lundi 31 juillet 2023

Vivre : plus haut, plus bas

 
 Façade de l'église de San Pietro / Cherasco
 

Comparaison n'est pas raison, oh non.
Oui à l'admiration, surtout si elle mène à l'inspiration. 
Oui à une salutaire attention, voire à une belle compassion.
Mais, décidément, comparons avec modération.




jeudi 27 juillet 2023

Vivre : contretemps

 

 
"Ce sont des choses qui arrivent" a dit la femme, 
et dans un monde où tout devait être maîtrisé, 
refusant le moindre grain de sable dans le moindre rouage, 
cette phrase fut le sésame permettant de tout apaiser.


mercredi 26 juillet 2023

Vivre : un trésor à ma portée

 

Ainsi donc, selon la légende, il y aurait un trésor au pied de l'arc-en-ciel... 
rassurée, enchantée, je vais le laisser là où il est. Nul besoin de de me déplacer,
nul besoin de m'en emparer. Il me suffit de le savoir là, si près...

mardi 25 juillet 2023

Regarder : adolescences

 
 
 Les pécheurs de Capri / 1881 / Edmond de Pury / MahN / Neuchâtel
 
L'autre jour, suis arrivée dans une salle où se trouvaient sur la même paroi douze adolescent.e.s en pleine santé, débordant de vitalité, qui s'élançaient sur la mer avec la même énergie qu'ils déployaient certainement à vivre. Ils se dépensaient sans compter et les voir donnait une terrible envie de les suivre (Edmond de Pury, le peintre, les avait saisis à treize ans de distance, les six premiers non loin de Naples, les six autres au large de Chioggia, près de Venise, dont on peut voir se profiler le campanile de Saint-Marc dans l'arrière-fond brumeux). Les tableaux étaient d'assez grande dimension - environ deux mètres de long - et animaient tout l'espace, à tel point qu'on n'aurait pas été vraiment étonné si les personnages avaient débarqué et sauté dans le musée.
 
La Cantilène / Edmond de Pury / 1894 / MahN
 
Quelle énergie que celle de l'adolescence! Quelle densité, quand elle peut s'exprimer en parfaite liberté! Les images portaient en elles quelque chose d'intemporel : difficile de croire qu'elles dataient d'il y a cent-trente ans. On aurait pu les croire contemporaines, un peu kitch, peut-être, surtout la seconde dont les teintes pastels rehaussaient l'aspect romantique et idyllique à souhait. Quant à la première toile, on eut dit que l'artiste avait recouru à une technique mixte huile et collage papier, à cause du traitement hyperréaliste des silhouettes aux contours accentués de blanc. 


Ces derniers jours, le courage de l'adolescence m'accapare et me fascine. Une explosion d'ardeur capable d'affronter les pires oppositions et les pires calamités, de fendre l'asphalte comme le font certaines pousses sur les trottoirs des cités. Ailleurs, en d'autres temps, d'autres adolescents privés de présent se projetaient non plus sur la mer, mais dans leurs rêves d'avenir. Loin de l'air iodé et du vent du large, une fille débordant de la même vigueur écrivait : 
[...] tu sais depuis longtemps que mon souhait le plus cher est de devenir un jour journaliste et plus tard une écrivaine célèbre. Réaliserai-je jamais ces idées (ou cette folie!) de grandeur, l'avenir nous le dira, mais jusqu'à présent je ne manque pas de sujets. Après la guerre, je veux en tout cas publier un livre intitulé L'Annexe, reste à savoir si j'y arriverai, mais mon journal pourra servir. Journal d'Anne Frank, p.290
Plus tard et bien loin de la Méditerranée, un garçon de quinze ans en chemin vers Phnom Penh envoyait des lettres sur un fin papier bleu à une blonde amie :

Quand tu seras grande... Peut-être seras-tu avocate. ça t'irait bien avec toute cette mauvaise foi quand tu perds à un jeu. Peut-être seras-tu détective ou journaliste, toi qui notes tout dans un cahier. Quand tu écouteras cette chanson, p.237

Il y a des adolescents qui ne sont "qu'une tache à effacer, un cancer à éradiquer", mais par le pouvoir de l'art et de l'écriture leur existence continue de briller dans les mémoires, dans le ciel ou dans les musées.

 
 

lundi 24 juillet 2023

Vivre : la vie sociale

 
Assomption (détail) / Maestro di San Martino Alfieri / Palazzo Mazzetti /Asti
 
 
Les gens, tous les gens.
Chacun ses problèmes. 
Chacun ses écrans.

dimanche 23 juillet 2023

Vivre : au ralenti

 
Sur la plage de Viareggio / 1906 / Philippe Klein / Niedersächsisches Landesrmuseum Hannover
 
Dans la torpeur de cet été, il y a des lenteurs et des langueurs, un fort sentiment de vacance, des choses qu'on préfère garder à distance, des envies de départs sans cesse reportées, des nouvelles qu'on préfèrerait laisser de côté, des baignades de rigueur, des bouteilles sublimes qu'on choisit au coup de cœur, de longues plages de lecture, et le chien qui va qui vient qui revient en pleine lumière qui s'allonge sur les lattes bouillantes... qui finit par aller s'affaler dans l'ombre fraîche du cellier... pour mieux remonter, se mettre à laper et recommencer sa ronde. On jurerait qu'il tient à veiller sur la maison le temps que des heures plus raisonnables veuillent bien s'annoncer. 
Tapie dans l'ombre, on lève la tête et on médite sur toutes sortes de réclusions, sur le passé qui ne reviendra pas, sur ce qui fut, ce qu'on n'a pas, ce qu'on aurait pu si seulement on avait su. On se sent très proche de cette petite Anne de quatorze ans, on la comprend tellement, on la rejoint dans son enfermement. On suit ses mots tandis qu'elle remplit vaillamment ses pages. On est avec elle. On fait corps avec ses tracés. Sauf que nous, on connaît déjà la fin du cahier.



samedi 22 juillet 2023

Regarder / Lire / Voir : un monde à soi

 
Les deux frères (détail) / Pablo Picasso /Kunstmuseum / Bâle
 
Il y a des œuvres pour lesquelles j'éprouve une réelle affection (ou alors pour les personnages qu'elles abritent). Je revois un film (ou bien je relis je revisite). Et à chaque fois, c'est comme si je retrouvais des amis. Je me réjouis. Je sais que je me sentirai consolée, comprise. Les œuvres le savent et attendent, paisiblement, leur tour ...sur les étagères ou les parois des musées.

vendredi 21 juillet 2023

Vivre : avidités

 
Tre angeli con simboli della passione (dett.) / Bernardo Zenale / Musei civici / Padova
 
Encore. Et encore. Et encore. Les anges éplorés semblaient se demander
combien il en faudrait pour que certains humains arrivent enfin à satiété.
 

jeudi 20 juillet 2023

Vivre : still life / 134

 

 
Devant les irruptions de plus en plus ciblées, il s'agit de prendre les mesures qui s'imposent : les tiques attaquent, minuscules petites pestes, parfois d'un millimètre à peine. D'où les crochets, de plusieurs tailles, aptes à les déloger.
Curieusement, Mister P. apparaît comme épargné cette année. Bien qu'on l'inspecte chaque jour, après chaque balade, rien à déclarer. Il faut dire qu'il aime à se rouler dans toutes les bouses sur son chemin, se frotter à tous les poissons en décomposition, se lover dans toutes les carcasses en putréfaction. De quoi obtenir sans doute un répulsif des plus efficaces. Du reste, quand on ne l'a pas sous les yeux, pas besoin de trop le chercher : à vue de nez, on parvient toujours à le repérer.
Oui, ces scélérates, le chien a su d'instinct trouver un moyen naturel de les décourager. Me faudra-t-il en arriver à cette extrémité ? 

mercredi 19 juillet 2023

Vivre : les vacances, l'enfance

 
 
 
Dans les silences de l'été, il y a des rêves qui ne veulent pas vous abandonner.
Dans les silences de l'été, des images qui remontent et des visages qui ne doivent pas être oubliés.
Dans les silences de l'été, il y a des gestes furtifs qui vous glissent un billet. Ces glaces convoitées qui coulaient, qui vous tachaient et des regards mécontents et des yeux pleins de complicité.
Dans les silences de l'été, il y a des voix qui vous appellent, des phrases qui vous répètent l'endroit précis d'où vous venez. Dans les silences de l'été, il y a des nuits qui viennent toquer et qui pourtant ne reviendront jamais. Dans les silences de l'été, il y a des trop-plein et trop de vide. Il y a l'angoisse qui flotte, l'angoisse qui joue à cache-cache, qui affleure avant de se dissiper.
Dans les silences de l'été, il y a les mains qui se rappellent, qui épluchent, qui font mousser des souvenirs qu'on est tout prêts à fêter.

mardi 18 juillet 2023

Vivre / Habiter : interiors

 
Femme avec un enfant dans un garde-manger (détail) / Peter de Hooch / Rijksmuseum / Amsterdam
 
Une nouvelle - très belle, ancienne - armoire va arriver.
La vieille - fidèle, très vaillante - Ikea doit s'en aller.
Pour une chose qui entre, tant de choses à reconsidérer.
Tout ce qu'on a, tout ce qu'on ne savait plus qu'on avait.
A nouveau, le jeu du trier, donner, jeter, garder. Hésiter.
Dans la cave chamboulée, nos regards nos gestes lents.
Le temps des pincements et le temps des soulagements. 
 

lundi 17 juillet 2023

Lire : et Anne lisait les aventures de Joop ter Heul

Le passage du Commerce Saint-André (détail)/ Balthus / confié à la fondation Beyeler / Bâle
 
 
Primo Levi écrit dans "Les naufragés et les rescapés" en 1986, l'année précédant son suicide : "Une seule Anne Frank nous émeut davantage que les innombrables autres qui ont souffert exactement comme elle, mais dont les visages sont demeurés dans l'ombre. Peut-être que cela est mieux ainsi : si nous étions en mesure de contempler les souffrances de toutes ces personnes, nous ne serions plus capables de vivre."
 
Parmi tous les menus détails relatés dans le journal, des broutilles, des choses futiles en apparence, des incidents du quotidien, c'est à travers les remarques les plus banales qu'émerge, affreuse, canaille, la lucidité. On lit : "Cissy Van Marxweldt écrit super bien. Je ferai certainement lire ses livres à mes enfants." (pourrait-on imaginer observation plus anodine?) et tout à coup on a la gorge qui se noue. On se retrouve face à un gouffre. On comprend.

**Una singola Anna Frank desta più emozione delle miriadi che soffrirono  come lei, ma la cui immagine è restata in ombra Forse è meglio così: se fossimo capaci di contemplare le sofferenze di tutte quelle persone, non saremmo capaci di vivere. (P. Levi, I sommersi e i salvati, 1986, p.42).
***  Les aventures de Joop ter Heul n'ont pas été traduites en français. Des aventures qui amusaient les enfants d'autrefois, considérées comme démodées, assurément.

dimanche 16 juillet 2023

Habiter / Vivre : le chantier

 
Vue de San Pietro a Toscanella / François-Marius. Granet / Musée Granet / Aix-en-Pce
 
C'est - ou peut-être faudrait-il employer l'imparfait ? - une jolie maison donnant sur les vignobles et, par-delà, sur le lac paisible et sur le Jura. Après quelques flottements, quelques changements de locataires, voilà qu'il y a trois ans une famille avec deux très jeunes enfants l'a rachetée. Une vraie aubaine de l'avoir trouvée : une cuisine ouverte sur le salon, trois chambres et un jardin, deux places pour se parquer et une vue à 180°, l'ensemble pour un prix tout à fait raisonnable. Rien à redire, le couple d'acquéreurs était comblé.
 
Cependant, au bout de quelques mois, il s'est trouvé que la maison - quoique récente, quoique plaisante - ne convenait pas exactement à leurs besoins : la propriétaire a fait savoir qu'ils allaient procéder à de menus aménagements : construire une chambre d'enfant supplémentaire et un garage pour mettre à l'abri leur véhicule tout terrain. Trois fois rien. 
 
Les travaux ont commencé. Pour le peu qu'il y avait à entreprendre, pas besoin d'expert ni de chef de chantier. C'est Monsieur qui allait s'en charger. Du reste, sur la parcelle contiguë, une villa allait être construite. Les travaux iraient donc de concert et bon train. On perçut alors une intense activité humaine et tous ses échos. On vit passer et repasser, camions, grues, bétonneuses et bennes chargées de toutes sortes de matériaux. On observa la fuite de toutes sortes d'animaux, l'envol de bon nombre d'oiseaux.
 
Or, tandis que la villa nouvelle s'élevait rapidement de terre, les menus travaux de ses voisins ne tardèrent pas à s'étendre et à s'amplifier, devant, derrière, et aussi sur les côtés. Au bout de quelques mois, tandis que certains propriétaires, tout heureux de leur projet, s'apprêtaient à pendre la crémaillère, chez certains autres les excavations, les modifications, les extensions proliféraient allégrement.
 
On voyait toujours plus d'entreprises faire des allers-retours devant la maison, par mille plans échafaudée, des utilitaires avec des plaques minéralogiques du coin, puis de diverses régions. On vit même arriver des professionnels de l'étranger.
 
Alors que s'annonçait le premier hiver, la jeune femme et ses deux bambins disparurent, qui s'étaient mis ailleurs à couvert. Le maître de céans s'obstinait, pris puis licencia un architecte et un ingénieur. Puis deux autres, qui ne lui donnèrent pas satisfaction : il fit appel à d'autres gens plus compétents. 
 
Passèrent les mois et les saisons. A présent, le quartier s'est habitué à voir transiter fourgonnettes et camions. Le jeune commanditaire campe dans la maison où son épouse le rejoint, parfois, durant certains week-ends, avec les enfants qui grandissent gentiment. Le matin, on l'entend qui discute avec véhémence avec ses artisans, lesquels sont devenus chemin faisant et malgré divers changements, presque des amis, des compagnons. Dans le garage, dont on ne sait s'il est en train de se construire ou d'être totalement réaménagé, sont apparues une table et des chaises, et un four à micro-ondes destinés aux ouvriers. Et puis, des assiettes et des planches, pour plus de commodité. 
 
Les échafaudages font à présent partie du paysage. Les riverains qui commentaient se sont lassés de commenter. Il y a peut-être des projets dont la vocation est d'être éternellement élaborés. Des works in progress dont l'objectif est de toujours progresser. Seul plane un grand mystère : le chantier va-t-il un jour s'achever ?  
 

samedi 15 juillet 2023

Vivre : à contretemps

 
Parc de la Residenz / Würtzburg / 2013
 
L'été : saison insaisissable. On attend la détente, on trouve souvent la pression. Le beau temps et on subit canicule ou inondations. Les vacances et on se voit confronté à des obligations. La météo est souvent à l'orage, avec des hauts et des bas, maints caprices et variations. On attendait tant et tant, on avait fomenté toutes sortes de projections, on se trouve face à toutes sortes d'annulations. On a trop chaud, on dégouline. On attend la délivrance et voici que le temps pluvieux décontenance. L'été : saison des piqûres et des démangeaisons, des départs, des retards sur horaire, des reports. Des bouchons, des migrations. Des vacillements, des tensions, des événements contrariants. Des petits sommes et des grandes siestes. Des cauchemars - mais pourquoi chercher pendant des heures une fichue robe noire, pourquoi ne pas fuir en abandonnant cet effet secondaire dans son placard? L'été : saison du stress par excellence. On cherche le calme, le calme résolument, on le veut, on l'espère, on l'attend.
 
Et puis, heureusement, là-haut : les murmures, les scintillements, les bruissements. Le vent. Parfois : un grognement. 

vendredi 14 juillet 2023

Vivre : dire et se contredire

 
Salle de Lionello d'Este / Jeune aux trois visages / Palais Schiffanoia / Ferrare


Et pourquoi donc traquer, voire reprocher les contradictions ? Une chose peut exister en même temps que son contraire. Rien n'est jamais purement et simplement linéaire. La réalité peut abriter des facettes se montrant opposées. Exiger le lisse, réclamer l'évidence ne sont peut-être que des manières d'affadir l'existence. Et si les contradictions n'étaient qu'apparence ? Une invitation à explorer tous les éléments en coexistence ? 

jeudi 13 juillet 2023

Vivre : still life / 133

 

Hier, l'achat d'une nouvelle parure m'a donné l'occasion de méditer sur les expressions qui circulent, qui peuvent être prises dans le bon sens comme à contresens. "Être dans de beaux draps" me parle énormément, mais toujours littéralement. Quand une personne m'avoue s'y trouver, je ne peux que l'imaginer se glisser entre des tissus colorés, doux, de la fine soie, du coton de première qualité, des matières aptes à abriter ses rêves et à les préserver. 
A l'inverse quand j'entends : "il n'y a pas de quoi fouetter un chat", loin d'être rassurée, j'imagine la pauvre bête et ce qu'elle a failli endurer. "Être d'une humeur de chien" signifie pour moi qu'on a une irrépressible envie de batifoler et de jouer. Quant à "vendre la peau de l'ours", cela me semble relever de la plus grande cruauté.
Enfin, il m'en a fallu du temps pour "Un bon tiens vaut mieux que deux tu l'auras" : je crois n'en avoir saisi la signification qu'à cinquante ans passés, quand j'ai enfin visualisé les guillemets censés tout expliquer.
Les expressions appellent des images. Les prendre au pied de la lettre, c'est souvent se méprendre. Ainsi, en ce qui me concerne, c'est toujours au bas d'un grand L majuscule, que je me vois les ramasser et, à ce moment précis, ne plus savoir par quel bout les attraper. 
 

mercredi 12 juillet 2023

Vivre : sortir du terrier

 

De pâles rayons nous réveillent, accompagnés du tout premier chant. Si, contrairement à bien des gens, nous ne haïssons pas les coqs c'est que nous sommes déjà sur pattes et pieds quand ils se mettent à ténoriser.
 
 
Aux aurores, le lac nous aimante. Sur la plage, les fêtards viennent à peine de s'endormir. Pas encore de baigneurs, de promeneurs, de joggeurs. Au loin, un paddleur évolue avec la grâce d'un gondolier. Au mitan de la baie, un pêcheur s'apprête à ramener ses filets.

 
Nous parcourons les sentiers en connaisseurs. Ces rives sont les nôtres (nous nous berçons d'illusions : des milliers de canards ont la même impression). Nous les suivons avec des mouvements empreints de lenteur et de concentration. Pas question d'affoler les fuligules, les nettes, d'effrayer les poules d'eau ou les colverts. Ils sont censés nous considérer comme deux des leurs en cette heure particulière.
 

C'est qu'il n'est pas un arbre, un détail, une souche qui nous soit inconnue. Nous les avons humés en toute saison, observés en toute circonstance, arpentés à toute température. Nous les couvons d'un regard soucieux et protecteur. Des liens souterrains nous chevillent plus fort que tenons et mortaises. Pour un peu nous nous croirions sur nos terres.
 

A l'instant où certains commencent à beurrer leurs tartines, nous achevons cette première balade de la journée, dégoulinants, épuisés. Pour un peu, nous serions prêts à nous recoucher. Nous préférons nous affaler, Mister P. sur sa couette et moi dans mon fauteuil, l'un et l'autre absorbés par la noble activité du rien-faire en toute majesté.


mardi 11 juillet 2023

Vivre : still life / 132

 

 
Le décompte de notre distributeur est arrivé. Pari réussi : nette baisse de notre consommation d'électricité durant cette dernière année. En conséquence, malgré les hausses tarifaires, pas de modification de notre facture globale (eau chaude, chauffage par pompe à chaleur et électroménager). Tout bien considéré, ce fut assez simple, sans restrictions majeures. La volonté de réduire en colibris notre consommation énergétique a simplement croisé les besoins recommandés par la conjoncture. 
Dès la fin de l'été dernier, rien de trop contraignant, juste quelques aménagements : réduction du chauffage de deux degrés; utilisation plus attentive du lave-linge (programmes courts et températures douces); recours au four modéré (aucun préchauffage et plusieurs préparations, pain, gâteaux, pizza dans la même foulée); cuisson à couvert et élimination de longues recettes alambiquées; douches rapides, froides ou tièdes; repassage symbolique, sèche-linge oublié et climatisation bannie (n'est-il pas plus difficile de se sentir solidaire du réchauffement ressenti sur la planète quand on passe l'été bien au frais? Du coup, appel à l'intelligence de la maison, à ses courants d'airs nocturnes, à sa ventilation naturelle). 

Quant aux installations photovoltaïques, nous y avons longuement réfléchi avec un architecte de nos amis. L'orientation de notre toiture et de notre terrain favorise le captage en été (moment où nous consommons très peu) et se révèle difficilement compatible avec des panneaux rentables en hiver. Nous continuons donc d'acheter à notre prestataire du courant vert plus cher. Dépenser des fortunes en installations n'a pas de sens alors que certains particuliers revendent leur surproduction. Eh bien : nous rachetons.

Autre avantage : en un an, avec presque 20% de réduction et une consommation bien en-dessous des moyennes préconisées, notre budget en ressort soulagé. C'est pas mal. On peut certainement faire mieux. Je n'en suis pas au point de me priver de frigo ou de me construire un four solaire. Mais c'est un début et le processus est stimulant. Il implique de connaître les contraintes liées au lieu où l'on vit : on ne relève pas les mêmes défis en ville ou à la campagne, dans les pays du Sud ou au nord des Alpes. On n'a pas les mêmes efforts à accomplir. Nous sommes déjà en train de réfléchir à l'hiver prochain : peut-être allons-nous baisser notre chauffage d'un ou deux points. Pas de quoi grelotter : il y aura toujours un chandail et une couverture à chaque étage pour les longs moments d'immobilité. Une seule certitude : il y a encore beaucoup à faire et on est sur le chemin.
 

lundi 10 juillet 2023

Vivre : Miss FOMO

 
Benvenuto Tisi / Crucifixion / Palazzo Costabili / 100 opere tornano a casa / 2023 / Ferrara
 
Elle a longtemps couru, parcouru, galopé. Elle l'a longtemps fait, durant des années. Elle devait être partout : sur toutes les listes possibles, elle devait être mentionnée. Il lui fallait toujours augmenter sa popularité. Alors elle était présente, très présente, et pour être présente elle se devait d'être gentille, très gentille. Que de gentillesse en un être rassemblée! Telle une mouche du coche, elle épandait ses mots, doux, édulcorés, des formules consacrées, ruisselantes de bonté sucrée. Quelle énergie à se vouloir première de cordée! Partout de jolies banalités et aussi des affirmations bien senties, aux points précis où ça comptait. 
 
Et puis un jour, le destin l'a enfin récompensée : elle qui n'aspirait qu'à être touchée s'est trouvé un être pour vivre à ses côtés. Comblée par la vie, assouvie, la sainte chérie s'est assagie. Le monde tangible avait besoin de sa présence : plus question de papillonner à outrance. Du coup, elle s'est évaporée, plus le temps, prise de distance. The Fear Of Missing Out, la terreur de manquer quelque chose, l'avait quittée. Elle commente à présent, de ci et de là, mais avec moins d'énergie. Elle n'a plus vraiment l'envie ni les moyens : d'autres rôles dans la vie l'empêchent d'être gentille à temps plein.

dimanche 9 juillet 2023

Vivre : le pouvoir de la pensée

 
rien à vouAar
 
 
Le matin, et même après deux douches froides, et malgré quelques longueurs préalables en bassin, la rivière me paraît toujours frisquette, quinze, dix-sept. Les canards perchés sur le canal cancanent à mon arrivée (j'aimerais bien les y voir, et de toutes façons leurs moqueries glissent sur moi comme l'eau sur les plumes de leurs congénères). En brassant vigoureusement, je pense à l'après-midi, à ces moments où des perles de sueurs vont fatalement sillonner mon visage, où mon corps se sentira pris dans un hammam sans issue de secours, où j'aspirerai à parcourir des polars du grand Nord. Alors je perçois mes grelottements avec un certain bonheur. J'emporte au fil du courant le souvenir ces frissons-là. Je les emmagasine pour plus tard. Leur seule évocation rafraîchira mes soirées sauna. La climatisation, dans le fond, est aussi affaire de mental froid.

 

samedi 8 juillet 2023

vendredi 7 juillet 2023

Vivre : perméabilité

 
Ile de Capraia / 2014 / Bernard Plossu / Musée Granet 2022
 
 
On devrait toujours être, me disais-je, face aux questions, comme cet arbre du Sud face à l'objectif :
disponible, pas forcément étonné, nullement désarçonné, juste : disponible et disposé à laisser entrer
une étincelle de vérité. 
 

jeudi 6 juillet 2023

Vivre : ce qui ne se laisse pas voir

 

Elle chante et ne peut empêcher sa gorge de se nouer.  Les notes s'enroulent, sa voix s'enroue et on se met à écouter. Où étaient les signes ? Comment aurais-je pu les lire ? Elle lève parfois les yeux pour interroger le ciel, comme si celui-ci avait quelque chose à lui montrer. C'était son meilleur ami, le père de son enfant, on les croyait soudés à jamais. Il est forcément quelque part maintenant et elle scrute intensément le ciel pour le retrouver.

mercredi 5 juillet 2023

Vivre : bien manger pour bien vivre

 

J'aime beaucoup la petite ville de Bra, au Piémont. J'aime sa pétulance provinciale, sa simplicité, son élégance sans manières, ses églises baroques, et surtout son marché du vendredi (ou plutôt : ses marchés, puis qu'il y a celui du haut et celui du bas, ce dernier peut-être plus populaire, pratiquant des prix légèrement plus accessibles). Or, j'ignore pourquoi depuis le temps que nous nous arrêtons dans cette paisible bourgade écrasée entre la capitale, l'austère Turin, et l'effrontée Alba, qui commence à se la jouer un peu trop parvenue avec sa  truffe réputée et ses manifestations à la pelle, je n'avais jamais pris la peine d'aller manger au Boccondivino. La crainte d'y trouver un lieu snobinard, sans doute, jouant un peu trop la carte du "y en a point comme nous" en matière de bonne bouffe.
 
C'est que c'est précisément ici qu'est né en 1986 le mouvement Slow Food (dont le siège se trouve juste en face de la mythique osteria, au numéro 14 de l'étroite rue de la Mendicità Istruita). A ses débuts, Slow Food s'appelait Arcigola et se voulait un antidote à la folie universelle de la "fast life", une réaction contre ceux qui confondent l'efficacité avec la frénésie. Il affirmait le droit au plaisir de la lenteur, prônait l'éducation au goût et la sauvegarde de notre Terre nourricière. Avec le temps, ce credo du bien manger, naturellement, équitablement n'a fait que s'étendre et trouver des émules dans tous les coins du monde.

L'autre jour, finalement, j'ai franchi le pas. Le restaurant se loge au fond d'une cour, dans une maison typique du centre ville, offrant à la belle saison une grande terrasse couverte de glycines. Il applique des prix doux et offre un service des plus décontractés. A part une table occupée par un couple d'Allemands, les salles n'étaient destinées qu'à des locaux, des familles du coin, des tablées d'amis, les uns venues fêter un anniversaire, d'autres des retrouvailles conviviales.
 
Le menu : une stricte proposition des classiques piémontais. La décoration était des plus sobres : "que l'importance soit dans ton assiette et dans le verre amicalement partagé". Seules les meilleures bouteilles des meilleures caves étaient destinées à décorer le lieu (et dieu sait si le lieu était divinement décoré). Une équipe dynamique et souriante veillait à ce que les convives soient sustentés comme il se doit. Que du bonheur !
 
A un moment donné, l'animation était telle que j'en ai profité pour passer au chien tapi à nos pieds l'os de ma pintade. Le taux de décibels a fait en sorte que personne ne remarque quoi que ce soit. Le jeune qui a desservi ensuite m'a regardée d'un air poliment étonné. Mais il s'est empressé de m'apporter le dessert : un bunèt parfait, le meilleur que j'aie jamais mangé.


mardi 4 juillet 2023

Vivre : les variations atmosphériques

 

Dans la même journée, du matin au soir, d'une heure à une autre, et d'une minute, que dis-je une minute, d'une seconde à une autre, expérimenter toute la gamme d'émotions possibles, tendresse, sanglots, colère, tristesse, découragement, passer du sentiment de solitude à celui de plénitude, chanter en nageant et nager dans le désarroi, sourire à la vie et faire fi des diktats, éprouver d'immenses aversions et d'encore plus grands élans de compassion, et le ciel là-haut qui suit, qui entraîne, qui nous dit "moi aussi, moi aussi, tu vois" et continuer à l'unisson de ressentir, d'avancer, de vivre comme un oiseau, en vie en vol en voyage qui bat des ailes, s'élance et se débat.

lundi 3 juillet 2023

Lire : dégonfler le voisinage

 

 
Le phénomène du voisin gonflable, vous connaissez ? Bien plus qu'une image, il s'agit d'un phénomène économique démontré. 
En quoi cela consiste-t-il ? "Dans un quartier où il existe des inégalités, les moins riches ont tendance à acquérir des actifs ostentatoires (auto, piscine, rénovations, etc) pour démontrer qu'ils suivent la cadence imposée par les mieux nantis. Mais ils le font souvent à crédit, d'où la hausse du nombre de faillites". En d'autres mots, on peut réduire nos dépenses liées à notre hypothèque ou loyer, mais le comportement de nos voisins peut influencer nos dépenses à la hausse. [p.115]
 
Mon amie A. habite depuis près de 30 ans dans un quartier de Bâle en train de se gentrifier (pour parler en bon français). Au début, il s'agissait d'une douzaine de logements, sertis de petits jardins et disposés en U au fond d'une sympathique venelle, où des familles de la classe moyenne, des enseignants, des infirmières s'étaient installés pour vivre de manière décontractée et échanger des biens et des services en bonne intelligence. Au fil du temps, par le jeu des divorces et des départs à la retraite le quartier - et cet ensemble en particulier - a vu se modifier les caractéristiques de ses habitants. 
 
Devant les lotissements, là où certains disposaient il y a encore dix ans leurs vélos et chariots, sont à présent parqués (à l'étroit) deux SUV. On a fait appel à des horticulteurs zen pour entretenir les minuscules terrains et les façades ont été ravalées avec des matériaux innovants, histoire de montrer qu'on a les moyens même si on ne peut pas se payer une villa individuelle avec piscine et solarium. A. en a marre de tout ce bouillonnement, de tous ces gens qui ne se parlent plus et dont les enfants ne se retrouvent plus pour jouer en toute sécurité devant les maisons. Avec quelques voisins de la "première génération", elle a décidé d'entrer en résistance : elle continue de cultiver la biodiversité de son petit lopin et d'aller faire ses courses à vélo (en profitant pour ramener du pain chez la grand-mère du numéro un).
 
C'est A. qui m'a parlé de Vicky Payeur et de son blog (pardon : blogue!). Elle m'a passé ce bouquin sans prétention qui vise à mettre un frein à la spirale de la surconsommation. L'autrice est canadienne et dans son pays le phénomène de l'endettement à outrance fait des ravages et noircit l'avenir de bon nombre de travailleurs. "Vous êtes plus riches que vous le pensez!" affirme la quatrième de couverture. Ça, c'est une évidence et cet opuscule présente de nombreux conseils pour ne pas se laisser enfermer dans le jeu des apparences (souvent trompeuses et toujours tyranniques).
 
Rien de nouveau sous le soleil, précisons-le, mais on peut glaner ça et là quelques trucs pour mieux consommer, c'est-à-dire tenir les rennes de sa gestion financière (et qui dit maitriser son argent dit maitriser son énergie tout court).

A côté de nos voisins, on ne veut pas être celui qui a moins de choses ou celui qui semble ne pas avoir les moyens financiers de suivre le groupe. Donc, on a tendance à faire certains achats, même si on n'en a pas réellement besoin, uniquement pour bien paraître. Ah! La pression sociale! [p.115]

Dans un monde de comparaisons, d'influenceurs/euses censés nous pousser à suivre la cadence, à élever nos piles de choses à voir/faire/lire/expérimenter, une démarche comme celle de Vicky Payeur est bonne à prendre. Car dans le fond, comme l'affirme A., c'est à nous et à nous seuls de déterminer qui est le maître à bord de notre existence.