mardi 31 janvier 2023

Vivre : et pourtant, le printemps

 

Au matin, les rives blêmies, les cimes blanchies parlent sibérien.
Mais les chants, les chants insistants, la hardiesse des jonquilles,
la mue des chiens prédisent des renaissances à nos sens transis.


lundi 30 janvier 2023

Vivre : croire et créer

 
 Le Amazzoni / Massimo Campigli / Ca' Pesaro / Venezia
 
En bas, à droite, elle avait collé sur son tableau un extrait soigneusement déchiré : la fin de quelque chose est souvent le début de quelque chose de nouveau - et il peut en ressortir des trésors. Elle a commenté : ce sera mon motto de l'année. Sa palette était noire et blanche, mais il y avait quelques chances qu'elle puisse peu à peu prendre des couleurs.

dimanche 29 janvier 2023

Lire : avoir du mal à rapporter des faits

 
 
 
Je connais très bien ce sentiment d'effleurement. Chaque fois que vous êtes enfin prêts à parler de ce temps-là, la mémoire fait défaut et la langue se colle au palais. Et puis, vous ne dites rien qui vaille. Il arrive parfois que les mots commencent à jaillir de votre bouche, vous racontez, vous abondez. comme si un cours d'eau bouché s'était ouvert. Mais vous vous rendez compte aussitôt que c'est un écoulement plat, chronologique et extérieur, sans flamme intérieure. La parole, coule, coule, mais vous ne révélez rien et vous sortez de là tête basse. [p.194]
 
C'est à l'âge de 67 ans, alors qu'il était déjà un écrivain confirmé, qu'Aaron Appelfeld a publié Histoire d'une vie. Il fallait certainement une longue maturation intérieure et une grande expérience d'écriture pour parvenir à exprimer dans son langage très personnel l'expérience qui fut la sienne afin que d'autres personnes, extérieures, puissent entrer dans ce monde où l'horreur côtoie la sainteté et que les mots peuvent évoquer sans jamais décrire. 

Sa trajectoire pourrait être esquissée ainsi : une petite enfance heureuse dans une famille aimante, cultivée, assimilée, la montée du nazisme et l'envahissement de la Bucovine, sa terre natale, l'assassinat de sa mère, la déportation avec son père, la fuite et la survie en solitaire jusqu'à la fin de la guerre dans des situations extrêmes. Et puis un long chemin vers Israël, détour passant par la Croatie et l'Italie, avant de recommencer une nouvelle vie, dans une nouvelle langue et sur une nouvelle terre.

Histoire d'une vie est présenté comme un roman. Il pourrait s'agir d'une autobiographie, puisque le narrateur parle de réalités qui concernent Aaron Appelfeld. Mais celui-ci prévient dès les premières pages, en préface : 
 
Les pages qui suivent sont des fragments de mémoire et de contemplation. La mémoire est fuyante et sélective, elle produit ce qu'elle choisit.[p. 7]
 
Ainsi, les questions de temporalité restent toujours floues dans les œuvres de cet auteur. Ce qui frappe en lisant ce livre, c'est l'importance du corps comme support de mémoire. Cette thématique court sur tout le récit : ce sont les sensations corporelles qui rendent compte de ce qui fut, bien plus que les souvenirs enfouis ramenés sous forme de mots et de pensées à la conscience. La force de l'expérience profondément ressentie prime toujours sur les faits.
 
Plus de cinquante ans ont passé depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Le cœur a beaucoup oublié, principalement des lieux, des dates, des noms de gens, et pourtant je ressens ces jours-là dans tout mon corps. Chaque fois qu'il pleut, qu'il fait froid ou que souffle un vent violent, je suis de nouveau dans le ghetto, dans le camp ou dans les forêts qui m'ont abrité longtemps. La mémoire, s'avère-t-il, a des racines profondément ancrées dans le corps. Il suffit parfois de l'odeur de la paille pourrie ou du cri d'un oiseau pour me transporter loin et à l'intérieur. [p.60]

Plus de cinquante ans ont passé et la même peur habite mes jambes. [p.71]

Si les "tenants des faits" avaient été prêts à m'écouter un instant, je leur aurais de nouveau raconté que j'avais sept ans lorsque éclata le Seconde Guerre mondiale. La guerre s'était terrée dans mon corps, pas dans ma mémoire. Je n'inventais pas, je faisais surgir des profondeurs de mon corps des sensations et des pensées absorbées en aveugle. A présent je le sais : même si j'avais su alors formuler mes pensées, cela ne m'aurait pas aidé. Les gens réclamaient des faits, des faits précis, comme si en eux résidait le pouvoir de résoudre toutes les énigmes. [p.200]

Pour éviter "un magma de mots inexacts, un rythme faussé, des images faibles ou exagérées" l'écrivain se refuse à parler de la Shoah. Pas question pour lui de la décrire. Pour autant, peu d'écrivains ont su l'évoquer mieux que lui. En creux.
 
Une épreuve profonde, ai-je appris, peut être faussée facilement. Cette fois-ci non plus je ne toucherai pas ce feu. Je ne parlerai pas du camp, mais de la fuite, qui eut lieu à l'automne 1942, alors que j'avais dix ans.[p.60]
 
Je suis entrée dans le monde d'Aaron Appelfeld à partir de ce livre et il me semble qu'il est le pivot de toute son écriture. L'ensemble de ce qu'il a écrit auparavant ne fait que conduire à ces pages de grande intensité et tout ce qu'il a écrit après ne fait qu'amplifier cette narration. En le relisant, j'ai réalisé combien non seulement le corps, mais aussi le silence, est un élément central dans son œuvre. Il est un écrivain de la contemplation.

Je n'avais jamais aimé le pathos et les grands mots. J'aimais et j'aime encore contempler. La supériorité de la contemplation tient au fait qu'elle est dénuée de mots. Le silence des objets et des paysages vient à vous sans rien imposer.
 
Lire ses livres, c'est accepter d'entrer dans un monde irrationnel, lié à l'enfance, au silence et à l'observation, dans lequel présent et passé, s'entremêlent continuellement et où les morts côtoient sans cesse les vivants. Ce monde irrationnel est la seule manière raisonnable et forte de dire et de raconter ce qui fut quand l'être humain a été confronté à l'horreur et à l'inexplicable. 
Au centre de cet ouvrage se trouvent des pages d'une rare profondeur où l'écrivain rend compte de son expérience et de sa conception de la littérature dans une langue d'une extrême pureté. Son style est limpide, poétique et juste. Ce sont aussi des pages qui, si on prend la peine de les considérer avec un peu de recul, peuvent tout simplement être perçues comme une description de l'identité de l'artiste. Qu'est-ce que l'art, sinon une manière de transmettre la réalité au-delà des descriptions ou des déroulements rationnels ?
 
En complément de ce billet, je me permets de mettre en lien  ICI le compte-rendu du roman Mon père et ma mère, publié par Aaron Appelfeld en 2013, et présenté par les éditions l'Olivier dans sa version française en 2020. Ce livre décrit les jours se déroulant juste avant une catastrophe, marqués par l'attente et le pressentiment.
Pour mieux connaître cet auteur : Dans le faisceau des vivants, publié en 2019 par Valérie Zenatti, traductrice et amie de l'écrivain.

 
 
 
 
Lecture proposée dans le cadre des lectures communes autour de l'Holocauste.
Merci aux organisateurs.
Autres livres présentés : Maus, Art Spiegelman //   Hana, Alena Mornstajnova  

samedi 28 janvier 2023

Voyager : avis de disparition

 
Fable de Venise / Hugo Pratt / édition couleur 2016

Je me souviens que pendant longtemps Venise était remplie de chats. Ils faisaient partie de sa légende. Beaucoup sont restés dans ma mémoire. Il y avait cet élégant félidé qui faisait office de concierge à la Locanda La Corte. Impossible de récupérer sa chambre sans s'être fait enregistrer par l'animal qui vous tenait bien à l’œil. Un jour j'avais tiré le portrait à ce chat qui louchait avec candeur, assis sur le campo Bandiera e Moro. Quelqu'un qui tenait énormément à lui avait tracé un numéro de téléphone sur son collier et le chat semblait attendre qu'on veuille bien venir le récupérer. Évidemment, impossible d'oublier l'énorme matou qui un soir nous a coupé la route dédaigneusement sur la Fondamenta della Toletta. Intrigués par cet imposant personnage, nous l'avions suivi durant un long moment, nous demandant qui pouvait bien être son maître. Tout à coup, le somptueux félin bifurqua sur la gauche pour entrer tel un monarque dans une boucherie bien achalandée où tous les clients lui firent place. Et puis, il y a eu la colonie de Torcello, qui se dorait au soleil du printemps, confiante dans la générosité des touristes. Et, un peu partout dans la ville, des chats qui se prenaient pour des lions (à moins que ce ne fût le contraire).
  
Eh bien, la surprise de ce dernier voyage a été ne n'apercevoir aucun chat, nulle part. Ni dans les calli, ni sur les campielli, aucun félin alangui pour orner la ville. Faisait-il peut-être trop froid ? Restaient-ils plus volontiers lovés à l'intérieur ? Qui sait ? En revanche, une multitude de chiens avaient surgi, de toutes parts, accompagnant leurs maîtres qui faisaient leur footing, ou leurs maîtresses leur shopping. Des chiens terriblement bien mis, très racés, portant avec élégance des manteaux assortis à ceux de leur humain ou de leur humaine. Des chiens urbains, bien dressés, promenés comme des bébés et pour lesquels on avait ouvert ça et là plusieurs boutiques de produits dérivés.

vendredi 27 janvier 2023

Lire : recomposer avec l'aide de milliers de souvenirs fragmentaires...

 

Ils m'ont conseillé d'oublier parce qu'il ne voulaient pas entendre ce que je pourrais raconter. Mais leur peur était inutile. Je ne pouvais pas oublier. Mes souvenirs  sont tatoués dans ma tête comme  le numéro sur mon avant-bras. Mais les raconter, ça, je ne pourrais pas. [p.330]
 
Ce livre raconte l'histoire de deux femmes tchèques, Hana et sa nièce Mira. La première est née au début des années 1920, dans la petite ville de Meziříčí, au sud de Prague. La seconde en 1945 au moment de la libération de la ville par les troupes soviétiques. L'aînée a vécu l'enfer de la déportation et a réchappé de manière invraisemblable non seulement aux camps, mais au typhus et à une autre forme de violence extrême : le mépris et le rejet de son expérience, la poussant jusqu'aux confins de l'autisme. La plus jeune a perdu ses parents et sa fratrie lors d'une épidémie de typhus en 1954 et a été ensuite recueillie par sa tante jusqu'à l'âge adulte. Meziříčí, sa vie quotidienne, ses habitants juifs et non-juifs, servent de toile de fond à la narration, d'abord dans le contexte de l'entre-deux guerres, puis après la guerre. Le livre s'achève en 1963.

Le récit est présenté selon une construction intéressante qui se déploie en trois parties. La première est portée par la voix de Mira et elle raconte le point de vue de la génération d'après la déportation. Ce qu'elle ignore, ce qu'elle est amenée à soupçonner, ce qu'elle finit par apprendre (ce n'est qu'à la page 87 qu'apparaît le mot "juive", un mot lancé à Mira par une camarade de classe pour justifier une impossible invitation).
La partie centrale commence durant les années ayant précédé la guerre et l'invasion allemande. On y découvre l'histoire de la famille concernée, active et intégrée dans la société, dont la judéité quasiment refoulée est ravivée par les théories nazies. Elle décrit les mesures discriminatoires qui vont s'intensifiant et enfin les persécutions et les déportations. On s’interroge. Qui est la narratrice de cette deuxième partie ? S'agit-il vraiment de Mira, dont on apprend le goût pour les études et les lettres, une Mira qui se serait penchée sur le passé des siens ? C'est ce que l'autrice voudrait nous faire croire, mais un mystère plane sur cette voix omnisciente, la voix d'une personne qui aurait eu le recul nécessaire pour se documenter et témoigner sur l'histoire de sa famille. (Ce n'est là bien sûr qu'une simple supposition de ma part : impossible de vérifier, je n'ai pas pu trouver de documentation sur Alena Mornštajnová, l'autrice, et savoir si une partie de son récit correspond à une biographie familiale).
Enfin, la troisième partie - qui contient l'expérience de la déportation - est racontée par Hana et court sur une vingtaine d'années complétant l'histoire du point de vue du personnage le plus violemment touché par les tempêtes de l'Histoire.

La force du roman  tient certainement dans cette construction, ces va-et-vient dans la temporalité qui permettent non seulement une narration non linéaire captivante, mais aussi une progression dans la tension et l'émotion qui soit supportable pour les lecteurs. En cela, Alena Mornštajnová  maîtrise bien son écriture avec un style simple, efficace et sobre. Comme pour tous les écrits romancés sur l'Holocauste qui se proposent d'éviter les survols et les ellipses, la difficulté consiste à dire et décrire tout en permettant une lecture soutenable et on mesure à chaque chapitre les difficultés auxquelles a dû être confrontée l'autrice. J'ai apprécié le fait que dans de courts chapitres l'écrivaine ait osé traiter la vie dans les camps d'extermination dans ses aspects les plus triviaux ou sordides (même si le cadre d'un roman permet difficilement de décrire la réalité dans toute son horreur). Bref, ce livre parvient à proposer à un large public un sujet sensible et douloureux (historique, mais toujours très actuel au vu de la situation géopolitique que nous sommes en train de vivre). 
 
Tout m'était familier et étranger à la fois. Parce que moi, je n'avais plus ma place dans ce tableau.
La ville n'avait pas changé. C'est moi qui avais changé.
Je me traînais le long des rues jusqu'à la place,  les yeux rivés sur  le trottoir. Je ne m'arrêtais que par instants, pour me reposer et regarder cette ville étrangère dans laquelle j'étais née vingt-six ans plus tôt. Les gens me contournaient, certains sans faire attention à moi, d'autres agacés. Il devaient se  demander qui était cette femme étrange qui se tenait ainsi au beau milieu du trottoir, gênant tout le monde. Autrefois, ça m'aurait été désagréable. A présent, ça m'était égal. [p.273] 
 
L'ouvrage est présenté comme un succès éditorial dans son pays (le nombre d'exemplaires tirés en Tchécoslovaquie est mentionné sur le bandeau en couverture et répété à deux reprises : sur la quatrième de couverture et dans la présentation de l'auteur). Un tel succès peut s'expliquer sans doute par le fait que l'autrice sait judicieusement doser la part de réalisme de son récit avec la part de romanesque (les traitrises amoureuses et les histoires d'amour qui finissent bien, la fin ouverte sur une note d'espoir et non sur diverses lâchetés ordinaires, l'antisémitisme du peuple tchèque effleuré mais pas vraiment traité).

Les deux protagonistes sont des personnages très forts, chacune à leur manière. On peut regretter que l'écrivaine n'explore pas mieux leur relation, comment elle s'établit et se fortifie, puisque Hana la recluse, l'asociale quasi psychotique accueille chez elle la jeune Mira alors qu'elle n'est pour elle qu'une inconnue (même si elle est la fille de sa sœur aimée). Elles sont amenées à vivre ensemble pendant une dizaine d'années et on peut imaginer le rôle primordial qu'a pu jouer leur rapport dans la survie d'Hana. Du reste, celle-ci dit à un certain moment : "Mira se glissa dans ma vie, s'y installa fermement et devint le centre de gravité de mon être". Le roman aurait gagné à être moins elliptique et à dépeindre la consolidation de leur lien au fil des jours et des échanges.
 
Par ailleurs, j'ai trouvé que le personnage titre manquait d’épaisseur, voire de crédibilité : elle qui aurait pu mourir tant de fois, à Auschwitz ou ailleurs, n'était son incroyable ténacité, son exceptionnelle force corporelle, elle qui a survécu à toutes les horreurs, sans compter l'horreur du retour : le rejet de toute la communauté peu désireuse de voir et de savoir ce qui avait pu arriver aux déportés, est présentée comme un être cassé dans tous les sens du terme. Tout le long du texte, elle est régulièrement dépeinte comme dérangée, voire folle et en même temps elle tient un discours des plus fluides pour raconter sa version des faits durant les 80 dernières pages. A travers elle pourrait se développer la question centrale de la culpabilité : la manière dont elle est tenue pour responsable d'événements et de drames survenus avant, pendant et après la déportation et en vient elle-même cruellement à intérioriser les désastres subis aurait mérité d'être plus fouillée. Mais sans doute Alena Mornštajnová est-elle une écrivaine de la description, désireuse de présenter des faits, et laissant à ses lecteurs le soin d'imaginer les mouvements intérieurs de ses personnages.

Le problème de savoir si et comment l'Holocauste peut être décrit en mode romanesque se pose continuellement avec ce livre. De quelle manière aborder cette thématique autrement que par un récit documentaire quand on ne parle pas d'expérience ? Cela dit, le livre m'a offert la possibilité de mieux connaître une page de l'histoire du pays tchèque. Il m'a aussi permis de découvrir la maison d'édition Jaune et Bleu, créée en 2015, entre Paris et Colmar et présentée ICI

(Enfin, à propos de stratégies éditoriales, juste un mot sur la question des couvertures de livres, devenues de véritables arguments de vente. La représentation d'un gâteau sur les éditions originale et française peut se comprendre, étant donné le rôle joué par un dessert dans le déroulement de l'histoire, même si elle reflète mal le récit qui n'a rien de lisse ni de brillant. En revanche, le livre anglais avec son énorme étoile jaune en couverture paraît de mauvais goût, par son aspect racoleur. Dès lors, la couverture allemande, représentant une petite fille penchée contre une barrière, paraît plus convaincante car c'est bien de cela, dans le fond, qu'il s'agit : de l'enfance, de l'innocence que des catastrophes viennent fracasser. A tout prendre, il se pourrait que la couverture croate, au dessin sobrement allusif, soit la mieux adaptée.)
 



 
 
Lecture proposée dans le cadre des lectures communes autour de l'Holocauste.
Merci aux organisateurs.
                                                    

jeudi 26 janvier 2023

Lire : des piles et des piles non réclamées

 
Libreria Marco Polo / Dorsoduro / Venezia
"Fuck the mobile. Let's return to telepathy"
 
L'ancienne cabine téléphonique qui sert de boîte à échange de livres dans le village voisin, joliment aménagée, régulièrement rangée, déborde pourtant de bouquins que personne ne veut emporter. Les guides de voyage, les albums pour enfants, les romans récents s'entassent et la PAL menace de devenir une PAJ. On croirait voir des présentoirs de vêtements lamentablement oubliés. Que se passe-t-il donc ? Pourquoi ce trop-plein ? Il semblerait qu'il y ait trop de trop en matière d'édition comme dans toutes sortes d'autres productions. Les libraires transformés en préposés à la mise en place des arrivages se retrouvent sur les rotules et les gens poussés à consommer, achètent des bouquins dont ils sont vite lassés ou qu'ils ne parviennent pas à terminer. Comme c'est navrant, un écrit qui ne trouve aucun regard désirant! Quant à moi, j'étais dans la plus totale incapacité de contribuer à diminuer le stock. J'avais passé toute l'après-midi sur une préface, dont les quatre pages m'ont envoûtée, par leur profondeur, par leur beauté. Nous voilà bien avancés!

 

mercredi 25 janvier 2023

Vivre : procrastination

 Prière au jardin des Oliviers (détail) / Marco Basaiti / Galeries de l'Accademia / Venise
 
 aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah!
Janvier : le mois où il fait si bon rentrer, se lover, s'isoler. 
Tout - absolument tout! - envoyer balader.

 

mardi 24 janvier 2023

Vivre : moins vite que la musique

 

la lagune, c'était un fait, malgré les moteurs et les connexions, 
malgré les horaires et les écrans, avec ses défis et ses intempéries
avait une manière bien particulière de dérégler le temps.

lundi 23 janvier 2023

Voyager : voir Venise et mourir

 
 
Les trois hommes élégants nous ont rejoints sur le ponton. D'après leur accent, ils devaient arriver d'un pays du Moyen Orient. Ils nous ont demandé si le bateau se dirigeait vers "Saint Mark's square". On leur a dit oui et on était sur le point d'ajouter que le trajet était splendide, les palais, les reflets, le musée à ciel ouvert, quand  tout à coup le plus jeune s'est penché sur son smartphone : mais, c'était bien plus court à pied, s'était-il exclamé, on pouvait y être en 7 minutes (en effet, un chemin bondé, parsemé d'enseignes de luxe et de banales verroteries, rien à voir, tout à acheter)
Il est vrai que par le vaporetto on est obligé d'aller au rythme de l'eau, laisser monter les manutentionnaires de janvier et leurs diables surchargés et permettre aux grand-mamans de descendre prudemment. Cela risquait bien de prendre ... dix minutes supplémentaires.
Alors, ils ont fait demi-tour. Ils voulaient voir Venise et pour eux, la ville, c'était le pont du Rialto et "San Marco", retrouver les images que leurs écrans leur indiquaient. Ayant constaté et approuvé, ils pourraient cocher la case Venise dans leur programme de la journée. Un appareil flambant neuf, avec compatibilité 5G leur permettait de tout réaliser en mode performant. Objectif atteint. Le soir, une pizza ou des lasagnes les attendaient dans un troquet bien noté sur Slurpy. La veille, c'était Rome et le Colisée (avec spaghetti et selfies). Parfait : ils auraient vu l'Italie.

mercredi 18 janvier 2023

Voyager : entre terre et mer

 

S'il y a foule ? S'il y a foule, a-t-il repris, on s'embarquera, on s'évadera sur les îles.

mardi 17 janvier 2023

Vivre : fantasques bourrasques

 
 
Balade à la plage, tempête opiniâtre, paysage qui tremble, branches qui aboient.
 

La longe prend son envol - flocons fourbes sur doigts gourds - les flots s'affolent.
 

Dans la voiture, nous hurlons de concert, le chien et moi. Une débattue. De froid. De joie.




lundi 16 janvier 2023

dimanche 15 janvier 2023

Ecrire : au jour le jour

 
Trinità, Madonna con bambino (dett.) / Luca Signorelli / Galleria Uffizi / Firenze
 
Bientôt ce blog fêtera ses sept ans (l'âge de raison, peut-être, dans tous les cas le reflet d'une tranche de vie). A l'origine, il était censé représenter le pendant illustré de mon journal, mon caro diario tenu régulièrement depuis l'âge de 15 ans. Ce devait être un micro-marathon d'écriture quotidienne, liée à un aspect de ma vie, illustrée par des photographies. Très vite, il s'est révélé un judicieux complément, le fait de publier exigeant de sélectionner les thèmes, d'épurer l'écriture, de filtrer aussi les états d'âmes et les épanchements, esquivant autant que possible le consensuel et la conformité, un appel à la sobriété et à une certaine créativité.
Avec du recul, je réalise toute son utilité : ce que je ne trouve pas dans mon journal intime, écrit avec plus de spontanéité, une certaine désinvolture, je viens le repérer ici (quand ai-je donc vécu telle expérience ?  comment ai-je passé ce cap ? à quel point telle expo m'a-t-elle marquée ?). Les mots sont là, et les images aussi. Un blog contient donc une trace de vie, se révélant une sorte de disque dur externe que notre mémoire interne ne saurait garder en présence constamment.
Quelqu'un m'a demandé : et les liens, la sociabilité ? les jeux, les challenges ? A vrai dire, un blog suivi, c'est comme un ami, une réponse à vos besoins. Il en va des blogs comme des amitiés, ça va ça vient, ça prête à surfer ou ça peut s'approfondir, selon les aléas et les nécessités. Je me peux me sentir très proche de personnes que je lis, écrivains, chercheurs ou blogueurs, vivants ou disparus, voisins ou éloignés, et ce lien n'a pas besoin d'être formalisé pour exister. Pas de racolage, et encore moins d'obligations ou d'incitations à la consommation, subliminales ou sponsorisées. Juste une manière de décrire, de se dire et de s'exprimer. 


samedi 14 janvier 2023

Vivre : les yeux grand ouverts

 

Un meilleur monde est-il possible ?
La réponse portée par les ondes invitait à la présence.

vendredi 13 janvier 2023

Vivre : quelque chose d'impalpable dans l'air

 

 
le corps la sent, quelles que soient les prévisions
elle adresse ses avant-courriers à nos sens éveillés
 

jeudi 12 janvier 2023

Vivre : son humeur down down down

 
Portrait d'une noble dame / Lucas Cranach le Jeune / KHM / Vienne
 
Comment lui dire - et surtout lui faire comprendre - qu'on n'est pas responsable du mal que l'on nous fait - du moins presque jamais - et qu'en ressassant, en passant en revue les faits l'un après l'autre incessamment, elle faisait le jeu des paranos et des importuns ?

mercredi 11 janvier 2023

Vivre : délestages culinaires

 
 Naschmarkt / Wien

Janvier : le mois des cures par excellence. Pour assainir nos possessions, quoi de mieux qu'une détoxication, comme celle que l'on prodigue à notre foie, avec bouillon de légumes, gingembre et jus de citron ? Impossible d'échapper à cette piqure de rappel, malgré tous les efforts adoptés tous les jours de l'année. Se délester est l'affaire d'une vie. Apprendre encore et encore à renoncer pour pouvoir vraiment s'engager. Le principe "pour une chose qui rentre une autre chose de même catégorie sort" est d'une simplicité édifiante. Il n'empêche qu'il faut encore et toujours élaguer.
 
A chaque exercice, et même quand il est question d'examiner un seul tiroir, je suis surprise par le travail qui se fait en parallèle devant soi et à l'intérieur de soi. Nettoyer et ranger les espaces et les produits entraîne un processus similaire au niveau des pensées, des prises de conscience et de décision.
 
L'autre jour, le programme comportait entre autres la révision des placards alimentaires et du frigidaire afin de jeter ce qui est périmé (étonnant : on a beau acheter judicieusement, rien de trop, ne pas tomber dans le piège des achats en gros, surtout ne pas céder aux appels à la surconsommation pour profiter de prétendues réductions,  il y a toujours quelques trucs qui échappent à notre attention). A la fin de l'exercice, ont fini à la poubelle : deux bocaux d'épices que je n'ai pas réussi à identifier (sûrement reçus en cadeau, ramenés d'un voyage au Maghreb par un invité, mais jamais ô grand jamais utilisés), une bouteille de vague sauce chinoise périmée depuis... 2019, un pouce de gingembre immergé parmi les oignons, deux petits restes de fromage en train de moisir depuis les Fêtes.

A relever : la rédactrice d'Apartment Therapy met en garde contre les dates de péremption qu'il s'agit de ne pas prendre au pied de la lettre, mais de considérer avec nos sens et notre bon sens. Un conseil tout à fait avisé : Une burrata à consommer avant le 3 janvier, rangée tout au fond du frigidaire, avait une délicieuse odeur une fois ouverte (vendue scellée par une fine couche hermétique sous son couvercle de plastique). Une invitation à préparer illico une pizza maison parfaitement digeste. 
 
La cure continue. Elle encourage à acheter peu à la fois, uniquement le nécessaire (je me demande parfois combien de produits stockés au début de la crise sanitaire il y a deux ans ont été réellement consommés). Examiner attentivement les actions (quel sens de se procurer des tripacks à moins 30% quand on ne nécessite qu'un unique emballage ?) Acheter bon, voire excellent, mais en se référant uniquement à ses propres besoins. Garder une visibilité continue sur ce que l'on a. C'est toujours à cette même conclusion qu'aboutissent, dans quelque domaine que ce soit, les tournées qui ouvrent l'année.


mardi 10 janvier 2023

Lire : l'impossible contrôle

 


Notre relation au temps est extrêmement complexe. On passe son temps à gagner du temps et en même temps à en manquer. La modernité se caractérise par l'accélération. Les innovations techniques ne permettent pas de dégager du temps pour les individus. Au contraire : il semble qu'en nous efforçant de gagner du temps nous nous retrouvions sans cesse perdants. L'accélération n'est pas subjective, c'est une tendance avérée, objective. Il y a l'accélération technologique, mais aussi l'accélération sociale, les changements (relationnels, technologiques, vestimentaires, ou autres) qui s'imposent de plus en plus vite (un phénomène qui se remarque évidemment davantage dans les milieux urbains que ruraux). Les rythmes se succèdent à tel point que le présent se rétrécit. Il n'y a plus de place pour le vide, ou l'ennui, tout doit être comblé.

Le paradoxe, c'est que plus on gagne du temps, et plus on a l'impression d'en manquer. Parce qu'il y a toujours plus de tâches à assumer au fur et à mesure qu'elles demandent moins de temps. Idem pour les transports : on gagne du temps, mais ce temps nous sert à faire des trajets toujours plus longs ou lointains. Cette tendance remonte, d'après Hartmut Rosa, à la fin du XVIIe siècle et s'explique par l'émergence du capitalisme moderne. Dans le capitalisme, le temps et l'argent sont liés. Il y a une course à la vitesse, pour arriver premier dans le jeu de la croissance. Autre hypothèse de H. Rosa : la perte de pouvoir des religions et de la croyance en une vie future, impliquerait que l'on doive se dépêcher de faire, de conquérir pour parvenir à un maximum d'objectifs durant la durée de notre existence. La qualité de notre vie dépend donc de la quantité de ce que nous parvenons à réaliser. Ainsi, même notre temps libre devient un bien à capitaliser pour en tirer un maximum de profit avant notre mort. Même la méditation, en tant que moment rare et précieux, doit être rentabilisée et devenir un "super" moment de détente (quand elle n'est pas utilisée pour parvenir à aller plus vite dans la vie courante). 

H.R. relève également la désynchronisation qu'il existe entre les différentes temporalités : par exemple, celle de la nature et celle de la société avec ses exigences (on abat de arbres, on puise dans les ressources de la mer plus vite que la nature ne peut le faire pour se reconstituer). Il en va de même pour le rythme des processus démocratiques et les impulsions technologiques. Les tensions entre les besoins de la démocratie et les exigences des marchés. Avec cette désynchronisation nait l'aliénation, qui nous éloigne de la "vie bonne". Le monde ne nous parle plus, il ne résonne plus en nous. L'auteur définit l'aliénation comme "une mauvaise manière d'être au monde".
 
Quant à notre société dite de consommation, on n'a même plus le temps de consommer : il nous faut obtenir un livre, un CD, parce qu'on en parle, parce qu'il le faut pour être dans la tendance, mais les lire, les écouter, ça prend du temps que l'on n'a pas. Donc : on stocke, on thésaurise sur sa PAL/PAE. On n'a plus le temps de s'approprier ses possessions, pas plus qu'on n'a le temps de s'approprier les relations.
 
Tout est optimisé et contrôlé : le nombre de pas journaliers, le poids, la TA. Tout doit être accessible (la terre et l'espace compris). Tout doit être maîtrisé. On pense avoir sous notre contrôle nos relations, nos amis joignables même à grande distance, la température de notre logement, nos paiements, mais il suffit que le système informatique tombe en panne et... on ne domine plus rien. Récemment, le Covid nous a montré que la nature n'était pas aussi maîtrisable que nous le pensions. La résonance, c'est un peu comme l'endormissement, plus on cherche à l'attraper et plus elle nous échappe. On peut acheter un safari, un voyage, mais pas un lien avec un lion. La résonance est un lien qui s'établit entre une question et une réponse. Les moments où nous avons été le plus heureux, qui ont le plus compté pour nous sont ceux où les choses n'étaient pas sous notre contrôle : le fait de tomber amoureux, la surprise de voir la neige qui tombe, etc etc. 
 
Hartmut Rosa est un philosophe et sociologue dont la pensée permet de mieux saisir les déraillements de notre époque. A l'appui de sa thèse fouillée (qui pourrait être indigeste au vu de ses quelques 700 pages) il fait appel à des philosophes, des poètes, des musiciens et cela apporte une dimension profondément humaniste à sa démarche analytique.
 

lundi 9 janvier 2023

Vivre : notes variables

 

 
Il racontait ce rêve dans lequel deux amis musiciens avaient publié quatre livres à succès.
En haut de la pile, avec un piano en guise d'illustration, ce titre : Bas de gamme.
 
 

dimanche 8 janvier 2023

Vivre : éloge de l'innocence

 
Madonna con bambino e san Giovannino (dett.) / Marco Palmezzano / Musei civici / Padova
 
Étonnant comme la candeur peut protéger. Infiniment mieux que n'importe quelle stratégie ou bastion fortifié.

samedi 7 janvier 2023

Vivre : la boîte

 Rythmus aus gerade Linien / 1937-42 / Piet Mondrian

 
Elle attendait, plutôt jolie, bien emballée. Une femme très pressée l'a achetée en action trois pour deux début novembre. Très pratique à distribuer, pas besoin de se fatiguer, pensait la femme qui l'a offerte à sa voisine en guise de remerciement quand celle-ci l'avait miraculeusement dépannée. La voisine, diabétique, a remercié, gênée, mais ne savait pas trop quoi faire de ces pralinés. Elle a donné la boîte à sa fille, si ce n'est que sa fille s'était mise au régime. Elle tenait vraiment à rentrer dans une jolie robe soldée pour la soirée de fin d'année. Comme elle devait passer au cabinet médical pour se faire vacciner, elle leur a déposé cette petite attention en les remerciant vivement de leur disponibilité. Au cabinet, les boîtes s'entassaient, tous les patients en apportaient, l'équipe ne savait plus trop quoi faire de ces douceurs certes truffées de bonnes intentions, mais qui commençaient à les gaver. Un soir, juste avant Noël, Christelle, l'infirmière, a décidé de les proposer à Fatima, la femme de ménage qui débarquait avec ses seaux et ses produits. Fatima, justement s'apprêtait à prendre l'avion. Elle devait rejoindre le lendemain sa nombreuse famille. Et c'est ainsi que cette boîte fabriquée au pied des Alpes mais qui rêvait de voir la mer a pu s'envoler et réaliser son souhait : partir fondre de palais en palais au bord de la Méditerranée.

vendredi 6 janvier 2023

Vivre : flux tendus

 

Street art / Vienne
 
Tout remplir, tout combler. Ne pas cesser de frétiller, pour être sûre de ne rien manquer. Elle cumule les messages, transfère, ajoute des sourires et toutes sortes de simagrées. Placer les bons émojis, copier, coller. Toujours se tenir à jour, être sûre de ne rien manquer. Elle se précipite pour se procurer le dernier objet DOP, elle veut absolument prendre part au moindre événement annoncé. Son moteur : la vitesse. Son credo : la nouveauté. Sa hantise : être dépassée. Elle s'agite et se dépense sans compter. Elle dépense encore plus en traitements et en produits performants, en livres qu'elle lit à moitié, mais grâce auxquels elle peut se vanter de connaître le titre, l'auteur et le résumé. Elle court, elle court, elle prend le train en marche, l'important étant de ne pas le manquer. Sa vie, elle se la fabrique, son bonheur, elle veut se le créer. Elle suit, elle insiste pour être de toutes les parties, surtout ne pas se faire larguer. Comment disait Lennon, la vie, c'est ce qui passe pendant que vous êtes occupés à des projets. Une tonne de projets dans sa vie, mais sa vie, saurait-elle dire où elle est passée ? On l'aperçoit qui halète le soir, après une longue exténuante journée. Au pas de course, c'est normal, elle fonce vite, vite : sa leçon de yoga, impossible de la rater. 

jeudi 5 janvier 2023

Vivre : le lac, la bruine

 

Rentrée de janvier. Rives désertées.
Les sons ne sont que silence.
Même les chiens oublient d'aboyer.

mercredi 4 janvier 2023

Vivre / Lire : still life / 126

 

Je dois avouer que je suis une lectrice totalement indisciplinée, rebelle, incapable de prendre un livre et d'aller du début à la fin sans m'en échapper. Je ne cesse de m'absenter. Attention : aucune  distraction de ma part, mes absences sont dûment légitimées. Si je quitte le livre, c'est pour mieux le comprendre, en saisir les tenants et les aboutissants, l'auteur et ses références, le contexte qui a accouché du texte. Je m'en vais et je reviens, sans arrêt, jusqu'à la dernière page. Si bien que, très souvent, c'est en lisant les ultimes phrases que je me sens capable de le reprendre. La véritable lecture peut commencer.
 
Fille de migrants qui avaient quitté l'école à onze ans pour se mettre à travailler, scolarisée dans une langue aux sonorités inconnues, j'ai dû apprivoiser le français peu à peu, à tâtons, dans les ricanements, sans surveillance de mes leçons. Pas question de demander la moindre clef à mon entourage, pas question non plus d'être réfractaire aux apprentissages, de faire ma difficile, de rejeter le moindre imprimé : tout livre était bon à prendre et je le prenais.  Les romans ont très vite été mes bouées dans une mer de perplexité et mes lampes torche à travers les forêts obscures dressées par toutes les lettres de l'alphabet. 

Sans doute ai-je suivi les règles convenues avec mes tout premiers livres d'enfant, les Quatre filles du docteur March ou le Club des Cinq (pas de bibliobus pas de bibliothèque dans les environs, mais...j'avais hérité d'une vieille caisse ramenée par mon père d'un de ses chantiers). Très vite le nombre de ces livres étant limité, je me suis mise à relire dans la plus totale liberté. Je partais rejoindre  mes personnages préférés, les passages qui m'émouvaient, les chapitres où je me sentais dans mon propre grenier. Au fur et à mesure, les lectures m'ont poussée à la découverte, projetée hors des pages, intriguée par les mots que je ne connaissais pas, par les personnages et par les pays cités, j'ai ressenti le besoin de combler des trous, d'élucider des mystères, de tordre les points d'interrogation pour parvenir à dresser des exclamations. 

Un jour, enfin, à neuf ans, j'ai pu arracher un laissez-passer. Il se tenait sur les rayonnages de notre supermarché. Il coûtait 29 francs - une somme à l'époque, j'en rêvais. J'ai fini par l'obtenir comme un trophée. Je me souviens : sur la pointe des pieds, les bras tendus pour m'en emparer. Je viens de le remonter de la cave où il dormait d'un légitime sommeil, portant les marques de toutes les après-midis passées à le compulser, où je ne me lassais pas de tourner les pages, pour conquérir cette langue qui n'était pas la mienne mais qui aurait le pouvoir de m'arracher à toutes sortes de solitudes et d'abandons. Le voici devant mes yeux attendris, fatigué et chéri, ce cher bon vieux compagnon.
 
 

mardi 3 janvier 2023

Vivre : les journées clairefontaine

 

Premiers jours de l'année : toujours cette impression d'entamer un nouveau cahier.

lundi 2 janvier 2023

Vivre : vu sous un autre angle

Your timekeeping window, 2022 / Olafur Eliasson / Palazzo Strozzi / Florence
 
Et pourquoi donc demander des choses dont on n'a fondamentalement pas besoin
à des gens qui ne nous apporteront rien, dans tous les cas : rien de sain  ?
 

 

dimanche 1 janvier 2023

Vivre : au coeur des choses

 


Il y avait deux fronts, l'un pur, ensoleillé, l'autre gris et obstiné. Il y avait le lac et, dans ses eaux limpides, un nageur qui, résolument, crawlait, traversait une ligne imaginaire entre brumes et clarté. Il y avait des silhouettes solitaires, des regards baissés et des regards qui s'élevaient. Et puis, sur ce tronc - discret, si discret - il y avait un petit Bouddha qui se tenait impassible face au lac, face aux fronts, face aux cimes, aux gens qui nageaient qui marchaient, ce petit Bouddha qui semblait veiller sur les allées et venues des masses en train de s’affronter, confiant dans le fait que tôt ou tard elles allaient se dissiper.