mercredi 30 novembre 2022

Vivre : la vie devant soi

 
 
 Double igloo de Porto (1998) / Mario Merz / Cour d'honneur / Venaria Reale / Turin
 
Certains se plaignent de l'ennui qui se présente à eux
- tant de propos, de gens, de sujets assommants... -
ils oublient que la plupart du temps l'ennui est un produit du dedans. 
  

mardi 29 novembre 2022

Vivre : il fait soleil dès le matin

 
 
Le silence uni de l'hiver
est remplacé dans l'air
par un silence à ramage ;
chaque voix qui accourt
y ajoute un contour,
y parfait une image.
Et tout cela n'est que le fond
de ce qui serait l'action
de notre cœur qui surpasse
le multiple dessin
de ce silence plein
d'inexprimable audace.


Des biches à nos fenêtres quêtant de quoi déjeuner, 
des corbeaux sur la terrasse semblant nous interroger, 
le Jura en traits surlignés : l'hiver a pris ses nouveaux quartiers. 
Et Rilke, naturellement, Rilke.
 
Vergers / poèmes en français / n°47

lundi 28 novembre 2022

Regarder : le vaste monde de Constable

 
 
Il disait : Le monde est vaste; il n'y a pas deux jours pareils, ni même deux heures.
(il n'a jamais vraiment quitté l'endroit où il est né, et, s'il lui est arrivé de faire une incursion
dans la région des Lacs, au Nord-Ouest de l'Angleterre, il n'y a pas réalisé de peinture : cela l'angoissait)
Dans ses tableaux, il s'agit de se pencher, pour parvenir à observer, 
trouver tous les détails qu'il s'est appliqué à dessiner.
 
Fen Lane / East Bergholt / 1817
 
 
Il disait :  Le ciel est ´source de lumière' dans la Nature et gouverne toute chose.
Sa peinture, au premier regard, peut paraître classique, une brin convenue, presque ennuyeuse.
On serait tenté de lui préférer son contemporain Turner, capable d'excès et de grandes envolées,
 tellement plus audacieux, plus moderne, mais...
 
 Étude de nuages / 1822

La mer près de Brighton / 1826 / Tate / UK
 
Il faisait siens ces propos de son collègue Benjamin West : Souvenez-vous, monsieur, que les lumières et les ombres ne sont jamais immobiles. 
 
Amoureux de la nature (une nature accueillante et bienveillante, éloignée des grands effets du "sublime"), il peignait en plein air. On peut le définir comme un peintre romantique, ou affirmer qu'il est un précurseur des Impressionnistes. On peut. Mais on est aussi libre, sans l'étiqueter, de prêter à ses toiles toute l'attention qu'elles méritent, de porter son regard sur les mille finesses qui constituent l'ensemble de ses toiles. Ainsi, cette vue de Brighton :
 
 Chain Pier / Brighton / 1826-27 / Tate / UK / 1270 × 1829 mm
 
 


Plus on s'approche et plus on y distingue des choses. C'est fascinant. Tout un univers s'ouvre à nous. Constable nous apprend qu'il n'y a rien de banal, que tout mérite qu'on s'attache à scruter. 
 
Certains peintres font des recherches à l'horizontale, explorent, changent, évoluent. Certains autres, creusent, reviennent sur le motif, trouvent toujours matière à expérimenter, à revoir, à percevoir encore et encore cent raisons de s'extasier. 
 
 John Constable. Paesaggi dell'anima, Venaria Reale, Torino, jusqu'au 5 février 2023.
 

dimanche 27 novembre 2022

Vivre : noir et blanc

 
 
Tandis que je parcourais les vastes couloirs désertés, je me rappelai soudain qu'on était le Black Friday, lequel serait suivi par le Black Saturday, tous deux faisant partie de la Black Week, et songeant à tant de noirceur annoncée, je profitai de la lumière et de l'espace qui m'étaient proposés.

samedi 26 novembre 2022

Vivre : l'attente


 

Pas fan de Noël, absolument pas. Je n'aime ni les magasins bondés, ni les cadeaux trop vite et trop mal castés, ni les dépenses inconsidérées (ces festivités à la chaîne tellement anticipées, qu'on finit par s'en lasser avant de les avoir savourées). Ni les familles tout sourires qui font tout bien dans la tradition (images d’Épinal, dinde aux marrons, bûche et enfants blonds), ni le fait que des tas de gens vont se sentir exclus (qui vont penser à tout ce qu'ils n'ont jamais eu ou à ce qu'ils n'auront plus). Quant au sens profond de la Fête, cet espoir de renaissance qu'on nous refourgue chaque année, il sent de plus en plus le réchauffé.

Pas fan de Noël, mais l'idée que ce sera juste dans un mois me met dans un étrange état. C'est peut-être une piqûre de rappel, l'enfance qui remonte par bribes et se réveille. C'est peut-être la nuit qui tombe beaucoup trop vite sur un trop-plein de lumières. C'est un bizarre magma :  une douleur lancinante rappelant les hivers d'autrefois, l'illusion qui pulse au risque d'être déçue, le rappel d'un bonheur perdu. C'est ce temps suspendu, c'est une pause attendue, l'audace d'espérer quelque chose de fou, c'est la possibilité d'un rêve. Oui, c'est peut-être simplement cela : le symbole du Père Noël quand on s'aperçoit qu'on n'a jamais cessé d'y croire, dur comme fer, qu'on veut lui écrire et que cette année encore on scrutera le ciel pour ne pas le manquer quand il se présentera.

vendredi 25 novembre 2022

Vivre : stress de novembre

 
 Fabienne Verdier / Les énergies blanches / Nuit fluide / 2018

Petite entaille au pouce en ouvrant l'emballage de café. Trébuchement sur un vêtement mal rangé. Branches hostiles dans la forêt. Oubli du sel dans la brioche beurrée. Ces petits riens, ces trois fois rien sont des messagers. Le corps et les choses viennent nous parler : recentre-toi, apaise-toi, prends le temps d'être là, dans ta vie et de regarder le ciel qui flamboie.

jeudi 24 novembre 2022

Vivre : yoga matinal

 

Le Jura étire ses bancs au réveil  
ne manque jamais de saluer le soleil

mercredi 23 novembre 2022

Vivre : still life / 123

 

Novembre : généreux en pluviométrie, avare en éclaircies, longue traversée de la nuit. Or, il se trouve que cette année P. a décidé de faire l'impasse sur l'heure d'hiver, par on ne sait quelle lubie. En pleine forme dès cinq heures et demie, il tient à nous en informer, montant et descendant les escaliers, agitant ses médailles, secouant allégrement ses membres engourdis.
Hum. On a beau tenter d'ignorer, se retourner, et feindre de dormir : rien n'y fait. On finit par se mettre en chemin sous les étoiles (ou les nuages, ou la pluie) rejoindre les rives et leurs tranquilles clapotis. Mais pas question de négliger l'indispensable torche, car si, sur notre trajet, une souche ou une branche peuvent être traitresses, un conducteur trop pressé pourrait aisément nous précipiter dans un fossé. Voir et être vus en ce mois scélérat est une règle absolue.

Pas après pas, la contrariété cède peu à peu face à la beauté des lieux. L'heure bruisse d'ombres, de souffles et de cris. Nous atteignons la plage et ses flots aux tremblements argentés. On dirait que la lune s'y est dissoute en descendant s'y baigner. Ça et là, une fenêtre éclaire un jardin, branches flottantes, brumailles dansant dans le vent du matin. Au fond de leur cuisine, quelques vagues silhouettes encore prises par leurs rêves chancellent vers leurs cafetières. L'autoroute au loin ressemble à un long collier dont le lac se serait paré. Les poules d'eau poussent de grands cris à notre passage, toute la colonie se met sur le qui-vive, nous voici transformés en génies patibulaires, en potentiels envahisseurs et nous nous hâtons de disparaître dans la cariçaie. 
 
Il y a quelque chose de magique dans le jour qui s'efforce de percer, des lueurs qui glissent, remplies de promesses, des prémices qui passent, qui poussent, se font peu à peu place pour nous signifier que la noirceur n'existe pas.
A la fin de notre balade, un voile se soulève : nous rentrons avec la certitude que la journée est prête à commencer. La nuit sur le point de faiblir, se rend et accepte enfin de laisser la lumière survenir. Oui, nous rentrons réconfortés : le noir n'existe pas, ne peut pas exister et les arcs-en-ciels ne vont pas tarder à nous le prouver.

mardi 22 novembre 2022

lundi 21 novembre 2022

Vivre : keep cool

 
Femme au divan / Henri Matisse / Kunstmuseum / Bâle
 
Paradoxe qui ne cessera jamais de surprendre :
la rapidité avec laquelle on exécute des tâches entamées avec lenteur, ou avec désinvolture,
tandis que les efforts pressés et saccadés ne portent qu'à maints déboires et contrariétés. 
 
 
 

dimanche 20 novembre 2022

Lire : autodérision

 
 
Tom Gauld est un illustrateur et créateur de bandes dessinées britannique, dont on peut parcourir les planches dans des journaux tels que le New Yorker, le New Scientist ou le Guardian. Il vient de sortir aux éditions 2024 La revanche des bibliothécaires, un recueil de ses dessins publiés durant la période Covid dans le cahier littéraire de ce dernier journal.
 
Contrairement à ce que suggère le titre, le contenu ne concerne pas seulement des bibliothécaires, ni même des libraires, mais aussi des éditeurs, des écrivains, des aspirant écrivains et des aspirants lecteurs (sans oublier des bébés, des oiseaux et de chats de librairie).
 
C'est souvent drôle. Toute personne concernée de près ou de loin par le phénomène qui consiste à tenter de lire et à se piquer d'écrire peut y reconnaître ses tares et ses divers travers. Petite sélection en toute subjectivité :
 



 
Enfin, en pleine période de distinctions littéraires, comment résister à celle-ci, publiée sur le site du Guardian la semaine dernière :
 J'ai le grand plaisir de vous annoncer, qu'après un débat animé, le jury a choisi son livre de l'année...
The Guardian / 12.11.2022
 
 


samedi 19 novembre 2022

Vivre : écouter et surtout entendre

 
  Le martyre de Ste-Cécile (détail) /Henri Bouchet-Doumenq / Musée Calvet / Avignon
 
Qu'est-ce que l'amitié, sinon une manière d'être présente, toujours prête à comprendre, sinon à justifier ?  
Pas question de juger, pas question d'investiguer. Ne pas être "de son côté" mais toujours "à ses côtés".

vendredi 18 novembre 2022

Vivre : émissaires

 

l'arc-en-ciel civilisé ne manque jamais d'adresser ses avant-courriers 

jeudi 17 novembre 2022

Vivre : songer à la douceur

 

L'homme, solide, pour ne pas dire bien enveloppé, s'est approché du chien et a demandé s'il pouvait lui donner un biscuit au poulet. Il pouvait. Il a alors tendu la main vers P. qui frétillait. Il ajouté qu'il arrivait d’Écosse, qu'il n'était là que pour un jour, une halte sur le chemin de la Grèce où il partait passer l'hiver. Puis il s'en est allé sur l'esplanade rejoindre sa femme et son propre clébard, tout aussi enveloppés que lui, tout aussi rondouillets. 
C'est avec des yeux rêveurs que je les ai regardés s'éloigner.

Vivre : les limites

 Le martyre de Ste-Cécile (détail) /Henri Bouchet-Doumenq / Musée Calvet / Avignon
 
Elle est toute en générosité. Elle n'a jamais su compter, se ménager, se protéger. Novembre est arrivé, pulvérisateur d'énergies, et son corps a fini par la sommer d'arrêter. Arrêter de dire oui, d'accepter, de consentir à dépanner (juste une fois, juste pour quelques heures ou pour quelques journées). La voici au fond de son lit, désolée. Il y a ces trois lettres qu'elle a toujours tant de mal à prononcer : N-O-N.  Non, non et non! Elle pense et elle s'en veut de penser : "Laissez-moi tranquille dans ma maison. Je veux un nounours, du chocolat, je veux pouvoir m'occuper de moi!" Elle parvient tout juste à prendre un air penaud, des larmes errant sous ses paupières, et s'excuse encore et encore de pas pouvoir être à la hauteur. 

mercredi 16 novembre 2022

Vivre : petits échanges entre amies

 
Madone avec enfant entourée de saints (détail)/ Domenico Ghirlandaio et atelier / Museo San Matteo / Pisa
 
 
Elle a souri : Face à l'imbécilité et à l'arrogance, il s'agit d'ignorer avec élégance.
J'ai approuvé : Et peut-être créer ? Faire émerger l'harmonie, la beauté et le silence ?
 

mardi 15 novembre 2022

Regarder : loin de craindre le néant

 

La mort, la peur, l'effroi, de cette inconnue,
l'apprivoiser, la rencontrer sur la toile.
La peinture comme "être vibratoire"
de consolation, d'émerveillement.
Fabienne Verdier, planche 11,
 
***

La couleur est le lieu où notre cerveau et l'univers se rencontrent.
Paul Cézanne


Il y a trois ans, Frédérique Goerig-Hergott, la commissaire de l'exposition "Le chant des étoiles", était encore directrice du Musée Unterlinden quand elle a fait appel à Fabienne Verdier en lui demandant de venir établir un dialogue entre ses créations contemporaines et les collections du musée colmarien. L'artiste avait déjà répondu favorablement à ce genre de sollicitation, par exemple en établissant des ponts avec des peintures de la Renaissance flamande ou avec l’œuvre de Cézanne
 
Un premier volet du travail effectué par Fabienne Verdier est constitué de plusieurs œuvres ou séries d’œuvres, réalisées dans la dernière décennie par l'artiste et intégrées dans l'impressionnante collection alsacienne. Elles constituent ainsi un parcours fascinant, qui ne laisse pas de surprendre par les échos et les harmonies qu'elles génèrent. A lui seul ce premier pan mérite amplement une visite. Mais il y a plus.

Retable d'Issenheim / Résurrection / Annonciation
 
"Le chant des étoiles" est l'aboutissement d'un cheminement artistique et spirituel. Assez rapidement, parmi les nombreux trésors de la collection muséale, Fabienne Verdier a été aimantée par les parties "Résurrection / Transfiguration / Ascension" que le peintre Mathias Grünewald a exécutées sur trois volets de son œuvre maîtresse, le retable d'Issenheim.

 
 
Retable d'Issenheim / Transfiguration
 
Ce polyptique est un chef-d’œuvre de l'art occidental, célèbre pour la qualité de sa peinture, revêtant des aspects stylistiques non seulement exubérants mais aussi visionnaires que certains rattachent au surréalisme, célèbre également pour la complexité de sa construction, prévoyant deux ouvertures différentes et alliant la sculpture à l'exécution picturale.

Précisons que ce retable vient de faire l'objet d'une minutieuse restauration, entre 2018 et juin 2022, ce qui a permis de lui rendre toute sa luxuriance et sa majesté.


D'emblée, l'artiste est fascinée par l'auréole solaire sur laquelle se fond l'image centrale du Christ et se met à travailler autour de la question de la lumière et la circulation de l'énergie. Au cours de sa période d'exploration, elle fait une expérience marquante dans son jardin, qu'elle a racontée récemment lors d'une interview accordée à Laure Adler :
 
Tous les jours, il se passe quelque chose de nouveau, une percée dans l'inconnu, la poésie du jour. Je la capte, je m'engouffre. Je défends l'idée de la peinture comme un mystère, une énigme qu'on offre au monde. Se jeter dans le vide et voir ce qui se passe. La lumière est un grande aventure. Un jour, j'ai eu un accident en arrosant mon jardin, je pensais au tableau de la transfiguration de Grünewald (auquel j'ai travaillé pendant près de 4 ans) et le soleil arrive par derrière à 42° et tout à coup autour de mon corps surgit un arc en ciel parfait. Et c'était la première fois de ma vie que la lumière était là, apparue autour de moi, dans son spectre parfait. J'ai presque pris peur.
Comme le peintre est malheureux depuis des siècles et des siècles d'arriver à peindre la lumière, qui est ondes, particules, immatérielle, fugace, puisqu'il le fait au moyen de matière couvrante!
Avec mon petit téléphone portable, j'ai pris plein de petites images, j'étais fascinée et j'ai vu que c'étaient des particules, des grains de matière aléatoire, et j'ai commencé à remettre en question ma peinture et à essayer d'inventer de nouveaux tableaux pour parler des âmes sur le départ pendant cette épidémie de Covid que nous étions  en train de vivre, au travers des couleurs de l'arc-en-ciel.


 Fabienne Verdier, planche avec arc-en-ciel,
("ces carnets me permettent de continuer le voyage 
quand la peinture m'abandonne. J'y couche la poésie du jour.")

De cette rencontre avec un arc-en-ciel miraculeux, Fabienne Verdier en arrive à se centrer sur la composition de la lumière. Elle envisage de travailler les pigments magenta, cyan et jaunes comme le spectre lumineux en optique. Il en résulte 76 tableaux, qui sont exposés dans l'Ackerhof (ancienne ferme du couvent des Dominicaines, espace contemporain en forme de nef, extension du Musée Unterlinden et qui, situé de l'autre côté de la place du même nom, fait pendant à la chapelle où est présenté le retable d'Issenheim).

"Rainbows" (arcs-en-ciels) est le titre de cette œuvre immersive, car il s'agit bien d'une immersion dans un univers de lumière et de couleur que donne à voir l'artiste, dans un cadre qui semble inviter à la méditation. Tout l'enjeu de sa recherche est là : susciter la sensation de mobilité et de transparence là où de fait il y a matière (picturale) et immobilité.

8 des 76 tableaux constituant "Rainbows" dans la nef de  l'Ackerhof

Face à ces 76 tableaux, on se sent secouée par quelque chose de plus grand que soi, le pressentiment de réalités que l'on ne comprend pas. Une impression de basculer dans l'immensité de l'univers. Par le jeu des couleurs, appliquées par couches successives, les œuvres immobiles revêtent une apparence mobile. La peintre transmet les forces vives en mouvement.
Cette exposition remet en question la notion de mort telle qu'elle se présente dans nos traditions occidentales : pesante, effrayante, définitive. Voici ce que dit Fabienne Verdier à propos des conditions sociales, sanitaires et personnelles dans lesquelles sont nés ses "Rainbows" :

J'étais tellement malheureuse au début du Covid, par tous ces morts, chaque jour, dans le monde entier, qu'on ne pouvait accompagner et célébrer et j'ai redoublé de travail pendant trois ans. Je voulais créer des œuvres qui soient comme des icônes de consolation. J'ai refusé cette idée de la finitude. 
J'ai imaginé que la mort humaine pouvait se rapprocher de la mort d'une étoile.Celle-ci, en s'effondrant, implose, et de cet effondrement surgissent des microparticules de fluides gazeux  qui vont se dissoudre dans l'espace et de ces microparticules naîtront de nouvelles étoiles. J'ai trouvé très beau d'imaginer des peintures et d'offrir au monde cette idée qu'il il n'y a pas de finitude en soi mais que nous sommes des êtres en transformation constante.

 

 
En sortant de ces espaces, on se sent dans un état second : tellement de couleurs, tellement de sensations! parsemées ça et là de quelques intuitions... Oscillant entre le ciel et la terre, on a été confrontée à la mort et à son corollaire : la vie, qui se déploie de mille manières. On les imagine tellement imbriquées, indispensables, inévitablement complices. On pressent qu'on ne sait rien - ou si peu - et que tant de choses nous restent à découvrir sur ce monde étrange, et merveilleux, et incroyable dans lequel il nous est donné d'évoluer.
On constate que la nuit ne tardera pas à arriver, chargée de nuages et d'étoiles. On regarde la silhouette du cloître se profiler sur le ciel. On admire en face la sobre découpe de l'Ackerhof reconstruit par les architectes  Herzog et de Meuron en 2015. On quitte les lieux en se promettant de revenir, revenir bientôt pour revoir, pour retenter l'expérience, ouvrir tous ses sens entre émerveillement, bouleversement et apaisement.

lundi 14 novembre 2022

Vivre : longer la forêt

 
Retable des Dominicains (détail Noli tangere) /Martin Schongauer / Musée Unterlinden / Colmar

Dans les heures pales où la lumière peine à se frayer un chemin
- heures de novembre, noires, constellées de bulles de brouillard -
qui devinera la tendre clarté d'un chant d'oiseau à peine entamé ?
 
Dans les moments où le jour tangue, où déboule soudain la nuit 
- peut-on vraiment parler de jour, de nuit dans cet univers tout gris ? -
qui dira la beauté d'un seul cri, lancé depuis les arbres endoloris ?
 


dimanche 13 novembre 2022

Regarder : deux présences

 
double portrait d'hommes / Léon Zack / Musée Unterlinden / Colmar
 
Je n'avais pas prévu de m'arrêter devant ce tableau. Trop à faire, trop à voir, je devais brider mon regard. Mais je me suis sentie happée par ces deux figures masculines et leur charme discret. Il se dégageait une telle pureté de cette œuvre, une pureté teintée de mystère que je me suis vue contrainte à stopper net. Qui ou plutôt quelle réalité le peintre avait-il voulu évoquer par cette double représentation, si simple somme toute : deux hommes faisant face au spectateur, torse nu, restitué à hauteur des aisselles, se tenant l'un près de l'autre, ou plutôt l'un légèrement derrière l'autre, chacun regardant dans une direction opposée, fixant un point à l'extérieur de la toile, le premier à la hauteur de ses yeux, l'autre ayant l'air plus songeur, comme aimanté par une pensée ou sans doute un souvenir ?
 
Les deux personnages se ressemblent. Ils ont la même physionomie, le même visage aux traits réguliers et fins, presque féminins. L'un - celui de gauche - semble être jeune, très jeune, il paraît tout juste être sorti de l'adolescence. L'autre a toutes les  apparences de la maturité, un homme adulte, expérimenté, qui tient son visage légèrement penché en avant, comme si le poids des années qui le séparent de son compagnon l'avaient touché, marqué et - peut-être - blessé. Une part d'innocence semble l'avoir quitté.
 
Le jeune homme a les cheveux et les yeux noirs. On pourrait le qualifier de basané, n'était son teint pâle, qui lui donne un aspect fragile. L'autre possède une chevelure et des sourcils plus clairs, bruns tirant sur le roux et des prunelles au marron soutenu.
 
On s'approche. On scrute. On se demande d'où provient la fascination émanant de cette œuvre. Tient-elle à la manière épurée dont le peintre a exécuté ce double portrait ? Ou s'agirait-il plutôt du mystère enveloppant la relation entre ces deux personnages ? On s'interroge : si proches, seraient-ils des amis, se pourrait-il qu'une relation amicale, voire amoureuse les lie ? Mais on peine à le croire. Ils sont si ressemblants qu'on dirait plutôt deux frères, et, sans doute, vu la différence d'âge, un fils et son père. 
 
On reste un bon moment méditative devant le tableau. On est trois dès lors, figés, immobiles, trois personnes partageant une énigme que le titre se garde bien de dissiper. Finalement, on s'éloigne en se risquant à une hypothèse : le peintre, âgé de trente-neuf ans au moment de sa réalisation (en 1931) aurait-il voulu représenter un double de lui-même ? Aurait-il eu l'impulsion de tracer symboliquement  sa trajectoire, comme s'il repensait à ses jeunes années, à ses espoirs d'alors, ses rêves, ses attentes, que la vie s'était chargée entre temps de ternir, voire d'assombrir. Une question à éclaircir, des preuves à chercher, me disais-je, absorbée, tandis que mes pas m'emportaient vers d'autres réalités non moins captivantes à observer.


samedi 12 novembre 2022

Vivre : longue journée

 

Tellement submergée d'images, d'émotions et de tensions diverses,
- nuque raide, pieds en miettes, migraine latente, faim dévorante -
je n'ai pu que me coller à la rambarde et appuyer sur le déclencheur,
saisir ce moment que le ciel me tendait pour apaiser mes misères.
"Tiens, disait-il, regarde comme les choses peuvent être sincères,
et sereines, et évidentes, quand la nuit vient s'entremêler au jour,
quand les efforts cèdent peu à peu la place à l'éclat des souvenirs.

jeudi 10 novembre 2022

Vivre : apprentissages

 
Palazzo Mazzetti / Pinacoteca civica / Asti
 
 
Pouvoir reconnaître la compétence quand elle se présente devant soi : premier vrai pas vers le savoir ?
Ou alors serait-ce notre début de savoir qui nous aide à reconnaître ce qu'on voudrait conquérir ?


mercredi 9 novembre 2022

Vivre : la vie des villes

 
 Trisha Brown Company / Opal Loop / 1980 / photo de Babette Mangold / Arles 2022
 
Elle pleurait. Elle pleurait et quand ses sanglots se sont peu à peu apaisés, elle a fini par résumer la cause de cet immense chagrin : "J'aimerais vivre dans un monde où on me dit merci quand je tiens la porte."
A qui avait-elle tenu la porte ? Comment ? Et pourquoi avait-elle tant besoin de cette gratitude en retour ? Impossible de savoir. Alors on a gardé l'image de sa main, tendue pour aider quelqu'un qui trouvait ça normal, beaucoup trop normal, et qui s'est éloigné dans une indifférence totale.

mardi 8 novembre 2022

Lire / écouter : chansons et autres confidences

 

Depuis la rentrée, La Source, proposée tous les dimanches par Cécile Coulon est devenu un rendez-vous incontournable. Ces entretiens avec divers écrivains autour des origines de leur écriture, les lieux où elle surgit, sont particulièrement captivants. Peut-être que seule une personne qui écrit est en mesure de poser les questions essentielles, et CC sait le faire en toute simplicité, alternant les échanges avec des extraits pertinents.
 
Il y a quinze jours, elle a lancé à Laurent Gaudé : Et si j'avais surgi, tout à l'heure, sur le quai de la gare Montparnasse où nous avions rendez-vous, et vous avais demandé "mais qui êtes-vous ?", vous m'auriez répondu quoi ? Réponse de l’intéressé :
Je crois que j'aurais répondu bêtement : "je suis Laurent Gaudé et je suis écrivain". Ce qui est absurde, mais dans dans ce genre de situation je suis bien incapable de trouver mieux. Moi il me faut le temps de l'écriture et de la réflexion pour commencer à déplier un problème. Cette question est magnifique. Elle est d'une complexité insondable, parce qu'on est tellement tout à la fois et tellement changeants. Je ne veux pas faire de grande philosophie, mais tout coule, et d'autres l'ont dit bien avant moi, dès l'antiquité grecque. Il y a ce qu'on est consciemment. Il y a ce qu'on a construit patiemment de soi. Il y a tout ce qu'on ne sait pas être. Il y a l'inconscient. Il y a la pulsion intérieure. Il y a ce qu'on aimerait être. Il y a les rêves qu'on fait, qui sont aussi une part de nous. Il y a ce qu'on a perdu et qui est encore en nous. Tout cela finit par dessiner une complexité innommable.
Il y a les mille façons dont nous sommes connectés aux autres. Être le frère de quelqu'un, la sœur, la mère, la fille. [...] En plus on peut être tout ça à la fois et tout ça crée une sorte d'identité plurielle permanente, qui est passionnante et extrêmement difficile à saisir dans l'écriture.
Quand vous êtes face à un roman, penser à vos personnages avec cette richesse-là, c'est très compliqué, parce qu'on a tendance à figer nos personnages, en disant : "tiens ça, c'est le personnage de la sœur". Et faire l'effort, et ralentir sur la sœur... Mais non, ce n'est pas possible, elle n'est pas que cela, et quoi d'autre ? et là, on commence à travailler en tant qu'écrivain, à rendre de l'épaisseur à chaque petit être qu'on va construire parce que je crois que c'est à ce prix là qu'ils vivront dans l'esprit du lecteur.
Interrogé à propos d'une forme qu'il voudrait explorer pour évoquer d'autres voix que la sienne, l'écrivain a révélé :
Il y a un truc que j'aimerais faire, mais je n'y arriverais jamais, c'est écrire des chansons. J'aimerais beaucoup parce que c'est un vecteur incroyablement populaire qui peut profondément toucher et accompagner les gens à un endroit dont on ne soupçonne pas la force. On commence à la soupçonner quand on regarde en arrière des chansons qui correspondent à notre jeunesse ou à telle ou telle décennie et on se rend compte à quel point c'est chargé de tout ce qu'on était à l'époque.
Ça, ce serait merveilleux. J'ai essayé mais il y a quelque chose avec la brièveté qui ne colle pas avec moi. Je ne peux pas. Je n'ai pas cette qualité d'écriture-là.
(Très adéquatement, la programmation musicale a alors diffusé L'embellie ou l'incendie, de Florent Marchet, auteur-compositeur que je pourrais écouter à longueur de journée en ce moment, au grand dam de P. qui commence à se lasser je le crains, de Paris-Nice et autres petites voix intimes.)

lundi 7 novembre 2022

Vivre : contagion

 
Assomption entourée de saints (détail) / Antonello Crescenzio / Palazzo Abatellis / Palermo
 
La joie qui n'en finit pas : se faire miroir du bonheur autour de soi

dimanche 6 novembre 2022

Vivre : tea time

 
Campanile / piazza San Marco / Venezia

Certains jours, j'ai grand besoin de sortir prendre un thé avec élégance. Ce qui ne signifie pas nécessairement boire un thé dans un salon, non, pas du tout, du moins pas souvent, et ce qui implique encore moins de revêtir une tenue particulièrement élaborée. 
Prendre un thé avec élégance est une expression qui signifie depuis longtemps retrouver mon univers, aller vers ce qui me convient et où bon me semble. Et, dans cette activité qui peut m'occuper pendant quelques heures, savourer mon plaisir d'être au monde. 
Prendre un thé avec élégance suppose que je sois seule, accompagnée d'un bon livre ou en train de m'en choisir un. Ou que je m'assoie à une terrasse en regardant les passants et que je prenne éventuellement quelques notes en les observant. Que je croise un regard intelligent, que j'échange un sourire de connivence. La notion de temps dans ces moments-là n'a plus aucune importance. Je suis bien, quel que soit le lieu où je me trouve, dans l'occupation qui est la mienne.
Il m'arrive donc de prendre ce thé béni en arpentant une forêt, en essayant un manteau à carreaux jaunes et rose, en peignant la sinuosité d'une branche, en observant la pluie former des ronds dans un bassin. Il y a, dans le geste de saisir une tasse de thé, quelque chose de lent, de superbe, d'infiniment rassurant qui symbolise la reconnaissance d'évoluer en ce monde étonnant et la pleine mesure de ce privilège.
Ah! ces jours cérémonieux où je me vois libre de déguster un thé avec élégance, loin des chiffonnades du cœur, loin des embrouillaminis et des ruminations ! Quel ravissement ! quelle délectation !

samedi 5 novembre 2022

Vivre : l'ouverture

 

  Savoir accepter : un refus, une caresse.
Une défaite, un abri, un mot tendre.
Savoir accepter. Savoir. Ou apprendre.

vendredi 4 novembre 2022

Vivre : les miroirs déformants

 
La femme au balcon / Pablo Picasso / Musée Granet / Aix-en-Pce
 
Entendu l'autre jour : "Tous ces sites font en sorte qu'on ait envie de se changer, ils entretiennent la haine de soi." Et pourquoi donc tant d'appels à la transformation ? Comme si l'on n'était pas merveilleux tels que l'on est : en vie. Faut-il passer par une grave maladie, par un risque, une terrible avanie pour parvenir à voir ce qu'on ne voit pas : notre corps en santé est une merveille de technologie. Il est remarquable. En l'état. Avec ses hauts et ses bas. Le reste n'est qu'influence, marketing et blabla, recherche éperdue de gain et d'absurde idéal. Quel besoin de tout ce fatras ?