relâché.
Qu'on puisse partir ou pas (cette année : évidemment pas, cette année : des œufs au fond du jardin, des feux devant les sapins), il y a une ambiance spéciale, ces chocolats, ces lapins, ces tapis jolis, ces jonquilles, tout ce qui brille, ce qui étincelle, cette nature qui se renouvelle, ces champs qui versent dans le vert, ces versants qui pomment, qui émeraudent, qui prairient, cette étincelance surgie de nulle part, ces scintillances inouïes, ces floraisons délirantes, le soleil qui fait ami ami avec le vent du Nord qui mord, la froidure qui joue avec nos nerfs, ce côté effronté de la lumière, ces tiraillements dans les parcelles, entre agneaux tout mignons qui se refusent au destin de gigot et ces chevaux qui galoperaient bien hors de leurs enclos, ces concerts a cappella, ces branchages qui ne se tiennent plus de joie.
Oui, qu'on le veuille ou pas, agités par la bise, aveuglés par les rayons, pressentant une libération, on se sent bêtement heureux, on chante, on danse, on profite du présent en y mordant à pleines dents.

samedi 3 avril 2021

Vivre : affronter

 
Portrait de Scipione Venerio / Le Tintoret / coll. Bemberg / Toulouse
 
 
Nos zones d'ombre : ces lieux glacés que nous avons dû traverser sans personne pour nous rassurer. 
Et le seul moyen de nous rassurer : les retraverser en faisant fi de l'ombre, en la laissant nous éclairer.


vendredi 2 avril 2021

Regarder : le pic-épeiche

 

Vue du pont de Mantes / Jean-Baptiste Corot / Le Louvre / Paris
 
 
Comme dans un tableau de Corot, toute la forêt rougit à l'envol de l' oiseau. 
 

jeudi 1 avril 2021

Vivre : à pas lents, la nuit

 

Amazone moribonde sur cheval (détail)/ coll. Farnese //Museo nazionale archeologico / Napoli


A 20 heures 25, on entend les derniers pépiements, ça et là, un peu las. Nos plus proches voisins échangent encore quelques politesses, mais à mi-voix. Pas une étoile qui luise encore, pas un nuage niché où que ce soit. Un dernier cri, un piaillement. On croirait un dortoir de colonie, des moqueries entre deux passages du surveillant. 
Le Jura s'est paré d'ocre, comme braqué par une lampe torche. Quelque part le soleil résiste, persiste et l'heure bleue deviendrait presque verte, tandis qu'il s'oppose à la nuit. Le lac se fait minéral, il scintille.
Accompagnant le train de 20 heures 30, celui qui est toujours vide, parce que les gens sont déjà rentrés, harassés, et qu'il n'y a plus aucun fêtard qui songe à l'emprunter, l'ombre s'est infiltrée dans le village. C'est l'heure Magritte, l'heure des étranges carrés enluminés, encastrés bien alignés dans les découpes des maisons. L'heure des arbres rampant comme des araignées pour rejoindre l'horizon L'heure des bascules, quand le chien se fait loup, quand hulule le hibou. C'est l'heure du silence qui s'installe dans l'attente des nouvelles qui ne seront jamais belles. L'heure des craintes qui montent et des renards qui descendent.
C'est l'heure - vraiment - d'aller à l'interrupteur. Il est temps que la cuisine s'anime et retrouve ses couleurs.