dimanche 31 octobre 2021

Vivre : changement de cap

 

 
Dans le ciel, très haut, caressant les feuillus à flanc de colline, décrivant des volutes acrobatiques, les busards portent sur le village un regard flegmatique.

Les petites maisons de vacances aux fenêtres bleues donnant sur des jardins fleuris disparaissent une à une, à mesure que les silhouettes menues penchées sur leurs arrosoirs ne sont plus aptes à les couver. De grosses machines débarquent alors, qui ne font pas de quartiers : adieu arbres fruitiers, plantes aromatiques, buissons colorés, tout s'arrache pour y planter de froides silhouettes blanches avec garages et piscines incorporés. De plus en plus de gabarits sont piqués, qui effleurent de nobles quinquagénaires où les merles aiment à venir nidifier. C'est qu'il en faut de la place pour nager dans le chlore en toute liberté, vue plongeante sur le lac, quand on n'a que le week-end pour décharger tant de stress accumulé.
 
De ronronnantes cylindrées s'aventurent de plus en plus sur les chemins bien exposés. Elles émergent de parkings souterrains, où les cases leur semblent toujours plus étriquées et certaines n'hésitent plus maintenant à occuper deux places pour se loger. Elles quittent pour quelques heures la ville cosmopolite où elles vrombissent en vain, prestement conduites par des personnages secs et bien sapés. Ils descendent pressés, pressés d'aller retrouver leurs voiliers, ou de rejoindre leurs sous-sols où ils trouvent à se muscler.

Les busards survolent les événements avec une impassible élégance: ils étaient là avant, ils resteront là bien après, plus rien ne peut vraiment les étonner.

samedi 30 octobre 2021

Vivre : comme les vagues

 
Pouilles / Au large d'Otranto
 
Toujours faire avec. Ne jamais contrer les contrariétés.
 
 


vendredi 29 octobre 2021

Vivre : une mesure pour rien

 

Le soir est en train de tomber. Fin de partie, fin de journée. On n'a rien fait comme il fallait. A vrai dire on a tout fait à moitié. On ressent une désagréable impression d'imperfection, quelque chose de loupé. Mais, en y regardant bien, il y aura quand même quelque chose qu'on n'aura pas manqué : lever les yeux, saluer le soleil, le remercier infiniment, lui savoir gré de sa splendide présence, et tant qu'on y est remercier infiniment aussi l'arbre préféré, curieux, enjoué, celui qui semble se pencher pour nous observer, nous protéger. Oui, la journée n'était pas vraiment réussie, mais on a réussi à l'achever en beauté.

Regarder : natures

 

Les matins désormais nous avançons à tâtons, enveloppés de nuit blanche et de silence noir. Heureusement, une fois rentrés nous pouvons nous pencher ICI et pour observer le monde que nous ne voyons pas.

Concours européen de la photographie sauvage.
SIPA 2021 (exposé à Sienne jusqu'au 5 décembre)

jeudi 28 octobre 2021

Vivre : désaccords parfaits

 
Portrait d'Erard de la Mark / J.C. Vermeyen / Rijksmuseum / Amsterdam
 
L'autre jour, nous avions entendu Patrice Leconte raconter sa première expérience de cinéaste désastreuse avec Jean Rocheford (lequel refusait de le considérer comme apte à faire du cinéma et l'avait fait virer du tournage par la Gaumont :"Patrice Leconte est un incapable et c'est moi qui vais reprendre la mise en scène!"). Par la suite, ils se sont réconciliés et ont réalisé ensemble une demi-douzaine de films, dont l'inoubliable "Tandem" et l'émouvant "Le mari de la coiffeuse". J'étais admirative de cette souplesse et de cette intelligence émotionnelle.

A. m'a dit : "Ceux qui affirment ne jamais avoir de conflits ne disent pas la vérité : ils esquivent, par conviction, parfois par crainte, parfois par lâcheté. Certains, autre forme d'évitement, s'arrangent toujours pour être du côté du plus fort, de la majorité. Ce qui signifie se planquer, ne pas avoir le courage de ses opinions, hurler avec les loups. Ceux qui affichent leurs absences de conflits comme des preuves d'une qualité morale font en réalité souvent état de leur besoin de conformité."

Des propos qui m'ont fait méditer. "Pas faux, ai-je rétorqué, les conflits sont inévitables en société. L'essentiel est de ne pas en provoquer soi-même par rage, par orgueil ou par avidité. Sans compter les conflits privés d'intérêt, broyeurs d'énergie dans lesquels il s'agit de ne pas se laisser embarquer". J'ai poursuivi : "Les conflits réclament des mots, des explications, des négociations. Ils obligent à argumenter. On ne peut pas aimer tous ceux qu'on rencontre. On ne peut pas toujours être d'accord avec tout le monde. Mais on peut trouver moyen de discuter et finalement de s'entendre. Un conflit surmonté, en ce sens, est peut-être un excellent signe de santé ? N'y a-t-il pas de la noblesse à savoir défendre ses positions sans les imposer ?"
 
Enfin pour achever cette discussion, on s'est repassé "Ridicule", une œuvre dont il eut été dommage d'être privés pour cause de querelle envenimée...
 

mercredi 27 octobre 2021

Vivre : absolue nécessité

 

Peu, mais bien.
Peu, mais précieux.
Infime, mais luxueux.
Rien de trop: le noyau.

mardi 26 octobre 2021

Voyager : l'art des détails

 

Le plus étonnant, tandis que l'on parcourt une ville étrangère, c'est de constater qu'on y a été attirée par la somptuosité de ses bâtiments, l'éclat de ses fastes passés et que, au bout du compte, on se retrouve émue par de tout petits détails insignifiants, mais infiniment évocateurs dont on se rappellera longtemps après avec une précision déconcertante.

lundi 25 octobre 2021

Vivre : récupérer

 
Procuratie vecchie  / Place Saint-Marc / Venise
 
Automne : saison mirobolante où l'on éprouve l'intense nostalgie de tous les lieux où l'on a été nostalgique.

dimanche 24 octobre 2021

Lire : construire sa maison

 

J'avais l'impression qu'à toutes les étapes de notre vie rien ne nous oblige à nous conformer à ce qui a été écrit pour nous, surtout quand ceux qui écrivent ont moins d'imagination que nous.[p.106]
En découvrant le livre, un peu à l'écart sur les présentoirs, j'ai poussé un cri de Sioux qui m'a valu un regard perplexe de la part de la libraire. Il est vrai qu'avec tous ces clients arrivant munis de listes d'ouvrages à lire ab-so-lu-ment, de romans DOP, de titres primés, elle ne devait pas avoir l'habitude de lecteurs tout simplement heureux de découvrir Le bouquin qu'ils attendaient.
 
Pour ce troisième et dernier volet autobiographique, on retrouve Deborah Levy telle qu'en elle-même. Au tournant de la soixantaine, dix ans après avoir choisi de divorcer et s'être aménagé une coquille dans un immeuble décrépi au sommet d'une colline londonienne, elle continue de s'interroger sur les maisons, ce qu'elles signifient pour une femme, se remémorant celles qu'elle a occupées, et surtout imaginant celle dont elle rêve, son idéal absolu : une vieille demeure avec un grenadier au fond du jardin.
Ce rêve la travaille sans cesse, elle voudrait le réaliser, gagner pour ce faire suffisamment d'argent. Cela l'oblige à se positionner, à repenser son existence en fonction de ce qu'elle voit autour d'elle : 
J'ai remarqué qu'une bonne partie des gens de mon âge appartenant à la classe moyenne avaient fini de payer leur emprunt et possédaient au moins une maison secondaire. J'allais à un dîner et quelqu'un annonçait qu'ils partaient le lendemain rejoindre leur manoir en France ou en Italie. [p.27]
Le récit commence au moment où se profile pour l'auteure l'étape du nid vide : sa fille cadette s'apprête à quitter leur appartement cocon pour entreprendre son cursus universitaire. Ce départ coïncide avec l'octroi d'une bourse permettant à DL de résider à Paris durant neuf mois. Elle prend donc le train et se retrouve dans un logement dégarni, pourvu d'une casserole, deux couverts, deux tasses et un étendoir.
 
Le fil de la narration nous entraîne dans l'univers bien particulier de l'écrivaine, dont l'obsession semble être la suivante : comment être une véritable créatrice, comment dépeindre au moyen de mots des personnages vrais, mais surtout comment être la créatrice de sa propre vie, sans se laisser dicter une conduite et des normes par l'extérieur. Nous la suivons de Londres à New-York, de Bombay à Berlin en passant par Hydra, au fil d'expériences aussi nombreuses que variées.
 
Régulièrement, parcourant le livre, on se rappelle la célèbre citation : L'herbe est toujours plus verte chez les autres, jusqu'au moment où l'on se rend compte que c'est du gazon artificiel. Invitée à diner par une architecte en vogue occupant un intérieur superbe et froid, gardé par deux chiens agressifs, Déborah Levy constate : 
Curieusement, il me semblait qu'il n'y avait nulle part où rêvasser, dans sa maison, pas d'alcôve ni de recoins, aucun espace qui ne soit pas apprivoisé. C'était peut-être une maison témoin.
La table avait été mise par son personnel et nous avons dîné dans un silence inconfortable.
En lisant, on déguste avec volupté les citations que l'auteure a soigneusement choisies (Duras, Beauvoir, Woolf et toute une palette de nobles plumes...).. On adore celle-ci, de Gaston Bachelard : On dirait toute sa vie si l'on faisait le récit de toutes les portes qu'on a fermées, qu'on a ouvertes, de toutes les portes qu'on voudrait rouvrir.
 
L'auteure a une manière toute particulière de parler de son quotidien, parfois le quotidien le plus banal, pour le recycler et en faire des histoires connectées aux recoins les plus profonds et les plus sensibles de son intériorité. Des incidents, des bribes de conversations la ramènent un lointain passé (une douche suspendue sur la paroi d'un café berlinois lui rappelle soudainement sa famille exterminée à Auschwitz) ou bien lui inspirent des réflexions sur l'arrogance de certains arrivistes arrivés (quand un écrivain rougeaud et arrogant lui reproche d'avoir rencontré le succès très tard dans sa vie).
 
On la suit volontiers dans ses digressions autour de la question de l'habitat, car dans le fond, celui-ci n'est-il pas une métaphore de la vie que l'on a, que l'on voudrait, ou que l'on s'est choisie ? On lève les yeux. On regarde autour de soi. On s'interroge sur son propre logement : voudrait-on un autre chez-soi ou celui-ci nous comble-t-il ? y a-t-il d'autres maisons qui nous tenteraient, où nous pourrions déposer nos valises ?

Le mérite des écrits de DL, c'est de nous inviter à faire notre état des lieux intime, à découvrir ce qui constitue notre richesse et notre vérité. A la fin du récit, la maison idéale est toujours un fantasme flottant quelque part dans un avenir incertain, mais l'écrivaine se découvre maîtresse d'une propriété bien à elle :
Je crois que ce que je valorise le plus sont les vraies relations humaines et l'imagination. Peut-être qu'il est impossible d'obtenir les premières sans la seconde. J'ai mis du temps à me débarrasser de l'envie de plaire à ceux qui n'agissent pas dans mon intérêt et sont incapables de m'entourer de leur affection. Je possède les livres que j'ai écrits et transmets mes droits d'auteur à mes filles. En ce sens, mes livres sont ma propriété. Une propriété qui  n'est pas privée. Il n'y a ni chien méchant, ni vigile à l'entrée, ni panneau qui interdit aux gens quels qu'ils soient, de plonger, d'éclabousser, de s'embrasser, d'échouer, d'être furieux ou effrayés, d'être tendres ou tristes. de tomber amoureux de la mauvaise personne, de sombrer dans la folie, de devenir célèbres ou de jouer dans l'herbe.[p.236]
 

État des lieux, éditions du Sous-sol, Paris, 2021 (le titre anglais est "Real Estate", soit "Immobilier" ou littéralement ;"domaine réel". La traductrice a su lui trouver un équivalent au moins aussi évocateur)

samedi 23 octobre 2021

Vivre : à tire-d'aile

Façade d'une église abandonnée / Ìle de Burano

Parfois, la vie, dans son extrême générosité, place sur notre chemin des anges,
des anges inattendus qui viennent les mains pleines de ce qu'on n'attendait plus.

vendredi 22 octobre 2021

Vivre : mutique

 
Repas chez Emmaüs / Vincenzo Catena / Gallerie des Offices / Florence
 
Au fil des minutes, l'homme s'est muré dans le silence. N'a bu que quelques gorgées, n'a presque plus rien avalé. Que s'était-il donc passé ? Qu'est-ce qui l'avait à ce point réduit au silence ? Il y a des questions auxquelles on ne peut trouver de réponse. On avait beau considérer la table soigneusement préparée, les tartes cuites à point, les questions et les réactions, on ne trouvait pas. 
Parfois on se retrouve devant une huître et on ne peut rien forcer. Surtout si on n'apprécie pas particulièrement les huîtres et qu'on n'a pas de couteau à disposition pour les entailler.

jeudi 21 octobre 2021

Vivre : saphirs

C'est l'heure marine, l'heure safre, l'heure qui appelle au repli, l'heure qui accueille la nuit. Au loin, quelque part, s'émiette le jour. Mais ici, les gens frissonnent, les renards dégringolent, les feux prennent. On franchit les seuils, on se réfugie, on soupire, heureux de se savoir à l'abri. Le regard las, on pense à tout ce qu'on a su faire aujourd'hui et le corps lourd, on se réjouit de confier bientôt à l'oreiller tous nos plans repoussés. Le clocher sonne un nombre de coups qu'on n'a pas su compter. On entend passer un train essoufflé, flèche inutile fendant l'obscurité. Le lac étendu à demi assoupi paraît attendre une berceuse et c'est la lune, tapie dans le noir, penchée, qui vient la lui fredonner
 

mercredi 20 octobre 2021

Vivre : le jour se lève

 

aimer l'aurore, aimer cette heure où l'on ne sait qui, du rose ou du gris, finira par gagner la partie.

mardi 19 octobre 2021

Vivre : sous d'autres latitudes

 
Venise / Punta della dogana
 
La femme marchait bon train. Il faisait froid. Je lui ai emboité le pas. Nous avons commencé de parler comme si nous nous connaissions depuis des années. Chiens, puis voyages, puis projets. La femme justement en avait un, tout frais, tout prêt, qui allait se mettre en place dans quelques semaines : changer de maison, changer de pays, changer de vie.
Elle et son compagnon avaient choisi pour leurs futures années de quitter les hivers d'ici, leur rigueur, leurs brouillards, pour aller retrouver le soleil du Midi. Ils avaient cherché et puis trouvé pas loin de la mer, à deux pas d'une forêt, une belle maison dans un de ces beaux villages du Var, à flanc de colline où les étrangers aiment tant résider. 
J'ai quitté la femme devant sa grande maison rouge, qu'elle avait, précisait-elle, réussi à vendre en moins d'une semaine. Je lui ai souhaité un avenir avec beaucoup de soleil, puisque, apparemment, elle en manquait. Puis je me suis demandé rêveusement si ça me plairait, de mettre en route un tel projet, et aussi si j'en serais capable.
Tout quitter pour entreprendre, pour aller reconstruire autre chose ailleurs, ça me parlait. Pour ce faire, il m'aurait fallu surtout un défi, quelque chose de risqué, un truc fou et stimulant, une ouverture sur d'autres horizons et une vue quotidienne sur la Grande Bleue. Par conséquent : capable, oui. Mais désireuse, non. J'aime trop cette maison, et ces brumes lentes à se dissiper, et ces orages, et ces forêts, et cette étendue azurée sans cesse étalée sous mes yeux. J'aime trop ce lieu où j'ai fini par m'ancrer, moi que l'exil a si longtemps marquée.
Il ne faut jamais dire "fontaine, je ne boirai pas...". Il ne faut jamais. Mais l'échange avec cette inconnue a eu le mérite de me rappeler combien nous avons besoin de projets. Ceux qu'on met en marche et ceux qui font rêver, ceux auxquels on finit par renoncer, ceux qu'on garde dans un tiroir secret. Ils fournissent à nos vies d'impératives pulsations, un indispensable carburant. Ce sont eux qui nous gardent vivants.

lundi 18 octobre 2021

Vivre : aptitude

 
Appartement de l'Abbesse (détail) / Parme
 
 
Blessés, garder cette capacité : éteindre le feu de la colère en préservant la flamme de la gaieté.
 
 
 

dimanche 17 octobre 2021

Vivre : la conscience de soi

 

Statue d'Apollon dello Scasato/ Villa Giulia / Rome

Cet être de toute beauté, doux et honnête, a levé les yeux sur moi d'un air déconcerté. S'il avait une bonne estime de soi ? S'il vivait un harmonieux compagnonnage avec lui-même ? Il a hésité : non... non... pas vraiment.  A dire vrai : moyennement. Le plus étonnant, c'est qu'il semblait surpris par la question au moins autant que je l'étais par sa réponse.

samedi 16 octobre 2021

Vivre : levers d'automne

 
Fontevivo / Parme
 
Il y a, dans les matins d'automne, des vacillements exquis qui font espérer et redouter, qui ramènent au passé et poussent à avancer. Il y a, dans les matins d'automne des sentiments de perte déchirants et des aspirations au recommencement, mille particules qui agitent et apaisent dans un même mouvement. L'automne est, plus que toute autre, la saison des émotions désemparées, que la raison doit protéger, que le cœur doit consoler.


vendredi 15 octobre 2021

Vvre : rattrapages

 
 
Madonna con due santi (dett.) / Palma il Vecchio/ Musei civici / Padova
 
Tandis qu'un message retentissait dans la gare, annonçant le départ d'un train sur une ligne récemment mise en place et qui reliait la ville si habituelle où je me trouvais avec une autre, bien connue autrefois et que j'avais tenté d'exclure de ma vie ces dernières années, mon cœur a battu un instant la chamade. Décidément, les ruptures ne sont jamais que des illusions auxquelles nous nous efforçons de croire, mais qui passent leur temps, comme des fantômes, à se présenter de manière inopinée.

jeudi 14 octobre 2021

Vivre : la cliente

 
La Servante / René Auberjonois / coll. Planque / Granet XX / Aix-en-Pce

On a beau se garder d'être indiscrète, difficile de ne pas entendre la femme se confier dans le magasin relativement vide durant les minutes suivant son ouverture. Elle parlait en toute franchise à la libraire, qui semblait être pour elle un peu plus qu'une libraire, c'est-à-dire qui semblait l'écouter et la conseiller au-delà de questions purement littéraires.
La femme évoquait avec un grand naturel ses difficultés à être. Elle disait : "je ne suis plus moi-même, je suis en peine de me lever, je ne ressens plus les forces que j'avais". Elle continuait : "je me sens flotter, par moments je me sens flotter". 
(Insensiblement, je l'avoue, j'ai marqué un intérêt appuyé pour les romans policiers disposés près du duo qui conversait).
La cliente soupirait, décrivait son mal de vivre, sa peine à avancer. Et la libraire - une amie ? une voisine ? une gérante étonnamment attentionnée ? - hochait la tête, relançait. Il y avait de la bienveillance dans l'air, de la douceur, un lâcher-prise, une confiance particulière. Et à les entendre on se disait que s'il existait ainsi davantage d'espaces où l'on prenne le temps de se parler, de s'entendre, d'échanger sans embarras, certains cabinets se verraient bien moins débordés, la vie montrerait bien moins de complexité.

mercredi 13 octobre 2021

Vivre : Still life / 104

 

 
Objets du quotidien si précieux, vraiment, indispensables, assurément, utilisés avec ménagement. Au regard de certains messages reçus, cependant, on voudrait apposer un écriteau sur le câble d'alimentation : "Ceci n'est pas une poubelle". On doit se contenter de clics droit et d'appuis sur la touche "supprimer". On se sent un lien de forte solidarité avec les éboueurs du quartier.

mardi 12 octobre 2021

Lire : faire avec

 
 Famiglia Valmorana (détail) / Vicenza
 
"S'adapter" est un récit difficile à cerner. Est-ce, comme il est le plus souvent présenté, l'histoire poignante de l'arrivée dans une famille d'un enfant handicapé ? Est-ce la description d'une expérience de vie marquante, vécue par les différents êtres concernés, une description qui a la particularité d'être relatée par des pierres (dont on découvre tout le long du texte l'extraordinaire capacité d'empathie, preuve de l'incongruité de l'expression "cœur de..." qu'on se jure de ne plus jamais employer) ? Est-ce un long poème en prose, une ode à la gloire de la nature, de son infinie richesse, de ses extraordinaires capacités de résilience et de colère, d'accueil et de violence ? Est-ce une peinture minutieuse et sensible de l'enfance, à travers des personnages aux caractères bien trempés dont la valeur n'attend pas le nombre des années? Est-ce la biographie d'un être de grande pureté dessinée par le regard de ceux qui l'ont entouré ? Est-ce enfin une trajectoire de groupe, une famille en l'occurrence, avec ses liens, ses solidarités, ses tyrannies et ses exigences ?
Peut-être est-ce tout cela à la fois. Avec "S'adapter" Clara Dupont-Monod livre un récit qui a les tristesses infinies de l'automne et les lacérations d'un hiver particulièrement rigoureux, mais qui sait aussi éclater de lumière comme certains matins d'avril et réchauffer le cœur à la manière d'un crépuscule estival. C'est beau. C'est poignant. C'est d'une élégance rare. C'est ciselé comme une pièce d'orfèvrerie des siècles passés. C'est rude et âpre comme les paysages cévenols où s'écoule le récit, tel une rivière, dont on suit le trajet, qui gronde et rugit, qui bondit et qui révèle au fil du temps ses secrets. 
Il y a aussi de l'effet surprise, un coup de théâtre dans cette narration constituée de trois parties. Si les deux premiers volets sont somme toute assez prévisibles dans leur subtile description des mouvements de l'âme, quand elle est en proie à l'épreuve et au chagrin, le troisième surprend le lecteur, par un renversement de situation, impliquant un point de vue inattendu et une ouverture vers d'autres possibles. 
Dans ce livre, le temps importe peu, les saisons sont plus importantes que les dates, les météos du cœur plus fortes que les chronologies. Les noms des lieux et des gens sont ignorés (par contre, on insiste sur un vocabulaire bien précis, lié à la vie ordinaire : draille, tarauds, chalazions, lagerstroemia). Quant aux prénoms, ils sont inexistants et les personnages se voient désignés  de manière générique : l'enfant, le père, la mère, l'aîné, la cadette, le dernier. Difficile d'en dire plus, sinon qu'il s'agit d'un livre infiniment envoûtant. On tombe sous son charme et, ce faisant, on en vient à décloisonner des pans d'idées toutes faites, sur la vie, les rencontres, les relations entre les morts et les vivants.
Quelques bribes, relevées en passant :
 
Il aimait par-dessus tout l'impassible bonté, la primaire candeur de l'enfant. Le pardon était dans sa nature puisqu'il n'émettait aucun jugement. Son âme ignorait, de façon absolue, la cruauté. Son bonheur se réduisait à des choses simples, la propreté, la satiété, le moelleux de son pyjama violet ou une caresse. L'aîné comprenait qu'il tenait là l'expérience de la pureté. Il en était bouleversé. Aux côtés de l'enfant, il ne cherchait plus à brusquer la vie dans la crainte qu'elle ne lui échappe. La vie, elle était là, à portée de souffle, ni craintive, ni combattante, juste là. [p.25]
 
La colère la maintenait droite, elle était une raideur précieuse. Elle était la force des gens debout. Les allongés n'y avaient pas droit. La colère lui permettait des révoltes muettes, des poings serrés dans ses poches, des coups enchaînés dans son oreiller avant de dormir, un rituel hargneux et consolant. Lorsque le vent devenait tigre fou,que la montagne frissonnait d'une joie mauvaise à l'approche de l'orage, elle se sentait en paix.[...] La cadette attendait le tonnerre et la pluie. Car enfin elle se sentait comprise. [p.81]
 
Avec les autres, il eut de plus en plus de mal à  masquer son décalage. Comment leur dire que la montagne avait traversé toute l'Histoire, que cette immanence le bouleversait et dessinait la certitude que les morts ne disparaissent jamais tout à fait ? Leur dire que cette vie grouillante de la montagne était la même qu'il y a des siècles ? Que chaque infime mouvement des animaux contenait la mémoire d'un mort ? C'était trop demander. [p.158]
 
 S'adapter / Clara Dupont-Monod / Stock / 2021 

lundi 11 octobre 2021

Vivre : à chaque passage devant l'école

 

je me souvenais de l'importance, après une bêtise, une étourderie, de me tenir à carreau.

dimanche 10 octobre 2021

Voir : apprendre à perdre, apprendre à vivre

 
 
En sortant, on avait regardé le ciel qui s'était curieusement assombri. Étonnant : trois heures avaient passé, avec la légèreté d'une plume de colombe, la profondeur d'une véritable rencontre. En sortant, on avait scruté le ciel, la vie, les gens, l'animation autrement. On s'était promis de retourner voir ce film, qui nous avait rendus plus grands. On se sentait bien, allégés, comme sur un nuage, vivants.

Cette histoire de deuils à surmonter, de relations à assumer nous avait ramenés au cœur de l'existence. Elle nous avait rappelé que la vie n'est pas simple et qu'il s'agit, loin de vouloir la simplifier, de l'accepter dans toute son infinie complexité. L'intrigue, si on tente de la résumer, se réduit à peu de chose : un acteur perd son épouse avec laquelle il avait effectué une traversée au long cours. Ensemble, ils avaient eu une fille, trop tôt disparue. Deux ans plus tard, il accepte d'aller mettre en scène Oncle Vania lors d'un festival qui se tient à Hiroshima. Alors qu'il insiste toujours pour conduire son véhicule, on lui impose pour divers motifs un chauffeur, qui se révèle être une jeune femme taciturne et obstinée. Les répétitions commencent avec des acteurs de toutes provenances.

En sortant, on s'était dit que des films comme ça étaient rares. Étonnant : on s'était retrouvés mi-éblouis  mi-émerveillés devant cette pépite. On était entrés par hasard et on se découvrait chercheurs d'or. On a hésité un moment ensuite entre les autres films qui nous tentaient et celui-ci qu'on voulait absolument revoir.
 
On savait qu'on ne regarderait plus jamais les vieilles Saab rouges de la même manière. On n'aurait jamais imaginé que les détritus d'Hiroshima pouvaient ressembler à des flocons de neige. On se promettait de relire Tchekov (et pas seulement Oncle Vania) et, dans le même élan, on tenait absolument à réécouter cette émission, ICI, qui avait si bien su évoquer ce génie il y a quelques années. Les phrases "Nous nous reposerons ! Nous entendrons les anges. Nous verrons tout le ciel en diamants ; nous verrons tout le mal terrestre, toutes nos souffrances, noyés dans la miséricorde qui emplira tout l’univers ; et notre vie deviendra calme, tendre, douce, comme une caresse. Je crois cela, oncle ; je crois…  Pauvre, pauvre oncle Vania, tu pleures… Tu n’as pas connu de joies dans ta vie, mais patiente, oncle Vania, patiente… Nous nous reposerons… Nous nous reposerons ! " tournaient en boucle dans notre tête. On revoyait la gracieuse actrice coréenne qui jouait en langue des signes exprimer ces mots si doux avec des grâces de libellule.

En sortant, on respirait profondément. On mesurait sa chance et on aimait tout ce qu'on respirait. Si l'un des buts du cinéma est de nous aider à vivre, le moment que l'on venait de passer avait été exceptionnel. On garderait encore très très longtemps le souvenir de cette séance dans un écrin phosphorescent de la mémoire.

 

samedi 9 octobre 2021

Vivre : tout bien considéré

 
 
Ces derniers temps (depuis quand exactement ? depuis l'irruption de ce tsunami sanitaire dans nos vies ?) on trouve que tout va vite, beaucoup trop vite, que tout change de manière irréfléchie, que tout se retrouve trop souvent chamboulé. On considère la planète et on la perçoit comme un carrousel sur le point de se transformer en fusée.
On réclame de la lenteur. On voudrait de la cohérence. On aimerait pouvoir ralentir, mettre l'écran du monde en arrêt sur image (mais le monde semble embarqué dans un film muet, en noir et blanc, où tout paraît procéder avec des pas saccadés de mannequins désarticulés).
La ville, la ville qu'on aime, qui nous inspire une grande tendresse et un doux respect, exhibe des élégances de catin déchue, semble hésiter entre deux destins, celui d'une noblesse en perte de vitesse et celui d'une décharge pleine de promesses. Sacs éventrés, détritus encombrants dispersés au coin des rues, plastique, cartons, emballages, épluchures. On regarde les camions de la voirie passer, repasser, leurs employés se pencher, mais au fur et à mesure qu'ils dégagent de l'espace, celui-ci se voit envahi par de nouvelles immondices, comme s'il s'agissait de faire de la place pour les prochains déchets. Malgré la réouverture des restaurants les gens semblent s'être habitués à se faire livrer (on se demande : on faisait comment, avant, pour manger ?). Des sacs en papier uberisés jonchent le sol, qui contiennent des sachets, qui débordent de cartons, qui renferment des couverts jetables et de la nourriture à jeter.
Devant le supermarché Utile, à 7h57, j'attends devant la porte en même temps qu'une femme aux cheveux poivre et sel. Le vitrage du magasin est fendu sur un bon mètre carré. Ses brisures reflètent le tas d'ordures plus gros que la veille qui dégouline sur le trottoir. Je dis : "Une effraction, peut-être, cette nuit ?" La femme a l'air fatigué. Elle répond : "Non, ça, c'est rien. Un camion, qui a mal manœuvré. Moi, je suis rentrée hier d'un pays où rien, mais rien ne fonctionne. La Tunisie... " Autre regard, autre voyage. La femme a l'air à la fois traumatisé et soulagé : elle sait qu'il est huit heures et que les portes vont s'ouvrir. Dedans, elle trouvera du lait. Elle sait aussi que la pharmacie en face lui remettra des médicaments pour tenir, si elle devait en avoir besoin. Et ces deux certitudes suffisent à lui donner la force d'entamer sa journée.


vendredi 8 octobre 2021

Voyager : quitter la ville

 

Quitter la ville dorée a signifié comme à chaque fois éprouver un déchirement au niveau du plexus : la fenêtre donnant sur l'entrée du musée, la cour moussue où se mouraient des feuilles au fond d'un large bassin. Les platanes dansants sur les places, les feuilles griffant les trottoirs. Le chant langoureux des branchages malmenés par le mistral. Le sourire satisfait de Naïma quand elle découvrait le matin que j'avais préparé l'apouing.
Quand nous  l'avons chaudement remerciée juste avant notre départ en la priant de "surtout ne rien changer", la patronne nous a dit : et c'é qu'ici, on est anne Frannece et moi je suis pour faireu les lits à la franneçaiseu, pas avec des couetteu, ici, on a des salongs, ce ne sont pas des laounnege commeu partout ailleureu. 
Puis elle s'est hâtée de commander un taxi pour Madame de..., une habituée qui semblait elle aussi, au moins autant que les chambres, remonter au XIXème et qui devait impérativement être conduite à la gare pour prendre son train de neuveureuquatorze.

 

mardi 5 octobre 2021

Vivre : s'adapter

 
Étude pour Sif dans "Aegir's Banquet" / Constantin Hansen / Glyptotek / Copenhague
 
Chose délicate en cette période qui ne manque pas de vagues : 
affronter des contrariétés tout en gérant de son mieux 
les diverses expressions de ceux qui se sentent frustrés 
(et n'éprouvent aucune gêne à le montrer).


 

lundi 4 octobre 2021

Regarder / Vivre : il y a des choses qui déchirent...

 
Frontière turco-bulgare / Datazone / Philippe Chancel / Rencontres Arles 2019
 
... rien qu'à les regarder...
 

dimanche 3 octobre 2021

Vivre : question de qualifications

 
Portrait d'homme avec livre / Vincenzo Catena /KHM / Vienne
 
Elle a dit : "Quel pauvre type..." et ça sonnait dénigrant (même si effectivement, il fallait bien le reconnaître, le type était pauvre : pauvre en joie, pauvre en projets, pauvre en élans). Le problème, avec cet adjectif "pauvre", c'est qu'il rend méprisable dès quand on le place devant. On n'a pas réussi à se mettre d'accord : elle trouvait le mec pitoyable, je l'estimais privé d'allant. On a fini par convenir que le mec, contrairement à la sémantique, n'était pas très intéressant.

samedi 2 octobre 2021

Vivre : peser ses mots

 
Bildnisstudie einer jungen Dame/ sir Joshua Reynolds / KHM / Vienne
 
Ce jour-là, constatant que ma tignasse était vraiment trop déstructurée, j'avais franchi la porte de ce petit salon entre deux expositions.  La coiffeuse m'avait reçue très gentiment et s'était arrangée pour me refaire ma coupe pile-poil au bon moment. Très satisfaite, en sortant, j'ai décidé de poster un avis positif sur Google Maps, chose qui m'arrive rarement. Après tout, elle le valait bien, avec son amabilité et sa compétence.
Or, voici que tombe un message du fameux service m'informant que mon avis allait être supprimé au regard de son contenu. Éberluée, je l'ai relu : "Petit salon découvert par hasard durant les Rencontres. Accueil aimable. Bon travail, prix doux. Je recommande."
Salon. Rencontres. Accueil... Mais, bon sang, c'est bien sûr... que n'y avais-je pensé!
 

vendredi 1 octobre 2021

Vivre : still life / 103

 

 
Un verre et une carte postale. Toujours à portée de main sitôt qu'arrive l'été. Un simple outil pour donner un coup de pouce ici à la biodiversité.
Dès qu'il fait beau, la maison grand ouverte sur le pré et la forêt voit entrer toutes sortes d'hôtes, plus ou moins sympathiques, jamais vraiment invités : grillons, sauterelles, libellules, taons, abeilles, bourdons, papillons ou frelons. Ils finissent tous par aller se cogner contre les nombreux vitrages et, à entendre certains sons : bourdonnements désespérés, grésillements, stridulations montant dans les aigus, on comprend qu'ils enragent. On perçoit leur détresse à s'être ainsi trompés d'adresse. Les laisser agoniser ? Jamais! Mais comment les aider à rejoindre leur habitat ?
On a tout testé. Le meilleur moyen après des années d'essais : appliquer sur l'être à évacuer un verre assez large. Glisser ensuite la carte entre le verre et le vitrage. Emporter le tout à la première ouverture et... observer avec soulagement l'infortuné regagner sa liberté.