mercredi 31 août 2022

Vivre : dans les villes de grande incertitude

 
 Arles 2022 / devant l'église des Frères-Prêcheurs
 
La ville idéale serait-elle déserte ? ou alors peuplée de lenteur et de battements d'ailes ? Si souvent, les villes me happent, m'attirent comme un puissant aimant. Leur énergie. Leurs palpitations. Mais tout aussi souvent elles me lassent, m'épuisent. Leurs éclats. Leurs exclusions. Dans leurs lits, très vite, je rêve de forêts et de messages drainés par le vent. En faisant mes bagages, au bout de trois nuits, quatre au maximum, je ressens un grand soulagement. Tandis que je les quitte, pourtant, j'éprouve des regrets. La ville idéale est un projet sans cesse recommencé où les richesses seraient un peu plus discrètes, un peu mieux distribuées.


mardi 30 août 2022

Vivre : dans l'église des Trinitaires

 
Arles 2022
 
si souvent la lumière détourne mon regard
exige ma présence aux lieux et aux moments
"viens, murmure-t-elle, sois présente au présent"

lundi 29 août 2022

Vivre : soyez doux avec vous

 
Le paiement des salariés de la commune / Atelier de Sano di Pietro /Archives communales / Sienne
 
Tant de choses accomplies. Tant de choses sur le métier.
D'où vient donc cette constante impression de n'en faire jamais assez ?

dimanche 28 août 2022

Vivre : tout est son contraire

 
Cour d'Isabelle d'Este (détail) / Lorenzo Costa / Le Louvre / Paris
 
Étonnant comme tout coexiste avec son contraire. Comment du reste pouvoir les séparer ? Est-il possible de faire preuve d'indulgence, de générosité sans avoir au préalable expérimenté la fulmination et la revendication ? Ce n'est que par la connaissance de l'une qu'on peut vraiment se dire capable de l'autre. Sans cette coexistence, les vertus pourraient n'être que de simples petits arrangements. De timides et tièdes petits arrangements.

mardi 23 août 2022

Regarder / Voyager : des images au soleil

 

Le Sud m'appelle. Le temps est venu de glisser quelques frusques dans mon vieux sac en cuir malmené par les années et les kilomètres. Le temps est venu d'y aller par quatre ou cinq chemins pour capter ailleurs d'autres images. Dans ces images, il y aura d'autres gens et d'autres langages. De quoi apprendre et apprendre encore sur ce monde qui n'en finit pas d'interpeler, d'intriguer, de bouleverser .
 

 

lundi 22 août 2022

Vivre : la passerelle de l'utopie

 
Passerelle de l'Utopie / Neuchâtel
 
traverser et aller se poster en face
là, les Alpes, ouverture sur un autre espace
comme un départ, une navigation inconnue
nouvelles perspectives, nouvelles étendues
une mer ouverte pour un changement de cap.


dimanche 21 août 2022

Vivre : still life / 120

 

 
Il vient de fêter son anniversaire et a décidé de se choisir en guise de cadeau quelques sous-vêtements bien conçus, honnêtement produits et destinés à durer. C'est chez LOOM qu'il a trouvé son bonheur. Nous avions entendu Julia Faure, l'une des créatrices de la marque, très impliquée dans les médias, expliquer les valeurs de cette entreprise lors de sa journée particulière, en janvier dernier. Son discours est limpide : la fast fashion pollue, infeste particulièrement le Tiers-Monde et provoque le gaspillage de nos ressources.
R. l'a trouvée convaincante. Surtout lors de sa participation sur France 5 à l'émission "Sur le front", qui mettait en évidence les dessous de nos pratiques apparemment positives, quand nous nous débarrassons de nos vêtements en les donnant à des associations : nous croyons avoir un comportement vertueux et ne faisons que participer à la ronde folle de la consommation.
Désormais, nos acquisitions sont de plus en plus tournées vers des produits destinés à durer. R. a apprécié de recevoir sa première commande-test. Des emballages sobres, des textures de  qualité, des notices claires. Deux jours plus tard, il a reçu par mail le message suivant : 
 
Vous venez de recevoir votre commande Loom et on espère qu’elle vous plaît (si ce n’est pas le cas, les retours et les échanges c’est par ici*)
Première chose : les vêtements Loom sont pré-lavés en usine (c'est notamment ce qui permet de les pré-rétrécir pour éviter qu'ils ne perdent une taille à la première machine chez vous). Donc pas besoin de faire un premier lavage chez vous après avoir déballé votre produit.
Deuxième chose : un vêtement bien entretenu peut durer plusieurs années de plus, alors on voulait vous envoyer cet e-mail pour parler pince à linge et machine à laver.

Nos conseils d’entretien pour le t-shirt :
Il passe en machine à 40 degrés, mais mieux vaut le laver à 30 : c'est tout aussi efficace, bien plus écolo et ça prolongera sa durée de vie. Ensuite, lavez-le à tout prix à l’envers pour éviter les décolorations et tout risque de boulochage.
Pour sa longévité et pour le respect de l’environnement, l’idéal est de le sécher sur cintre à l’air libre. Mais parfois on n’a pas le choix : si vous devez utiliser un sèche-linge, faites-le à basse température (i.e. en mode délicat ou synthétique) pour éviter que l’élasthanne du col ne perde son élasticité et que ça n’abîme trop les fibres.
Bien sûr, ce t-shirt est en coton, pas en kevlar : malgré tous nos efforts, il se peut qu’il y ait un léger rétrécissement au premier lavage. Pas d’inquiétude, c’est normal et ça se stabilisera par la suite.
Ah, et si vous avez reçu un t-shirt blanc, il se peut qu'il y ait certaines légères marques noires : ce ne sont pas des taches, mais des irrégularités dues au fait que notre coton est cultivé de manière biologique. D'ailleurs, en parlant du t-shirt blanc, pour éviter qu'il ne grise ou jaunisse avec le temps, lavez-le bien séparément de vos autres vêtements. Et si vous voulez raviver le blanc de temps en temps, il suffit de suivre cette recette (très simple on vous promet).


Nos conseils d’entretien pour le boxer : [...]


Enfin, n’oubliez jamais : 1) laver, c’est user 2) laver, c’est polluer. Donc les vêtements que vous ne portez pas à même la peau, essayez de les laver un peu moins souvent : on vous explique tout ici (et non, vous ne serez pas sale pour autant).
L’équipe Loom

 

samedi 20 août 2022

Vivre : l'artisan

 
L'humaniste Jacob Ziegler / Wolfgang Huber / KHM / Vienne
 
L'homme est toujours le même. Plus de dix ans ont passé, mais il est toujours le même. Il pèse ses mots (on dirait qu'il manque parfois de vocabulaire, il reste dans l'à-peu-près, il tâtonne en cherchant le terme adapté comme tous les gens dont la principale activité est d’œuvrer avec leurs mains et de veiller à travers elles à ce que les choses soient bien ajustées). L'homme est de ceux qui inspirent confiance, qui comprennent au premier coup d’œil, qui disent : non, mais non, ça ira comme ça. L'homme trouve tout à fait justifié de prendre son temps et que son temps ne soit pas forcément converti en argent. Il a quelque chose de désuet dans son habillement, quelque chose d'emprunté dans son maintien. Quelque chose de noble dans son comportement. Il prodigue ses conseils sans chercher à vendre. Il semble venir d'un autre temps.
En le raccompagnant jusqu'à sa fourgonnette, on expire et on se sent étrangement rassurés. On se dit que tout bouge, tout semble vaciller, mais que tout ira bien tant qu'il y aura des personnes comme lui pour nous éclairer.

vendredi 19 août 2022

Lire : la félicité des "habitudes minuscules"

 

Dans les sociétés occidentales, notre degré d'activité a fini par nous définir. Être occupé, voilà de nos jours un passe-temps acceptable et reconnu socialement. Si notre emploi du temps est bien rempli, c'est la preuve que nous sommes importants et que notre vie a un but. Nous remplissons nos journées à ras bord de rendez-vous professionnels ou de mondanités. Nous sommes trop occupés pour partir en balade ou finir un livre. Nous nous cachons derrière l'excuse d'être débordés pour ne pas avoir à nous poser cette question cruciale : si nous ne sommes pas occupés, qui sommes-nous ? p.155-156
En y réfléchissant bien, il y a peu de livres qui ont été essentiels pour moi. Quoi qu'on en dise quand on nous pose la question, les livres qui comptent le plus ne sont que rarement des chefs-d’œuvre (même si on aime à citer Flaubert, Molière ou Dostoïevski, dont on apprécie le style et le génie). L'Art de la simplicité est un de ces fondamentaux. Je me souviens que quand il est sorti en 2006 le sujet du minimalisme et la remise en question du consumérisme à outrance n'étaient pas encore à la mode. J'avais demandé le bouquin pour Noël et quelques uns s'étaient gentiment moqués (ce qui ne les a pas empêchés, au fil des années et des succès en librairie, de devenir des adeptes du less is more, du Japon et du minimalisme).
L'Art de la simplicité est un livre bourré de défauts : plutôt mal écrit et assez mal construit, contenant trop de citations, d'affirmations péremptoires et de conseils à l'emporte-pièce. Il n'empêche qu'il a eu un rôle déterminant dans ma vie en me faisant réfléchir sur mes valeurs et la valeur que j'entendais donner à mes possessions. Il a fortement influencé ma manière de vivre au quotidien. Il m'a, entre autres, permis de concevoir notre maison avec deux architectes que j'ai maintes fois priés d'épurer leur copie et de rechercher des matériaux solides et locaux pour toutes les étapes de la construction (je me souviens d'un plan absurde créé par un paysagiste très tendance, qui prévoyait un jardin zen alors que nous jouxtons une forêt tout ce qu'il y a de plus indigène).
Au fil des années, je me suis procuré les différents ouvrages de Dominique Loreau, laquelle en amplifiant ses idées, a amélioré son style et ses argumentations. Là, je viens de terminer L'héritage du temps dans lequel elle développe les idées d'il y a quinze ans à la lumière de l'évolution exponentielle de nos diverses dépenses énergétiques, celle du numérique entre autres. 
L'acte de résistance sera de remettre l'humain au centre du jeu ; de protéger sa sensibilité, son intuition. Il faudra cesser d'être toujours plus compétitif et retrouver plus de moralité. Comment vivre en s'appuyant sur un futur que nous ne connaissons pas ? Le passé est le seul et unique guide qui pourra nous aider à avancer et évoluer vers un monde auquel nous aspirons tous, en réalité, du fond de notre cœur. p.251
Le reflet de la réalité est devenu plus important que la réalité elle-même. Un exemple de ce mal qui nous frappe est la frénésie de la photo souvenir. Ce qui compte aujourd'hui pour des millions de personnes, ce n'est plus l'instant, mais sa capture numérique. Le présent ne prend sens que sous forme d'un souvenir pixélisé. Ils ne sont finalement présents nulle part et c'est comme s'ils détestaient le réel, sa complexité, ses défauts, son imprévisibilité faite de hasards déroutants. Le numérique, lui, est tellement parfait ! p.231-232
Nous sommes tellement distraits par la personne que nous voudrions être ou que nous croyons être que nous perdons de vue qui nous sommes vraiment.p.209

Avec cet ouvrage, l'essayiste puise dans nos usages d'avant la mondialisation pour trouver des comportements sages et fournit plusieurs pistes permettant de continuer la démarche d'élagage qu'elle recommande depuis toujours. A certains égards, on pourrait continuer de lui adresser quelques reproches : elle a l'art d'enfoncer des portes ouvertes; elle idéalise le retour aux "bonnes vieilles habitudes d'autrefois" au point de paraître passéiste et brandit le vintage comme une panacée; elle peut pousser ses raisonnements jusqu'au manichéisme. Cela étant, la lire donne à réfléchir si l'on souhaite remettre en question nos modes de vie contemporains, parfois absurdes et tyranniques, et trouver plus de cohérence dans les domaines sur lesquels nous avons quelque prise.
 
On apprend que Dominique Loreau n'a pas une opinion très favorable des médias (responsables de "l'info-obésité") ni des banquiers (et du sien en particulier), qu'elle préconise les paiements en espèces (en quoi on serait d'accord avec elle, s'il n'y avait eu depuis la parution, en 2019, l'expérience Covid et la praticité du règlement par contact). Elle prône également un usage très limité des outils numériques, susceptibles de nous affaiblir physiquement et mentalement et par le biais desquels nous pouvons être dangereusement manipulés.

Bref : un livre de vulgarisation qui met en garde contre les méfaits du capitalisme délirant sur notre vie quotidienne. Rien de bien nouveau sous le soleil, mais une salutaire piqûre de rappel contre des habitudes que nous avons peut-être trop facilement intégrées. Une série de questions que nous ferions bien d'examiner. Une invitation à prendre du recul pour mieux consommer, et, consommant mieux, pour mieux profiter des richesses de notre seule, notre merveilleuse vie.
Trop de choix ne nous rendent pas plus heureux[...] ...si pouvoir faire des choix est une bonne chose, trop en avoir crée de l'anxiété, contribue au stress et génère trop souvent du mal-être [...]Nous nous sentons constamment responsables de nos éventuels échecs. Nous devons aujourd'hui choisir notre façon d'être au monde. Tout cela occupe, dit-on, 20% de notre "temps mental". Tant de choix à faire nous paralyse et nous laisse insatisfaits.[...] Avoir moins de choix à faire, c'est aussi un choix. p.102,105,110
 
PS : la félicité des "habitudes minuscules", est un titre en page 153, emprunté aux "tiny habits" de JB Fogg, un sociologue américain travaillant à l'Université de Standford et qui propose d'améliorer sa vie par le biais de petites habitudes quotidiennes permettant d'atteindre des objectifs prioritaires.. 
 

mercredi 17 août 2022

Vivre : retrouvailles

 

Après une journée de vent,
dans une paix infinie,
le soir se réconcilie
comme un docile amant.

Tout devient calme, clarté...
Mais à l'horizon s'étage,
éclairé et doré,
un beau bas-relief de nuages.
 
R.M. Rilke, Après une journée de vent, in : Quatrains valaisans, dédiés à Jeanne de Sépibus-de Preux, 1924 
 
 
comme de vieux amis, de vieilles connaissances, les retrouver après une si longue absence...
 

mardi 16 août 2022

Vivre : still life / 119

 

Avec les soldes, la série "Prenez-nous pour des cons" continue et rempile pour une nouvelle saison. L'été dernier, après de nombreuses recherches, j'avais finalement trouvé sur le Net "la" paire de palmes identiques à mes bonnes vieilles compagnes de natation, lesquelles rendaient l'âme au bout de 25 ans de bons et loyaux services. Lors de ma recherche d'un modèle destiné à les remplacer, j'avais cru me perdre tant cet objet, censé me permettre de simplement évoluer avec plus de sécurité en milieu aquatique ouvert, avait pu se développer au cours des années. 
On trouve à présent non seulement toutes sortes de modèles, de couleurs, mais aussi toutes sortes de formes et de fonctions, telles les voilures inclinées destinées à "tonifier l'arrière des fessiers". Un univers, ai-je appris, voué à muscler (en profondeur), fortifier (sangle abdominale, jambes et postérieur), renforcer (tous les muscles associés, car nager ne suffit plus, il s'agit de travailler, faire travailler et rentabiliser), le tout assorti naturellement à la couleur des maillots, des lunettes et des bonnets. Bref, quand finalement j'ai déniché la paire identique à la précédente (disponible dans ma pointure) j'étais aux anges. D'autant plus que l'entreprise qui les vendait se trouvait en France et donc pas à l'autre bout de la terre. Seulement voilà...
Depuis ma commande, me voici inondée de propositions de... palmes, justement, et autre matériel associé et ce de manière systématique, une à deux fois par semaine. Le message d'hier était trop drôle : "Vous cherchez des réductions?" me demandait-on. "En voici..." Les gens ne sont plus censés chercher quelque chose d'utile, qui réponde à leurs besoins, non, il est prévu qu'ils cherchent à tout prix des réductions. Réduction de quoi ? s'interroge-t-on. On dirait bien que c'est notre cervelet que les algorithmes crétins cherchent à réduire comme peau de chagrin. Une fois les spams du jour supprimés, suis partie faire quelques plongeons en attendant de voir venir les prochaines inventions.
 

lundi 15 août 2022

Vivre : jour anniversaire

 
 
quand je lui murmure

qu'il est mon seul soleil


je lui mens effrontément
 

dimanche 14 août 2022

Vivre : nager avec une libellule

 
Couple (détail) / Cecily Brown / 2014 / collection privée
 
sortir 
de l'eau
toute à la joie 
de la baignade
se dire 
qu'il n'y a
il n'y a qu'à
être soi

samedi 13 août 2022

Regarder : les belles images

 
Bombay / India / 2003 / Steven Mac Curry
 
Un été comme ça : plusieurs semaines à rester paresser dans et autour de la maison, entrecoupé de quelques excursions. Un été qui rappelle les interminables étés de l'enfance, quand les heures s'étiraient, longues, longues, et les jours aussi et qu'on comptait le nombre de fois qu'on ferait "dodo" avant de pouvoir partir nous aussi en vacances.
Un été comme ça : un été à se tourner tous les matins en direction du soleil, à partir nager vigoureusement dans des courants clairs, à scruter avidement le ciel et ses avares nuages, à rester sereinement lire, face à la forêt et ses scintillants feuillages. A découvrir aussi toutes sortes d'images. 
Ce matin, suis tombée sur celles de Lyndsey Addario, une photojournaliste étasunienne multiprimée, travaillant pour les plus prestigieux magazines et qui vient d'être mise à l'honneur par la School Visual Arts de New-York, laquelle lui consacrera une rétrospective entre le 2 septembre et le 29 octobre prochains.
La photographe est douée, elle connaît son métier, elle a pris tous les risques pour l'exercer. On regarde ses reportages, dont les sujets sont aussi poignants que leurs couleurs sursaturées. Des représentations parfaitement construites. Saisie d'un vague malaise, on hésite. On se demande si l'horreur peut flirter avec l'esthétique, si la séduction aide à regarder l'effroyable en face ou si au contraire elle contribue à l'effacer. On réfléchit : qu'est-ce qui frappe, qu'est-ce qu'on regarde en premier : le désastre exposé ou l'élégance sophistiquée ?
On s'est déjà posé des tas de fois la question. On n'a jamais vraiment réussi à répondre. Il est possible qu'une image soit splendide et poignante tout à la fois, mais peut-être qu'en matière de photojournalisme l'esthétique, quand elle est trop recherchée, finit par détourner insensiblement le spectateur du but premier : témoigner pour sensibiliser, c'est-à-dire faire émerger l'identification en même temps qu'un désir de mobilisation.
Lyndsey Addario s'explique dans une courte vidéo : pour elle, une image doit être attractive pour que les gens ne soient pas tentés de tourner la page, de ne plus regarder, assommés comme ils le sont par quantités d'informations perturbantes et déprimantes. Une image doit donner envie de regarder, elle doit attirer l'empathie. Difficile de trancher. Sans douter de la sincérité de cette photographe, de son travail militant et de son courage, je constate que trop de couleurs ripolinées, trop de perfection neutralisent en moi l'aptitude à l'émotion. En d'autres termes, trop de beauté tue la capacité à la solidarité.
 
Article du Guardian / paru le 12.08.2022 / ICI
Autobiographie de la photographe : "Tel est mon métier", Fayard, 2016, Paris
Interview de Télérama lors de la sortie du livre ICI
 

vendredi 12 août 2022

Vivre : à contrepied

 

La Vieille / Giorgione / Gallerie Accademia / Venezia
 
En ville, tout le monde connaît la femme. Tout le monde la voit arriver de loin et, s'il le peut, s'en éloigne. Ceux qui ne la connaissent pas encore se voient insultés s'ils osent se trouver sur son chemin, ou lui proposer de l'aider quand elle a trop à porter. La femme parle fort pour vitupérer, critiquer, exiger. A entendre son ton cassant, les gens ont instinctivement envie de se casser. Autour d'elle, depuis longtemps, le vide s'est fait. Ne restent que son pharmacien, ou son assistant social, ou quelque malheureuse caissière pour devoir se la coltiner.
Bref, la femme est imbuvable et il n'est pas rare d'entendre des gens exaspérés la remettre à sa place avec vivacité. A l'observer, on dirait qu'elle fait tout pour se faire rejeter (et y parvient au-delà de toute espérance).
L'autre jour, elle est arrivée à la bibliothèque et a tout de suite exigé de parler à Monsieur G. (toutes les autres employées sont pour elle des décérébrées qui ne comprennent rien à ses demandes et qui, de guerre lasse, l'ont orientée vers le dernier collègue qu'elle n'avait pas encore usé). Monsieur G. s'est alors avancé et a dégainé son arme secrète, l'arme la plus efficace contre notre peste : il l'a accueillie avec un immense sourire. Oui, il la comprenait. Oui, la vie était dure et oui, il était prêt à tout faire pour la lui faciliter. A chaque exigence, il répondait "oui, bien sûr". Il était tellement aimable qu'on l'aurait cru en conversation avec la reine d'Angleterre, ou le pape François, ou un prix Nobel, ou une Miss Univers (Monsieur G. n'est nullement un flagorneur, il irradie naturellement la joie de rendre service, il travaille avec bonheur).
Ce jour-là, on n'a pas entendu la femme râler : totalement neutralisée par cette reconnaissance qu'elle avait tant sollicitée sans jamais avoir pu la trouver.

jeudi 11 août 2022

Vivre : l'art de la modération

 
Portrait d'un jeune homme / Hans Memling / Accademia / Venise
 
Il aime que tout soit lisse, aimable, que rien ne dépasse, que rien n'attache. Sa culture est éclectique, sa conversation policée, ses intérêts variés. Entre paysages et gastronomies, il s'adonne à survoler. Il veille à souligner avec élégance ses emballements et à atténuer tous ses désappointements. Ses envolées font du rase-motte, ses colères sont plus que discrètes. On peut lui parler, bien sûr, il est prêt à tout écouter, c'est bien normal, pourvu qu'au final la situation puisse réintégrer l'ordre initial. Il a mis au point bon nombre de stratégies : il sait quand sourire, et quand se taire, et quand baisser les paupières. Il va sa vie, ainsi, entre petites contrariétés et bonheurs à sa portée. On le regarde rejoindre son quai en lui souhaitant de pouvoir continuer de vivre sous des climats tempérés.

mercredi 10 août 2022

Vivre : en sa compagnie

 
détail fresque / G.B. Tiepolo / La Residenz / Wurzburg

 
Caramba! Il adore se rouler dans les champs. Il s'y roule avec bonheur et ce bonheur fait plaisir à voir. Vraiment. Sauf que... 
ces derniers jours, entre deux récoltes, et de part en part, les paysans ont épandu leur fumier... un fameux fumier... dès lors... 
il flotte dans ma voiture... sans parler de notre habitat... sans compter notre chambre (où il aime passer nous souhaiter une douce nuit)... 
une délicate senteur de... vie campagnarde... une authentique émanation de patrimoine sensoriel... supérieure à n'importe quel Chanel...

mardi 9 août 2022

Regarder : deux grands d'Espagne

 

Horta de Sant Joan / 1898-99 / Museu Picasso / Barcelona
 
Greco, Velazquez, INSPirARme, écrivait le tout jeune peintre sur ses esquisses alors qu'il n'était âgé que de 17 ans. Le Kunstmuseum de Bâle présente une mise en regard d'un certain nombre de peintures du Greco et de Picasso, ce qui permet de fascinants face-à-face.

Portrait de vieil homme, MET, New York

Autoportrait, 1901, musée Picasso, Paris
Pour moi, il n'y a pas de passé ni d'avenir en art. Si une œuvre d'art ne peut vivre toujours dans le présent, il est inutile de s'y attarder. L'art des Grecs, des Égyptiens et des grands peintres qui ont vécu à d'autres époques n'est pas un art du passé ; peut-être est-il plus vivant aujourd'hui qu'il ne l'a jamais été. Pablo Picasso, conversation avec Marius de Zayas, in : The Arts, New York, mai 1923.
Pablo Picasso s'est toujours dit très influencé par les maîtres anciens. Il les a beaucoup admirés, copiés. Il s'en est inspiré. Toutefois, il est difficile de comprendre à quel point et par quels biais s'est réalisé cet héritage : thématiques, formes, postures, ou autres. Chaque spectateur est libre d'observer et de relever des liens, au fil d'une démarche plus ou moins subjective. 
Au musée de Bâle, certaines salles présentaient des filiations qui pouvaient paraître évidentes :
 
L'Adoration du nom de Jésus / National Gallery / Londres
 
Évocation (Enterrement de Casagemas) / Musée d'Art Moderne / Paris
 
Portrait d'un Homme / Musées d'Amiens

Buste d'un homme / Fondation Almine et Bernard Ruiz-Picasso pour l'Art / Madrid

D'autres rapprochements parvenaient plus difficilement à convaincre, à moins que l'on ne décide de voir dans toute jeune famille une Sainte famille ? :

La Sainte Famille avec Sainte Anne et St Jean-Baptiste enfant / Musée du Prado / Madrid


Homme femme et enfant / Kunstmuseum / Basel
 
Une chose est certaine : aucun artiste ne part depuis un point zéro de l'art (sauf peut-être ceux qui appartiennent aux courants de l'Art naïf ou de l'Art brut). L'artiste se forme. Il regarde. Il s'inspire. Il copie (copier devient un acte d'appropriation, qui permet d'entrer sinon dans la peau, du moins dans le pinceau et la démarche du prédécesseur). Et puis, s'il a du talent, de la personnalité, il tend vers son propre langage, c'est-à-dire qu'il métabolise l'ensemble des influences reçues et s'en libère en développant sa manière particulière. 
 
(Ce processus, du reste, concerne tout domaine de production humaine, et dépasse largement les frontières de la création artistique)
 
Parcourant les diverses salles, l'exposition m'a surtout permis d'approcher certaines toiles du Greco, un peintre que je connais mal et qui, répondant aux canons de la Contre-Réforme, m'a toujours paru terriblement austère, avec sa palette devenant au fil des années toujours plus restreinte et sombre, avec ses sujets religieux de plus en plus allongés, dématérialisés, et ses visages de nobles terriblement sévères. 

Si ses portraits d'hommes de cour sont peints avec un grand réalisme et une grande sobriété, ses tableaux religieux surprennent par leur imprécision, leur prise de liberté avec une stricte figuration, comme si par la distance avec les proportions et la réalité, il voulait marquer les différences entre le monde terrestre et le monde spirituel. Ainsi, la main de ce Saint Hildefons pouvait sembler carrément désarticulée : 


Finalement, le personnage qui m'aura le plus marquée est ce "gentilhomme âgé" sur le visage duquel j'ai perçu un éclair d'ironie, comme s'il se livrait à un jeu en posant pour le peintre et s'il voulait l'inviter à un peu de distance et de facétie.

Gentilhomme âgé / Musée du Prado / Madrid

lundi 8 août 2022

Vivre : mauvaises manières

 

Annoncé, espéré, attendu, entrevu, promis, pressenti,
l'orage, loin de faire grise mine, a jauni, rosi, mauvi, puis,
le coquin, s'est barré, nous a snobés pendant toute la soirée.
Ahuris, ébaubis, on l'a vu qui partait dégoutter ailleurs,
avec une désinvolture digne du dernier des malappris!

dimanche 7 août 2022

Vivre : les masses critiques

 
Tête de femme de profil (Fernande) / 1906 / Pablo Picasso / coll. privée
 
Ok, ok. Il y a mille raisons de critiquer, de s'insurger.
De déceler, de pointer et, une fois qu'on a pointé, de contester. 
Mais... les merveilles ruisselantes du monde... et...
parmi toutes ces merveilles, les éclats d'humanité... 

samedi 6 août 2022

Vivre : tout s'éclaire

 
 Détail candélabre / sacristie / église San Zaccaria / Venise
 
Il y a ces gens - souvent des inconnus - de vrais médicaments :
à les voir sourire, avec leur visage ouvert, leurs mots clairs
on se sent revivre et on sourit en retour à ces êtres de lumière.

vendredi 5 août 2022

Vivre : émergences

 
 
buste de femme / Wilhelm Lehmbruck / Kunstmuseum / Bâle
(derrière : portrait de Dolly / Kees van Dongen)

Ces heures, ces jours où l'enfance se réinvite,
souvenirs pas toujours légers, pas forcément tristes,
coups de poing d'hiers qu'on croyait archivés,
ces heures, ces jours où l'on se penche sur le passé
pour mieux le connaître et se connaître et se panser.

jeudi 4 août 2022

Regarder : la vie en couleurs

 
@ Paul Reinhard / site du Guardian / 03.08.22
 
The Guardian sélectionne et publie régulièrement les meilleures photos envoyées par ses lecteurs.  
C'est ICI.
J'ai trouvé celle-ci tellement vitaminée que je ne peux résister à l'envie de la partager. 
 

Habiter / Vivre : ranger (encore)

 L'atelier inspirant de Nicolas de Stael
 
La canicule me confine pour une journée à la maison. Une fois le chien promené, il me reste juste assez d'énergie pour m'asseoir et considérer longuement le petit bureau rouge dédié au dessin et à l'administration. 
 
A le découvrir si encombré, je décide de me mettre à élaguer : la table vermeil est parsemée de crayons et de carnets, la bibliothèque bien trop chargée de classeurs et de boîtes en carton dont le contenu me semble désormais vague (pourquoi lors de mes tournées régulières ai-je continué de les laisser en l'état ? Mystère et boule de gomme : une maison est un être vivant en constante évolution et dont la logique, qui devrait être la nôtre, nous échappe souvent).

Élaguer signifie aller à l'essentiel. Élaguer signifie aussi se délester pour pouvoir avancer. C'est oser choisir, oser se séparer. Ce n'est jamais une démarche anodine. 

Je débarrasse tout ce qui heurte mon regard et peu à peu la bibliothèque aux trois quarts vide retrouve son élégant fond grenat. Elle fait plaisir à voir. J'y dépose au compte-goutte des livres qui me tiennent à cœur, des livres à relecture. Je décide ensuite que ma PAL sera dorénavant horizontale, elle tiendra dans un casier de 45 centimètres, pas davantage : les livres supplémentaires devront aller se faire lire ailleurs. 
 
Quant aux classeurs contenant les notes de mes formations, je réalise que je reste très attachée à ce que j'ai appris en matière de bilans de compétences (les miens, ceux que j'ai accompagnés). Ce sont des témoignages qui allient la profondeur du contenu à la grâce du contenant (des esquisses, des photographies, des signets personnalisés). Les années ont passé, mais leur qualité les rend toujours agréables à parcourir. En revanche tous les documents concernant la Mindfulness, un domaine où je me suis formée essentiellement par l'expérience et très peu par la théorie, m'apparaissent à présent comme des tas de photocopies inutiles. On trouve suffisamment de ressources sur internet et dans quelques livres basiques. Quelques références suffiront dans des dossiers informatiques. Exit!

Je vire tous ces attrape-poussière, des kilos de papier rejoints par des enveloppes dépareillées, de vieilles boîtes déformées, des cahiers à moitié griffonnés, des cartes postales, vieux souvenirs ternis. Trop de choses privées de sens ont trouvé refuge ici. Je descends à la cave les justificatifs qu'apparemment il s'agirait de garder pendant dix ans (ce faisant, je me demande si vraiment il faut garder tous ces papelards une décennie. Qui a édicté ce genre de règle, quand et pour qui ? Il faudra que je me renseigne et qu'ils fassent l'objet d'un nouveau tri).
 
A la fin de la journée, le petit bureau pimpant est devenu stimulant. Éclairé par une fenêtre haute, c'est le seul endroit de la maison d'où on ne voit pas le lac. On peut y travailler sans être distrait par le paysage. Il donne à nouveau envie de s'attabler et de se mettre à l'ouvrage.

mercredi 3 août 2022

Vivre : y aller

 
Pietà avec trois anges (détail) / Antonello da Messina / Museo Correr / Venezia
 
Énorme, la difficulté ?
Commencer par un pas.
Une tâche. La plus infime. 
L'infime finira par effriter.

mardi 2 août 2022

lundi 1 août 2022

Vivre : et pourquoi donc

 
L'Homme qui chavire, l'Aménophis et un portrait d'Annette / Musée Granet / Giacometti / Aix-en-Pce
 
Quel besoin d'envies, alors que l'essentiel tient à nos seuls besoins ? 
Comme un papillon tournoie sur la terrasse, l'envie voltige et s'envole : 
pourquoi donc ne sommes-nous pas en mesure de la laisser s'en aller, 
virevolter, tandis que nos besoins, eux, resteraient bien ancrés ?
Pourquoi ce monde où les envies prennent le pas sur les besoins ?  
Quelles exigences pressantes doivent-elles obstinément combler ?